Bulletin du comité historique des arts et monuments/Tome 1/2
DE L’INSTRUCTION PUBLIQUE ET DES CULTES.
ACTES OFFICIELS.
I.
ARRÊTÉ.
M. Jeanron, directeur des Musées nationaux, est nommé membre du Comité historique des arts et monuments près le ministère de l’Instruction publique et des Cultes.
II.
Circulaire aux correspondants du ministère pour les travaux historiques.
Monsieur, jusqu’ici les études archéologiques sur les arts du moyen âge ont eu presque exclusivement pour objet les grandes œuvres d’architecture, de sculpture et de peinture. Le comité des arts et monuments institué près le ministère de l’instruction publique et des cultes pense que le moment est venu d’étudier à leur tour les costumes et les ameublements du moyen âge, et qu’on ne saurait mieux inaugurer cette nouvelle série de travaux que par la recherche de tout ce qui peut exister encore d’anciens vêtements ecclésiastiques, d’insignes religieux et d’objets spécialement affectés au service des autels. De nombreuses demandes ont été adressées au comité par des membres du clergé et par les fabriques sur les meilleurs modèles à consulter pour la confection des ornements sacerdotaux et pour la fabrication des vases sacrés. C’est sur le zèle de ses correspondants que le comité a compté pour répondre à des questions qui intéressent à un si haut degré la dignité des cérémonies du culte.
Malgré les pertes que l’église de France a éprouvées, depuis deux siècles surtout, par suite de la réforme à peu près complète du costume ecclésiastique et de la dilapidation des trésors, il existe encore dans notre pays une quantité très-considérable de vêtements, de reliquaires et de vases sacrés appartenant aux différentes époques du moyen âge. Ces objets précieux sont dispersés ; il s’agit d’en centraliser au moins la description et la représentation : on arriverait facilement à reconstituer, au moyen des renseignements que les correspondants sont à portée de recueillir, des séries complètes de costumes et de meubles religieux en rapport avec les grandes divisions de l’art monumental. Les statues, les bas-reliefs et les peintures que le moyen âge a répandus dans nos églises et sur les châsses de nos saints avec une si abondante libéralité, fournissent déjà, sur le vêtement du prêtre et sur la décoration mobilière de l’autel, les indications les plus essentielles. Mais l’imitation sculptée ou peinte ne saurait suppléer entièrement à la présence des objets eux-mêmes ; il est à peu près indispensable, surtout pour en produire de pareils, d’avoir sous les yeux les œuvres originales, ou, du moins, des dessins qui en soient la parfaite image.
Les renseignements que le comité sollicite aujourd’hui viendront compléter ceux que le Bulletin a déjà portés à la connaissance des correspondants. Les églises de Saint-Étienne, à Sens ; de Saint-Quiriace, à Provins ; de Saint-Bertrand-de-Comminges ; de Saint-Sernin, à Toulouse, possèdent, on le sait, des chapes, des chasubles, des mitres, des crosses fabriquées dans les xiie, xiiie et xve siècles. La chasuble en soie de saint Regnobert, évêque de Bayeux ; l’étole et le manipule du même saint, tout tissus d’or et de perles ; l’étole de saint Pol, évêque de Léon, dont la broderie représente des chiens et des cavaliers ; la dalmatique de saint Étienne de Muret ; la chasuble et le calice donnés vers le milieu du xiiie siècle, par saint Louis, au bienheureux Thomas Élie, curé de Biville ; les ornements pontificaux de saint Edme, archevêque de Cantorbéry ; la chasuble de saint Rambert ; les insignes et quelques portions du vêtement d’Hervée, évêque de Troyes ; la mitre et la crosse de l’archevêque de Rouen, Jean de Marigny, frère du célèbre Enguerrand ; les précieuses crosses des abbayes du Lys et de Maubuisson, se sont conservés jusqu’à nos jours. Le Bulletin a publié la description de la chape de saint Louis, évêque, et ce travail peut être proposé comme un excellent modèle à suivre pour les monuments du même genre. L’ouverture de plusieurs anciens tombeaux à Jumiéges, à Saint-Claude, à Reims (dans l’église de Saint-Remy), a fourni des étoffes curieuses, comme on en avait trouvé dans les sépultures les plus anciennes de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés. Dans certaines châsses, celle de saint Germain, évêque d’Auxerre, et celle de saint Exupère, évêque de Toulouse, par exemple, les reliques sont encore enveloppées de tissus remarquables, d’une origine très-ancienne, qui paraissent avoir fait partie de vêtements sacerdotaux. Les restes de Charlemagne, à Aix-la-Chapelle, et ceux de l’impératrice Richarde, à Andlau, avaient aussi été déposés dans des voiles de soie historiés, qui se sont retrouvés presque intacts. La cathédrale de Metz se fait gloire de garder religieusement une riche chape, qu’on appelle la chape de Charlemagne, et dont le tissu passe pour un ouvrage du viiie siècle. Une nappe brodée en couleur, dans la première moitié du xie siècle, par Élisabeth, femme de Wifred, comte de Cerdagne, a survécu à la ruine de l’abbaye de Saint-Martin-du-Canigou, dont elle recouvrait autrefois le principal autel.
