Bulletin de la société géologique de France/1re série/Tome III/Séance du 17 décembre 1832

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Séance du 17 décembre 1832.


Présidence de M. Brongniart.

Après la lecture et l’adoption du procès-verbal de la dernière séance, M. le président proclame membres de la Société :

MM.

Samuel Hibbert, docteur-médecin, membre de plusieurs Sociétés savantes, à Edimbourg ; présenté par MM. Boué et Desnoyers.

Jules Coupery, avocat à la Cour royale de Paris ; présenté par MM. Mutel-Delisle et d’Archiac.

La Société reçoit les ouvrages suivans :

1° De la part de M. le docteur Hibbert :

A. Ses observations sur les théories proposées pour expliquer les forts vitrifiés en Écosse. (Extrait des Trans. roy. d’Édimbourg.

B. Une Notice sur la découverte de restes très étendus de vitrification à Elsness, dans l’île de Sanday aux Orcades. (Extrait du n° 10 du Journal des sciences de Brewster.)

2° De la part de M. Passy :

Sa Notice géologique sur le département de l’Eure. In-8, 32 pag. Evreux, 1832.

3° De la part de M. Jouannet :

Éloge de M, Jean-Florimond Boudou, de St-Amans. In-8°, 23 pag. Bordeaux, 1832.

M. Boué présente les ouvrages suivans :

1° Les dépôts basaltiques dans leurs rapports avec les masses minérales, normales et anormales (Die Basalt-Gebilde, etc.), par M. de Léonhard. 2 vol. in-8o, avec un atlas de plancbes. Stuttgard, 1832.

2° Les hauteurs mesurées trigonométriquement en Autriche, en Styrie, en Tyrol, dans l’Istrie et les îles du golfe de Guarnero, en Carinthie et en Carniole, y compris les cercles de Gorizia et de Trieste, extraits des protocoles de la direction générale du cadastre en Autriche (Trigonometrisch bestimmte Hohen. etc.), par A. Baumgartner. In-8°. Vienne 1832.

3° Sur le lac de Neusiedlen et le marais de Hansag en Hongrie, avec une carte ; article tiré de la 2e édition du 6e cahier du Journal d’Agriculture (Landwirthschafiliche Hefte). de M. Wittmann. Vienne, 1833.

(On donne le nom de Hansag au terrain marécageux qui existe entre la côte orientale du lac de Neusiedlen et le Danube. Il occupe plus de 100,000 arpens (joch). Il est composé de véritables marais et de terroirs simplement marécageux ou tourbeux. Il est très dangereux de s’y aventurer, car le terrain, en partie couvert de bois, est mouvant, de manière que certaines forêts même changent de place suivant les vents. Le lac de Neusiedlen inondé, dans les grandes crues, une partie de ce terrain ; ce qui indique clairement qu’à une époque très récente le lac était lié au Danube. L’archiduc Charles a acquis tout ce marécage et a déjà réussi à en dessécher et cultiver avec profit une bonne partie.)

4° Des Recherches géologiques sur l’âge et l’origine des filons d’argent et de cobalt à Joachimsthal, dans l’Erzgebirge (Geognostische Untersuchungen zur Bestîmmung des Alters, etc.), par A.-F. Mayer. In-8°, avec planches. Prague, 1830.

5° Les plus nouvelles observations et les résultats obtenu par MM. Garnier, M. de Thury, Baillet, d’Omalius, Flachat, Beurrier, de Bruckmann, etc., sur le forage des puits artésiens (Dieneuesten Beobachtungen und Erfahrungen. etc.), par M. J. Waldanf de Waldenstein. In-8°, avec 4 planches. Vienne, 1831. (C’est la suite de la traduction de l’ouvrage de M. Garnier, sur l’emploi des sondes artésiennes, par le même auteur.)

6° L’introduction à l’ouvrage de M. le docteur Behrendt, les Insectes de l’ambre (Die Insecten in Bernstein). In-4°. Dantzig, 1831.

Une lettre de M. Reboul annonce qu’il a achevé sa description du bassin Cébenno-Pyrénéen, et qu’il l’offre à la Société. De plus, il a fini les deux premiers livres d’un Traité de géologie descriptive et historique, qui contiendra toutes les observations qu’il a pu faire jusqu’ici. Il compte faire imprimer cet ouvrage sous ses yeux.

M. Reboul écrit qu’il a visité de nouveau le terrain houiller secondaire de Neffiez, et sa continuation vers l’ouest ; il y a observé une butte porphyrique qui s’appelle Roque-Nègre. L’éruption de cette roche ignée a séparé le gîte houiller de Neffiez de celui de Monian. Dans ce dernier lien se rencontrent beaucoup d’impressions d’équisétacées.

Cette même lettre contient encore le passage suivant :

« Dans les notes jointes à mon dernier Mémoire (voyez Bulletin. vol. 2, p. 383), M. Desnoyers fait une grande concession en disant que ce n’est pas l’émersion des bassins, mais seulement l’immersion qui a été successive ; car si leur émersion est contemporaine, ils ont été sous les eaux en même temps, et sont ainsi du même âge, au moins pour les parties supérieures. Quant aux inférieures, comme elles reposent sur les terrains secondaires aussi bien dans le Languedoc qu’à Paris, on ne peut les croire moins anciennes, surtout si l’on considère qu’elles s’enfoncent beaucoup plus bas sous le niveau de la mer. »

M. Jouannet écrit de Bordeaux, avoir découvert dans l’Agénois, et particulièrement dans les localités du Fraudat et du Lasta, sommités de l’arrondissement de Nérac, des bancs en place de l’huître virginienne, ayant leurs deux valves toujours réunies, et partie de leur attache intérieure coloriée en violet.

Ces bancs d’huîtres sont recouverts d’une couche peu épaisse de marne sans fossiles, et reposent sur des marnes à planorbes, hélices et lymnées, superposées elles-mêmes à un calcaire également d’eau douce. On a reconnu une épaisseur de douze mètres environ de ce terrain d’eau douce.

M. de Léonhard annonce qu’il s’occupe des granites, des porphyres et des calcaires grenus de l’Odenwald, et qu’il en fera l’objet d’un travail particulier accompagné de planches.

M. le comte Vargas-Bedemar écrit de Copenhague : qu’il vient d’expédier à la Société une suite des roches des îles Feroë, et que cet envoi sera suivi d’une collection complète des roches et des fossiles de la craie de Faxoe, de Stevensklin et de Moen. C’est à son altesse le prince Christian de Danemark que la Société sera redevable de ce dernier présent. Le docteur Beck a été chargé de la récolte de ces objets.

La Société de géographie invite la Société de géologie à assister à la deuxième assemblée générale de 1832, convoquée pour le 14 décembre.

M. Héricart-Ferrand présente les considérations suivantes sur les deux systèmes de grès marin du nord du bassin parisien, et sur les crustacés fossiles qu’on y trouve.

Adanson est le premier naturaliste qui ait indiqué ces débris de crustacés à Lisy, mais sans énoncer à quel terrain ils appartenaient.

MM. C. Prévost et Desmarest en ont observé à la base de la masse gypseuse inférieure à Montmartre. (Journal des Mines. 1809, t. 25, p. 215 ; et Histoire naturelle des Crustacés fossiles. 1822, p. 115 et 138).

M. Desmarest les a encore annoncés à Étrepilly (Hist. nat. des Crust. fossiles, p. 88.) Les sables et les grès dans lesquels ils ont été trouvés ont été alors rapportés aux sables et grès marins supérieurs.

M. Eugène Robert les a trouvés aux environs de Nantheuil-le-Handouin, particulièrement à Brégy, et même dans les sables des environs de Senlis, et enfin à Beauchamps. (Ann. des Mines, 1830, t. VII, p. 283 et 290.)

M. Héricart-Ferrand indique quatorze nouvelles localités où il les a reconnus ; ce sont :

Lisy-sur-Ourcq, Puisieux, le Gué-à-Trème, les Deux-Monts, Vareddes, Togues, Villeron, Louvres, Fontenay-sous-Louvres, le Plessis-Gassot, Ézainville, Moisselles, Saint-Lubin et Jagny.

Moisselles, Ézainville et le Plessis-Gassot sont des localités bien voisines de Beauchamps, et qui pouvaient faire espérer d’y trouver ces dépouilles de crustacés. En effet M. Eugène Robert est le premier qui les y ait indiquées.

Les crustacés fossiles sont dose reconnus sur un grand espace de la partie nord du bassin de Paris ; mais, de tous les gisemens où ils ont été observés, un seul, Lisy, a présenté ce gisement de crustacés, et le gisement du lenticulites variolaria, de manière à établir de haut en bas la superposition suivante :

1o Terrain lacustre supérieur ;

2o Sable et grès avec crustacés ;

3o Sable avec lenticulites variolaria ;

4o Calcaire grossier marin.

