Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome III/Séance du 18 mars 1833

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Séance du 18 mars 1833.


Présidence de M. de Bonnard.

Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, M. le président proclame membres de la Société.

MM.

Schulz (G.), employé supérieur des mines à Lugo, en Espagne, présenté par MM. Boué et Desnoyers ;

Mulot, mécanicien, entrepreneur de puits artésiens à Epinay (Seine), présenté par MM. Constant Prévost et Desnoyers ;

De Kergorlay (Alain), avocat à Paris, présenté par MM. de Verneuil et Delafosse.

La Société reçoit :

1o De la part de M. Constant Prévost, les portraits gravés de MM. Léman et Desmarets ; de la part de MM. Desmarets et C. Prévost, un mémoire manuscrit de M. Desmarets père, lu à l’Académie des sciences en 1765, sur le mouvement des glaciers de Faucigny.

2o (En échange du Bulletin) Annales du mines, tome 1er, livraisons 1, 2 et 3. Tome 2, livraisons 4, 5 et 6, in-8o avec planches, cartes, coupes. Paris 1833.

3o De la part de M. Underwood, trois mémoires détachés, extraits du Journal de physique, de chimie et d’histoire naturelle, savoir :

A. Sur un nouveau genre de coquilles de la famille des solénoïdes, par M. Ménard de la Groye. in-4o de 11 pages, une planche.

B. Sur une substance alumino-siliceuse, hydratée ou argile pure qui se trouve aux environs du Mans ; par le même auteur. in-4o de 8 pages.

C. Observations géognostiques sur quelques localités du Vicentin, par M. Maraschini. in-4o de 30 pages.

4o Le no 17 (mars 1833), du Mémorial encyclopédique de M. Bailly de Merlieux.

5o Le no 44 (4e trimestre 1832) des Mémoires de la Société d’agriculture, sciences et belles-lettres du département de l’Aube.

6o De la part de M. Boubée, les deux premières livr. de son Bulletin de nouveaux gisemens en France, partagé en huit sections. La première pour les animaux vertébrés ; la deuxième pour les animaux articulés ; la troisième pour les mollusques et zoophytes, la quatrième pour la botanique ; la cinquième pour la paléontologie ; la sixième pour la minéralogie ; la septième pour la géognosie et géologie et la huitième pour l’économie industrielle. Dans ce recueil l’auteur publie les observations locales des naturalistes des départemens et celles qu’il recueille lui-même avec ses compagnons de voyage.

7o M. Rozet fait hommage à la Société de 78 échantillons de roches de la région granitique des Vosges, dont il a parlé dans son dernier mémoire.

8o M. Bertrand Geslin fait aussi hommage de 24 échantillons de roches et de fossiles de la Loire-Inférieure, savoir :

Schiste argileux micacé, de Saint-Georges ; serpentine de la Riotière, près d’Ingrande ; poudingue servant de mur à la maison de la Peignerie Montrelais ; charbon de la Peignerie Montrelais ; grauwacke en entrant à Varades ; schistes bleus compactes et micacés contenant une masse de porphyre à 1 lieue et demie avant Ancenis ; eurite porphyroïde dans les schistes, au hameau de Lafilière, avant Ancenis ; calcaire de transition de Féri ; anthracite de Liré ; calcaire siliceux blanc en nodules dans le calcaire de transition de Liré ; calc-schistes (supérieurs au no précédent) avec polypiers ; eurite porphyroïde de Saint-Géréon, au-dessus du schiste calcaire précédent ; porphyre rouge de Nuzaugé, près Ancenis ; eurite passant à l’amygdaloïde de la butte des Touches, près Niort, supérieur au terrain charbonneux (ces porphyres sont au-dessous du terrain charbonneux), calcaire oolitique moyen de Parce, Sarthe ; calcaire de Bérie, Sarthe.

9o M. Élie de Beaumont offre de la part de M. Jackson de Boston, 8 valves d’Unio, de l’Amérique méridionale.

