Caramel : histoire d’un singe/5

La bibliothèque libre.

V

Caramel acrobate


Caramel examine le porte-parapluie
Caramel examine le porte-parapluie


Bien entendu, tandis que toute la rue était en révolution, Caramel se faisait une pinte de bon sang.

Ah ! s’il eût eu l’esprit philosophique, combien notre singe se fût amusé de ces humains qui se prétendent les rois de la création et qu’un rien effraye !

Mais Caramel n’avait pas l’esprit philosophique.

Cependant, après cet exploit, Caramel ne se sentait pas l’âme tranquille et il comprenait qu’en rentrant chez son maître, M. Picrate pouvait lui faire payer cher son escapade.

Aussi hésitait-il à réintégrer son logis.

Caramel marche avec un parapluie
Caramel marche avec un parapluie

Oh ! bonheur ! Au moment où, néanmoins, il allait rentrer chez lui, penaud et la tête basse, voici que tout à coup il aperçut entr’ouverte la porte du voisin.

M. Caramel était fort curieux et la discrétion n’était point son fort.

Tout autre que lui eût compris qu’il n’est point séant de pénétrer ainsi chez un voisin sans en être prié.

Mais Caramel était un enfant du Congo, et il entra sans l’ombre d’un remords.

La première chose qu’il aperçut, en pénétrant dans l’antichambre, fut un long tube de porcelaine où des cannes voisinaient avec des parapluies, et tout contre, posé à même le sol, un superbe chapeau haut de forme, pareil à celui que portait M. Picrate quand il allait faire une visite de cérémonie.

Une minute, Caramel demeura en admiration devant ces objets hétéroclites.

Et il songeait, cherchant en son esprit de singe imaginatif quel usage il pourrait faire de tout cet attirail

Mais bientôt sa décision parut prise et irrévocable.

Caramel monte sur le toit
Caramel monte sur le toit
Caramel déploie un parapluie
Caramel déploie un parapluie

S’emparer d’un parapluie, se coiffer du chapeau haut de forme, fut pour Caramel l’affaire d’un instant.

Et cette vilaine action fut si vite consommée qu’Azor, le chien du voisin, en demeura stupéfait, n’osant point aboyer tant il était foudroyé par un tel sans-gêne.

Caramel marche en équilibre sur un fil
Caramel marche en équilibre sur un fil

Et voici Caramel qui sort.

Fier comme Artaban, il s’en va devant lui, au hasard. Il monte l’escalier jusqu’aux combles ; une fenêtre à tabatière se présente, il y passe le corps tout entier : le voici sur le toit.

Caramel tombe dans le vide.
Caramel tombe dans le vide.

— C’est le moment d’ouvrir mon parapluie ! songe-t-il.

Et il l’ouvre.

Puis il découvre un fil de fer qui retenait une immense cheminée de tôle. Alors Caramel se souvient de ses exploits au désert, quand, avec l’aide de son vieil ami le boa qui lui servait de corde raide, il émerveillait par son adresse lions, autruches et rhinocéros.

Il n’y a devant lui pour assister à ses périlleux exercices aucun de ses vieux amis du Congo, mais là-bas, tout là-bas, dans la rue, voici des personnes qui s’arrêtent, le nez au vent et l’œil en l’air pour le contempler !…

Des passant contemplent Caramel.
Des passant contemplent Caramel.

On ne serait point singe, si l’on n’aimait à parader en public, et Caramel, sur ce point, était doublement singe.


Caramel sur la corde raide.
Caramel sur la corde raide.
Caramel se lance sur la corde raide, court, fait des grâces et envoie des baisers à la foule qui l’applaudit.


Il se lança sur la corde raide, il courut, faisant des grâces, lançant des baisers à la foule qui l’applaudissait ; il paradait, il était heureux, quand…

Patatras !

Le poids du corps de Caramel a fait rompre le fil de fer, qui entraîne la cheminée, laquelle se fend à quatre ou cinq endroits et tombe dans la rue, au plus grand effroi des badauds qui se sauvent en criant comme des perdus.

Ah ! quelle cohue, mes amis !

Une dame, en agitant son parapluie, éborgne un vieux monsieur, qui se recule en beuglant, et fait culbuter un petit pâtissier ; du même coup, la banne que celui-ci portait sur la tête se renverse, et son contenu, un superbe vol-au-vent, va coiffer un sergent de ville ; voici le sergent de ville avec une écrevisse à son képi en guise d’aigrette ; il élève un bras et renverse une petite modiste.