Si l’on admet, avec M. Héricart-Ferrand, le lenticulites variolaria comme un fossile caractéristique des sables et grès marins supérieurs, les sables et grès avec crustacés qui leur sont superposés seraient donc aussi à rapporter aux sables et grès marins supérieurs, et tous les gisemens de crustacés fossiles semblables à celui de Lisy subiraient la même conséquence. Beauchamps, cette localité à l’égard de laquelle les auteurs de la géographie minéralogique ont été si long-temps dans le doute, ne devrait pas en être exempt. En y arrivant comme par autant de rayons de toutes les localités ou gisemens de crustacés qui le circonscrivent au N.-E., on est amené à se demander si Beauchamps ne serait autre chose que les sables et grès marins supérieurs abaissés, et disposés dans une localité où il y a une dépression extraordinaire, un enfoncement considérable des terrains antérieurs : enfoncement prouvé par les sondages faits à Épinai, à la maison de Seine, à Saint-Denis et à Stains.

Cette question, que pose M. Héricard-Ferrand à l’égard de Beauchamps, devient son opinion, quelque opposée qu’elle soit à celle des auteurs de la géographie minéralogique des environs de Paris, et de M. Constant Prévost.

M. Rozet présente un morceau de granite sortant d’une fontaine, et recouvert, de petits grains de quarz agglutinés qu’il suppose adhérer entre eux par une affinité moléculaire. M. Brongniart reconnaît, au contraire, que ces grains ont été ainsi agglutinés par des insectes des genres Frigane ou Ephémère, dont on trouve encore en effet les larves dans la plupart de ces petits fourreaux.

M. le professeur Jaeger, de Stuttgardt, fait connaître à la Société qu’il se voit obligé de réunir en une seule espèce son Mastodonotsaurus et son Salamandroïdes, parce qu’il a obtenu une tête complète qui réunissait les caractères assignés par lui à chacune de ces prétendues espèces de reptiles. Il espère même qu’en continuant l’exploitation du grès keupérien, il pourra avoir presque tout le squelette complet de ce curieux animal. La tête qu’il possède actuellement présente, des deux côtés des mâchoires, une rangée de petites dents aiguës, tandis que sur le devant sont de grandes dents émoussées.

M. J. a terminé la gravure de la plupart des planches de son ouvrage sur les ossemens fossiles du Wurtemberg. Il y figure les ossemens des dépôts de fer alluvial ancien ; ceux des dépôts d’eau douce tertiaire ; ceux des argiles marneuses alluviales anciennes, et ceux des tourbes. Parmi les premiers il a découvert une nouvelle espèce d’Antilope, des restes de Deinotherium, plusieurs espèces de Mastodontes, des dents de Rhinocéros, de plusieurs rongeurs, etc., etc.

La marne d’eau douce du Stubenthal, près de Heidenbeim, déjà célèbre par ses poissons et par l’innombrable quantité de ses coquillages singuliers d’eau douce, lui a procuré des dents de Paléotherium et de Tortue d’eau douce.

Dans le dépôt argileux alluvial de Canstadt, on a trouvé des os humains ; il les figure sans vouloir regarder ce fait comme décisif de l’existence de l’homme lors du dépôt des alluvions anciennes.

M. Boue lit les notes suivantes recueillies par lui durant son dernier voyage.

M. Voltz possède deux morceaux d’un calcaire-marbre noirâtre des Corbières, dans l’un desquels est une petite Orthocère à siphon central bien distinct, dont la dernière loge est très mince et allongée, comme dans les bélemnites figurées par M. le comte Munster. Dans une des plaques, on dirait qu’il y a une bélemnite associée avec des Orthocères. M. Voltz compte faire dessiner ces fossiles. (Voyez Bull.. vol. II, p.56.) Il a aussi un morceau de Magnésitc de Baldissero (Piémont), avec l’impression d’une gaine de calamité.

M. Pareto m’a assuré avoir vu le morceau de calcaire secondaire, ou de lias des environs de Montpellier, dans lequel M. de Chesnel croyait avoir vu un trilobite associé avec des bélemnites. M. Pareto pense que ce premier fossile se rapproche de l’IIdotea de M. Gennar, fossile du Zechstein.

M. de La Marmora possède une belle collection de roches de Sardaigne et beaucoup de suites du Piémont. Parmi ses roches de Sardaigne, les suivautes me frappèrent surtout : 1o des schistes maclifères et du calcaire grenu ; 2o des grauwackes à Productus, à univalve turbinée, et avec ce fossile du Harz que les Allemands appelent Schraubenstein. et qui, d’après M. Tilesius, aurait été rapproché mal à propos des Encrines. Ces roches sont identiques avec celles du Harzet des bords du Rhin ; 3o du calcaire à Orthocères et à Tentaculites ; 4o de l’anthracite et du grès houiller à impressions de fougères ; 5o des colites jurassiques semblables à celles du mont Baldo ; 6o du grès à lignite avec fossiles, surmonté par les dolomies jurassiques, les oolites, le calcaire secondaire à nummulites et avec son poudingue calcaire. Ces fossiles me parurent voisins des Mélanies et des Cyrènes, et ressemblent beaucoup à ceux qui accompagnent les lignites placés dans l’Istrie, au milieu du calcaire à nummulites, système du grès vert inférieur ; 7° du calcaire a hippurites provenant de la partie septentrionale de l’île ; 8° du calcaire quaternaire à coraux avec discorbes, provenant de la pointe nord de la Sardaigne, ainsi que du cap Bonifacio en Corse. Le calcaire tertiaire à nummulites de M. de La Marmora ne me parut être que du calcaire à discorbes ; les nummulites de la Sardaigne, contenues dans sa collection, proviennent du sol secondaire ; 9° du calcaire quaternaire à mélonies, recouvrant la marne bleue subappennine, et quelquefois séparé d’elle par des poudingues grossiers, comme à Arcuato ; 10° de la marne tertiaire avec des impressions de poissons et du lignite. Ce gisement, dont les roches et les impressions rappellent tout-à-fait le gîte des poissons des marnes subapenuincs de Sinigaglia dans la Marche d’Ancône, est dans l’intérieur de la Sardaigne ; 11° du calcaire d’eau douce n’existant que dans un point de la Sardaigne ; 12° du grès trachitique avec impressions de peignes, et passant au calcaire quaternaire, ainsi que des tufas ponceux avec impressions de plantes et avec bois siliceux et opalisé ; 13° des brèches trachitiques alunifères comme au Mont-d’Or, et du porphyre trachitique siliceux et poreux : de belles brèches d’obsidienne noire et rouge-brun, montrent le passage de l’obsidienne au perlite ; 14° du porphyre globulaire et du granite porphyrique avec filons de porphyre. 15° D’après M. de La Marmora, il n’y aurait point de terrain de gneiss véritable en Sardaigne, mais seulement des amas de granite porphyrique entourés de hornfels, comme au Harz.

M. de La Marmora me montra aussi des roches des environs de Montenotte en Piémont, où il y a des porphyres quarzifères et des agrégats ressemblant à ceux de Valorsine. Il me fit remarquer la petitesse de l’arête qui sépare le dépôt de lignite de Cadibona de la grande bande des collines subapennines.

Enfin il me communiqua que la bande de porphyre quarzifère, au pied des Alpes méridionales, ne se terminait pas à Arona et Orta, comme cela est indiqué dans la carte géologique de Simon Schropp et C°. Ce dépôt, ainsi que certains calcaires secondaires, se prolongent jusque vers Biella, où M. de La Marmora a aussi retrouvé un lambeau du terrain subapennin inférieur, ou bien les marnes bleues.

Il compte envoyer à la Société le détail de ses observations sur cette localité, qui présente, d’après lui, une coupe fort remarquable : en effet, entre deux masses de granite, on voit se succéder du schiste talqueux, un grand massif de serpentine avec des portions de schiste talqueux, un banc de Giobertite, et deux bandes ou filons d’une roche que je crois être du pyroxène en roche, enfin du porphyre quarzifère et du schiste talco-micacé.

— Dans la collection nombreuse de M. Cristofori de Milan, j’ai remarqué de beaux morceaux d’Hippurites semblables à ceux qui sont les plus communs au pied de l’Untersberg en Salzbourg, et de grosses Tornatelles identiques avec celles de Gosau et du Mont-Wand. Ces fossiles, Hippurites cornu vaccinum (Bronn) et Tornatella gigantella (Murchison) étaient empâtés dans un poudingue grossier à pâte marno-arénacée grisâtre et à cailloux de calcaire secondaire des Alpes et de roches primaires.

Cette roche est exploitée à Sirone près d’Oggiono (prov. de Milan) et s’étend à Bocco di Piombo. Comme elle est isolée des montagnes de Scaglia grise, blanche et rouge d’Erba et de Puliano, il serait difficile de lui assigner son âge si l’on ne trouvait pas entre Pusiano et Civale et à une demi-lieue à l’ouest de Leccodes roches marno-arénacées grises, qui alternent avec des marnes endurcies, rappellent tout-à-fait celles de Gosau, et plongent sous la Scaglai en inclinant très fortement au sud. La Scaglia de ce pays contient plusieurs espèces de fossiles tels que les Ammonites falcifer, falcatus, Walcotii, Duncani et heterophyllus. ainsi que ces curieux fossiles que M. de Schlotheim a appelés Tellinites problematicus.

J’avoue que je n’ai pu voir dans les calcaires en couches horizontales, contournées ou redressées de l’extrémité sud des lacs de Corne et de Lecco que de la Scaglia à Silex, qui à la vérité prend quelquefois des teintes grises assez foncées et contient alors une plus grande espèce d’Ammonites.

