Carnet de guerre n°4 d'Alexandre Poutrain

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Les all. nous donnent l’ordre de nous aligner le long du train et de placer nos bagages devant nous. Dans la cour de la gare stationnent une dizaine de chariots, amenés, à raison d’une voiture par chaquevenus de dix des Communes du Canton. ⁁A tour de role Un habitant de chaque lachaque Com. pénètre dans la gare ; les all. confient à chacun d’eux un tronçon de cette file d’évacués. Ce tronçon est plus ou moins long, suivant l’importance de la Com. Guidés par ce français, les évacués vont caser leurs colis dans la voiture qui leur est désignée. La place restée libre est occupée par les personnes les moins valides ; les autres suivent à pied.

Dès que ce convoi se met en marche un autre tronçon de la ligne d’évacués avance vers sa voiture.

Ce n’est qu’en cours de route que ces malheureux apprennent qu’ils vont à Tégnières ou à Hon-Hergiesle nom de la Commune vers laquelle ils sont dirigés. Mais que leur importe ! ⁁partout ils vont vers l’inconnu.

Ce fractionnement et cet acheminement des évacués est long. Il est passé 23 h. quand arrive notre tour de partir. Mr  Senocq était venu nous rejoindre. Il avait amené pres de nous ce prêtre qui était arrivé de Boiry Ste  Rictrude, avec un chien.

Nous avons tout le temps de causer de Rose et des enfants. Joséphine et moi apprenons les vicissitudes que connurent Rose et les enfants au cours de leur séjour en évacuation. « Le chariot que suivaient Rose et les enfants le 9 Obre 1916 (seul Joseph, qui va avoir 5 ans, a trouvé place sur la voiture) les conduit à Malplaquet. Il est plus de minuit quand la voiture s’arrête sur la Place. De nombreux habitants s’empressent aupres des évacués. Chacun dit : « moi, j’en prends un ; j’en prends deux, trois, quatre.  » Mais personne ne s’offre de prendre hui une famille deune mère accompagnée de sept enfants et la mère. Rose et ses enfants, vont-ils être laissés pour compte ? là, abdandonnés ? Une évacuéeTante Lucie qui est seule propose de partager son lit avec une fillette. L’impression est donnée : les habitants emmènent un ou deux enfants. Rose les voit partir sans savoir ils vont ses enfants. Elle ne connait même aucun nom.

Elle reste avec Joseph, qui, pleurant, s’est cramponné à sa robe, ne veut pas quitter sa maman. La femme qui a emmené Rose, l’introduit dans une misérable petite maison, et met une botte de paille à sa disposition pour passer. C’est sur cette botte de paille que, adossée au mur, son enfant blotti contre elle, Rose a passé la nuit. Elle n’entrevit aucun dérivatif au chagrin immense qui l’en la submergeait.

Le lendemain on lui fit voir une maison neuve, dont on venait de vitrer les fenêtres la veille. Les murs ruisselaient d’humidité. Les pièces sont nues ; les murs ruissellentsuintent d’humidité. Un voisin s’offre de lui procurer des bottes de pailles !…

Une personne conseille à Rose d’aller au village voisin ; à la Longueville là elle trouvera plus facilement à se loger.

À la Longueville, Mr  Leck, brasseur, habite avec sa femme une maison presqu’ensise en face de l’Église. ⁁Ce Mr  est brasseur. La brasserie est située pas loin de là sur la rue de Maubeuge à Bavay. Depuis la mort des parents de Mr  Leck la belle et grande maison de la brasserie est inhabitée. Mr  et Mme  Leck ont l’amabilité de mettre à la disposition de Rose cette maison avec le mobilier et le linge dont elle aura besoin. Rose y arrive avec tante Lucie.

Tante Marie a trouvé à Malplaquet une toute petite cabanemaison, d’une seule pièce qui ne mesu. C’est là qu’elle va rester jusqu’au jour de son rapatriement.

Le Comité de ravitaillement Hispano fonctionne dans toutes les régions envahies. Mais ces localités, si voi près voisi proches de la Belgique pr bénéficient ⁁en partie du régime spécial dont jouit la Belgiquece pays. Les cultivateurs peuvent cultiver leur terre et disposent de leurs récoltes. Par contre tous les animaux sans exception sont recensés et les propriétaires ne peuvent en disposer. Les habitants doivent fournir aux all. ⁁des œufs, du lait du beurre et même du fromage, des œufs.

Dans ces conditions, le ravitaillement est moins abondant, en quantité et en variété, qu’il étaient à Croisilles. ⁁Plus tard, je sus que Rose et ses enfants ont souffert de la faim. Durant les quatre mois qu’a duré leur séjour à la Longueville Rose n’a pu qu’une seule fois se procurer 50 Kgr de p. de t.À La plupart du tempsdes repas, le plat de « résistance ! » était fourni par des rutabagas, payés ⁁achetésF 35 le Ko. Les enfants étaient écœurés de cette nourriture fade.

Dans q.q. Communes du canton de Bavay Dans le courant de Décembre, les all. annoncent un départ pour la France libre. Peuvent partir : les femmes et les enfants ; les hommes reconnus malades, ou âgés de plus de 60 ans. Rose et tante Lucie se font inscrire. Au jour convenu les partants se rendent à Bavay. Il est de règle que durant trois jours, ces personnes soient isolées à l’École Jeanne d’Arc. Elles couchent sur la paille. Q.q. personnes de bonne volonté font la cuisine pour tous.