La plupart des objets anciens en métal qui composaient la décoration des autels sont passés dans les collections particulières ; un ameublement moderne les a remplacés presque partout. Cependant, quelques-uns ont échappé à la profanation : on peut citer les calices superbes du trésor de Notre-Dame de Paris, les châsses magnifiques d’Ambazac, de Mauzac, de Saint-Taurin d’Évreux, du Coudray-Saint-Germer et de Jouarre. Le reliquaire portatif de l’abbé saint Mommole, à Saint-Benoît-sur-Loire, et les petites châsses émaillées de Saint-Sernin de Toulouse, sont aussi des monuments d’orfèvrerie bien précieux.
Le simple énoncé d’une pareille suite d’objets montre assez tout ce qu’on doit attendre de recherches dirigées avec persévérance, et entreprises simultanément sur tous les points de la France. Le comité ne fixe d’autre limite aux recherches de ses correspondants que la fin du xviiie siècle. En effet, si les formes anciennes avaient été complètement altérées bien avant cette époque, il n’en restait pas moins, dans les détails du costume et du mobilier ecclésiastiques, des vestiges intéressants à constater du système primitif d’ornementation. Des dessins exacts, ou même des moulages pris sur des objets mobiliers et des patrons taillés sur les vêtements, seraient ici plus nécessaires que jamais : les formes se représentent mieux qu’elles ne se décrivent.
Les points principaux sur lesquels le comité désire obtenir des renseignements sont résumés dans le questionnaire que je vous adresse ci-joint.
Pour seconder les vues du comité, je fais appel à votre active collaboration, et je vous prie de vouloir bien consigner sur le questionnaire les renseignements que vous pourrez recueillir, en y ajoutant, aussi souvent que possible, le dessin des objets que vous aurez signalés.
Recevez, Monsieur, l’assurance de ma considération très-distinguée.
1. Existe-t-il dans la commune d………… des vêtements ecclésiastiques anciens, tels que chasubles, chapes, dalmatiques, aubes, ceintures, manipules, etc. ?
2. S’est-il conservé quelques insignes des dignités ecclésiastiques, des étoles, des mitres, des anneaux, des gants à plaques gravées ou émaillées, des agrafes, des boutons de chape, de crosses abbatiales ou épiscopales, des bâtons de chantre, des chaussures à l’usage des évêques, des chapeaux de cardinaux, comme on en voyait suspendus dans les églises en mémoire de prélats qui avaient fait partie du sacré collège ?
3. De quel tissu sont formées les étoffes ?
4. Les étoffes paraissent-elles de fabrication nationale ou étrangère ?
5. A-t-on quelques données précises, ou au moins quelques traditions, sur les fabriques d’où ces étoffes seraient sorties, et sur les artistes qui auraient concouru à les confectionner ?
6. Le tissu présente-t-il des inscriptions ou de simples marques ? Dans le cas où des caractères y seraient tracés, peut-on y trouver un sens, ou doit-on les considérer comme des imitations de caractères figurés sur des étoffes d’origine étrangère ?
7. Quels sont la forme, la coupe, le mode d’assemblage, la couleur de chacune des parties des anciens vêtements sacerdotaux ? Sont-elles enrichies d’orfrois ou accompagnées de plages ?
8. Trouve-t-on dans quelques églises des nappes et des parements d’autels, des voiles de calice, des pales, des corporaux, des bourses d’origine ancienne, des courtines et des tapisseries destinées à la clôture du sanctuaire ou à la décoration des murailles pour les jours de grandes solennités ? Sait-on quelles étaient les couleurs affectées aux différentes fêtes et cérémonies, et depuis quelle époque cette distinction est en usage dans le pays ?
9. Les vêtements ecclésiastiques conservés passent-ils pour avoir appartenu à quelque personnage célèbre ? Sont-ils l’objet d’une vénération particulière ? Le clergé s’en sert-il habituellement, ou les réserve-t-il pour quelques fêtes patronales ?
10. Ces vêtements sont-ils simples ou ornés ? Les ornements font-ils partie intégrante de l’étoffe, ou sont-ils seulement appliqués ? En quoi consistent-ils ? Sont-ce des feuillages, des animaux, des figures humaines ? Offrent-ils un sens symbolique facile à saisir ?