M. Cristofori a découvert les Tornatelles de Gosau dans plusieurs autres points des environs du lac de Come, elles y sont empâtées par un calcaire compacte noir, dans un monticule isolé à un quart d’heure au-dessus de l’église de Tremezzo, et les gens du pays donnent à ces fossiles le nom de pieds de brebis (piede di pecori). On les retrouve dans la même roche près de Lecco et de Varenna. Ainsi il est possible que près du lac de Come la craie recouvre le dépôt de Gosau, ce qui achèverait de déterminer l’âge de ce dernier. Connaissant toute l’étendue du terrain à hippurites et à nummulites en Istrie et en Dalmatie, cette découverte du terrain de Gosau près du lac de Come me fit rechercher s’il n’existait pas dans la bande crayeuse du pied sud des Alpes une série continue de couches semblable. Je ne connaissais pas encore les détails si pleins d’intérêt que M. Pasini a donnés sur les roches arénacées et les agglomérats qui se prolongent sous la Scaglia du pied des Alpes de Brescia depuis le lac Iseo jusqu’au lac Majeur. (Voyez sa Comparaison des Alpes et des Apennins dans les Annales des sciences pour le roy. Lomb.-Vénit. 1831.) Les échantillons à l’appui de son mémoire m’ont rappelé tout-à-fait les roches de Gosau. Quant au calcaire à hippurites, il se retrouve dans le Yéronais et le Vicentin à Romagnano, Fidis San Orso, au mont Pigné près de Santa-Croce dans le ecllunois, à Borsoi dans les monts d’Alpago, à Cappelle dans les environs de Zoldiano, et enfin il occupe de grandes étendues dans la province de Gorizia en Illyrie.

Je reviendrai plus tard sur les localités illyriennes, M. Catullo a décrit et figuré des hippurites de l’Alpago. J’ai eu bien de la satisfaction de trouver avec M. Pasini que certaines couches inférieures de la Scaglia près de Schio n’étaient qu’un aggrégat de débris de sphérulites et d’hippurites. Des rochers semblables forment dans la plaine et au devant du pied des Alpes à San Orso (à une heure à l’est de Schio) une petite butte composée de couches redressées et inclinant au sud.

Pour retrouver les mêmes masses, nous nous rendîmes à San Georgio (à une heure au nord-ouest de Schio) où il y a du grès vert coquiller comme à San Orso, mais nous ne pûmes y découvrir du calcaire à hippurites. D’un autre côté en remontant le torrent, nous y vîmes des alternats de marne argileuse bleue et de calcaire compacte coraux inclinant au nord et nous eûmes le plaisir de recueillir dans une couche argilo-marneuse noire, une foule de fossiles bien conservés et d’espèces la plupart parisiennes. C’étaient des Mitres, des Cônes. des Cérithes (C. Funiculatutm Sow., papale Desh. et lamellosum ?) des Rostellaires, des Natices, des Turtitelles, des Mélanies (M. costellata et semiplicata Lam.) des Pleurotomes, des Casques, des Trochus. des Tornatelles, des Corbules (C. gallica Lam.), des Vénus (nov. spec.). des Pholadomies et des huitres.

Ce banc de fossiles est placé sur des couches de calcaire à coraux et à nummulites, et il n’est pas recouvert. D’après ses fossiles M. Pasini aurait tort de vouloir le réunir au grès vert, quoiqu’il prétende qu’à San Orso la Scaglia recouvre une couche coquillière semblable.

Je puis ajouter à la liste des fossiles du calcaire tertiaire du Vicentin les espèces suivantes, dont M. Brongniart n’a pas eu connaissance et qui ont été déterminées par M. Deshayes.

Pileopsis (n. sp.) aussi à Paris. Patella (n. sp.) aussi à Paris, Bulla striatella Lam., ovulata. et cylindroides, Terebellum convolutum Lam., Turbo striatus Lam.. deux nouvelles espèces dont une est figurée par M. Deshayes sous le nom de Littorine ; Delphinula lima Lam.. striata et marginata Lam.. Marginella eburnea (et n. sp.) aussi à Paris ; Melania cochlearella et marginata Natica mutabilis Desh. Ampullaria Villmetii Desh., Trochus (n. sp.) aussi à Paris. Mitra plicatella, Cerithium cornucopia. Defrance (à Valognes). cinctum, semi granulosum et deux espèces nouvelles, Venus corbinellata, et texia Lam., Arcaquadrilatera, Cardium obliquum et lima. et une Oculine de Ronca et de Marostico. Dans le tuf basaltique qui est du même âge que le calcaire tertiaire du Vicentin, j’ai reconnu les fossiles suivans non cités par M. Brongniart, savoir : Pileopsis cornucopia, Melania lactea, Turritella granulosa, Natica mutabilis Desh., Cyprœa inflata Lam., Delphinula regleyana, Pleurotoma marginata Lam., Colon Sow. et une espèce voisine du P. dentata. une Scalaire, Fusus polygonus, Pyrena Cuvieri Desh., Cerithium hexagonum et Cordieri, Crassatella tumida Lam., des Cariophyllies, des dents de Squale et de loup marin.

On voit que ces espèces toutes parisiennes confirment bien le rapprochement fait par M. Deshayes du terrain tertiaire du Vicentin avec celui de Paris.

La collection de M. Cristofori m’offrit un bon nombre de fossiles (Cariophyllies, Trochus, Térébratules, Échinidées et piquans d’oursins, etc.) de Badia, près de Vinalunga en Tyrol ; ce sont des pétrifications tertiaires ou crayeuses.

M. Cristofori possède aussi des poissons des marnes tertiaires de Sinigaglia, dont une espèce est peut-être un cyprin ; mais ni lui ni aucun savant de l’Italie septentrionale n’a pu me montrer l’ouvrage que M. Procaccini Ricci a publié sur les poissons et les plantes du dépôt tertiaire et gypseux de Sinigaglia, tant sont rares les rapports de librairie entre l’Italie autrichienne ou sarde, et l’Italie papale et napolitaine.

M. Cristofori me montra aussi l’impression d’un grand poisson dans un calcaire compact blanc ayant l’aspect du calcaire jurassique de Malaga en Espagne.

— Si M. Cristofori peut être très utile aux géologues et paléontologistes pour leur procurer les roches et les fossiles du Piémont, de l’Italie autrichienne et du Parmesan, d’une autre part M. Semonez a ouvert à Venise un commerce assez étendu des roches et des fossiles des Alpes du Tyrol et des provinces vénitiennes. On dit que les prix de ce dernier sont fort modérés.

— La collection de roches et de fossiles du Vicentin et du Véronais de feu M. Castellini, à Castelgomberto, est encore à vendre ; elle offre beaucoup de doubles, et parmi les poissons de Bolca, il y a un ou deux morceaux uniques ou extrêmement rares.

— Dans la collection de M. Laier, directeur des mines de Raibel, j’ai trouvé quelques fossiles jurassiques des marnes intercalées entre le calcaire des montagnes environnantes, ainsi que des impressions végétales (Voltzia ?) et des poissons à écailles carrées provenant du même gisement.

— Dans la collection de M. l’apothicaire Traunfeld, à Klagenfurt, j’ai vu des fossiles très nombreux d’un dépôt marneux d’eau douce de l’âge du terrain quaternaire ou alluvial ; ce sont, 1o des planorbes (P.) carinata, des lymnées, des valvata (V. spirorbis), et des cyclades : leur gisement est à Kreug à une lieue de Saint-Veit, au nord de Klagenfurt ; 2o des pétrifications d’un calcaire tertiaire de Gutharing et d’Althofen et quelques fossiles intermédiaires (Productus, Encrines. etc.) de l’Illyrie.

— Dans l’hôtel de la direction des mines à Klagenfurt, M. le conseiller Stadler me montra de belles suites de fossiles du dépôt tertiaire de Radeboy en Croatie. On sait qu’il y a dans cette localité une ou deux couches de lignite accompagné de planorbes, lymnées, paludines, anodontes ou cyrènes, au milieu des argiles subapennines, et plus haut viennent des couches marneuses à rognons de soufre amorphe et brunâtre. Ces dernières couches sont séparées par des marnes endurcies offrant beaucoup d’impressions de feuilles de végétaux dicotylédons, d’arbustes de marécages ; il y a aussi des fucoïdes assez semblables à ceux de Bolca, ainsi que des poissons et des insectes diptères ou hyménoptères et voisins des genres Tipule et Bibio. Je vis pour la première fois de cette localité un grand poisson de près d’un pied de long.

Un semblable dépôt de poissons, d’insectes ? et de lignite coquillier existe à Sagor sur la Save.

M. Stadler me donna quelques renseignemens sur ce qu’était devenue la collection importante de feu Wulfen, qui demeurait à Bleiberg. Elle se trouve actuellement chez le comte Turn, à Bleiburg ; mais la partie la plus intéressante, les fossiles à tests nacrés, était restée à Bleiberg pour être estimée par M. Stadler ; or, lorsqu’il arriva, on les avait volés, et probablement ils a ont été vendus sous main. Cette dilapidation est d’autant plus déplorable qu’il n’y a que peu d’échantillons semblables dans les collections de la Carinthie, et que l’on n’en peut plus avoir, parce que le propriétaire de la galerie qui traverse la couche coquillière l’a fait fermer, pour empêcher que ces curiosités ne deviennent trop communes.