Quand les 3 jours sont expirés, il y a contr’ordre : le départ est ajourné. Ces personnes sont renvoyées dans leur résidence. Toutes avaient cedé aux voisins les quelques provisions qu’elles possédaient : bois, charbon, q.q. ustensiles de cuisine. Certaines personnes, au retour, ne trouvent même plus de logement. C’est la détresse.

Rose revient à la brasserie. Mais bientot des gendarmes viennent, à l’improviste, s’installer à la Longueville. Ils prennent l’habitation de la brasserie. Brusquement, Rose, ses enfants, tante Lucie se trouvent sur la rue. De nouveau la famille est dispersée. Rose, tante Lucie, les enfants vont coucher sont recueillis par 5 ou 6 ménages qui se partagent ces neuf personnes.

Sur ces entrefaites Mr  Leck et un Mr  Brasseur sont emmenés en Allemagne comme otages de représailles. Mme  Brasseur n’a pas d’enfants, elle part retourne dans sa famille. Mais auparavant, elle laisse met à la disposition de Rose sa maison et le mobilier indispensable. Alex continue à se rendre chaque soir chez Mme  Gras. Il couche avec le fils de cette dame : Claude. Les deux enfants sont du même âge.

Vers le 2 Février 1917, nouvelles propositions de départ pour la France libre. Malgré la déception du mois de Décembre toutes les personnes, qui avaient essayé de partir, retournent à l’école Jeanne d’Arc à Bavay. Cette fois le départ eut lieu le 12. Les voyageurs pénétraient dans une salle où avait lieu la fouille des personnes et des bagages. De là les partants étaient acheminés directement dans les wagons. Rose eut q q. difficultés à faire passer Alex. Les all. prétendaient qu’il était plus âgé que l’âge déclaré. Soutenue dans ses affirmations par des concitoyens, elle put partir.

Les réfugiés de Malplaquet et d’autres villages sont partis deux jours plus tard le 14. Ma sœur Marie fit partie de ce convoi.

Enfin notre tour approche.

L’all. qui remplit les fonctions de chef de gare me propose de fermer avec un cadenas la porte du wagon en y laissant les provisions du ravitaillement. J’obtiens qu’il me laisseun délai de 2 jours pour enlever ce ravitaillement.

Quand nos bagages sont chargés en voiture, Mr  le curé de Boiry, Joséphine et moi montons dans la charrette de Mr  Senocq et nous partons à la Longueville : 5 Ktres. Nous descendons au presbytère. Le curé, Mr  l’abbé Sueur, était décidé à nous recevoir quand nous viendrions, Joséphine et moi. Mais il n’avait pas prévu l’arrivée inopinée d’un confrère. Je suis convaincu que l’abbé Hoyez ne s’aperçut pas de ce surcroît. La bonne Émilienne et un douanier retraité qui depuis le début de la guerre logeait au presbytère installèrent, en vitesse, un second lit dans l’une de 2 chambres qui nous étaient destinées. Mr  Sueur, tout simplement s’excusa de nous faire coucher, Joséphine et moi dans la même chambre.

Le lendemain matin, Mr  Senocq irait nous voir. De concert avec Mr  le Curé, nous envisageons ce que nous pouvons faire du ravitaillement que j’ai amené. Tous deux sont surpris que j’aie pu amener une telle quantité de farine, de riz, etc. Je vais aller trouver le maire, Mr  Boer, je lui demanderai de mettre à ma disposition un local à la mairie. Cette demande fut est agréée. J’apprends, qu’actuellement, il y a des évacués enfermés à l’École Jeanne d’Arc. Peut-être qu’il y as’y trouve-t-il des habitants de Croi. Dès cette 1re  journée, Mr  l’abbé Hoyez, Joséphine et moi mangeons avecà la table de Mr  le curé. De suite nos rapports sont agrémentés de la plus cordiale sympathie. Sitot après le diner, je pars seul à Bavay. Avant de me rendre à la commandature, je passe par la rue de l’école Jeanne d’Arc. De loin je reconnais la maison, un soldat monte la garde devant la maisonporte. Je marche lentement. Les fenêtres de l’étage sont garnies de xx monde à l’affut de distraction, dans cette rue où il ne passe personne. Je reconnais vite Mme   Delattre de Croisilles, sa mère Mme  Flament, d’autres personnes des environs. Je m’arrête face à l’homme de garde. Je le dévisage ayant l’air de me demander ce qu’il fait là. Puis machinalement, je lève les yeux avant de continuer mon chemin. Par son geste expressif, Mme  Delattre me fait comprendre que ces personnes ont faim. À peine ai-je fait quelques pas, que je me retourne vivement, comme si quelqu'un m'interpellait du bout de la rue, je lui fais signe de la main et je lui crie de toutes mes forces : « Oui nous sommes tous partis de Croisilles. Joséphine et moi sommes logés à la Longueville chez Mr  le curé. » L'allemand avance pour voir la personne qui interpelle. Cette curiosité permet à Mme  Delattre de me faire signe qu'elle a compris, qu'elle écrira.

À la commandature, je trouve le même all. que la plupart des commandants de Croisilles. Il est hautain, dédaigneux, méprisant. Il ne comprend pas que l'on m'ait laissé emmener ce ravitaillement. Il me remet un sauf-conduit pour le transporter à la Long. Il ajoute : « il vous est formellement interdit de le transporter partout ailleurs ; je vous ferai surveiller. »

Je lui demande un laissez-passer pour visiter mes administrés répartis dans le canton de Bavai. J’ajoute qu’il est indispensable que je sois accompagné d’un secrétaire ; je demande le même laissez-passer pour ma fille.