11. Les règles de l’iconographie sacrée ont-elles été suivies dans la disposition des personnages figurés et dans le choix de leurs attributs ?
12. A-t-on connaissance d’étoffes anciennes découvertes dans des tombeaux, ou employées dans des châsses comme enveloppes de reliques ?
13. Existe-t-il des confréries qui fassent usage d’un costume et d’insignes particuliers ? À quelle époque ont-ils été empruntés ?
14. Se sert-on, dans les processions ou dans quelque autre cérémonie, de vêtements, de costumes, ou même de masques et de mannequins, pour représenter des personnages de l’Ancien ou du Nouveau Testament ?
15. Quelques églises sont-elles demeurées en possession de vêtements ou de linges considérés comme des reliques, en raison des personnages auxquels ils auraient appartenu ? Les fait-on toucher aux malades, et leur attribue-t-on quelque vertu miraculeuse ?
16. Est-il resté quelque débris des objets autrefois employés à la décoration des autels, et particulièrement de ceux qui servaient à la célébration du sacrifice eucharistique ?
17. De quelle matière et de quelle forme sont les calices, les burettes, les plateaux, les aiguières, les patènes, les ostensoirs, les ciboires anciens ? quel en est le système d’ornementation ?
18. Y a-t-il des croix, des chandeliers, des candélabres, des lampes, des couronnes de lumière, des autels portatifs, des pierres sacrées enchâssées et conservées à part, des tabernacles, des reliquaires spécialement destinés à la parure de l’autel, des plaques historiées qui auraient été employées à la décoration du devant de l’autel ou du retable ? Conserve-t on des châsses importantes ? Sont-elles l’objet d’exposition, d’ostension ou de processions remarquables ?
19. Connaît-on des crosses ou des colombes employées à la suspense du saint sacrement, des pixides pour les hosties consacrées ou pour les saintes huiles, des appareils ou des vases autrefois en usage pour la communion sous les deux espèces, des fers pour la confection des pains d’autel, des paix, des clochettes, des flabellums, des navettes, des encensoirs ? Peut-on citer des exemples anciens de cartons d’autels et de pupitres pour la pose du missel ?
20. À défaut d’objets conservés en nature, pourrait-on relever dans les inventaires des anciens trésors quelque description précise et complète de costumes ou d’ustensiles sacrés remarquables par leur forme et par leur antiquité ?
TRAVAUX DU COMITÉ.
I.
Séance du samedi 10 février 1849.
Sont présents : MM. d’Albert de Luynes, de Bastard, Bottée de Toulmon, Didron, Diéterle, de Guilhermy, Jeanron, de Laborde, A. Lenoir, Lock, de Paulis.
Le comité décide que les séances auront lieu dorénavant les second et quatrième lundis de chaque mois, à midi.
Le comité prie M. le ministre de nommer correspondant M. Tony Desjardins, architecte de la cathédrale de Lyon.
M. le Président renouvelle la commission des correspondants, qui se compose de MM. de Montalembert, de Laborde, Lenoir et Didron.
Le comité décide que M. le ministre sera prié d’envoyer à l’impression les Instructions sur l’architecture monastique, rédigées par M. A. Lenoir.
M. de Guilhermy soumet au comité des dessins exécutés avec un très-grand soin par M. Laval, et qui représentent le jubé, la chaire et le buffet d’orgues de Saint-Étienne-du-Mont.
Le comité examine ces dessins avec intérêt ; il verrait avec plaisir qu’un travail de ce genre fût exécuté par les soins de la direction générale des cultes dans toutes les églises de France.
M. Lenoir soumet au comité un projet de publication sur l’abbaye de Jumiéges par M. Jollivet.
M. Lenoir est chargé de faire un rapport au comité sur ce projet de publication.
M. Lenoir recommande la conservation d’un fragment, l’unique qui subsiste encore, de l’ancien château de Mortagne. Ce fragment est menacé par l’alignement projeté d’une rue.
Le comité prie M. le ministre d’écrire à ce sujet à son collègue de l’intérieur.
La séance est levée à une heure.
Bulletin de la Société historique et archéologique de Soissons. Tome I. Un volume in-8o de 205 pages, avec 6 lithographies.
Rapport de M. l’abbé Poquet, correspondant, présenté à la Société historique et archéologique de Soissons, sur une visite faite par la Société à Mont-Notre-Dame et au palais de Quierzy. In-8o de 27 pages.
Cérémonial du sacre de Mgr l’évêque de Soissons, par MM. Poquet et Daras, directeurs de l’institut de Saint-Médard. In-18 de 115 pages, avec le portrait de Mgr de Garsignies, évêque de Soissons.
Publications de la Société pour la recherche et la conservation des monuments historiques dans le grand-duché de Luxembourg. IIIe volume. In-4o de 200 pages et 4 planches.