H. Stadler me montra aussi, des environs d’Idria, peut-être de Tratte, deux bivalves dont la forme extérieure avait quelque ressemblance avec le genre gryphée ; mais on ne pouvait voir la charnière, de manière que la détermination était impossible. Je croirais plutôt que l’une était une espèce de grande moule, et l’autre un autre genre de bivalve.

— La Société voudra bien permettre que je lui fesse connaître particulièrement un de nos confrères, M. François de Rosthorn, qui a étudié, depuis plusieurs années, la géologie d’une grande partie de l’Illyrie et des Alpes autrichiennes. Possesseur de la seigneurie de Wolfsberg, dans la belle vallée du Lavant en Carinthie, il habite un vaste château où il a toute la place nécessaire pour recevoir de grandes collections. Il est le plus jeune d’une famille fort intéressante et très utile aux progrès de l’industrie des fers en Autriche. Son père était né aux environs de Birmingham en Angleterre, et était catholique. Ayant éprouvé dans sa patrie des dégoûts et des injustices à cause de sa religion, il émigra, sous Marie-Thérèse, en Autriche, et y transporta les procédés alors en usage en Angleterre, pour le traitement métallurgique du fer. Ses usines en Carinthie l’enrichirent beaucoup ; et Marie-Thérèse, pour l’attacher encore davantage à l’Autriche, lui conféra la noblesse et lui fit don d’une belle maison à Vienne. Ses quatre fils ont poursuivi la carrière toute industrielle de leur père : ainsi l’un a une grande fabrique de laiton près de Vienne, un autre une maison de commerce à Vienne, et les deux autres ont acheté du gouvernement la seigneurie de Wolfsberg, qui comprend des mines de fer et de charbon de terre ainsi que des usines ; c’était jadis un domaine particulier de l’évêque de Bamberg en Franconie. M. Auguste de Rosthorn, fort habile ingénieur, soigne la partie des usines ; il a introduit un des premiers en Carinthie le procède du poudelage du fer, et il a formé une compagnie d’actionnaires pour exécuter ce procédé au moyen du charbon de terre, dont ces messieurs possèdent une mine très riche dans le sol tertiaire de Prevali sur la Drave. Cette année il doit s’être rendu en Angleterre pour y étudier tous les plus nouveaux perfectionnemens de l’art ; enfin il est possesseur d’une vaste bibliothèque où l’on trouve tous les principaux ouvrages scientifiques anglais, français, suédois et allemands.

M. François de Rosthorn a été élevé pour les mines, et a suivi les cours de Schemnitz et de Vienne. Après avoir montré dès sa plus tendre jeunesse un goût extraordinaire pour la minéralogie, plus tard, lorsqu’il s’est établi, à Wolfsberg, il a réuni à sa collection de minéraux le beau cabinet de M. Pittoni de Vienne, qui occupe encore une salle de son château, tandis qu’une plus petite pièce contient une collection d’études de coquilles vivantes. Le pourtour d’une autre grande salle est tout garni d’échantillons des roches de l’Illyrie et des Alpes. Ces cinq mille morceaux très bien taillés ont chacun leur étiquette, et chaque suite séparée a son étiquette générale.

Voici la note de ces diverses suites. D’abord on y trouve les roches telles qu’on les observe dans six grandes coupes à travers les Alpes centrales et leurs chaînes latérales calcaires, savoir : 1o de Steyer en Autriche à Fiume sur l’Adriatique, 2o de Korneuburg sur le Danube près de Vienne à Obdach, et Stein en Carinthie, 3o de Gratz par Wallenstein, Waitsch et la Save jusqu’à Porswitch, 4o de Gmuud sur le lac du Traunsee au mont Terglou en Carinthie, 5o d’Aussee en Styrie à Trieste, 6o de Wolfsberg jusqu’à la Save. En outre sa collection présente les roches de neuf coupes plus petites et traversant, soit la chaîne centrale, soit la chaîne calcaire alpine méridionale. Ce sont : 1" la coupe de la vallée appelée Grumelerthal, 2o celle de la valléede Sulzbach dans le Pinzgau en Salzbourg, 3o celle de Bruck dans le Pinzgau à Lietzen en Styrie à travers le mont Glockner, 4o celle de la vallée de Rauris et de Fulchen dans le Salzbourg, 5o celle de Taxenbach aux monts aurifères de Rauris en Salzbourg, 6o celle de Werfen à Drauburg en Carinthie, par Gastein, 7o celle de Schwarzbach en Carinthie, par la vallée de Windisch-Kappel, 8o celle des montagnes cristallines du Bachergcbirge en Styrie, jusqu’à Ratschach sur la Save, 9o celles de St-Johann près de Drauburg, en Carinthie, à la vallée du San près de Leutsch.

Ce cabinet offre encore des roches d’une coupe longitudinale de la vallée supérieure du San, des suites des environs de Waidhofen, de Pitten à Bischelsdorf en Autriche, de Vienne, de Radeboy en Croatie, de Marbourg en Styrie, ainsi que des roches des divers dépôts de fer spathique ou hydraté de la Carinthie et de la Styrie. Dans d’autres pièces M. de Rosthorn a placé ses doubles qui portent chacun leur numéro d’ordre, de manière qu’il lui est facile défaire des envois ou des échanges.

Pour compléter l’étude des Alpes au moyen de grandes coupes transversales, il a exécuté lui-même des mesures barométriques sur plusieurs de ces lignes, et a fait ensuite répéter ces observations par un habile jeune homme qu’il a élevé à ses frais. D’une autre part il a chez lui à demeure un peintre paysagiste qu’il fait voyager avec lui pour dessiner et colorer des coupes ou des panoramas. C’est ainsi qu’il est parvenu à réunir probablement la plus belle collection de profils et de panoramas des Alpes qu’on ait encore exécutée.

Parmi les profils de ce genre tout-à-fait finis, se trouvent la coupe de Klagenfurt à Laybach par le Leobel, la coupe si importante de la Drave à la Save par Windisch-Kappel, celle du Bachergebirge jusqu’à la Save par l’Hudna Luka et Sagorie. Parmi les panoramas, il y a une vue générale des Karawanken ou des Alpes calcaires de la Carinlhie prise depuis le haut du Mont-Hohenwart, la vue de la vallée de Wolfsberg et de la montagne de Koralp, le grand panorama de la chaîne centrale méridionale et de la chaîne calcaire de la Carinthie prises du haut du Mont Sau-Alp, enfin le grand panorama de la chaîne centrale septentrionale et de la chaîne calcaire au nord des Alpes prises depuis une montagne près de Gastein en Salzbourg.

Dans ces dessins on trouve non seulement toutes les formes véritables des sommités, mais encore leurs noms et l’indication de leurs roches.

Enfin je vous ai déjà dit que M. de Rosthorn a achevé une carte géologique extrêmement détaillée de la contrée comprise entre la grande route de Klagenfurt à Laybach et de Gratz à Laybach. Il n’attend pour la publier avec une description explicative, que la fin de la gravure de la carte de l’Illyrie exécutée par le bureau topographique militaire de Vienne.

Je dois encore ajouter que M. de Rosthorn a été choisi par l’archiduc Jean d’Autriche pour l’aider comme géologue dans l’étude géographique, statistique, géologique et botanique des Hautes-Alpes de la Styrie, du Salzbourg et du Tyrol appelées la chaîne des Tauern. Ce sont les montagnes très élevées et à glaciers, qui s’étendent des monts Rottenmoann-Tauern par les monts Rastaedter-Tauern, la chaîne du Hokes-Tauerngebirge, les montagnes aurifères de Gastein et le Glockner jusqu’au-delà des montagnes de Windish-Matrey en Tyrol.

L’archiduc, infatigable marcheur, a déjà consacré, pendant plusieurs années, six semaines de l’été pour exécuter ce travail si difficile. Outre une grande collection de roches qu’il a provisoirement déposée aux bains de Gastein, il a trouvé à rectifier les meilleures cartes. Un professeur de botanique de Gratz et un professeur de physique sont chargés de la partie botanique et des mesures de hauteur. Quant à M. de Rosthorn, l’archiduc ne pouvait mieux choisir pour parcourir les glaciers, car il a d éjà fait ses preuves de hardiesse en escaladant le mont Terglou, peut-être la cime la plus dangereuse à visiter.

D’après la relation de cette ascension (Voyez Wiener Zeitschrift fur Kunst, Literatur. etc., mai 1830), on ne connaissait encore que sept personnes qui eussent atteint la plus haute sommité. Elle s’élève à 9036 pieds sur la mer, et n’est elle-même qu’une masse carrée de dolomie escarpée de tous côtés et ayant 2 à 3 toises de largeur et 12 à 15 t. de longueur. Pour parvenir à la base de ce rocher, il faut ramper sur une arête aussi dolomitique, qui n’a que 12 à 15 pouces de large sur 15 à 20 toises de longueur et qui est bordée de précipices à pic. Arrivé au sommet, la vue y est magnifique et très étendue à cause de son élévation et de son isolement, c’est en un mot le Rigi des Alpes méridionales.