M. Boué présente de la part de M. le professeur G. Schubler de Tubingue : 1o une dissertation inaugurale sur l’histoire naturelle de la Souabe supérieure (Beitrage zur Naturkunde Oberschwabens], par M. G. Lingg, in-8o de 32 p., Tubingue 1832.

2o Une dissertation inaugurale sur les rapports géognostiques des environs de Tubingue (Ueber der geognostischen Ferhaltnisse der Umgebungen von Tubingen), par M. Hermann Vogel, in-8o de 32 pages, avec la coupe d’un forage exécuté à travers tout le Keuper de Tubingue. — Tubingue 1832.

3o Des observations sur l’influence de la lune sur le temps, surtout par rapport aux recherches analogues de MM. Bouvard et Flaugergues, par M. G. Schubler ;

4o Confirmation de l’existence de périodes mensuelles dans les variations de notre atmosphère, résultat de 30 années d’observations faites à Carlsruhe, par M. Schubler. Ces deux derniers mémoires sont extraits des volumes 5 et 6 des Archives, pour la chimie et la météorologie de M. Kastner.

M. Ch. Rath propose de souscrire à un relief du Wurtemberg qu’il exécute à Tubingue, sous la direction du professeur G. Schubler.

Outre le royaume de Wurtemberg il comprendra les principautés de Héchingen, de Sigmaringen et de Furstenberg, ainsi que les parties adjacentes du grand-duché de Bade.

Ce relief en papier mâché aura 16 pouces de longueur et 20 pouces de largeur, et l’échelle des distances horizontales et celle des hauteurs seront dans le rapport de 1 à 8. Les exemplaires coloriés géologiquement coûteront 48 francs.

M. le président soumet à la Société plusieurs résolutions adoptées par le conseil dans la séance de ce jour et relatives, 1° au mode d’impression du Bulletin, qui, pour le quatrième volume, sera imprimé en papier non collé ;

2° À l’échange du Bulletin contre le journal des Mines russe, les Mémoires de la Société royale des sciences de Bohême, et les Mémoires de l’Académie des sciences de Toulouse.

Le conseil et la Société agréent également la demande que M. Steininger a faite du Bulletin en retour des Mémoires géologiques dont il a fait hommage à la Soc. dans la dernière séance.

M. Vargas-Bedemar écrit (Copenhague, 28 fév. 1833) que la Société recevra prochainement de sa part une collection, aussi complète que possible des roches et des fossiles des îles Féroë. Il annonce que la Société royale de Copenhague échangera avec plaisir ses Mémoires contre ceux de la Société géologique de France. M. Vargas-Bedemar est toujours dans l’intention de visiter l’an prochain les Acores, Madère, et les Canaries.

M. le secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences (Paris, 4 mars) adresse des remerciemens à la Société pour le deuxième volume de son Bulletin.

M. Dufrénoy communique à la Société une lettre de M. de Léonhard. Ce savant minéralogiste a reconnu qu’il existait près de Heidelberg des granites de trois époques différentes. L’âge relatif de ces différens granites se reconnaît par la manière dont ils se pénètrent. Les plus nouveaux coupent et rejettent les plus anciens : le mélange des différens minéraux qui entrent dans la composition de ces granites offre un point de certain pour les distinguer. Les uns sont grenatifères, tandis que les autres contiennent une grande quantité de tourmalines.

M. de Léonhard indique en outre dans cette lettre qu’il a reconnu que le calcaire avait, dans certaines circonstances, été formé par une action ignée, et qu’il avait été fluide à la manière des roches volcaniques.

M. Rozet dit avoir déjà annoncé, l’an dernier, que suivant son opinion, les dolomies d’Oran ont coulé comme des roches volcaniques.

M. de Montlosier rapproche de ces observations celle qu’il a faite dans les Alpes, aux Echelles et au Salève, où le calcaire a subi des plissemens qui lui sembleraient annoncer que la roche aurait coulé dans un état de fluidité pâteuse.