Excursion pittoresque et archéologique en Russie, exécutée en 1839, sous la direction de M. Anatole de Demidoff. Dessins faits d’après nature et lithographiés à deux teintes par André Durand. 4e et dernière livraison ; 26 lithographies in-folio.
II.
Séance du lundi 26 février.
Sont présents : MM. d’Albert de Luynes, Barre, de Bastard, de Guilhermy, Jeanron, de Laborde, F. de Lasteyrie, A. Lenoir, Lock, Mérimée, de Montalembert, de Paulis, Didron, secrétaire.
Le secrétaire donne lecture du procès-verbal, qui est adopté.
M. d’Albert de Luynes signale les excellents résultats obtenus au moyen du daguerréotype pour la reproduction sur papier des monuments de tout genre.
À la prière du comité, M. d’Albert de Luynes promet de rédiger une note qui sera insérée dans le Bulletin sur la manière d’opérer sur papier avec le daguerréotype.
M. de Montalembert appelle l’attention du comité sur le projet d’achèvement du Louvre et du déplacement de la Bibliothèque nationale.
MM. de Montalembert, F. de Lasteyrie, L. de Laborde, Mérimée, exposent des considérations contre ce projet, qui doit avoir pour résultat la destruction de l’ancien palais Mazarin, unique vestige, à Paris, des grandes habitations françaises du xviie siècle et remarquable par sa décoration intérieure.
M. le président nomme, pour rédiger un rapport à M. le ministre sur le projet de translation, une commission composée de MM. de Laborde, de Guilhermy, Jeanron, Lenoir et Didron.
M. Mérimée rappelle que le comité a proposé, en 1848, de publier un recueil des inscriptions antiques et du moyen âge existant en France[1]. Avant de préparer les éléments d’un pareil recueil, il serait nécessaire que M. le ministre donnât son adhésion à la publication projetée.
Le comité décide que cette proposition sera soumise à M. le ministre.
Considérations historiques et critiques sur les vitraux anciens et modernes et sur la peinture sur verre, par Émile Thibaud, de l’Académie de Clermont. In-8° de 127 pages, avec 3 planches lithographiées représentant des vitraux.
Royat, ses eaux et ses environs, itinéraire descriptif et historique, accompagné d’une carte de la vallée et d’un plan des nouvelles découvertes, par le même. In-8° de 74 pages, avec gravures sur bois représentant les monuments de Clermont et de l’Auvergne.
L’Auvergne au moyen âge, atlas de deux cartes et de planches in-folio, gravées sur métal, par le même. Première partie, comprenant les monastères de l’Auvergne.
Théophile, prêtre et moine. Essai sur divers arts, publié par M. Charles de l’Escalopier, conservateur honoraire de la bibliothèque de l’Arsenal, et précédé d’une introduction par J. Marie Guichard. In-4° de lxxii et 314 pages, avec fac-simile d’un manuscrit.
Précis analytique des travaux de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, pendant l’année 1848. In-8° de 334 pages. Envoi de M. Ballin, archiviste de l’Académie de Rouen.
La séance est levée à deux heures.
DOCUMENTS HISTORIQUES.
I.
Notice sur l’abbaye d’Orbais, par M. de Mellet, correspondant (Suite.)
« Il est à présumer qu’il y a eu autrefois plusieurs anciens monuments dans cette église, dont on n’a plus aujourd’hui aucune connaissance, les guerres, les incendies et autres malheurs nous en ayant dérobé la connoissance, de sorte qu’il ne nous reste que peu de choses de l’antiquité. On voit encore néanmoins un ancien monument fort considérable et fort respecté des personnes également pieuses et servantes : c’est la pierre sépulchrale ou tombeau soutenu de colonnes de saint Réole, notre premier fondateur, placée contre le mur du collatéral méridional, au-dessous d’une fenêtre, entre la chapelle de la sainte Vierge et celle de saint Nicolas, dans laquelle on tient par une ancienne tradition que le corps de saint Réole fut enfermé et mis en terre après sa mort. Suivant cette pieuse tradition, il est certain que notre saint fondateur a été inhumé dans l’église de cette abbaye ; car il ne faut pas s’imaginer que l’on ait transporté cette pierre d’une autre église pour la mettre icy en dépost.
« On ne trouve dans notre église que trois tombes de nos abbez réguliers : la première et la plus ancienne dans la chapelle de la sainte Vierge, devant la croisée méridionale, joignant le marchepied de l’autel, est d’un abbé appelé Guillaume. Il est représenté la tête en bas, nue, portant une grande tonsure ou couronne monachale, sans mitre, et les pieds tournez vers l’autel, selon l’ancienne pratique d’enterrer les morts, tenant sa crosse d’une main. On ne sçait ni le jour, ni le mois, ni l’année de sa mort. On lit seulement ces vers autour de la tombe.