Le com.t me regardedévisage d’un air indéfinissable, puis me donne ce laissez-passer commun, valable un mois.

Au sortir En sortant de la comture je m’informe du boulanger qui fournit le pain aux sequestrés de l’école Jeanne d’Arc. Je conviens avec lui que je vais lui remettre demain six sacs de farine, destinée à augmenter la ration de pain des personnes qui doivent être rapatriées.

Le boulanger conservera l’excédent de farine pour les départs ultérieurs.

Le lendemain, j’accompagne le chariot à quatre chevaux et les deux hommes que Mr  Senocq a mis à ma disposition pour transporter ce ravitaillement. Quand la voiture est chargée, nous allons à l’école Jeanne d’Arc. Pendant que les deux hommes prennent l’un un sac de riz, l’autre un sac de haricots, au milieu duquel se trouvent des p.de t., je montre au planton à l’allemand de garde ma carte de commissaire du ravitaillement Hispano. Ce planton ne comprend rien, il est tout surpris de notre façon d’agir, et nous regarde passer sans réagir.

J’informe ces pensionnaires que leur ration doit être augmentée. Ensuite nous déposons six sacs de farine chez le boulanger et nous rentrons à la Long. sans encombre.

Il se trouve à la Longuev. des évacués de plusieurs Com. de chez nous, notamment de Cagnicourt, de Boiry. Mr  Danel, inspecteur des raperies d’Escaudœuvres, vient s’informer de mes intentions. Je lui réponds que nous allons mangerpartager ce ravitaillement tous ensemble. Séance tenante, nous convenons que nous ferons chaque semaine une distribution comme à Croisilles. Pour simplifier la comptabilité, dont Mr  Danel se charge, nous porterons au nom de la Com. la totalité des denrées réparties entre les habitants d’un même village. Les évacués devaientvront se présenter à la distribution, groupés par Com..

Joséphine et moi parcourons les rues de la Longueville, ébauchons la connaissance de nos nouveaux concitoyens. Mr  le curé nous avait indiqué quelques familles qui avaient spécialement rendu service à Rose. Nous allons rendre visite à Mr  Senocq ⁁cultivateur et marchand de chevaux : il est veuf. Sa mère encore valide tient son ménage. Il a une jeune fille d’une vingtaine d’années. Nous allons voir rendons visite à Mme  Leck ; ⁁nous allons voir la dame chez qui Alex allait coucher et un cultivateur en face, qui, de temps en temps, livrait du lait en cachette à Rose.

Puis nous entreprenons de visiter les Com. du canton. Mr  le curé nous procure un attelage : un fort poney et son att sa charrette découverte. La propriétaire est une bonne vieille dame qui nous confie son équipage moyennant 5 marks par jour. Elle est la belle-mère d’un Mr  Valère, voyageur en brasserie, chez ma belle-sœur Louise Duquesne.

Nous constatons qu’un grand nombre de Croisilliens sont ont été rapatriés. À Taisnières, nous trouvons la famille Grandy.

À Malplaquet la famille Froment est installée à l’écart du village, sur la grand-route de Bavay à Binche (Belgique). Quatre personnes. La belle-mère, la mère et ses deux enfants. Elle ne peuvent partir parce que les all. n’autorisent pas le départ du fils qui a 17 ans.

Ces dames personnes nous disent qu’elles ont faim. Joséphine et moi décidons de leur porter de la farine, du riz, des haricots.

Par une belle journée de fin de Février, nous avons mis mettons sous la banquette ⁁de la voiture deux fonds de sac du riz, des haricots, et 30 kgr de farine, et nous partons pleins de confiance : nous n’avons encore rencontré qu’une fois les gendarmes en patrouille. Quand nous sommes en pleine campagne, le temps exceptionnellement beau agréable nous incite à marcher derrière la voiture. Nous avons jeté négligemment la couverture sur la banquette. Cependant, placée de biais, elle dissimule les sacs. Nous suivions un chemin encaissé. Nous approchions de la grand’route, que traversait notre chemin à 90 mètres de là. La maison habitée par la famille Froment se trouvait à cent mètres à droite sur cette grand’route. Deux gendarmes à cheval débouchent, venant de Bavay. Ils s’arrêtent tournés vers nous, nous dévisagent, hésitent… Joséphine et moi continuons à causer avec un calme impassible. Les all. font mine de continuer leur route, mais s’arrêtent de nouveau vers le milieu de la croisée. Évidemment ils font cette feinte pour se rendre compte si nos visages ne vont pas déceler quelque chose. Mais tous les deux étions aguerris depuis longtemps. Les all. continuent leur route. Cependant avant de disparaître, l’un d’eux se tourne encore vers nous.

Nous avons toujours eu, en toute circonstance, une chance providentielle.

Vers ces jours là, François de Boiry Ste Ric. vient rejoindre sa famille à la Longueville. J’ai raconté plus h. précédemment qu’il avait été arrêté à la suite de la mort du soldat, frappé à son coté d’une balle perdue. François fut emmené à Fontaine après q. q. jours de prison, il est passé en conseil de guerre. Il fut acquitté et dirigé sur Bavay.