M. Bertrand Geslin communique une lettre de M. A. Fabroni, professeur à Arezzo, en Toscane, par laquelle il fait connaître la découverte récente dans le gîte des ossemens fossiles du val d’Arno, de noix et de fruits de conifères du continent américain.

M. B. G. annonce avoir reçu d’Égypte un envoi de roches et de fossiles provenant des environs du Caire et du mont Liban ; il fait don à la Société de plusieurs de ces échantillons.

M. de Montlosier, par suite de la discussion qui a eu lieu dans la dernière séance, développe verbalement les considérations suivantes sur la formation des vallées, et sur la théorie des soulèvemens de montagnes.

« La configuration de la vallée du Mont-Dore, sillonnée par la Dordogne, et le rétrécissement qu’elle éprouve, sont des phénomènes communs à tous les cours d’eau qui quelquefois ont lieu sur des plaines espacées, lorsque ces plaines ont été primitivement composées de matières molles et friables que les grandes eaux ont pu détremper et emporter ; d’autres fois, rencontrant des matières dures et résistantes, ces eaux ont dû se contenter de s’y creuser, tout juste, un lit capable de les recevoir.

« La Sioule est à cet égard dans le même cas que la Dordoge. Avant d’atteindre le lieu de Fontgibaud, elle a pu, frappant sur ses parties latérales qu’elle avait trempées, composer une vaste plaine qu’on appelle la prairie de Pontgibaud. Il en a été de même de l’Allier dans la plaine de Brioude, et ensuite dans la plaine d’Issoire ; de même du Rhin dans la plaine de Mayence, à la suite de laquelle il se resserre dans les gorges étroites de Coblentz et d’Andernach.

« Ces différentes circonstances s’expliquent facilement pour le naturaliste lorsqu’il a dans sa pensée de grands évènemens qu’il ne doit jamais perdre de vue ; c’est la chute énorme et précipitée d’une masse immense d’eau tombant des sommités de l’atmosphère sur les montagnes qu’elle a creusées et sillonnées, et sur les plaines qu’elle a recouvertes à de grandes hauteurs de dépôts considérables. À la suite, et par l’effet de ce grand événement, qui n’est pas contesté et qui n’est pas contestable, la vallée du Mont-Dore, soit dans sa partie élargie, soit dans sa partie rétrécie, a été, ainsi que les autres vallées du même genre, façonnée et creusée.

« Pour ce qui est de la formation des montagnes par soulèvement, cette théorie que l’auteur du mémoire a citée, et dont il s’est appuyé, ayant pris beaucoup de faveur, je puis lui opposer quelques observations et les soumettre à la Société. J’ai fait beaucoup de voyages pour l’étude de la géologie ; j’ai vu beaucoup de montagnes dans ces voyages ; jamais je n’ai pu y découvrir aucune trace qui pût me donner des indices de soulèvement. À commencer par les Alpes, il y a une ancienne observation du général Pfiffer (elle est rapportée par M. de Saussure), qui établit que toutes ces montagnes, en remplissant les excavations qui les séparent, se lient ensemble l’une à l’autre par une pente douce, de telle manière qu’on pourrait aller presque sans s’en apercevoir jusqu’à la cime du Mont-Blanc. En ce qui concerne le Jura, ses anciens points de contact avec les Alpes centrales sont tels qu’on trouve dans les différentes anfractuosités qui sont à ses cimes, des blocs immenses de granite appartenant à ladite chaîne centrale, et qui y ont été apportées.