La collection de M. de Rosthorn m’a offert beaucoup de pièces intéressantes, entre autres des Tornatelles de l’espèce de celles de Gosau (T. gigantea. Murchison) et des Nérinées dans le grès de Gosau, de Windisch-Gersten en Autriche, des trous de lithodomes dans le calcaire secondaire alpin de Thebeu près de Presbourg sur le Danube, accident qui se trouve dans le même bassin tertiaire à Bruck et Enzersfeld ; de très grandes Isocardes et des tubipores dans le calcaire jurassique inférieur des Alpes du Salzbourg à Werfen et Golling. Ce savant m’a communiqué que la haute montagne du Glockner n’était composée que de couches de schiste chloritique inclinées de 25°, et qu’il y avait des fragmens de ces roches dans le granite à 4 lieues de Tweng, ce qui montre que ce dernier est sorti de la terre après la formation des schistes. A Polsz, à 4 lieues de Gratz, l’argile subapennine contient, d’après lui, des fossiles (Cônes, etc.). C’est une localité très peu connue.

Plus tard je vous parlerai des beaux gisemens d’une Eclogite particulière, des fossiles si curieux et si variés des deux gîte différens de Bleiberg et de Raibel, des fossiles du grès rouge des Alpes, des pétrifications intermédiaires et tertiaires de l’Illyrie et d’un gîte ancien de plantes fossiles ; sur tous ces points la collection de M. de Roslhorn m’a été précieuse.

—— Dans la collection du Johanneum de Gratz, M. le prof. Anker me fit remarquer des fossiles identiques avec ceux de Gosau et provenant de deux localités non encore décrites, savoir : de Neuberg et de Wildalp dans la Styrie supérieure.

Il me montra aussi des fossiles tertiaires, tels que des Cérithes, des Vénus, une jolie espèce de Trochus provenant du calcaire arénacé tertiaire qui recouvre près de Hartberg en Styrie (sur la route de Gratz à Friedberg) l’argile subapennine.

M. le prof. Anker a arrangé les roches et les fossiles de Styrie d’après leur ordre géologique et leur distribution géographique ; on vient d’ajouter deux nouvelles salles au musée minéralogique.

À Gratz, M. Schroder, professeur de chimie, me communiqua la découverte qui a été faite dans le dépôt salifère de Hallstadt, dans l’Autriche supérieure, d’un sel décrépitant comme celui de Wieliczka. Il était occupé à analyser ce sel, qui renfermait une quantité très notable de gaz.

M. de Hauslab, capitaine au corps des ingénieurs géographes autrichiens, a exécuté une mission en Turquie, ce qui lui a donné l’occasion d’étudier la géographie et la géologie des bords des deux Bosphores et de la chaîne du Balkan. Il a terni un journal très complet de son voyage et de la configuration du pays qu’il a traversé.

Un des faits les plus importans qu’il ait constatés, c’est la non-existence d’une chaîne élevée, liant dans la Servie et la Walachie occid., le Balkan avec la chaîne mérid. de la Transvlvanie. Cette dernière, composée de roches schisteuses cristallines et flanquée dans le Bannat de schiste et de calcaire métallifère, traverse bien le Danube entre d’Orschova et Panchova, de manière que ce fleuve se trouve resserré entre de hautes murailles. D’un autre côté, à 8 à 10 milles des rives du fleuve, ces montagnes cessent environ à la hauteur de Widdin, et depuis ce point jusque vers les parties supérieures des branches orientales de la Morawa, de simples collines forment les montagnes indiquées sur les cartes comme séparant le bassin du Danube de celui de la Morawa. Ces collines sont allongées de l’ouest à l’est, et paraissent tertiaires ou composées de molasse ; de là vient aussi qu’on y a pu établir tant de routes.

Je ferai observer que M. Otto de Pirch, lieutenant prussien, qui a publié un voyage en Servie, confirme les faits précédons et indique dans ces hauteurs tertiaires une profonde et vaste découpure s’ouvrant dans la direction de Widdin. (Voyez Reise in Serbien im spath. Herbst 1829. 2 vol. 1830.)

Le bassin tertiaire de la Hongrie aurait donc été lié à celui de la Walachie par un très large détroit, comme celui qui de la Bavière a été en connexion avec celui de l’Autriche inférieure. Peut-être même le Danube, ou du moins les eaux de la Hongrie se sont écoulées une fois par la vallée principale de la Servie, et plus tard une crevasse s’étant formée dans le sol ancien du Bannat et de la Transylvanie, le Danube l’a occupé comme lui présentant un canal plus bas d’écoulement.

La Servie offrirait le même fait que le pays de Passau et l’Autriche supérieure, puisque le Danube y coule actuellement dans une fente du sol de granite et de gneiss, tandis qu’entre ces montagnes primaires et les Alpes il y a des montagnes de molasse, et assez près des Alpes, un très ancien et vaste canal d’écoulement occupé encore en partie par les eaux de la Traun.

M. Hauslab fait remarquer que dans beaucoup de points le cours des rivières offre cette particularité ; ainsi, sur le Danube on la revoit entre Efferding et Linz, entre Enz et Amstetten, entre Molk et Krems, près de Korneubourg, entre Himbourg et Presbourg, entre Ratisbonne et Kehlheim, etc. D’où viennent ces fentes dans un sol plus ancien que celui qui formait le lit primitif des fleuves ? est-ce une érosion, ou un effet de fendillement ?

Au S.-E. de Widdin la contrée n’a pas un niveau élevé, quoiqu’elle soit plus haute que la plaine de la Walachie en deçà du Danube. Plus au sud il y a des collines tertiaires ou de molasse qui accompagnent ainsi le Danube jusqu’à la mer et paraissent même former l’espèce de petit plateau entre la mer Noire et le coude très fort que le Danube décrit avant de se rendre dans cette dernière.

Au sud de cette bande tertiaire il y a le long du Balkan une série de plus hautes montagnes composées de calcaire bien stratifié, compacte, gris ou blanchâtre. Cette chaîne présente des coupures transversales, et a paru à M. Hauslab identique avec la bande secondaire des Alpes.

Entre ces montagnes et la chaîne centrale du Balkan il y a de grandes cavités occupées jadis par des lacs formant une espèce de vallée longitudinale, qui se prolonge jusque vers Varna. Schumla est située dans un pareil bassin, et on en traverse un sur la route de Widdin à Andrinople.

En montant le véritable Balkan, on trouve les roches plus anciennes des Alpes, savoir des masses d’agglomérats, puis des schistes gris ou des espèces de grauwacke, ou des schistes quarzo-talqueux comme ceux d’Eisenerz en Styrie. Ensuite viennent des couches puissantes de calcaire noirâtre et rougeâtre intermédiaire et semblable à celui d’Eisenerz. Le col du Balkan entre Widdin et Andrinople est formé par ce genre de roche, et ce n’est qu’en descendant qu’on trouve les micaschistes sur le pied sud du Balkan comme à Seraglio. Ces roches schisteuses sont couvertes au nord et au sud de calcaire foncé intermédiaire. Il y a dans ce lieu une cavité ou bassin, comme sur le versant nord. Cette vallée longitudinale au sud du Balkan, présente vers l’est des cavités par des collines ou de bas-cols, tandis qu’à l’ouest elle conduit, comme un canal profond, le voyageur en Macédoine ; c’est la route de Sophie, qui n’offre que des passages peu élevés.

M. Hauslab a dessiné les panoramas des cavités au sud et au nord du passage du Balkan entre Widdin et Andrinople.

M. Hauslab compare la hauteur du col du Balkan entre Widdin et Andrinople, au mont Somering au sud de Vienne, ce qui ne lui donnerait pas une grande hauteur. Il estime que le petit Balkan, c’est-à-dire depuis Widdin jusqu’à la mer, a de 1500 à 2000 pieds d’élévation, tandis que le grand Balkan, c’est-à-dire à l’est de Widdin peut bien atteindre 5 à 6000 pieds, car il y a encore de la neige en mai sur les hautes cimes.

En se rapprochant d’Andrinople, le pays forme un plateau très bas, sur lequel on aperçoit quelques buttes isolées et d’une forme carrée ; ce sont peut-être des roches volcaniques ; puis l’on arrive dans la grande plaine d’Andrinople, qui est couverte d’un terroir noir très riche, et dont le Fond est tertiaire et sableux. Les eaux de ce bassin tertiaire se rendaient jadis dans la mer de Marmara ; mais plus tard elles ont profité d’une coupure dans la chaîne du Despoto Dagh pour s’écouler dans la mer Égée.

Tout le pays depuis le pied du petit Balkan jusqu’à Constantinople est très bas. Au nord de cette capitale il y a quelques groupes isolés de hauteurs, et les environs de Media et Burgas forment deux cirques de très basse hauteur et à rivages en pente douce, tandis que le reste de la côte est composé de rochers escarpés.