Dans les premiers temps de mes nos allées et venues au milieu de ces populations, je fus très surpris d'être interrogé à plusieurs reprises sur les motifs de notre départ de Croisilles. Des personnes, bien intentionnées, nous demandent avec une candeur surprenante : « Pourquoi avez-vous quitté votre village ? Comment se peut-il que vous ayez abandonné votre maison, votre mobilier ? » La La guerre a passé dans cette région, au-dessus et à coté des populations. On ne voit nulle part la moindre que de rares traces de combat. Les habitants ne soupçonnent même pas ce que c'est qu'est la guerre !

Dans toute cette région de pâturage, les maisons ne sont pas groupées comme chez nous ; les fermes sont séparées par des pâtures.

Un peu au-delà du presbytère habité un douanier retraité. Mr  et Mme  Barbet ont recueilli leur fille, mariée depuis q.q. années et dont le mari est aux armées. Ils ont offert un asile à Mr  et Mme  Lalou. Ce Mr   Lalou, qui a passé la soixantaine, est maire de Boiry St  Martin. Dans la maison au dessus, sont installés Mr  et Mme  François et leurs deux jeunes filles ⁁ainsi que Mlle  François. Il y a encore dans ces parages Mlle  Bury, jeune fille de 28 ans, ⁁jeune institutrice à Cagnicourt. Joséphine noue avec ces trois j. f. des relations agréables.

Mr  Lalou, Mr  François venaient assez souvent au presbytère. On causait, on faisait une partie de carabin. Mr  Lalou avait la main pour faire les xxxx réparations aux objets usuels. Je vois encore la désolation de Joséphine un jour qu’elle avait coincé la tige de la pompe, Mr  Lalou arriva bien à propos pour rétablir le fonctionnement. Je ne parle pas de Mr  Hoyez, curé de Boiry St  Martin et Ste  Rictrude, ce prêtre est resté peu de temps à la Longueville. La paroisse de Bellignies (si ma mémoire est exacte), n’avait plus de prêtres, Mr  Hoyer y est allé exercer son ministère.

Les habitants de la Longueville s’approvisionnaient en charbon à Labouverie, en Belgique. Cette fosse se trouvait trouve à q.q. Ktres de la frontière, au-delà de Malplaquet. De concert avec les autres cultivateurs, Mr  Senocq organisait de temps en temps un convoi de voitures en vue de l’approvisionnement de la population.

Quelques jours apres notre arrivée, Mr  Senocq organise un voyage à la ferme afin de procurer du charbon aux évacués.

À chaque voyage une cultivateur, ou tout autre personne, accompagnait les voitures. C’était le convoyeur, chargé de remplir les formalités à la Fosse la frontière, à la Fosse, de régler le charbon et de surveiller le convoi. Mr  Senocq me propose d’accompagner ce convoi. Il me dit qu’il a entendu parler vaguement d’évacués qui seraient arrivés en Belgique, dans ces localités.

Vainement, j’ai parcouru les rues de Labouverie, j’ai questionné des habitants, je n’ai recueilli aucune indication. Dès mon arrivée à la Longu. j’avais confié à Mr  le Curé, que j’avais près de moi apporté la comptabilité du ravitaillement et que je voudrais bien mettre en lieu sûr ces documents qui intéressent dix huit Com.. Mr  l’abbé Sueur me dit : « Ma sœur est Prieure au couvent des Dominicaines à Maffle, pres d’Ath. Si vous pouviez lui porter vos registres, ils seraient en sécurité. » Avec Mr Senocq, nous envisageons la possibilité d’exécuter ce transfert. Sa plus grande difficulté consiste à franchir la frontière, au-delà ce transport a grand chance de réussir, à la condition de faire la route à pied : soit 28 Ktres en partant de Labouverie. Mais comment franchir ce poste frontière gardé par des soldats ? Nous abandonnons vite la possibilité de passer en tenant ce colis à la main : il est trop volumineux. Évidemment, ces documents n’ont rien de compromettant, mais si les all. s’en emparent, ils vont les examiner minutieusement, les transmettre à un bureau en vue de rechercher tout indice d’espionnage. Pendant ce laps de temps, je serai arrêté pour de longs mois.

Mr  Senocq nous dit : « Les conducteurs emportent du foin pour leurs chevaux, je n’ai vu qu’une fois vérifier le contenu de ces bottes de foin. Si vous voulez risquer ?… » C’est ce que je fis.

Cette fois encore la Providence m’a protégé. Nous étions partis à cinq voitures. J’étais monté sur le chariot de Mr  Senocq, assis sur un coté, je ménageai mes jambes pour la suite du voyage. L’attelage était de 5 chevaux, donc cinq grosses bottes de foin, car la cinquième ne comportait que la quantité de foin nécessaire pour cacher mon colis. Est-ce ma présence sur ce chariot cette voiture qui a attire l’attention du soldat ? L’allemand monte dans sur la voiture, soulève les 4 premières bottes, pour soulever la 5ème, il fallait qu’il se déplace. À ce moment le soldat me regarde et descend.

Nous étions au début du mois de Mars ; le temps était incertain ; un brouillard épais pouvait tomber en pluie. J’assujettis mon colis aux épaules et jette ma pèlerine par dessus. Je me rends compte que cette bosse doit attirer l’attention des personnes qui me voient passer ; mais je n’ai pas pensé à envelopper mes cahiers registres dans ma pèlerine pour les garantir contre l’humidité.

En approchant de St  Ghislain, je vois une petite tour en bois à vingt mètres sur la droite du chemin que je suis. Au même instant, je constate qu’un all. tourne lentement autour de cet édicule, examine minutieusement l’horizon, il a une longue vue. Je constate qu’il s’attarde à me regarder. Je me crois pris. Que faire ? Je ne puis fuir, le pays est plat, complètement à découvert. Je ne puis même pas modifier mon accoutrement. Je continue ma route. Quand je suis en face du poste, le soldat me regarde passer. J’appris au retour que c’était un poste de surveillance des avions.