Abbas Willelmus quo nostra…
A rebus mundi quæ causam dant pereundi,
Ad regnum cœli pervenit mente fideli.
Hoc sub sarcophago requiescit vir venerandus,
« On ne peut dire quand on a construit le gros pignon qui sépare la nef en deux, ni si la partie inférieure de la nef où il y a un second mur de séparation, et si les clochers ou tours et le portail ont été achevez ; ou quand la voûte et les clochers sont tombés, en cas qu’ils aient été achevez ; ni en quel tems, ni sous quel abbé on ait converti le bas de la nef et le portail en logis abbatial appelé ordinairement le château, à cause des tours et des meurtrières qu’on y voit encore.
« Il y a dans ce logis abbatial un autel : on voit encore au retable les armes de France modernes à trois fleurs de lys ; celles de l’église métropolitaine de Reims, peut-être à cause que ses archevêques ont eu depuis la fondation de cette abbaye, dont ils étaient les premiers fondateurs à cause de saint Réole, et longtems après, toute juridiction sur les abbez et religieux ; et les armes des comtes de Champagne, qui ont fait bâtir cette église et fait plusieurs donations, comme on a vu cy-devant.
« Dans la grande arcade extérieure du portail, du côté de la place ou halle du bourg, au-dessus de la grande porte et au milieu, on voit la figure d’un archevêque revêtu de ses habits pontificaux, avec le pallium fort long, selon l’ancien usage. Ce qui reste du portail marque qu’il était beau et magnifique, et ne cédait en rien à ceux des plus belles églises. On en peut juger par l’entrée et la porte conventuelle qui conduisent aujourd’huy au cloître et dans l’intérieur du monastère, et par où on entrait autrefois dans les collatéraux de la nef. Cete entrée est belle, noble, magnifique, bien voûtée, soutenue de belles colonnes d’une pierre extrêmement dure et polie, les ceintres enrichis de sculptures ; sur la droite du portail, il y a encore une entrée bouchée, mais semblable à la précédente.
« Dans la tour du portail vers le septentrion, on voit à la voûte une grande ouverture ronde et de cinq à six pieds de diamètre, pour monter des cloches. Mrs les anciens religieux prétendoient que les cloches qui sont aujourd’hui à Saint-Prix avoient été enlevées de nostre tour et vendues par les premiers commandataires. Ils ont bien vendu et dissipé d’autres biens et immeubles ; ce fait est digne de leur avarice et de leur insatiable cupidité à Orbaiz comme ailleurs.
« Enfin, en considérant la grandeur et la beauté de notre église, on peut conclure qu’il y a eu autrefois un nombre considérable de religieux, et que les assemblez pour les jubilés et Te Deum s’y faisoient. Le R. P. dom Pierre Mongé, prieur de ce monastère (après la démission volontaire de cette abbaye faite par Jacques de Pouïlly-de-Lançon, sur la fin de l’année mil six cens quatre-vingt seize, avec l’agrément du Roy et faveur de Jean-Louis de Fortia de Montréal, prêtre, docteur de la maison et société de Sorbonne et en droits), faisant réparer notre église en dehors et en dedans, en conséquence d’une transaction et bail de la manse abbatiale fait par ledit sieur de Lançon à notre communauté, le troisième jour de mars de l’an mil six cens quatre vingt sept, et voulant rendre les chapelles du rond-point plus claires, plus commodes et en quelque manière plus belles et plus grandes, fit aussi démonter les grandes cloisons de bois, et en fit mettre de plus basses pour les fermer ; il fit ôter les anciennes vitres peintes et fort épaisses, qui les rendoient fort sombres et obscures, et en leurs places des vitres blanches ; il fit aussi demolir les petits autelz, et reculer et transporter la menuiserie, les retables, colonnes, corniches, frontons et les anciennes pierres auparavant consacrées jusqu’au mur au dessous des fenêtres, sur une nouvelle maçonnerie. Dès aussitôt que ces nouveaux autelz furent rétablis, on y célébra la sainte messe pendant plus de deux ans, sans avoir fait consacrer de nouveau lesdites anciennes pierres d’autelz, ni avoir mis dessus icelles des pierres bénites, ou autelz portatifs, soit que l’on crût, que ces pierres cy-devant consacrées n’ayant été reculées que de quelques pieds, un si petit changement ne pouvoit leur avoir fait perdre leur première consécration, suivant cette maxime : « Parum pro nihilo reputatur, » ou supposé qu’elles l’eussent perdue par ce changement, que par le premier sacrifice qu’on eût offert dessus de bonne foy après cette démolition et au rétablissement, elles avoient été suffisamment consacrées. Mais dans la suite, quelques religieux prétendant que lesdites pierres avoient perdu leur consécration par ce déplacement, et qu’elles ne l’avoient point recouvrées par la célébration plusieurs fois réitérée des divins mystères, on cessa d’y célébrer, sans y avoir mis dessus une petite pierre bénite, et pour un plus grand eclaircissement, on proposa la difficulté en 1700, à Messieurs les docteurs de la maison de Sorbonne. »
II.