« Ce phénomène de la continuité des grands continens de montagnes se démontre dans d’autres circonstances avec la même évidence. Si vous entreprenez d’aborder le Jura dans sa partie septentrionale, vous rencontrez presque partout des pentes douces et presque insensibles. Vous êtes tout étonné ensuite, en descendant du côté de la vallée de Genève, de le trouver raide et abrupte comme une longue et immense muraille. Il en est de même des Vosges lorsque vous les abordez du côté de la France, et que vous descendez dans la vallée du Rhin ; de même des montagnes de la Saxe, quand vous descendez en Bohème dans la vallée de l’Elbe. Je pourrais citer bien d’autres exemples : je me contenterai de rappeler celui des montagnes de Fontainebleau, qui, sillonnées et isolées en quelques points, se trouvent tenir ensuite du côté de Nemours à un continent plein, entre le versant de l’Yonne et celui du Loing.

« En même temps que la nature des montagnes repousse toute idée de formation par soulèvement, la régularité de leur composition intérieure y résiste encore davantage ; non pas que par des accidens particuliers il ne puisse s’y trouver quelques traces de déchirement et de bouleversement. La cause de ces bouleversemens accidentels est connue ; tantôt c’est le dernier ou l’avant-dernier cataclysme du globe, tantôt ce sont de simples porte-à-faux occasionés par l’infiltration des eaux supérieures sur des matières inférieures, tendres et friables qu’elles ont entraînées. C’est ce qui est arrivé, il y a quelques années, au Bouffiberg. Je veux parler seulement de la composition intérieure ordinaire de ces montagnes, qui, sur une longueur de 10, 20, quelquefois 30 lieues, offrent l’indice, non pas d’une cause violente, telle que celle qui opérerait un soulèvement, mais au contraire d’un ordre tranquille et régulier dans lequel elles se sont composées.

« Cette particularité, remarquable dans les montagnes ordinaires, l’est plus encore dans les montagnes volcaniques ; là où, à raison des convulsions volcaniques et des désordres qui les ont accompagnées, on pourrait trouver quelque appui à la théorie du soulèvement, c’est là, au contraire, où cette théorie est principalement renversée. En effet, il n’est pas rare d’y trouver de longs plateaux de montagnes plus ou moins étroits, recouverts d’un courant de laves, et se prolongeant avec cette dimension étroite pendant une lieue, deux lieues, conservant la même pente, le même ordre, la même symétrie. D’après ces considérations réunies, s’il se trouve en quelques lieux des exemples de formations par soulèvement, je suis autorisé à croire que ce sont de simples accidens, lesquels ne peuvent donner lieu en aucune manière à l’adoption d’un système général. »

On lit la notice suivante de M. le docteur Schmerling sur des cavernes à ossemens de la province de Liège.

« En 1829, le hasard me révéla l’existence des ossemens fossiles dans les cavernes de la province de Liège. Je fis la première découverte de ce genre à Chokier, village situé entre Liège et Huy, sur la rive gauche de la Meuse ; depuis lors, j’ai exploité sous ce rapport notre province, dont les cavernes étaient comme inconnues, et j’en ai retiré une quantité considérable de fossiles, qui m’ont mis à même d’enrichir cette branche si importante pour l’étude géologique de la province de Liège.

« C’est le terrain de transition, et principalement la formation anthraxifère qui constitue la majeure partie de la province de Liège ; les roches qui composent cette formation sont le calcaire anthraxifère, le schiste argileux, les psammites et le poudingue siliceux. Tous les angles possibles se trouvent dans l’inclinaison des couches qui composent ce terrain, depuis la ligne horizontale jusqu’à la direction verticale.

« Le calcaire anthraxifère y domine, et présente en plusieurs endroits des cavités plus ou moins vastes, qui apparaissent généralement dans les endroits où les bandes calcaires forment des replis, ou bien dans les parties qui les avoisinent, et l’observation m’a prouvé, à peu d’exceptions près, que partout où il y a des cavernes, l’inclinaison des couches calcaires est considérablement dérangée.

« La puissance de ces couches est très variée. Ordinairement la couleur de ce calcaire est bleuâtre ; mais dans quelques localités, la couleur varie du gris-clair au noirâtre.