Le temps se met au beau. Le soleil dissipe le brouillard, j’ai un temps superbe. À Maffle la sœur de Mr  le curé m’accueille avec une joie qu’elle ne cherche nullement à dissimuler. Il y avait bien des mois qu’elle n’avait reçu une lettre de ses frères France. Elle me questionne sur la santé, la situation de ses frères. Car elle a un second frère curé à St  Waast la Vallée. Je suis allé le voir avant d’entreprendre ce voyage.

Mr  le curé m’avait recommandé de lui donner force détails sur notre vie à Croisilles ; il avait recommandé à sa sœur de me questionner. Elle s’intéresse beaucoup aux détails que je lui donne.

Le lendemain de bonne heure, je prends le chemin du retour. Je dois être à Labouverie entre vers 15 h. pour convoyer une voiture de charbon, venue afin de me faciliter le passage de la frontière. Je traversais Paturages, quand j’aperçois Léon Milon qui vient vers moi. Il m’apprend que le 20 Février, apres trois jours de marcheles all. ont conduit leur colonne dans un baraquement aux environs de Douai. Il y avait là des évacués, il en vint encore le lendemain et le surlendemain. Les all. les ont amenésen ch. de fer à St  Ghislain les vieillards, les hommes inaptes au travail. Michel est avec lui, mais nous ne l’avons pas trouvé. Par hasard il me cite le nom d’une dame Bury. Cette dame, dit-il, vivait aupres de sa fille institutrice à Cagnicourt. Les all. les ont séparées au cours d’une évacuation. Nous allons la voir. Je ne saurais décrire les transports d’émotion de cette mère en apprenant que sa fille est à la Longue.

À q.q. jours de là je demande à Mr  Senocq s’il ne serait pas possible que je conduise Mlle  Bury voir sa mère. Nous convenons qu’il va demander un laissez-passer autorisant cette demoiselle à aller chercher du charbon accompagnée d’un domestique.

C’est ainsi que nous sommes partis tous deux un matin avec le poney et sa charrette. Nous sommes allés directement à Pâturages chez Mme  Bury. Je suis revenu charger 300 Kgr de charbon. J’ai mis mon cheval à l’écurie à Labouverie et suis retourné à Pâturages. J’ai vu Michel et Milon. Vers 15 h., nous avions franchi la frontière, nous revenions paisiblement à pied à La Longue.

À la fin de Février, au début de Mars, il y eut nous avons joui d’une courte période de temps relativement beau ; mais ensuite il survint une recrudescence de l’hiver, qui se prolongea jusqu’apres Pâques. Vers le 18 Avril il est encore tombé de la neige.

Joséphine et moi profitions des jours sans pluie pour visiter les re évacués les repartis dans le canton. Un jour en passant à Malplaquet un Mr  Vanesse nous invite à entrer chez lui. Il nous dit qu’il nous connait, qu’il a entendu parler de nous par Mme  Fontaine qui logeait d chez lui. Il nous conduit voir le logement de Mme  Losties, ma sœur. C’est tout simplement une cabane d’une seule petite pièce basse… [illisible]

Nous voyageons beaucoup à pied. Mais à la fin du mois le comt refusa de renouveler le laissez-passer de Josép. .

Cependant le temps passait, nous étions toujours occupés. Joséphine aidait Émilienne, entretenait notre linge, nos vêtements. Aidées des Dlles François, Bury, elle remit en ordre les linges d’autel, les ornements sacerdotaux.

Quant à moi, grace à mon laissez-passer permanent, j’avais parfois l’occasion de rendre service : j’allais à Bavay chercher des médicaments pour des personnes malades, je servais d’intermédiaire entre personnes qui habitaient des localités différentes.

Quand le temps fut propice aux semailles, j’ai de temps en temps conduit un attelage aux champs, chez Mr  Senocq. Profitant de mon laissez-passer, je suis allé à Obies herser les patures de Mr  Senocq. J’ai conduit des bœufs chez lui ; je fus surpris de leur docilité à répondre à la main. J’ai même attelé un jeune bœuf.

Nous jardinions également chez Mr  le curé. Son enclos était assez grand. MM. Lalou et François se joignaient à nous, le travail avançait vite. Mr  le curé venait nous appeler pour faire de temps en temps une partie de carabin. Mais nous étions toujours sans nouvelles de notre famille.

Un jour cependant à Taisnières un habitant qui avait hébergé Mr  Dujardin, me remit communiqua une carte de son fils prisonnier en All.. Mr  Dujardin avait expliqué à ses hotes que mon fils Louis et mon neveu Jacques Losties étaient partis de Croisilles avant l’occupation, que nous n’avions jamais eu de leurs nouvelles. Nous supposions que ces jeunes gens étaient chez leur oncle Dujardin à Hautesavesnes ou chez l’oncle Duquesne à la Tronche près de Grenoble. Muni de ces simples indications, transmises à l’a par cartes ouvertes, comment ce soldat prisonnier a-t-il pu transm donner ces renseignements ? qui sont exacts ?

« Le cousin Louis brigadier, son cousin Jacques, qui fait ses classes, il vont bien. »

Je compris alors que Louis s’était engagé, puisqu’il était brigadier. C’était exact.