La chaîne du Despoto Dagh, qui est marquée sur toutes les cartes comme partant du grand Balkan, est fort élevée et peut même avoir des cimes de 8 à 9000 pieds. Elle court environ du N.-O. au S.-E. tandis que le Balkan va presque de l’O. à l’E. ; comme les couches du Balkan ont aussi cette direction et qu’elles plongent au nord, on a ainsi dans la Turquie deux systèmes de chaînes bien différens. M. Hauslab regarde le Balkan comme une branche des Alpes et comme parallèle aux Alpes méridionales, car la chaîne septentrionale se prolonge dans une autre direction dans les Carpathes. La chaîne du Despoto Dagh est coupée transversalement par plusieurs rivières, ce qui la divise en un grand nombre de massifs. Cette chaîne se prolonge dans les montagnes de Brousse par l’île de Marmara, et au sud de Brousse il y a plusieurs chaines qui ont une direction parallèle au Despoto Dagh.

Les rives du Bosphore des Dardanelles sont basses, et entre la presqu’île du mont Athos et les Dardanelles, s’étendent le long de la mer des collines basses, probablement tertiaires.

La mer de Marmara est bordée de rochers escarpés. L’ile Cyzique se lie insensiblement au continent d’Asie au moyen d’alluvions marines.

M. Hauslab a dressé cinq cartes qui doivent représenter la configuration de la partie septentrionale de la Turquie d’Europe à différentes époques, savoir : une carte pour représenter l’état actuel de ce pays ; une autre pour l’époque où il y avait d’immenses lacs au nord et au sud du Balkan à Schumla, à Andrinople, dans la Macédoine ; une autre pour l’époque où il est possible que ces lacs se liaient avec les mers de la Hongrie et de la Walachie et avec la mer Noire et la Méditerranée ; une quatrième, où l’on ne voit sortir de l’eau que des plus hautes sommités, et une cinquième où ces divers états sont indiqués par des couleurs.

Les lacs de Castoria et d’Ochrida en Macédoine sont peut-être d’anciens cratères.

M. Hauslab a particulièrement étudié la géologie par rapport aux opérations militaires, et il a trouvé que cette science pouvait donner à priori au militaire beaucoup d’aperçus importans, non seulement sur la nature des routes et du pays, mais encore sur la forme particulière et le nombre des défilés ; sur leur défense plus ou moins facile, sur le genre de végétation et de subsistances. En un mot, pour la guerre dans les montagnes la géologie lui paraît fort utile. Il a appliqué ses idées géologiques à la confection d’une nouvelle carte de la Styrie qu’il a composée sous les ordres de l’archiduc Jean, d’après les matériaux du bureau militaire topographique de Vienne. Aucune carte ne présente encore avec autant de vérité, et je dirai même de rudesse, le caractère très divers des chaînes de la Styrie. C’est cette carte lithographiée que l’archiduc Jean a envoyée coloriée géologiquement à la Société géologique de Londres. Malheureusement elle n’est pas en vente, le major Scherer, chef du bureau de lithographie du cadastre, a même par jalousie fait gâter la pierre, de manière que les exemplaires ne sont plus si nets. Les exemplaires où l’on a ajouté les noms des lieux avec une seconde pierre, sont extrêmement rares, et l’on ne peut même plus en avoir.

Enfin M. de Hauslab a inventé pour les mineurs une méthode mathématico-géologique pour se faire une idée juste de la compsition d’une masse quelconque de montagnes et de la position respective de chacune de ses parties constituantes. Cette méthode, que Mt le prof. Mohs a surnommée l’art de rendre les montagnes transparentes, a été appliquée avec succès au mont Erzberg près d’Eisenerz en Styrie.

Il serait bien important que cette méthode fût rendue publique, et elle serait aussi utile pour la recherche des eaux jaillissantes que pour l’art des mines.

M. le prof. Walchner à Carlsruhe possède une belle collection des roches si variées du grand-duché de Baden. Il m’a montré plusieurs ossemens et des dents provenant du grès bigarré supérieur. Ces restes d’animaux y sont mêlés à des nations, des avicules, des trigonellites, etc., fossiles identiques avec ceux du Muschelkalk. Il y a une couche de Muschelkalk près de Durlach où l’on trouve de petites lingules. Du grès bigarré ossifère existe aussi près de Deux-Ponts, et il y a du bois de conifère dans le grès bigarré.

M. Walchner a de belles impressions de fougères dans du grès bigarré, et de moins belles dans le Keuper. Il me fit voir une nouvelle espèce de calamite, de l’encre de seiche dans le lias ; du lias et du gneiss altéré dans du basalte du Kaiserstuhl le calcaire secondaire changé en calcaire grenu à fer oxidulé dans le milieu de ces montagnes pyrogènes ; du lias marneux coquilLer et fritté dans du basalte du Wartenberg ; du calcaire jurassique vraiment calciné d’après l’analyse, au milieu du basalte ; du jaspe agathe, produit au moyen d’hydrate de silice chaud dans les roches altérées par le basalte, etc. M. Walchner prépare un mémoire sur un dépôt tertiaire récent qui recouvre le calcaire jurassique autour de Duttlingen ; ce sont des poudingues calcaires et un calcaire coquillier analogue pour les fossiles au calcaire du Leithagebirge en Autriche et aux roches quaternaires de M. Desnoyers. Il a aussi fort avancé une carte générale de la Foret Noire, et en a dressé des grands profils fort bien faits.

La Société entend la lecture de la notice suivante de M. Eugène Robert.

Course géologique de Senlis à Compiègne, dans le but d’étudier le premier système de grés dans cette partie nord du bassin de Paris.

Le calcaire grossier prend un aspect tout particulier aux environs de Senlis. Depuis cette ville jusqu’à Verberie il est dépourvu de ces nombreuses couches alternativement crétacées et siliceuses qui forment, pour ainsi dire, la moitié de sa puissance aux portes de Paris. Ici un calcaire essentiellement marin, caractérisé par la grande abondance de cérites, et formant une roche solide recherchée aujourd’hui pour les constructions des monumens publics[1], est à peine recouverte par la terre végétale. On y rencontre très peu de traces de diluvium.

Cette espèce de lambeau du calcaire grossier se termine brusquement à Verberie, dont la côte élevée domine une grande contrée, arrosée à gauche par l’Oise, et couverte à droite par la forêt de Compiègne.

Presque immédiatement au pied de cette côte commence un grand dépôt de sable qui constitue presque en entier le sol de la forêt de Compiègne.

D’après la nature des fossiles qu’on rencontre en certains points, il est impossible de ne pas rapporter ce terrain à la partie inférieure du calcaire grossier.

Près de Brevière, au milieu de la forêt, dans des saignées faites pour l’écoulement des eaux, on a heureusement mis à découvert une couche de nummulites associées à des huîtres, turritelles, etc., et reposant sur de l’argile plastique, qui ne se trouve là qu’à quelques pieds de la surface du sol, généralement très plat dans la forêt de Compiègne.

Cependant, prés de Pierrefond, le sol se relève, ou plutôt forme des monticules sur l’un desquels se font remarquer les magnifiques ruines du château de ce nom. Ils semblent devoir leur élévation assez grande à l’agglomération étonnante de nummulites dont ils paraissent presque entièrement formés. On y rencontre aussi beaucoup de nérites et de turritelles.

Je ne puis m’empêcher de citer ici, et d’engager à le voir, un magnifique banc d’huîtres appartenant généralement aux espèces bellovacea et brevialis. situé dans le chemin de Brevière à Villers-Cotterets, et près de Pierrefond. Ce banc a plus de deux pieds d’épaisseur, sur une étendue considérable, et plonge à l’O. dans une petite vallée qui sépare les monticules dont je viens de parler. À peine solidifié par une roche argilo-sablonneuse, ce banc d’huîtres repose sur du sable blanc assez pur qui le recouvre également.

En résumé, si nous rallions toutes nos observations faites isolément dans la forêt de Compiègne, nous pourrons établir ici l’ordre suivant lequel ces dépôts nous paraissent avoir été faits :

1° Dépôts d’argile plastique ;

2° De sable argileux avec huîtres, cardium et quelques nummulites, y compris le banc d’huîtres que je viens de signaler ;

3° De sable avec nummulites, turritelles, néritines (perversa) vénéricardes, etc. ;

4° De calcaire crétacé friable, avec nummuliles, néritines, turritelles nombreuses, fuseau (F. longœvus), natices, volutes (V. harpula), venericardia (V. co-avium) ;

5° De calcaire plus solide, qui paraît presque entièrement formé de nummulites ; car je n’y ai pas rencontré d’autres mollusques.

Ce calcaire, ainsi que le précédent, sont quelquefois remplacés par du sable ou grès calcarifère.

De Senlis à Pont-Sainte-Maxence, sur la rive gauche de l’Oise, ce système est recouvert par le calcaire grossier.

Ce système de couches se rencontre à peu près le même dans l’espèce de promontoire sur lequel a été élevé le château de Pierrefond, dont la pierre tendre, blanche, et à grains fins, me paraît provenir des couches supérieures aux nummulites, ou des grès calcarifères qui les remplacent quelquefois, comme nous avons déjà dit. En visitant les murailles du château, on peut y observer encore quelques grands moules de cérite.