« Il est généralement très dur, d’une texture compacte, lamellaire, quelquefois grenu et friable. L’odeur fétide qu’il dégage par la percussion ou le frottement est probablement due à la grande quantité de fossiles qu’il renferme assez souvent.

« On retire des nombreuses exploitations établies dans plusieurs endroits de ces collines calcaires, des pierres d« taille, et de la chaux d’excellente qualité.

« Ce calcaire contient plusieurs espèces de minerais tels que du fer oligiste et du fer hydraté, de la calamine, du plomb sulfuré, et du cuivre en petite quantité.

« On distingue trois vallées principales dans la province de Liège ; celle de la Meuse est la plus considérable ; viennent ensuite celles de l’Ourthe et de la Vesdre.

« Les vallées latérales sont nombreuses, mais celles qui sont la plus étendues, et qui offrent le plus de cavernes, sont : la allée de Hoyoux, dans le Condroz, et qui prend naissance dans celle de la Meuse près de Huy ; la vallée de l’Amblève, qui est située sur la rive droite de l’Ourthe, elle commence prés de Douxflamme, et celle du Fond-de-Forêt et qui est située sur la vive droite de la Vesdre.

« Voici l’énumération des cavernes que j’ai découvertes jusqu’à présent dans ces différentes vallées.

« Sur la rive gauche de la Meuse, nous en comptons une à Chokier, à ossemens fossiles, et une sans ossemens, sous le château de ce village ; deux dans la commune des Awirs, située au nord, derrière le village d’Engis ; de toutes les deux j’ai retiré des ossemens fossiles. À la Mallieu et à Ampain, il y a deux cavernes, mais qui ne contiennent point d’ossemens. À Moha, on compte cinq à six cavités dans les collines calcaires ; mais aucune d’elles ne m’a fourni de fossiles.

« Sur la rive droite de la Meuse, à trois quarts de lieue au-dessus de Huy, il existe une caverne connue sous le nom de Trou-manteau ; elle contient des ossemens fossiles ; sa forme irrégulière, son étendue et sa position, la rendent très remarquable ; dans cette même vallée, près d’une ruine du château de Beaufort, on aperçoit encore une caverne que je n’ai pu examiner que superficiellement jusqu’à présent.

« Sur le Hoyoux, il en existe une très large, mais peu profonde, et qui contient des ossemens fossiles.

« Sur les collines qui bordent le vallon de Rumioul, on trouve trois petites cavernes dont j’ai extrait des ossemens fossiles.

« Dans le ravin d’Engihoul, qui est très étroit, j’ai compté cinq cavernes, dont deux seulement ont offert à mes recherches des ossemens fossiles.

« Sur les deux rives de l’Ourthe, qui sont comprises dans les limites de la province de Liège, il se présente beaucoup de cavités : il en existe deux à Tilf, dont une très vaste ; quatre à Esneux, quatre à Comblain-au-Pont, sept à huit de Comblain-au-Pont jusqu’à Bomale ; je n’ai découvert des restes fossiles que dans trois d’entre elles ; les autres ne paraissent pas en contenir.

« Une caverne très vaste est celle de Remouchamp ; c’est la plus remarquable de toutes celles qui sont situées dam la province de Liège ; mais jusqu’à présent je n’y ai reconnu que fort peu d’ossemens fossiles, et ce n’est que près de l’entrée, dans la première chambre de ce souterrain, que j’en ai recueilli.

« Les cavernes situées sur les rives de la Vesdre sont moins nombreuses ; mais d’eux d’entre elles ont fourni la source la plus riche en ossemens.

« Il en existe une près du village de Chaufontaine, qui paraît ne pas contenir des ossemens ; dans la vallée du Fond-de-Forêt, j’ai rencontré quatre cavernes, dont deux m’ont fourni beaucoup d’ossemens fossiles ; les autres en sont dépourvues. C’est à Goffontaine qu’est située, sur la rive droite de la Vesdre, une caverne très remarquable ; rien n’égale la beauté et le nombre des échantillons qu’elle m’a fournis ; les restes de plusieurs centaines d’individus, et surtout d’ours, ont été ensevelis dans cet endroit.