Églises de Meillet et de Coulandon, par M. Dubroc de Seganges.
À 8 kilomètres de Souvigny se trouve, près de la forêt de Messarge, une église romane du xiie siècle. Cette église, remarquable surtout par son clocher à deux étages, percé de baies géminées et surmonté d’une flèche, offre dans toutes ses parties des détails curieux à étudier. Au tympan du portail, on voit le Christ bénissant, avec le nimbe crucifère, dans une auréole ouvragée que semblent soutenir deux anges nimbés ; à droite et à gauche, dans des niches romanes, sont dix apôtres, l’artiste n’ayant pas eu probablement assez de place pour faire les deux autres.
1° Le chapiteau[2] fait partie de ce portail. Il représente à gauche un lion jouant du violon, et à droite un âne jouant d’un autre instrument ; le lion tient le violon de la patte gauche et l’archet de la patte droite. Le violon a trois cordes qui (autant que permettent de l’observer les dégradations du temps) semblent attachées à un chevalet ayant quelque rapport avec ceux de nos guitares modernes. Deux ouïes, en forme de demi-cercles, sont pratiquées dans le milieu de la table ; plus bas, deux trous paraissent également percés dans la table d’harmonie. Ce violon a la même forme que celui du chapiteau de Bocherville, forme qui a été constatée dans les manuscrits de la même époque.
L’instrument dont joue l’âne est d’une détermination plus difficile, en ce qu’il n’a d’analogue ni sur le chapiteau de Bocherville, ni dans les autres documents publiés sur cette matière. L’âne pince les cordes du pied gauche et tient du pied droit l’extrémité supérieure de l’instrument. L’instrument se compose d’une caisse sonore dans la forme d’une harpe, avec cinq cordes attachées diagonalement ; dans l’épaisseur de la caisse sonore, sont pratiquées deux ouïes, l’une circulaire, l’autre rectangulaire. Cet instrument diffère de la harpe par sa caisse sonore qui, est pleine, tandis que, dans la harpe, l’intérieur du triangle est vide. On pourrait donc (sauf meilleur avis) le classer parmi les rotes à cordes pincées, telles que les a décrites M. de Coussemaker.
2° Sous l’épais badigeon qui avait été pratiqué sur les parois de l’église de Meillet, on retrouve çà et là des traces de peintures du xiiie au xive siècle qui peuvent donner une idée de la décoration de ce monument[3]. Ces peintures ont été exécutées à fresque sur un enduit assez épais. Le motif A se retrouve sur toutes les clefs des voûtes, le motif B orne tous les arcs qui supportent les retombées des voûtes. Les pierres figurées décorées d’une étoile garnissent toutes les parois intérieures.
Dans la bulle qui énumère les églises, les prieurés et les chapelles que possédaient les bénédictins de Souvigny, se trouve : de Colundono, Coulandon, situé à environ 6 kilomètres de Moulins, sur la route de Limoges. La petite église, à une nef, par le travail grossier et de médiocre saillie de ses chapiteaux, pourrait bien appartenir au xie siècle. Cette église est sous le vocable de saint Martin, qui, suivant toutes les probabilités, est représenté sur le vitrail d’une chapelle latérale. Cette figure, reproduite sur deux baies de l’église avec le même dessin et quelques légers changements dans les couleurs, se retrouvait certainement sur les autres verrières qui ont été brisées. Ce saint, il est vrai, est ordinairement représenté à cheval, partageant son manteau dont il donne la moitié aux pauvres ; mais dans la légende du vitrail de la cathédrale de Tours, il porte exactement le même costume, celui d’évêque.
Le saint, nimbé et mitré, tient de la main gauche la crosse, dont la volute est tournée en dehors ; il bénit de la main droite, les doigts disposés suivant le rit latin. Une espèce de hausse-col ou collier apparaît sur la chasuble, terminée en biseau ; dessous, le pallium, attribut des archevêques, mais que le pape octroyait à certains évêques privilégiés ; enfin, sous le pallium, l’étole et l’aube ; la chaussure est en pointe.
Cette figure, haute de 44 centimètres, occupe la moitié du vitrail et date certainement du xiie siècle ; l’autre moitié, plus moderne, est peinte en grisaille. Des losanges sont figurés dans le milieu par les plombs ; à droite et à gauche, des moitiés de fleurs de lis peintes en grisaille sur un champ également en grisaille de traits verticaux et horizontaux.
