Céphale (J.-B. Rousseau)

La bibliothèque libre.
Céphale (J.-B. Rousseau)
Œuvres de J. B. RousseauChez Lefèbvre, LibraireTome I (p. 432-435).
CANTATE VIII.
CÉPHALE.[1]

La nuit d’un voile obscur couvroit encor les airs,
Et la seule Diane éclairoit l’univers,
Quand, de la rive orientale,

L’Aurore, dont l’Amour avance le réveil,
Vint trouver le jeune Céphale,

Qui reposoit encor dans le sein du sommeil.
Elle approche, elle hésite, elle craint, elle admire ;
La surprise enchaîne ses sens ;
Et l’amour du héros, pour qui son cœur soupire,
A sa timide voix arrache ces accents :
Vous, qui parcourez cette plaine, [2]

Ruisseaux, coulez plus lentement ;
Oiseaux, chantez plus doucement ;
Zéphyrs, retenez votre haleine.

Respectez un jeune chasseur
Las d’une course violente ;
Et du doux repos qui l’enchante,
Laissez-lui goûter la douceur.

Vous, qui parcourez cette plaine,
Ruisseaux, coulez plus lentement ;
Oiseaux, chantez plus doucement ;
Zéphyrs, retenez votre haleine.

Mais, que dis-je ? où m’emporte une aveugle tendresse ? [3]
Lâche amant, est-ce là cette délicatesse
Dont s’enorgueillit ton amour ?
Viens-je donc en ces lieux te servir de trophée ?
Est-ce dans les bras de Morphée
Que l’on doit d’une amante attendre le retour ?

Il en est temps encore,
Céphale, ouvre les yeux :
Le jour plus radieux
Va commencer d’éclore,
Et le flambeau des cieux
Va faire fuir l’Aurore.
Il en est temps encore,
Cépliale, ouvre les yeux.

Elle dit ; et le Dieu qui répand la lumière,
De son char argenté lançant ses premiers feux,
Vint ouvrir, mais trop tard, la tranquille paupière
D’un amant à la fois heureux et malheureux.
Il s’éveille, il regarde, il la voit, il l’appelle :[4]
Mais, ô cris, ô pleurs superflus !
Elle fuit, et ne laisse à sa douleur mortelle
Que l’image d’un bien qu’il ne possède plus.
Ainsi l’Amour punit une froide indolence :
Méritons ses faveurs par notre vigilance.

N’attendons jamais le jour ;
Veillons quand l’Aurore veille :
Le moment où l’on sommeille
N’est pas celui de l’Amour.

Comme un Zéphyr qui s’envole,

L’heure de Vénus s’enfuit,
Et ne laisse pour tout fruit
Qu’un regret triste et frivole.
N’attendons jamais le jour ;
Veillons, quand l’Aurore veille :
Le moment où l’on sommeille,
N’est pas celui de l’Amour.


  1. Apollodore, liv. iii, ch. xv, distingue deux personnages mythologiques, connus sous le nom de Céphale ; l’un, qui fut le mari de cette Procris, dont Ovide a chanté les amours et les malheurs, Métam. liv. vii. Tous deux furent aimés de l’Aurore ; mais l’époux de Procris ne voulut point lui sacrifier ses premiers feux, et l’on sait la vengeance cruelle qu’elle en tira. Celui dont il s’agit ici étoit fils de Mercure et de Hersé ; il eut de l’Aurore un fils nommé Tithon.
  2. Tous qui parcourez cette plaine, etc. Ces stances délicieuses, où
    le sentiment de la chose est dans le nombre même et l’harmonie
    du vers, rappellent le sommeil d’Issé, et la charmante cantatille
    d’Apollon :

    Vous, ruisseaux amoureux de cette aimable plaine,
    Coulez si lentement, et murmurez si bas,  : Qu’Issé ne vous entende pas !
    Zéphyrs, remplissez l’air d’une fraîcheur nouvelle ;
    Et vous, Échos ! dormez comme elle !

    Ces vers sont de La Motte, aussi supérieur à Rousseau dans l’opéra,
    que ce dernier l’est à La Motte dans tous les autres genres lyriques.
  3. Maiis, que dis-je ? où m’emporte, etc. Ce passage brusque et rapide
    d’un sentiment à un autre, et de ces vœux si paisibles pour
    le sommeil de Cépbale, au dépit chagrin de ne l’avoir pas encore
    réveillé, est aussi bien exprimé qu’habilement saisi par le poète,
    dans la nature même de la passion qu’il décrit. Il n’y a pas de
    femme qui ne doive se reconnoitre là.
  4. Il s’éveille, il regarde, etc. Ce tableau du réveil de Céphale,
    s’efforçant en vain de rappeler l’Aurore qui le fuit, et les couplets
    qui terminent la Cantate, en font, dans son genre, l’une des plus
    achevées du recueil.