Caramel : histoire d’un singe/9

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IX

Le cambrioleur


Le cambrioleur.
Le cambrioleur.


Hélas ! pauvre Caramel, tu ne devais pas mourir de cet accident ! Le sort te réservait d’autres destinées.

Une nuit que Caramel, à peine remis de sa blessure, sommeillait sur le pouf qui lui servait de lit, voici que tout à coup un grincement dans la serrure le tira de la torpeur où il s’engourdissait.

— Qu’est-ce que cela ? pensa-t-il en son âme de singe.

Oui, qu’était-ce qui arrivait ?

M. Picrate ronflait dans son lit, Stéphanie était remontée à sa chambre du sixième. Jacot dormait sur son perchoir et Minou ronronnait dans sa corbeille.

Qui pouvait venir si tard au logis ?

Voici que soudain, sous une poussée légère mais savante, la porte s’entr’ouvre. D’abord glacé de terreur, Caramel voit pénétrer dans l’appartement un homme de mauvaise mine, vêtu d’habits informes et couverts de boue.

Souvent Caramel avait entendu M. Picrate lire son journal à haute voix, et il savait ce que c’était qu’un cambrioleur.

Il connaissait ces hommes à figure sinistre autant que patibulaire, la petite casquette posée sur le coin de l’oreille, le foulard rouge autour du cou, la chemise de flanelle et le veston d’alpaga, les pantalons à pieds d’éléphant et le bout de la cigarette collé au coin de la lèvre inférieure.


Caramel voit arriver un cambrioleur.
Caramel voit arriver un cambrioleur.


Ah ! il était documenté sur l’uniforme de l’ « apache » de profession, notre bon et brave Caramel !

Aussi le reconnut-il tout de suite.

Aucun doute n’était possible, le singe avait bel et bien devant les yeux un authentique cambrioleur en personne !

D’ailleurs, comment douter en voyant l’homme de mauvaise mine sortir de sa poche une masse de fer recourbée du bout, tout un trousseau de clefs, un long couteau et un revolver ?

Bien entendu, Caramel tremblait et palpitait d’effroi, et son émoi était si grand qu’il s’était laissé glisser de son pouf et, caché derrière, ne perdait aucun des mouvements de l’homme à mauvaise mine.

Il le vit donc s’avancer vers le placard où, Caramel le savait, se trouvaient toutes les économies de son maître.

Que faire en cette occurrence ?

Le pauvre Caramel était tout indécis !

C’est qu’aussi jamais il ne s’était trouvé dans une si terrible situation.

Là-bas, sur les rives fleuries du Congo, on ne connaît pas l’horrible cambrioleur !

Jamais l’éléphant ou le rhinocéros ne s’est servi d’un instrument contondant pour aller forcer le secrétaire ou le coffre-fort de l’hippopotame ou de la girafe.

Heureux pays !

Oh ! si Caramel n’eût pas été effrayé, je suis persuadé que son âme de singe se fût révoltée de pareilles mœurs, et qu’il se serait dit, le naïf, en sa philosophie première, que décidément l’homme, qui se dit le roi des animaux, est bien inférieur au dernier de ses soi-disant sujets.

Appeler du secours ? Hélas ! Caramel n’avait pas, comme le vieux Jacot, le don de la parole.


Caramel observe le cambrioleur.
Caramel observe le cambrioleur.

Faire du bruit et éveiller l’attention des dormeurs ? Mais avant que M. Picrate fût debout, l’homme avait le temps de dévaliser la maison !

Alors, que faire ?

Caramel se torturait l’esprit, ne sachant à quel parti s’arrêter !

Enfin, un éclair illumina sa cervelle de singe !

— Eurêka ! se fût-il écrié certainement, s’il eût fréquenté l’école et eût été bachelier.

Le mieux était d’agir soi-même.

Caramel sauta sur le cambrioleur .
Caramel sauta sur le cambrioleur .

Nul besoin d’appeler à l’aide ; bien qu’il fût petit, Caramel était fort et adroit surtout, et, Dieu aidant, il arriverait bien à mettre en fuite ce cambrioleur maudit.

Et puis, qui sait si le cambrioleur ne tuerait pas le bon M. Picrate ?

Ma foi, le mieux était d’agir soi-même.

Aussi, se ramassant sur ses jarrets, d’un seul bond, Caramel sauta sur le cambrioleur qu’il agrippa à la fois et par son collet et par ses cheveux.

L’homme poussa un cri, ne comprenant point quel pouvait être son agresseur, mais se sentant pris, détala par la porte entr’ouverte.

Alors, ce fut à travers la maison une poursuite homérique.

Pensant qu’il avait le diable à ses trousses, et criant comme un perdu, le cambrioleur courait à travers l’appartement, renversant les meubles, faisant un tapage d’enfer.

Le cambrioleur se précipita par l’escalier toujours maintenu par la main de fer du singe.
Le cambrioleur se précipita par l’escalier toujours maintenu par la main de fer du singe.

Enfin, parvenant à la porte d’entrée qu’il avait laissée entr’ouverte, il se précipita par l’escalier qu’il grimpa, avec une allure d’écureuil, au hasard devant lui, et parvint sur le toit, toujours maintenu par la main de fer du singe qui ne voulait point lâcher sa proie et s’était collé à l’homme !

Mais une fois sur le toit de la maison, l’homme revint de sa première stupéfaction et comprit à quel genre d’ennemi il avait affaire !