Vers la fin du mois de Mai, les all. affichent que les évacués, qui se trouvent dans les conditions requises pour être rapatriés, doivent peuvent se faire inscrire. Joséphine et moi sommes en tête de cette liste. François ne veut pas se faire inscrire. Il ne veut pas donner aux all. la satisfaction d’opposer un refus à sa demande. Je lui réponds que toute avanie, venant d’un all. me laisse indifférent. J’ajoute que, ne faisant pas la demande, il est certain de ne pas partir, alors que moi, je cours la chance d’être accepté.

Depuis longtemps, je ne me rasais plus. Je ne coupais plus les q.q cheveux qui me restent autour de la tête, les poils du cou. Cette négligence me donnait un air minable.

Je vais trouver le Dr  à Bavay. Je le connaissais bien. La bonne m’introduit dans la salle à manger. Il finissait de dîner. Nous prenons Tout en prenant le café, le Dr  me dit : « Vous êtes un singulier client. C’est la 1re  fois que l’on me demande d’indiquer une maladie possible imaginaire. Vous me mettez dans l’embarras. Bien que votre teint ne s’y prête pas, dites que vous souffrez du foie. Les all. ne pourront y aller voir.  » Le Dr  m’indique le point douloureux et la douleur que je dois ressentir. À q.q. jours de là, je rencontre le ce Dr  sur la route. Il saute à bas de bicyclette, me fait passer l’examen médical : « Vous souffrez du foie ? Montrez-moi à quel endroit… Ah ! non, ce n’est pas là, c’est là. Ne vous trompez plus. Bonne chance. »

Un samedi matin, j’allais déjeuner, un all. me remet l’ordre d’aller me présenter à la visite le à Bavai le lendemain à 8 h. Je ne déjeune pas, je décide de ne pas manger, de ne rien absorber avant cette visite, car la faim me déprime, me tire les traits. Je vais encore une fois prendre mon attelage, et je fais une tournée d’adieu aux amis et connaissances. Quand j’arrive à midi chez Grandy, je trouve la famille installée à la table de leurs propriétaires. Malgré l’insistance de tous, je n’ai rien accepté, pas même un verre d’eau. Au moment des adieux, Grandy me dit : « Vous allez les rouler pour la dernière fois. Certainement vous partirez. Bon voyage » Mme  Grandy m'avait demandé d'aller voir son père à xxx si par hasard j'allais chez Pruvost à Bourthes.[1]

Le soir quand tout le monde est couché, je vais à la remise scier du bois, je me mets en transpiration. Puis armé d’un balai, je ramone les parois, la toiture dans le but de cacher mon teint coloré sous cette poudre spéciale. Vers le matin je me promène pieds nus dans la pâture. J’escompte que la rosée, la fraicheur de l’herbe vont augmenter ma faim, accentuer encore la dépression de mes traits.

Nous sommes cinq de la Longueville à passer cette visite. J’emportais un copieux déjeuner, que je dépose à proximité de la commandature.

Quand mon tour arrive, à peine ai-je franchi la porte que le Dr  m’arrête de la main ; il ne veut pas que je l’approche, il me regarde avec une expression de mépris et de dégout. « Vous voulez partir ? — Oui. » Il m’inscrit et me congédie.

Lorsque je rentre à la Longueville, la première personne que je rencontre c’est François, qui attend sur la route. Je fus peiné en voyant l’expression de regret qu’il ne put dissimuler. Nous avions été admis à partir tous les cinq.

Le 26 Mai 1917 nous nous rendons à l’école Jeanne d’Arc à Bavai. Le 29 au matin, ⁁nous passons la visite et les all. nous acheminent à la gare. Nous passons la visite et nous montons dans le train. Nous sommes huit par compartiment dans des wagons de 3ème classe. Nous sommes sous la garde d’un all. par wagon. Nous avons pour compagnons de route : Mr   et Mme  Lalou, Mme  Bernard, femme de l’instituteur de Boiry Ste  Rictrude et trois autres personnes.

Nous partons par l’All. et la Suisse. Le voyage dure trois jours et deux nuits. En cours de route, les all. nous donnent le matin du bouillon chaud ou du café. À midi et au soir, nous descendons, nous mangeons dans la une gare.

Quand nous sommes en Suisse, à chaque station, les habitants nous font des ovations, nous offrent des consommations, des gateaux, du chocolat, des bouquets aux couleurs de la France.

Dans l’apres midi du 3ème jour, nous arrivons à xxx les all. nous remettent aux autorités françaises. Nous sommes reçus à la gare où nous faisons un arrêt de pres de 2 heures. Des dames, des messieurs s’empressent autour aupres de nous. Nous avons recevons un accueil empreint d’une telle sympathie qui nous émotionne. Chacun de nos groupements est accaparé par une personne qui se met à sanotre disposition pour luinous procurer tout ce dont il anous avons besoin. Les enfants en bas âge reçoivent des vêtements.

Si mes souvenirs sont exacts, Joséphine et moi fûmes séparés, du fait qu’une jeune fille l’entraina, pendant qu’un jeune homme insistait pour me m’emmenait au café, insistait pour me faire accepter des gateaux… s’intéressait à notre vie durant l’occupation. Il me propose de me faire couper la barbe, les cheveux. « Il vaut mieux, dit-il, que vous vous présentiez à votre famille tel qu’elle vous a toujours vu. » Avant que cette coupe ne soit terminée, il va en régler le prix.

De nouveau nous sommes en chemin de fer pour notre dernière étape.

