Carpaccio (Rosenthal)/10

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Henri Laurens, éditeur (p. 100-101).
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Nous avons, tout à l’heure, fait allusion à l’Ensevelissement du Christ de Berlin. La page est précieuse et mérité qu’on s’y arrête, non pas seulement parce qu’elle fut tout récemment revendiquée pour Carpaccio, mais à cause de sa valeur intrinsèque. L’artiste, quand il la peignit, était tout imprégné des sentiments qui l’agitaient dans le Combat de saint Georges et par là, on peut augurer que les deux œuvres furent exécutées à peu près au même moment. Jamais la pensée de la mort ne fut dite avec plus de redondance tragique par un maître germanique, et le charnier où s’est complue l’imagination de Carpaccio rappellerait les horreurs de Valdès Léal si le pinceau italien ne gardait, même en ces descriptions, une noblesse qui éloigne toute impression de dégoût. Au milieu des cadavres momifiés, des squelettes décomposés, des ossements et des crâne, gît, sur une dalle, le corps du Christ, et ce corps modelé avec amour, la noble face encadrée de long cheveux ont une dignité sereine qui paraît plus forte par ce contraste. Aux arrière-plans, Nicodème et Joseph d’Arimathie avec le Graal, préparent le tombeau : la Vierge s’est évanouie entre les bras d’une sainte femme, saint Jean s’abime dans la douleur, plus loin la Madeleine accourt avec des parfums, des bergers indifférents jouent de la flûte et, tout au fond, on distingue à peine le calvaire où s’érige la croix.