« Il y a à Afluire deux cavités sur la rive gauche de la Vesdre ; on y trouve des ossemens ; mais l’origine m’en parait douteuse. Près de Pepinster, on vient d’ouvrir une belle caverne dans la carrière à pierre de taille de ce village ; mais je n’y ai trouvé aucun ossement. Il en existe encore deux au-delà de Verviers, qui sont assez vastes, mais où l’on ne découvre aucune trace ’ossemens fossiles.

« La majeure partie de ces cavités contient de la terre à une hauteur d’un à quatre mètres ; elle est argileuse, d’une couleur jaunâtre, quelquefois noirâtre, mêlée sur toute sa hauteur de pierres dont le plus grand nombre est arrondi, et qui proviennent en grande partie de la même roche ; bien souvent on en retire aussi des cailloux roulés, de quarz, de grès, de silex et de stalactites brisées. La dimension de ces pierres varie de la grosseur d’un pois jusqu’à celle de deux à trois mètres.

« Les ossemens s’y trouvent indistinctement à toute hauteur, sans ordre, tantôt entre les pierres, tantôt dans la terre, en amas plus ou moins abondans ou isolés ; plusieurs d’entre eux sont bien conservés, et contiennent encore une grande partie de leur gélatine. La plupart sont brisés, et il n’est pas rare d’en trouver qui sont arrondis sur un côté, ou en tous sens. La couleur de ces os varie du blanc jaunâtre jusqu’au noirâtre.

« Les couches de stalagmites, les brèches osseuses sont souvent de peu d’étendue ; d’autres fois elles sont très abondantes dans quelques localités. Ces premières couvrent rarement toute la surface de la terre ; elles ont embrassé dans leurs couches des os et des pierres, qui étaient dispersés sur le sol de ces cavernes. Les stalactites, les stalagmites et les brèches étant les produits des causes accidentelles qui ont agi, ou qui agissent encore, il n’est pas étonnant de rencontrer plusieurs cavernes où ces concrétions n’existent point, ou dans lesquelles elles ne sont que peu développées.

« Les fossiles que j’ai exhumés jusqu’à présent de ces cavernes ont appartenu aux espèces suivantes :

« Des ossemens humains ; les débris de quatre espèces distinctes de chauves-souris, de deux espèces de musaraigne, de hérisson et de taupe. Le plus grand nombre des restes que j’ai recueillis a appartenu à l’ours ; c’est de l’espèce spelœus et arctoidœus de Blumenbach que provient la majeure partie de ces ossemens ; ceux de l’ursus priscus (Goldfuss) sont assez nombreux dans les cavernes de Goffontaine ; mais j’ai reconnu dans les débris d’ours deux espèces au moins qui sont si différentes de celles qui ont été décrites jusqu’à présent, qu’elles méritent d’être considérées comme ayant appartenu à des espèces particulières ; l’une est d’une dimension considérable ; j’en possède deux demi-mâchoires et un humérus, et je lui ai donné le nom d’ursus giganteus. Les différences des restes de l’autre seront également indiquées dans l’article ours de ma description.

« Le Blaireau, le Grison, quatre espèces de Martres, le Loup, le Chien (canis fossilis, de Goldfuss), deux espèces de Renards, et la Genette font partie des restes fossiles que renferment ces souterrains.

« Les débris de l’Hyena spelœa se sont rencontrés partout. Du genre felis je possède plusieurs restes, entre autres ceux du felis spelœus ; les ossemens de quatre autres espèces se font remarquer par leur forme différente, dont une se rapproche beaucoup pour la forme et pour la grandeur, de notre chat sauvage ; je lui ai donné le nom de felis priscus.

