Camille Lemonnier (Bazalgette)/2
OPINIONS ET DOCUMENTS
De Léon Cladel
Comment nouâmes-nous amitié ? Par hasard. En automne, un soir, il y a quelques années, au moment où
je me disposais à gagner les hauteurs voisines de mon
domicile, afin d’oublier, en présence du spectacle de la
nature, les basses actions des hommes (on portait en
triomphe, ce jour-là, le corps du pire des liberticides
au Père-Lachaise), le facteur rural me remit en mains
propres un très bel in-octavo dont tel est le titre : Courbet et ses œuvres ;
et ce livre illustré d’aqua-tintes par
MM. Collin, Desboutin, Courtry, Trimolet et Waltner,
était signé : Camille Lemonnier. « Un flamand », murmurai-je avec cette aversion instinctive des races du
Midi pour les froids septentrionaux, « oh ! ma foi, plus
tard ; aujourd’hui, laissons cela ». Néanmoins j’emportai le tome et le lus à l’ombre des chênes… Bien m’en avait pris de ne pas jeter ce volume au tas, ainsi
que les maréchaux des lettres y fourrent les essais de
leurs obscurs sous-lieutenants, car je rentrai chez moi
ravi, ne songeant plus à cette lugubre mascarade commencée, dans la journée, à Notre-Dame-de-Lorette,
continuée sur les grands boulevards et terminée enfin
au cimetière de l’Est. « Tenez, dis-je aux miens accourus à ma rencontre, voici quelqu’un ! » Et je leur montrai mon compagnon de route. « Apportez-le vite aux
relieurs, ajoutai-je, et qu’on le vête d’une couverture
fine et solide comme lui. » Puis j’adressai sur-le-champ à l’auteur un de ces billets sincères, sans rien de théâtral ni de convenu que se rappellent avec une
égale émotion, au bout de vingt ans, et celui qui l’a
envoyé et celui qui l’a reçu. La réponse du destinataire ne tarda pas à me parvenir. Un nouvel ami
m’était né. Curieux de mieux nous connaître, nous
correspondîmes pendant près d’un an, et bientôt il fut entre nous question d’une entrevue. Elle eut lieu
vers les premiers de juin, aux alentours de la porte
de Hal, à Bruxelles, en Brabant, d’où le conteur, à
qui nous sommes redevables de ces Charniers, dont
demeurera longtemps transi quiconque les aura parcourus, est originaire. Il suffit parfois d’un coup
d’œil entre eux échangé pour que deux hommes étrangers jusque-là l’un à l’autre s’aiment ou se détestent.
Or, si je ne parus pas être désagréable à qui m’accueillait à bras ouverts en son modeste paradis, où
dans le giron de sa tendre compagne rutilaient les
flamboyantes chevelures de deux petits anges féminins, s’il sied d’attribuer un sexe à ces créatures
immaculées ! il est certain que lui me plut beaucoup. Imaginez le plus authentique des Wallons
malgré sa structure germanique et son teint de
Batave ; un magnifique poil-roux aux yeux smaragdins, haut en couleur et découplé comme le Tombeau-des-Lutteurs lui-même, mangeant, buvant, tapant
comme un flamingant d’Audenarde ou d’Alost, avec
des jovialités rabelaisiennes et des outrecuidances castillanes, mais souriant aussi comme un pur parisien…