Eh ! quoi ? Ce n’était qu’un singe !

Lui qui pensait avoir à ses chausses tous les diables de l’enfer, ou pour le moins toute la maréchaussée de France, il n’avait affaire qu’à un misérable ouistiti.

Oh ! oh !

Mais alors, que craignait-il ?


Caramel attaque le cambrioleur sur le toit.
Caramel attaque le cambrioleur sur le toit.


Ah ! il avait eu bien tort de se sauver ainsi, et de réveiller toute la maison qui, maintenant, devait être sur pied.

Le coup était raté !

Mais son agresseur allait passer un mauvais quart d’heure !

Alors une terrible lutte s’engagea entre le singe et le cambrioleur. Caramel mordait, griffait ; le cambrioleur tapait.

Hélas ! lutte inégale où le pauvre Caramel finit par avoir le dessous.

Caramel finit par avoir le dessous.
Caramel finit par avoir le dessous.

Un coup formidable de pince-monseigneur appliqué sur son crâne provoqua à Caramel un tel éblouissement qu’il perdit pied et tomba dans le vide.

Une minute après, il venait s’écraser sur le pavé, devant la porte d’entrée.

Au bruit de sa chute, Mame Michel ouvrit sa fenêtre, un passant s’arrêta, un sergent de ville accourut.

Comme bien on le pense, le vacarme qu’avait fait le cambrioleur en se sauvant avait réveillé toute la maison.

Caramel tombe dans le vide.
Caramel tombe dans le vide.

Les locataires épouvantés, et pensant que leur immeuble était menacé par un terrible tremblement de terre, s’étaient tous précipités aux fenêtres en criant :

— Au secours ! au secours !

Ce qui avait immédiatement réveillé les locataires des autres maisons.

Les sergents de ville étaient accourus.

Et, tout à coup, Mame Michel, qui était seule dans la rue, vit le corps du pauvre singe !

— Mais c’est Caramel ! fit Mame Michel en reconnaissant le singe, tandis qu’Azor, peiné, se sauvait à toutes jambes, n’ayant point le cœur d’assister à un aussi pénible spectacle.


Caramel blessé sur le trottoir.
Caramel blessé sur le trottoir.


— Qu’est-ce que Caramel ? demanda l’agent.

— Mais le singe que M. Agénor Picrate, le locataire du premier, a rapporté d’une de ses explorations au Congo.

— Mais il va mourir !

— Courons prévenir M. Picrate.

M. Picrate s’éveilla ; Mlle  Stéphanie descendit ; Jacot ouvrit un œil dédaigneux, Minou miaula lamentablement.

Avec des précautions inouïes, on monta le pauvre Caramel dans l’appartement du bon M. Picrate.


Caramel blessé sur le trottoir.
Caramel blessé sur le trottoir.


— Il faut envoyer chercher le vétérinaire ! clama Mlle  Stéphanie qui pleurait comme une fontaine.


Mlle  Stéphanie appelle à l’aide.
Mlle  Stéphanie appelle à l’aide.


— Oh ! j’ai bien peur que ce ne soit inutile, soupira M. Picrate.

Néanmoins Mme  Michel prit ses jambes à son cou et courut réveiller le vétérinaire le plus proche.

L’homme de l’art accourut.

Mais, hélas ! il était trop tard.

Il secoua la tête en murmurant :

— Rien à faire, il est perdu.

Après avoir adressé une dernière grimace à son maître, il envoya un dernier souvenir aux rives féeriques du Congo, que jamais, jamais plus il ne reverrait et Caramel mourut avec la consolation d’avoir sauvé son maître.


« Rien à faire, il est perdu. »
« Rien à faire, il est perdu. »


Comme on le pense bien, la mort de Caramel fit un bruit énorme par toute la ville.

Le souvenir de son sauvetage ne s’était pas encore éteint.

D’autant plus que l’on finit par savoir dans quelles circonstances le pauvre singe avait trouvé la mort.

Le méchant cambrioleur avait été arrêté, et, devant la justice de son pays, il avait fait des aveux complets, racontant comment le singe l’avait dérangé au milieu de sa sinistre besogne.

M. le préfet vint en personne trouver M. Picrate, et il lui dit :

— Votre singe a bien mérité de l’humanité ; il n’est pas d’usage d’élever des statues, sur les places publiques, aux animaux de la race simiesque ; sans cela, je me ferais un plaisir d’ouvrir une souscription. Mais je pense que ce serait magnifiquement honorer sa mémoire que de l’empailler et de le déposer au musée de la ville, avec une pancarte relatant tous ses exploits.

Mais, dans un sentiment de convenance que tout le monde comprendra, M. Picrate refusa cet honneur.


Cadet pleure devant la tombe de Caramel.
Cadet pleure devant la tombe de Caramel.


On l’enterra au fond du jardin, et sur sa tombe l’on grava ces quatre vers que le bon M. Picrate mit trois jours à composer lui-même :


Ci-gît le pauvre Caramel
Qui mourut pour sauver son maître ;
Or, si les singes ont un ciel,
Caramel a le droit d’y être !


Et Cadet, revenu à de meilleurs sentiments à l’égard du pauvre défunt, vint souvent pleurer sur sa tombe et lui demander pardon de tout le mal qu’il lui avait fait.



Caramel portant une croix.
Caramel portant une croix.