Nous arrivons à Évian vers 19 heures. Le maire, q.q. personnes nous attendent. Nous sommes conduits dans une salle immense ; on nous offre un repas chaud. Le maire nous fait un discours très aimable, tout émaillé de fleurs de rhétorique.

Nous sommes acheminés par groupes vers des hotels où nous passons la nuit. Le lendemain les chefs de famille passent dans un bureau où 3 ou 4 personnes messieurs installés chacun à une table nous demandent si nous avons des réclamations à formuler, des si nous pouvons donner des renseignements. Je constate que cet interrogatoire n’est qu’une simple formalité. Ce monsieur qui se trouve en face de moi, ne s’intéresse pas aux indications que je lui donne sur l’emplacement de dépôts de munitions à Noreuil. Il est inutile que je lui précise ces emplacements sur la carte d’État Major, que je vois sur la table. Il est vrai que depuis 3 mois le front s’est déplacé comme je vais l’apprendre par mon beau-frère.

Nous passons dans un second bureau. Ici nous déposons tous les Bons Communaux que nous possédons. On nous remet deux cents francs en monnaie courante ⁁par personne, et un reçu qui nous donne droit à toucher chaque mois, chez le percepteur de la localité où nous nous trouvons résidons, un pourcentage de la somme que nous avons déposée en Bons.

Dans un 3ème bureau, on a classé les lettres des personnes qui⁁ habitent au Sud de Paris et de la Normandie et ont réclamé des parents ou des amis à leur arrivée à Évian. Ces privilégiés reçoivent une feuille de route qui leur donne droit à la gratuité du parcours, jusqu’à destination. Les rapatriés qui ne sont pas réclamés, mais qui désirent aller chez telle personne dont ils donnent l’adresse, sont hébergés à Évian durant 4 ou 5 jours. Passé ce délai, s’il n’est pas arrivé une réponse, aux termes de laquelle les personnes sollicitées s’engagent à recueillir et à pourvoir à la subsistance des évacués de ces rapatriés, ces derniers sont dirigés sur un centre d’évacuation. Quant aux rapatriés qui n’ont ni parents, ni amis au delà de Paris et de la Normandie, ils non réclamés, ils sont immédiatement dirigés vers certaines villes, telles que Lyon, Bordeaux, Angers, Clermont Ferrand, etc. et sont répartis dans ces villes et dans les campagnes environnantes.

Joséphine et moi étions réclamés par mon beau-frère, J. D. à la Tronche par ma sœur Marie, Mme  Losties. Nous sûmes par sa lettre qu’elle était installée à Angers. Elle avait été réclamée par Mr  Énaud de Loudéac. Rose et moi nous étions donné rendez-vous à la Tronche.

Nous ne pouvions plus partir ce jour-là pour Grenoble où nous serions arrivés la nuit. Nous allons rejoindre à l’hotel les personnes qui attendent anxieusement une réponse à leur lettre.

Le lendemain, je ne me rappelle plus par suite de quelle circonstance, nous n’arrivons à Grenoble qu’apres 19 h.

Nous n’avions pas annoncé notre arrivée, nous voulions faire la surprise de nous présenter. Je n’étais jamais venu à Grenoble ⁁bien que mon beau-frère J. D. fût professeur de Droit à cette faculté depuis 10 ans. Mais Joséphine y était venue passer q.q. temps, elle reconnait bien le chemin de la Tronche.

En approchant de la villa St  Aurat, j’ai le cœur serré, je redoute d’apprendre de mauvaises nouvelles de Louis.

C’est ma belle-sœur Madeleine qui vient ouvrir la porte sur la rue, mais c’est Louis que je vois d’abord derrière elle, il était en permission. Quand nous entrons dans la maison, la bonne avait crié la nouvelle, Rose accourt, les enfants, déjà couchés, s’étaient élancés pieds nus[2].

Il manquait 2 enfants pour que la réunion soit complète. Apres les vacances de Pâques, Eugénie et Juliette sont parties en pension à Jeanne d’Arc. Dès le mois d’Octobre 1914, ce pensionnat ⁁a quitté Arras et s’est installé à Berck. Mon beau-frère Joseph, qui est attaché au Service des renseignements à Paris, a profité d’un congé pour conduire ses nièces à leur pensionnat.

Le lendemain matin, Louis et moi allons au bureau de la Place demander la prolongation de la permission à laquelle Louis a droit, du fait de mon arrivée. Louis obtient 3 jours, alors que s’il avait été à son Corps il aurait eu 5 jours.

Louis est sous-officier il est affecté au xx Rt d’artillerie.

Le jour de ses 18 ans, le 18 juin 1915, Louis s’est engagé au xxx en garnison à Lyon. Apres six mois, quand ses classes sont terminées, Louis arrive à Verdun au début de l’attaque. ⁁Il se présente à son capitaine ⁁qui le fait causer etpuis lui dit : « Jeune homme, vous arrivez bien à propos. Ma batterie est en débandade. Je n’ai plus d’officier. Sur quatre officiers, trois viennent d’être tuéssont tués, ne sont pas remplacés, le 4ème est à l’hopital. Je n’ai plus qu’un maréchal des logis et un brigadier. Je n’ai personne pour remplir le rôle d’observateur ; je vais vous confier ce poste. » Au bout de q.q. temps Louis est nommé brigadier et six mois apres marechal des logis. Il remplit encore actuellement le rôle d’observateur, il n’a jamais fait autre chose, même quand la batterie fut reconstituée. ⁁Il fut observateur durant toute la durée de la guerre. Un jour que Louis se trouve dans la tranchée, il dit à ses camarades d’infanterie, qui sont autour de lui : « Je vais essayer de ramper jusqu’à ce trou d’obus là-bas à 20 mètres en avant, il me semble que j’y serai mieux placé pour observer le tir de ma batterie. » À peine y était-il installé, qu’un obus tombe sur la tranchée à l’endroit qu’il vient de quitter, tue les camarades qui se trouvaient aupres de lui. xx Louis n’a jamais reçu la moindre blessure.