La baie tout entière, haute de 1 mètre sur 0,18 centimètres de largeur, est formée par une niche ménagée dans l’épaisseur du mur.
III.
Monastère des Célestins du mont de Chastres, en la forêt de Cuise.
Ce compte fournit les renseignements les plus complets sur toutes les opérations nécessitées par une construction de ce genre, depuis la provenance des recettes jusqu’aux moindres détails des travaux et dépends qui s’y rattachent[4].
« Compte de Giles de Lengres, trésorier de la chapelle royal de Nostre Dame du Viviers en Brie, secretaire du Roy nostre sire et de monseigneur le duc Dorliens[5], commis de par mondit seigneur le duc sur le fait des repparacions recouvrement de ses domaines de la recepte et despense par lui faicte pour le fait des ouvraiges d’une chappelle qu’il a nagaires fait faire construire et ediffier joingnant de leglise des religieux Celestins du mont de Chastres[6] en la forêt de Cuise[7], par le commandement et ordenance dudit seigneur. Si comme par lettres closes dicellui seigneur sur ce faictes et envoyees audit messire Giles peut apparoir.
« Et premierement.
x. d. p.
vid. obole p.
obole p.
ii. d. p.
ix. d. p.
- ↑ Voir Bulletin archéologique, t. IV, p. 548, 568.
- ↑ Voir planche I.
- ↑ Voir planche II.
- ↑ Le compte original, provenant de la chambre des comptes, se trouve aux Archives de la République (section historique, K. 272).
On a cru devoir supprimer, en imprimant ce document, les formules répétées identiquement à la fin de chaque article et renvoyant aux marchés, quittances et autres pièces justificatives.
- ↑ Le duc Louis d’Orléans, frère de Charles VI, celui qui fut assassiné en sortant de l’hôtel Barbette, où demeurait la reine. Les armes du duc étaient sculptées sur les clefs de voûte de la chapelle dont il est question en ce compte.
- ↑ Ce monastère était situé dans la forêt, à deux lieues de Compiègne, sur une montagne où, s’il faut en croire la tradition, les Romains avaient construit trois châteaux forts (Castra). Ce lieu porte encore le nom de Saint-Pierre en Chastre. Aujourd’hui, les quelques bâtiments qui subsistent encore, sont transformés en ferme d’exploitation. On trouve en cet endroit plusieurs sources d’eau ; mais, depuis longtemps, il ne reste plus aucune trace des constructions romaines.
Les dessins reproduits en gravure sur bois, représentent les ruines de l’église et de la chapelle, il ont été exécutés d’après nature par M. Baudrimont, architecte.
- ↑ Ancien nom de la forêt de Compiègne.
- ↑ Fournitures.
- ↑ Maître de l’œuvre, architecte.
- ↑ Fouilles, travaux de terrassement.
- ↑ Toisé détaillé.
- ↑ Éperons d’angle.
- ↑ Éperons ou contre-forts.
- ↑ De saillie.
- ↑ Arc de fenêtre.
- ↑ Taillée en forme de moulure par dedans et en doubles biseaux en dehors.
- ↑ Le maynel indique seulement ici le montant vertical (meneau).
- ↑ Pignon de façade.
- ↑ Baie de porte.
- ↑ Petit arc, peut-être tribolée.
- ↑ Cul-de-lampe, support d’une statue.
- ↑ L’ancien mur latéral de l’église a été démoli et remplacé par deux piliers surmontés de trois arcades.
- ↑ Ce nom indique évidemment la forme aiguë, l’arc nommé aujourd’hui en ogive.
- ↑ Voûtée de trois croisées d’ogive.
Dans tous les anciens traités de construction, depuis Philibert de Lorme jusqu’à Frézier, dans tous les lexiques et dictionnaires, depuis celui du père Monet jusqu’au vocabulaire de de Wailly, le mot ogive s’applique uniquement aux nervures diagonales qui se croisent dans une voûte. Ducange l’explique par arcus decussatus, en X. Ce nom n’indique jamais un arc aigu ; il y a plus, il désigne souvent un plein-cintre, ou même un arc surbaissé, comme dans le présent compte à l’article charpente, où il est question de croisées d’ogives en ence de pannier.
Dans les anciens titres et ouvrages, le mot ogive est écrit indifféremment par au ou par o ; dans le premier cas, il doit évidemment dériver du latin augere, d’où est venu le mot roman auger, augmenter, accroître ; l’orthographe adoptée dans le second cas peut être expliquée par les vers suivants qui se trouvent dans le supplément latin de Ducange.