Chacun crie, chacun hurle, chacun court, c’est une émeute, c’est une révolution !

Chacun crie, chacun hurle, chacun court.
Chacun crie, chacun hurle, chacun court.

Et pendant ce temps, que fait Caramel ?

Caramel est précipité dans le vide !

Pauvre Caramel ! le voilà mort !… sans aucun doute.

Allons donc !

Caramel est un garçon intelligent qui connaît les lois de la physique tout comme s’il avait fréquenté le collège ; la pesanteur des corps et la résistance de l’air semblent n’avoir aucun secret pour lui.

Caramel se sert de son parapluie comme parachute.
Caramel se sert de son parapluie comme parachute.

Il n’a point lâché son parapluie, Caramel, et celui-ci lui servant de parachute, le voilà qui descend mollement, comme si des mains invisibles le retenaient dans sa chute.

Les gens que les bruits de la rue ont attirés à leur fenêtre le regardent passer, stupéfaits, se demandant quel est ce Santos-Dumont d’une nouvelle espèce qui traverse aussi aisément l’espace.

Le parapluie de Caramel se retourne.
Le parapluie de Caramel se retourne.

Mais Caramel se rit de l’étonnement de toutes ces bonnes gens.

Un poing sur la hanche, il descend avec grâce, envoyant des baisers aux locataires ébahis.

Caramel est tombé dans bouche d’égout.
Caramel est tombé dans bouche d’égout.

Oui ; mais, par malheur, un égout est ouvert devant lui, et voici que Caramel tombe au beau milieu ; son parapluie se retourne, et au grand étonnement des égoutiers, qui, apercevant un parapluie qui s’engloutit sous terre, ne comprennent rien à ce mystère, Caramel entre tout entier dans l’égout dont il ne se tire qu’avec grand’peine.

Caramel ne se tire de l’égout qu’avec grand’peine.
Caramel ne se tire de l’égout qu’avec grand’peine.

Ah ! pauvre Caramel, que ne savais-tu lire !

Tu aurais vu, dans le bon La Fontaine, l’histoire de cet astronome qui, voulant connaître ce qui se passait dans les astres, s’est laissé choir dans un puits.

Ah ! il est joli, Caramel ! Rempli de boue, ruisselant d’eau sale, dégoûtant, mis à faire peur ! Le voilà bien puni de sa vanité.

Ah ! tu as voulu planer au milieu du ciel bleu et c’est dans l’égout que tu es venu choir !…

Caramel apparaït sale devant M. Picrate.
Caramel apparaït sale devant M. Picrate.

On est justement puni par où l’on a péché !…

— Quel est ce monstre ? s’écrie M. Picrate en voyant revenir son singe dans ce bel état.

— Mais on dirait Caramel !

— Ce n’est pas possible !

— Lui !

— Oui ! lui ! Et dans quel état !

— Mais il est dégoûtant et puant, le misérable !

— Mais où a-t-il pu rouler, le malheureux ? crie à son tour Stéphanie, qui se bouche le nez.

Car, en effet, ce pauvre Caramel ne sent pas précisément l’eau de rose.

— Ah ! ça t’apprendra à sortir ainsi tout seul et sans ma permission ! clame encore ce bon M. Picrate.

M. Picrate bat Caramel.
M. Picrate bat Caramel.

Et Stéphanie de renchérir encore et d’accabler l’animal de reproches, cependant que le bon M. Picrate lui administre une de ces volées de bois vert qui font certainement époque dans la vie d’un singe.

Caramel prend un bain.
Caramel prend un bain.

Et Caramel dut prendre un bain pour se débarrasser de toutes les immondices dont il était couvert.

Et Minou se moquait de lui, lui disant dans son langage de chat :

— Ca t’apprendra ! ça t’apprendra ! Si tu demeurais tranquille comme Jacot et moi, profitant paisiblement des bons soins de M. Picrate, tout cela ne t’arriverait pas. Mais non ! Tu veux faire l’intéressant, l’artiste ! Pauvre insensé ! Ignores-tu que le bonheur est dans la médiocrité ?

Il avait raison, le sage, le philosophe Minou ! Mais allez faire entendre raison à un singe !


Minou
Minou