De Pierrefond à Compiègne règne le même terrain que nous venons de parcourir ; mais bien remarquable ici par les nombreux monticules élevés qu’il présente, et dus à une accumulation presque exclusive de Lenticulite (L. flamulata).

En revenant à Senlis par Pont-Ste-Maxence, sur la rive gauche de l’Oise, on retrouve le même système recouvert, cette fois-ci, par le calcaire grossier ; transition que nous n’avons pu suivre aussi bien à Verberie. On a, de bas en haut :

1° Sable fin, dont la puissance ne m’est pas connue ;

2° Sable vert avec nummulites, néritines, turritelles, etc., et renfermant des rognons calcaréo-ciliceux ;

3° Au-dessus de ce grès marin inférieur, qui est moins développé qu’à Pierrefond, vient le calcaire grossier dont la partie inférieure offre des moules de grandes cérites.

M. Virlet lit les considérations suivantes sur le Système volcanique de l’île de Santorin. et par suite sur les cratères de soulèvement.

Dans une question comme celle des cratères de soulèvement, qui divise aujourd’hui les principaux géologues de l’Europe, il est nécessaire que chacun apporte les lumières de son expérience, et la somme des résultats acquis par l’observation des faits.

J’ai donc pensé qu’il serait important de relever les erreurs sur lesquelles M. Léopold de Buch, et avec lui les géologues qui ont adopté sa brillante théorie, semblent s’appuyer pour regarder l’île de Santorin comme offrant à la fois l’un des plus beaux, des plus entiers et des plus réguliers cratères de soulèvement qui aient encore été décrits.

Sans prétendre m’ériger ici en juge d’une aussi grande question, je ferai observer que M. de Buch, dans une théorie aussi spéculative que celle des cratères de soulèvement, a eu, au moins selon moi, le tort de considérer cette île, qu’il n’a point visitée lui-même, comme l’un des points les plus instructifs sur lesquels il prétend appuyer sa théorie.

Après avoir visité cette île intéressante, j’ai long-temps médité sur sa formation, et j’avoue que je n’ai jamais pu voir dans le golfe presque circulaire, d’environ deux lieues de diamètre du S. au N., et d’une lieue et demie seulement de l’E. à l’O., que présentent les trois îles de Santorin, Therasia et Aspronisi, autre chose qu’un immense cratère d’éruption, qui présente en grand le phénomène que l’île Julia nous a fait voir tout récemment sur une plus petite échelle. Ces îles, qui faisaient partie du cratère, sont principalement composées de lits de tufs et d’agglomérats trachytiques, accumulés en très grand nombre les uns au-dessus des autres, et formant des couches interrompues, plus ou moins puissantes, comme le présenterait la section d’un volcan qui vomit des laves tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, de manière à offrir une suite de coulées souvent plutôt mariées entre elles que superposées les unes aux autres, suivant leur ordre de sortie. M. de Buch a surtout appuyé sur le caractère prétendu négatif, qu’au milieu de tant de déjections ou de dépôts incohérens, aucune lave n’avait jamais coulé ; c’est une erreur résultant sans doute du peu d’attention que les observateurs qui ont visité Santorin paraissent avoir portée à la succession de ces dépôts ; car, bien que les déjections de matières liquides aient été beaucoup moins fréquentes que les déjections de matières meubles, il n’en est pas moins constant que celles-ci sont mélangées de véritables coulées trachytiques, qui ont si bien coulé, que quelques unes sont remplies de nombreuses vacuoles allongées, précisément dans le sens de leur direction : elles se présentent à toutes les hauteurs, même jusque vers la partie supérieure terminée par un immense dépôt d’agglomérat trachytique blanc qui a couvert la surface totale du volcan ; c’est lui qui dessine l’espèce de couronne qui règne dans tout le pourtour et forme le sol, aussi bien d’Aspronisi et de Therasia que de Santorin. C’est encore cet agglomérat tufacé blanc, que jusqu’à présent tous ceux qui ont parlé de Santorin ont regardé comme de la pierre ponce ; ce qui a fait dire que cette île était toute couverte de pumite, tandis qu’il n’y en a réellement pas. Il contient des fragmens d’un trachyte brun qui se distingue des trachytes ordinaires par une texture granulaire, ressemblant souvent à certains minerais de fer oolithique à grains fins. Employé par les habitans à construire des murs de clôture, il dessine sur la surface du sol une suite de lignes noires qui tranchent avec son extrême blancheur.

Le fait bien constaté de la présence des coulées trachytiques, au milieu des agglomérats qui constituent Santorin, Aspronisi et Therasia, suffirait déjà, je pense, pour faire rejeter l’idée d’un cratère de soulèvement. Mais si l’on observe que les couches qui forment le sol de ces trois îles se relèvent sous un angle peu incliné, de la circonférence où elles plongent dans la mer, vers le centre où elles forment l’escarpement à pic qui dessine tout le cintre du cratère, et cela sans que la surface de Santorin, qui forme à elle seule plus des deux tiers de la surface totale du volcan, présente la moindre trace de dérangement ou de dislocation ; que, d’un autre côté, l’escarpement intérieur, suivant les mesures barométriques que nous en avons prises, ne s’élève pas à moins de 750 pieds au-dessus du niveau de la mer, qu’il plonge au-dessous à plus de 1000 pieds de profondeur ; l’on concevra difficilement comment une semblable masse de plus de 1700 à 2000 pieds de puissance, car il faut bien tenir compte des attérissemens qui ont dû se former au fond du cratère, aurait pu être soulevée assez violemment pour présenter un vaste cratère de soulèvement, sans que sa surface ait été sillonnée de toutes parts par des fractures divergentes du centre à la circonférence, comme MM. Élie de Beaumont et Dufrénoy, d’après l’intéressant mémoire qu’ils nous ont lu à la dernière séance, l’ont constaté pour le Cantal et le Mont-d’Or. À moins cependant que l’on ne veuille considérer l’espace qui sépare les trois îles comme des fractures résultant d’un soulèvement ; mais dans ce cas il resterait toujours plus des deux tiers de la circonférence qui n’aurait été ni brisée, ni disloquée, ce qui est peu compatible avec l’idée d’un soulèvement suffisant pour produire un cratère de soulèvement de cette dimension.

D’un autre côté, la partie méridionale de l’île est occupée par une montagne composée de calcaires grenus et de schistes argileux qui formaient le noyau primitif et fondamental de l’île. Cette montagne, qui atteint au moins à trois fois la hauteur de l’escarpement trachytique, est dirigée, suivant M. le colonel Bory de St-Yincent, du N.-N.-O. au S.-S.-E., ce qui est la direction de la plupart des îles de l’Archipel. Ce massif de roches primordiales ne paraît nullement avoir été accidenté dans le sens que supposerait le relèvement d’un cratère de soulèvement ; les roches volcaniques sont venues, au contraire, couvrir toute sa base.

Tout semble donc démontrer que Santorin, Therasia et Aspronisi (l’Ile Blanche) faisaient partie du seul et même cratère d’éruption d’un volcan encore aujourd’hui brûlant, dont les actions puissantes paraissent avoir perdu de leur intensité première et ne se manifestent plus qu’à de longs intervalles. Le grand cône du volcan a sans doute été détruit à la suite de quelque grande catastrophe, comme le sommet de l’Etna le fut à la suite d’un violent tremblement de terre, lors de l’irruption de 1444 il ne resta qu’un immense cratère dont on voit encore une partie du segment près de la Casa Inglese ; depuis, le cône de l’Etna s’est en partie rétabli au milieu de ce cratère ; celui de Santorin tend aussi à se rétablir, mais beaucoup plus lentement.

Il est probable que l’affaissement qui a détruit la partie conique du volcan de Santorin a eu lieu à la suite de la déjection puissante qui l’a recouvert de toutes parts et qui a formé cette couche de conglomérat blanc de 40 à 50 pieds de puissance qui forme aujourd’hui la surface des trois îles. L’on peut bien supposer que le volcan, en quelque sorte épuisé par ce dernier et grand effort, s’est tout-à-coup affaissé, pour ne plus faire sentir que faiblement et de loin en loin son action toujours agissante.

La rupture d’une partie de sa circonférence s’explique aisément par une dénudation semblable à celle qui a fait disparaître l’île Julia, et cela semble d’autant plus rationnel, qu’elle a eu lieu dans la partie la plus étroite et la plus basse, celle qui présentait peut-être déjà une échancrure du cône et précisément du côté N.-O., qui était le plus exposé à la fureur des flots. Les vagues auront détruit avec d’autant plus de facilité des roches aussi friables que le sont les tufs et les agglomérats, que probablement dans cette partie ils n’étaient point associés à quelque coulée de trachyte qui aurait pu les préserver de la dénudation. Pline nous a conservé le souvenir de la séparation de Therasia de Thera (Santorin), qui eut lieu à la suite d’un violent tremblement de terre en l’an 233 avant l’ère chrétienne ; mais quant à la séparation d’Automaté ou Aspronisi de Therasia et de Thera, l’histoire n’en fait aucune mention, pas plus que de la destruction du grand cône dont ces îles faisaient la base.