« Rex regum mundi venerabilis ille Philippus
« Catholicæ fidei calidus defenser et ogis.Le mot ogive ne désignait donc nullement la courbure d’un arc ou d’une voûte, mais bien une partie renforcée, un support ; encore aujourd’hui, dans le département du Doubs, on donne le nom d’ogive à un éperon et à un contre-fort. Ainsi, au xiiie siècle, on appelait voûtes croisées, les voûtes d’arêtes simples, celles que l’on retrouve dans les monuments romains et celles qui sont en usage dans les constructions romanes ; et voûtes croisées d’ogives celles dans lesquelles les arêtes étaient remplacées par des nervures saillantes ou branques d’ogives. (Comptes de la terre et seigneurie de Lucheu, archives de M. de Luynes.)
- ↑ Culs-de-lampes ou chapiteaux.
- ↑ Nervure placée entre deux voûtes.
- ↑ Arcs collés contre les murs, et nommés quelquefois portants, parce qu’ils supportent les moellons des voûtes.
- ↑ Remplissage entre les nervures, formé de petits moellons nommés pendants.
- ↑ Ce marché ne concerne que la main-d’œuvre.
- ↑ Composée.
- ↑ Empatement.
- ↑ Développement.
- ↑ Est-ce le couronnement de l’escalier ?
- ↑ Pour clore l’église.
- ↑ Aire pour les épures.
- ↑ Tracés des épures.
- ↑ Très-probablement passé, tamisé.
- ↑ Peut-être dressé le sol.
- ↑ Pioche, bêche, binette. (Dictionnaire du vieux langage français, par Lacombe.)
- ↑ Quatre brèches de 6 pieds carrés pour le passage de la procession, le jour de la dédicace.
- ↑ Serrurerie et vitraux peints.
- ↑ Nilles pour recevoir les clavettes.
- ↑ À la naissance des arcs.
- ↑ Cercle de fer pour maintenir les vitraux.
- ↑ L’o ou l’osteau est le grand cercle à rendents placé dans la partie supérieure d’une fenêtre à meneaux.
- ↑ Clavettes pour fixer les panneaux de vitres, et qui entrent dans les loquetieres ou nilles.
- ↑ Chaînage de l’entablement.
- ↑ Il s’agit ici de la ferrure de trois bannières ou girouettes, chacune d’elles composée d’une verge avec crosses ou crochets en plomb, pommeaux ou boules, d’une virole ou bague, enfin de trois coins ou forts clous pour fixer la verge après la charpente.
- ↑ Ferrure de porte, trois pentures en forme de croissants, trois gonds et un verrou à vertevelle, verrou placé dans des anneaux de fer. (Dictionnaire de Pomey.)
- ↑ Pour ferrer les deux vanteaux de la porte de la chapelle.
- ↑ Serrure en saillie, souvent ornée.
- ↑ Girouette en bronze.
- ↑ Autre maître de l’œuvre, ou architecte.
- ↑ Ajustés dans un châssis ou bâtis de bois.
- ↑ Ferrures de portes.
- ↑ Serrure à vertevelle. (Ducange, Roquefort.)
- ↑ En forme de croissant, souvent terminé par des ornements forgés.
- ↑ Fermeture de la porte principale, à l’intérieur.
- ↑ Peintre verrier.
- ↑ Suivant le dessin.
- ↑ Grand cercle à rendents au-dessus des meneaux.
- ↑ La porte.
- ↑ Cette première partie montre déjà qu’on suivait alors, pour l’exécution des travaux, une marche toute différente de celle qui est adoptée aujourd’hui. Ainsi il n’y avait pas d’entrepreneur général, pas d’intermédiaire, et par conséquent pas de doubles bénéfices prélevés sur les matières premières. C’est toujours le maçon de mondit seigneur, le maître de l’œuvre, l’architecte enfin, qui passe directement les marchés avec les carriers et autres fournisseurs ; c’est lui qui achète la pierre, la chaux, le sable, le plâtre, enfin tous les matériaux nécessaires à la construction. En outre, il trace les épures (la devise), établit le toisé d’après les usages reçus (page 55), et, de plus, rédige, arrête et certifie les comptes dressés par lui, conformément aux marchés.
Quant à l’exécution des travaux, on voit qu’ils sont faits au toisé et presque jamais à la journée. D’ailleurs, en général, les marchés ne comprennent que la main-d’œuvre ; ainsi, dans le compte des maçons ou tailleurs de pierre, page 55, après avoir fait faire la fouille, on leur fournit encore, en outre de tous les matériaux, des cintres, cordes, engins et échafauds ; bien plus, à la fin des travaux, on fait enlever les gravois par des ouvriers à la journée, page 57.
Le mode de toisé est appliqué, dans ce compte, même aux vitraux peints, qui sont évalués au pied superficiel.