« Les ossemens de Rongeurs que j’ai pu déterminer jusques aujourd’hui proviennent d’écureuils, de souris, de rats, de campagnols de deux ou trois espèces différentes, du rat d’eau, du castor et de l’agouti, ou d’une espèce très voisine de ce dernier ; enfin, je possède plusieurs restes parfaitement conservés ayant appartenu au Lièvre et au Lapin.

« J’ai recueilli des échantillons bien reconnaissables des espèces suivantes de Pachydermes :

« De l’Éléphant (Elephas primigenius Blumenbach), del’Hippopotame de l’espèce minutus (Cuvier), du Sanglier, du Cochon domestique, ainsi que d’une espèce très petite de cochon, du Rhinocéros ; plusieurs dents et des os du tronc ont roulé long-temps avant d’avoir été déposés dans ces cavernes ; ces restes proviennent du Rhinocéros tichorhinus et minutus (Cuvier.)

« Parmi les restes de Solipèdes se distinguent ceux du cheval, de l’âne, et d’une espèce plus petite que ce dernier.

« Les débris retirés de nos cavernes, et provenant de Ruminans, sont : ceux de Renne, de daims, de trois espèces au moins de cerf, de chevreuil, d’antilope, de chèvre, de mouton, de bœuf et de buffle.

« Dans quelques localités, les restes d’oiseaux sont très abondans ; je n’ai pu les déterminer tous jusqu’à présent ; mais j’y ai reconnu ceux d’un oiseau de proie d’une forte taille, le martin, l’alouette, le corbeau, le pigeon, le coq, la perdrix, l’oie et le canard.

« D’après M. Cuvier, on n’a jamais retiré des restes de poissons ni d’animaux marins des cavernes ; quant à moi, j’en ai retiré des vertèbres et marne des écailles de poissons, et deux dents de squale ; j’y ai également rencontré des restes de couleuvres et une baculite.

« Souvent on y trouve des hélix engagés même dans la brèche ; j’en compte quatre espèces terrestres et quelques coquilles d’eau douce. »

La lecture de ce mémoire donne lieu à une discussion sur les différens modes de dépôt des ossemens fossiles dans les cavernes, soit qu’ils y aient été entraînés par des eaux courantes, soit que les animaux dont les restes y sont enfouis y soient morts, et n’y aient point été introduits par des agens extérieurs. Plusieurs membres, MM. C. Prévost, Dufrenoy, Virlet, de Bonnard, de Montlosier, prennent part à cette discussion.

M. C. Prévost pense que dans le plus grand nombre des cavernes les ossemens ont été introduits par des eaux courantes, et il rappelle qu’il a depuis long-temps soutenu cette opinion dans ses mémoires.

M. Dufrenoy croit que dans beaucoup de cavernes, surtout dans celles du midi de la France, on voit des traces incontestables d’une habitation prolongée des animaux qui y ont été enfouis.

M. de Bonnard dit qu’ayant voulu, en 1829, rechercher des ossemens dans les grottes d’Arcy sur Cure (département de l’Yonne), lesquelles, malgré leur proximité de Paris, n’avaient point encore été explorées sous ce rapport, il a employé, pendant deux jours, plusieurs ouvriers à faire des fouilles dans diverses parties de ces grottes, et particulièrement dans les places qui, d’après les indications et les conseils de M. Buckland, lui semblaient offrir le plus de chances pour retrouver les débris d’animaux ayant habité ces cavernes ; mais que presque toutes ces recherches ont été sans succès. Sur un seul point, il a trouvé un fragment considérable de mâchoire d’hippopotame bien caractérisé, avec des débris d’autres ossemens tout-à-fait méconnaissables, que l’essai chimique a pu seul déterminer comme tels, et que les ouvriers nommaient avec une sorte de justesse des os pourris. Le tout était situé à plus d’un mètre de profondeur, dans l’argile, et reposait presque immédiatement sur le sol de calcaire oolitique, dans un resserrement ou une sorte de rigole étroite, formée en cet endroit par deux relèvemens de la roche du sol, disposition qui semble indiquer que les ossemens, entraînés par un courant d’eau, ont été arrêtés par ce resserrement des parois inférieures du canal dans lequel ils étaient charriés.