Depuis ce grand événement, ce volcan a eu encore beaucoup d’éruptions ; l’histoire nous a conservé la tradition des plus récentes. En l’an 196 avant Jésus-Christ, il donna naissance à la petite île de Hiera (Sacrée) encore appelée aujourd’hui Hiera-Nisos ou Paléo-Kaïmeni (Vieille Brûlée) ; il ne paraît pas qu’il y eut alors éruption, mais simplement un soulèvement de la lave consolidée. L’an 19 de notre pré, Thia (la Divine) parut également au-dessus de la surface des eaux ; cette petite île, qui n’existe plus, ou a disparu, ou s’est jointe par la suite à celle de Hiera, don telle n’était éloignée que de deux stades, environ 250 pas ; en 726 et 1427 accroissemens successifs de Hiera. En 1573 la petite île de Micri-Kaïmeni (la Petite Brûlée), apparut à la suite d’éruptions qui donnèrent lieu à la formation d’un petit cône terminé par une bouche de cratère, par où ont été lancées toutes les déjections qui par leur accumulation successive lui ont donné naissance ; il ne s’élève guère qu’à 90 ou 100 pieds au-dessus de la surface de l’eau.

Le 27 septembre 1650, à 3 ou 4 milles au nord de Santorin, tout-à-fait en dehors du golfe, il y eut, à la suite de violens tremblemens de terre, une éruption sous-marine dont les relations de Santorin ne font aucune mention ; elle ne donna naissance à aucune île nouvelle, mais elle éleva beaucoup le fond de la mer dans cet endroit ; une telle éruption en dehors de ce que l’on a gratuitement appelé le cratère de soulèvement de Santorin, et dans un lieu qui ne correspond pas à quelque fracture ou vallée, résultant d’un soulèvement, est importante à signaler, en ce sens qu’elle vient en quelque sorte infirmer l’origine qu’on a voulu récemment attribuer à cette île.

Les effets de cette éruption, qui a duré pendant plus de trois mois, ont été assez violens dans l’origine pour entr’ouvrir la montagne de Merovigli, et causer la destruction d’un grand nombre de maisons dans l’île de Santorin, où les vapeurs sulfureuses et hydrogénées firent périr plus de 50 personnes et plus de 1000 animaux domestiques, et le reste des habitans en fut tellement incommodé, que beaucoup de personnes restèrent aveugles pendant plus de trois jours avec des douleurs cuisantes. Le refoulement de la mer fut tel à la première éruption, que les vagues s’élevèrent dans l’île de Nio, distante d’environ 4 lieues, à plus de 50 pieds au-dessus des rochers ; qu’elles s’avancèrent de plus de 350 pas dans l’île de Sikino, qui en est à 7 lieues ; qu’elles rompirent, sans être agitées par aucun vent, deux navires et plusieurs barques dans le port de Candie qui en est à plus de 25 lieues ; qu’enfin elles ravagèrent plus de trois cents arpens de terre dans l’île de Santorin, y renversèrent deux églises, et mirent à découvert de chaque côté de la montagne de Saint-Étienne, deux bourgs qui avaient sans doute été engloutis par des déjections incohérentes, par suite de quelque autre éruption semblable.

Enfin de 1707 à 1709 naquit entre la Vieille et le Perite Kaïmeni, une troisième île qui fut appelée Neo-Kaïmeni (la Nouvelle Brûlée) ; elle se composa d’abord de deux îles bien distinctes ; la première qui parut fut l’île Blanche, nommée ainsi à cause de sa couleur. Elle était composée d’un seul bloc d’une pumite remarquable par sa grande porosité et son extrême légèreté ; c’est le seul point où j’ai rencontré de la véritable pierre ponce ; elle y est en grande partie recouverte par les déjections trachytiques sorties par le cratère qui est venu s’y adosser. La seconde île, qu’on nomma l’île Noire. se composait d’abord de nombreux rochers de trachyte brun, qui se réunirent bientôt en un seul. Lorsque ces deux îles se furent jointes par des accroissemens successifs, il se forma au milieu un cratère d’éruption qui a élevé son cône à 330 pieds au-dessus du niveau de la mer, et par lequel il y eut des coulées de laves et de nombreuses déjections de matières incandescentes. En 1711 et 1712 l’éruption continuait encore et reprenait à des intervalles plus ou moins rapprochés.

Ce cratère, avec celui de la Petite Kaïmeni établissent donc deux canaux de communication directe de l’atmosphère avec le foyer intérieur du volcan, ce qui ne permet pas, comme on a voulu le faire, de le séparer des volcans ordinaires ; comme l’île de Milo, par exemple, dont on a voulu aussi, guidé par la forme de fer à cheval qu’elle présente, faire un cratère de soulèvement. Quoiqu’elle contienne des trachytes produits, non par éruption, mais par un simple soulèvement, elle doit plutôt être considérée comme une île volcanisée, que comme un volcan proprement dit, car la plus grande partie de son sol appartenant aux roches primordiales, comme on peut encore s’en assurer dans la partie sud, a tellement été altérée par l’action des feux et gaz acides, que les roches en seraient tout-à-fait méconnaissables si l’on ne pouvait, à l’aide de la continuité des couches, arriver jusqu’aux qu’aux endroits non altérés. Ce sont maintenant des tufs légers, friables, conservant encore quelquefois la structure schisteuse, ou bien des roches siliceuses passées à l’état de jaspe ; c’est parmi celles-ci que se trouvent les belles pierres meulières, dites de Milo, qu’on exploite dans l’île, pour les transporter ensuite dans toute la Méditerranée. Le sol de cette ile est encore aujourd’hui brûlant sur un grand nombre de points, et il s’y forme journellement du soufre, de l’alun de plume, du gypse, etc.

Je ne puis terminer ce qui concerne les petites îles nouvelles du golfe de Santorin sans signaler à l’attention des géologues un fait très curieux qui peut venir à l’appui des soulèvemens lents et progressifs ; c’est la naissance prochaine d’une quatrième petite île, qui s’élève très lentement, depuis nombre d’années, entre la Petite Kaïmeni et le port de Phira de Santorin ; elle était encore, il y a vingt ans, a 15 brasses au-dessous du niveau de la mer ; en 1830 lorsque nous visitâmes Santorin, M. le colonel Bory et moi, elle n’en était plus qu’à 3 1/2 et 4 brasses. Des sondages faits avec le plus grand soin ont fait reconnaître qu’elle se composait d’une roche très dure, probablement trachytique, et qu’elle avait environ 800 mètres de l’est à l’ouest, et 500 seulement du nord au sud. Le fond augmente graduellement au nord et à l’ouest depuis 4 jusqu’à 29 brasses, et à l’est et au sud jusqu’à 45 ; après cette limite on trouve tout autour un très grand fond. Cette nouvelle île s’élève donc, non comme un champignon, mais comme le ferait un bouchon qui serait lentement chassé par la fermentation d’un liquide. Il est probable que si l’accroissement continue, elle apparaîtra au jour sans commotion et sans être accompagnée de déjections, ou bien s’il doit y en avoir, elles se feront par la partie inférieure, car il n’est guère présumable que les matières rejetées viennent se faire jour à la partie supérieure de cette espèce de colonne solide.

Puisque j’ai signalé quelques erreurs qui avaient pu faire regarder l’île de Santorin comme un type de cratère de soulèvement, je profiterai de cette occasion pour en relever une autre qui a été commise relativement aux volcans de la Grèce en général, c’est celle qui les a fait regarder par le même M. de Buch comme le seul exemple que nous ayons en Europe de volcans en ligne. J’ai cherché à faire concorder cette opinion, qui ne repose aussi que sur des renseignemens inexacts ou incertains, avec les faits ; mais j’ai vainement suivi les différens points volcaniques, ainsi que ceux. où il se produit des phénomènes résultant d’actions volcaniques, sans pouvoir tracer aucune ligne bien déterminée qui pût s’accorder avec des lignes de soulèvement du sol. Ainsi j’ai reconnu qu’au lieu de décrire à peu près une ligne N.-N.-O. S.-S.-E., l’on pourrait, à l’aide d’autres points volcaniques qui avaient été négligés ou qui n’avaient pas encore été signalés, diriger cette ligne dans beaucoup d’autres sens ; presque tous ces points volcaniques sont d’ailleurs beaucoup trop éloignés, et souvent séparés, soit par des îles non volcaniques, soit par quelque partie de continent, pour faire supposer qu’il y a entre eux des relations comme celles qui paraissent exister dans les volcans véritablement en ligne. Et l’on peut même dire des volcans de la Grèce, que non seulement ils ne sont pas en ligne, mais même qu’ils n’appartiennent pas aux volcans dits centraux ; car si l’on excepte celui de Santorin, le seul véritable volcan brûlant, autour duquel il y a eu peut-être plusieurs éruptions sous-marines, comme celle de 1650 que j’ai signalée, l’on ne peut regarder aucun des volcans de cette contrée comme volcan central. Ils semblent tous disséminés sans ordre et sans paraître avoir les moindres rapports entre eux, soit dans les époques d’apparition, soit dans leur composition minéralogique, soit enfin dans leur mode de formation ou leur direction.



  1. Il a été employé pour faire les massifs de l’Arc de Triomphe situé à |a barrière de l’Étoile de Paris.