Un jour que la batterie est au repos, un officier lui propose de l’accompagner pour aller choisir l’emplacement des pièces. Au cours de cette reconnaissance, ils les 2 hommes se rendent compte que l’air est vicié. Ils en furent quittes pour être incommodés durant q.q. heures.

À plusieurs reprises le capitaine veut envoyer son jeune observateur à l’École de Fontainebleau. Louis a toujours refusé : il ne tient pas à devenir officier.

Quand son congésa permission est expirée, Louis rentre au Corps apres une absence de 18 jours. À ses dix jours de permission, il faut ajouter les 3 jours supplémentaires dus à mon retour, plus les ⁁2 voyages, avec toutes les longues pauses dans les gares et les multiples complications des transports. Lorsque Louis arrive, la batterie est groupée devant le capitaine. Louis va saluer son chef. Ce dernier, sans attendre aucune explication, admoneste son maréchal des logis « Que ferait-on si à la batterie, il y avait beaucoup de Poutrain ? Vous viendrez tout à l’heure me trouver à mon bureau, je vous infligerai votre punition. »

Quand Louis se présente au bureau explique le motif de son retard, le capitaine lui dit : « Malgré vos explications, voici la sanction que je vous impose : je vous inscris d’office pour le premier concours d’admission à l’École de Fontainebleau. Louis lui répond que ses études ont été orientées vers les lettres, qu’il n’a pas fait de sciences. Qu’à cela ne tienne ! répond le capitaine, je vous donnerai des leçons, ce qu’il fit.

Quelques mois plus tard Louis entrait à cette École transférée à xxx.

Louis est revenu officier titulaire de la Croix de Guerre et de plusieurs citations.

Pour le moment, nous sommes à la Tronche, tout à la joie de nous retrouver au complet.

Ma belle-sœur Madeleine, qui est excellente marcheuse, avait organisé pour le lendemain de notre arrivée, une excursion à la Grande Chartreuse qu’elle devait faire avec sa nièce Rose et Louis. Joséphine et moi prîmes part à cette excursion le surlendemain de notre excursionretardée d’une journée.

Rose et ses enfants étaient arrivés à la Tronche vers le 20 Février. Apres les vacances de Pâques, Alexandre à la Salette. Cette fois Rose nous accompagnait.

Mon beau-frère obtint une permission. Il est venu nous voir à La T chez lui.

Il fit un temps superbe pendant notre séjour à la Tronche. Les habitants se plaignaient de la chaleur plus forte qu’à l’habitude. Quant à nous, nous trouvions le temps tres agréable. Cette chaleur sèche n’était nullement fatigante comme la chaleur humide de chez nous.

Nous fumes un jour surpris par l’orage dans la montagne. Les éclatements de la foudre au milieu de cette solitude ont une impression de force prodigieuse. Les échos, en se renvoyant les percutions, prolongent la magie de ces bruits grandioses.

En partantquittant la Tronche, nous rompions le charme d’une vie de famille, que nous ne connaissions plus depuis longtempsplusieurs années. Nous quittions un pays enchanteur. Il me semble voir encore ces couchers de soleil à travers les sapins. Ce sont des visions magnifiques, dont on ne peut se faire une idée.

Et nous ne ⁁nous doutions pas que nous allions reprendre une vie d’aventure dont nous étions si heureux d’être sortis.


Les relations de mon beau-frère me (valurent ou) procurèrent l’occasion de recevoir des propositions pour entreprendre une culture de 90 hect. dans la vallée du Grésivaudan.

Henri Pouchart, qui depuis 30 ans était varlet à la ferme, était évacué dans cette région. Je suis allé le voir. Il me Je le trouve aux champs. Il me dit que la terre est excellente, se travaille facilement ; que les récoltes sont magnifiques, bien que les cultivateurs n’apportent pas beaucoup de soins dans les façons culturales.

L’affaire était tentante. Elle était également réalisable, car le gouvernement avançaitfaisait généreusement et largement des avances aux personnes qui entreprenaient s’installaient dans des cultures abandonnées. Mais pour entreprendre cette ferme, il fallait abandonner Croisilles, la terre ancestrale, le foyer de nos aïeux depuis tant de générations !

C’était peut-être une bonne occasion de caser un enfant, malgré l’isolement, l’éloignement de la famille ?

Mais nous savions que nous ne devions pas compter sur Louis pour entreprendre une carrière dans le monde. Alexandre était trop jeune…

  1. décrire ?
  2. J’apprends que mon beau-frère Joseph est affecté au service des renseignements à Paris ; qu’il doit remettre chaque jour un compte rendu de la situation aux bureaux de la Présidence.

    J’apprends que ma belle-mère est décédée à Arras le 13 Octobre 1914. À cette date le cimetière d’Arras sert de barrière aux all. La ville est tellement bombardée que l’on ne peut se rendre au nouveau cim., faubourg d’Amiens. Mme  Duq fut enterrée dans son jardin.