Calligrammes/Dans l’abri-caverne

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Calligrammes
Poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916)
Mercure de France (p. 131-132).
DANS L’ABRI-CAVERNE


Je me jette vers toi et il me semble aussi que tu te jettes vers moi

Une force part de nous qui est un feu solide qui nous soude

Et puis il y a aussi une contradiction qui fait que nous ne pouvons nous apercevoir

En face de moi la paroi de craie s’effrite
Il y a des cassures

De longues traces d’outils traces lisses et qui semblent être faites dans de la stéarine

Des coins de cassures sont arrachés par le passage des types de ma pièce

Moi j’ai ce soir une âme qui s’est creusée qui est vide

On dirait qu’on y tombe sans cesse et sans trouver de fond

Et qu’il n’y a rien pour se raccrocher

Ce qui y tombe et qui vit c’est une sorte d’êtres laids qui me font mal et qui y viennent de je ne sais où
Oui je crois qu’ils viennent de la vie d’une sorte de vie qui est dans l’avenir dans l’avenir brut qu’on n’a pu encore cultiver ou élever ou humaniser

Dans ce grand vide de mon âme il manque un soleil il manque ce qui éclaire

C’est aujourd’hui c’est ce soir et non toujours
Heureusement que ce n’est que ce soir
Les autres jours je me rattache à toi

Les autres jours je me console de la solitude et de toutes les horreurs

En imaginant ta beauté
Pour l’élever au-dessus de l’univers extasié
Puis je pense que je l’imagine en vain
Je ne la connais par aucun sens
Ni même par les mots
Et mon goût de la beauté est-il donc aussi vain
Existe-tu mon amour
Où n’es-tu qu’une entité que j’ai créée sans le vouloir
Pour peupler la solitude

Es-tu une de ces déesses comme celles que les Grecs avaient douées pour moins s’ennuyer

Je t’adore ô ma déesse exquise même si tu n’es que dans mon imagination