« M. Virlet rappelle a ce sujet, qu’il a déjà signalé, à l’occasion de son mémoire sur la caverne de Sillaka, dans l’île de Termia, caverne entièrement creusée dans des micaschistes, des schistes argileux et talqueux, etc. (voyez. Bulletin, t. II, p. 330), un phénomène intéressant : celui des Katavothrons, ou gouffres par où s’échappent les eaux des grandes plaines fermées de la Morée et de la Grèce continentale, qui vient tout-à-fait à l’appui de l’opinion de M. Prévost ; les courans souterrains vont ensuite, quelquefois à de très grandes distances, former des sources très remarquables appelées Kéfalo-Vrisi (tête de source), dont plusieurs donnent naissance aux principaux fleuves du pays. Il regarde ces canaux souterrains comme autant de cavernes à ossemens, dont le dépôt limoneux ossifère se forme encore tous les jours. Ayant pu pénétrer jusqu’à une certaine distance dans quelques uns de ces katavothrons, il les a trouvés formés de salles, plus ou moins grandes, communiquant par des couloirs plus étroits, à la manière des cavernes ordinaires, et il a reconnu des limons récens, contenant des débris de plantes et d’ossemens des animaux qui vivent dans le voisinage, quelquefois mêlés à des ossemens humains qui sont fréquemment répandus à la surface du sol, depuis les guerres meurtrières dont cette contrée a été, dans ces derniers temps, le théâtre. Tous ces débris y sont amenés à l’époque des pluies torrentielles et presque intertropicales, très fréquentes pendant les deux ou trois mois qui forment ce qu’on appelle l’hiver de la Grèce. Si ces cavernes venaient à être abandonnées par les eaux, elles pourraient très bien servir de retraite à des animaux carnassiers qui y viendraient accumuler un autre dépôt de débris organisés bien différent du premier, et qui pourrait contenir avec des squelettes entiers, des fèces et des os rongés surplace, comme cela se rencontre aussi dans certaines cavernes à ossemens.

« M. Virlet pense que si l’on pouvait pénétrer plus avant dans les katavothrons, on trouverait sans doute les ossemens de l’époque actuelle, mélangés avec ceux des espèces d’animaux qui ont disparu de la Grèce, et que l’histoire nous apprend y avoir vécu dans l’antiquité ; tels sont les lions, les ours, les sangliers, les aurochs. Peut-être même seraient-ils mêlés aussi avec des espèces antédiluviennes, car il croit que la plupart de ces cavernes sont plus anciennes que les dernières révolutions de la surface du globe, et que leur existence se lie à celle des plaines qui ont été formées par le croisement de plusieurs systèmes de dislocations qui ont imprimé à la Grèce ses principaux reliefs, et dont le plus récent est antérieur au dépôt du terrain tertiaire subapennin. On ne trouve dans ces cavités, ni stalactites, ni stalagmites, circonstance qui s’accorde tout-à-fait avec la théorie de la formation des cavernes. »


Addition à la Séance du 4 mars (p. 206).


Après la lecture du mémoire de MM. Élie de Beaumont et Dufrénoy, sur le Mont-Dore et le Cantal, M. Boubée a énoncé que l’élargissement du haut de la vallée du Mont-Doré ne lui paraissait pas devoir être invoqué à l’appui d’un cratère de soulèvement, parce que les eaux des trois vallons qui débouchent sur ce point, ont dû le produire par leur seule érosion ; que des bassins analogues s’observent dans tous les pays de montagnes et notamment dans les Pyrénées, partout où plusieurs vallées se réunissent, et que dans le cirque même du Mont-Dore il fit remarquer à ses compagnons de voyage, dans le lit du ruisseau actuel, un grand élargissement circulaire produit évidemment par érosion, au point de concours de quelques petits ruisseaux.