Catéchisme bouddhique/Le Bouddha

La bibliothèque libre.


Catéchisme bouddhique (Buddhistischer Katechismus, 1888)
Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, LXIp. 7-51).



LE BOUDDHA


7. Qui est le Bouddha ?

C’est celui qui a trouvé, par lui-même, la lumière et la perfection, qui, dès cette vie, était délivré ; l’infiniment bon, saint et sage annonciateur de la vérité et fondateur de la religion bouddhiste.

8. Le Bouddha est-il un Dieu, qui se serait révélé aux hommes ?

Non.

9. Était-il un Envoyé de Dieu, qui serait descendu sur la terre, pour porter le salut aux hommes ?

Non.

10. C’était donc un homme ?

Oui ; c’était un homme. Mais un homme comme il n’en naît qu’un dans bien des milliers d’années ; un de ces sublimes vainqueurs et flambeaux du monde qui, moralement et spirituellement, dominent de si haut l’humanité égarée et souffrante, qu’ils apparaissent à la simplicité du peuple comme des « Dieux » ou des « Envoyés de Dieu ».

11. Bouddha est-il son nom ?

Non, Bouddha est la désignation d’un état intime, d’une situation de l’esprit.

12. Que signifie donc ce mot ?

Il signifie : l’Éclairé ; il désigne un homme qui, par ses propres forces, est arrivé à la suprême connaissance et à la perfection morale.

13. Quel était le véritable nom du Bouddha ?

Il avait été nommé, à sa naissance, Siddhârta, et son nom de famille était Gotama ;

14. Qui étaient ses parents ?

Le roi Souddhôdana et la reine Mâya.

15. Sur quel peuple régnait le roi Souddhôdana ?

Sur le peuple hindou des Sakyas[1].

16. Quand naquit le prince Siddhârta ?

Un vendredi de l’an 623 avant l’ère chrétienne.

17. Est-ce que la sublime destinée qui l’attendait fut indiquée par quelques présages ?

Oui ; les Brahmanes, qui vivaient à la cour du roi Souddhôdana, comme prêtres et astrologues, la prédirent.

18. Comment était conçue leur prédiction ?

Si le prince Siddhârta reste dans le monde, il deviendra un puissant monarque, un roi des rois ; mais s’il renonce au monde et se fait ascète il deviendra un sublime Bouddha, la lumière du monde.

19. Cette prédiction fut-elle la seule ?

Non. L’ascète Kaladévala, poussé par l’Esprit, quitta les déserts de l’Himalaya, se prosterna devant l’enfant et dit : « En vérité, cet enfant deviendra un jour un suprême et parfait Bouddha, et montrera aux hommes le chemin de la délivrance. » Et il pleura, sachant que son âge avancé l’empêcherait de voir ces temps[2].

20. Le roi Souddhôdana se réjouit-il de la prédiction de Kaladévala ?

Non ; il chercha au contraire à en empêcher l’accomplissement, par tous les moyens qui étaient en son pouvoir. Il désirait que le prince Siddhârta devînt un puissant monarque, un dominateur du monde.

21. Quels moyens employa-t-il pour atteindre ce but ?

Il éloigna du prince tout ce qui aurait pu lui donner connaissance des souffrances humaines et de la mort. Il l’entoura de toutes les jouissances et de tout l’éclat de la royauté, pour l’attacher plus étroitement à la vie du monde. Les maîtres les plus distingués furent chargés de lui enseigner toutes les sciences et tous les arts et de lui apprendre les exercices chevaleresques qui convenaient à un fils de roi. Lorsque le prince Siddhârta fut arrivé à l’adolescence, son père lui fit bâtir trois palais, un pour chacune des saisons de l’Inde : la chaude, la froide et la saison des pluies. Tous trois furent meublés avec la plus grande magnificence. Ils étaient entourés de vastes jardins et de bosquets ombreux, avec des pièces d’eau limpides, bordées de fleurs de lotus, des grottes profondes, des sources jaillissantes et des parterres garnis des fleurs les plus rares. C’est dans ces jardins et ces bosquets que le prince passa sa jeunesse. Il ne lui était pas permis de s’en écarter, et l’accès en était défendu, de la manière la plus sévère, aux pauvres, aux malades et aux vieillards.

22. Le prince Siddhârta vivait-il seul dans ces palais et ces jardins ?

Non, il était entouré des fils des plus nobles familles du pays. À seize ans, son père le maria à la princesse Yasôdhara[3], fille du roi Souprabouddha. Enfin un grand nombre de belles jeunes filles, habiles dans la danse et la musique, étaient toujours prêtes à le distraire.

23. Comment le prince pût-il concevoir la pensée de fuir le monde, au milieu de tous ces plaisirs et de toute cette magnificence ?

Dans ses promenades dans les jardins et dans les parcs du palais, il fit quatre rencontres significatives, qui l’éclairèrent sur la vraie nature de l’existence.

24. Quelles furent ces rencontres ?

Il vit un vieillard infirme, courbé sous le poids de l’âge, un malade couvert d’ulcères, un cadavre en décomposition et un vénérable frère mendiant.

25. Quelles impressions firent ces rencontres sur le prince Siddhârta ?

Elles l’ébranlèrent profondément ; elles lui firent comprendre la fragilité et le néant de la vie. Les joies courtes et trompeuses, que la vieillesse, la maladie, la douleur et la mort suivent de si près, perdirent tout charme pour lui. Dès lors, il se mit à fuir tous les plaisirs. De plus en plus il se persuada que la vie n’était pas un bien désirable, mais bien plutôt un mal ; qu’il était insensé et indigne des nobles natures de rechercher les jouissances terrestres. Désormais tous ses efforts furent dirigés vers un but plus élevé[4].

26. Quel était ce but ?

Il voulut découvrir les causes de la souffrance, de la mort et de la nécessité de revivre[5], et de trouver le moyen d’y mettre un terme. Il résolut de renoncer au monde, comme le vénérable frère mendiant, qui lui était apparu et d’aller au désert.

27. Cette résolution ne lui coûta-t-elle pas ?

Si, car il dut abandonner tout ce que les hommes regardent comme le plus grand bonheur terrestre : le trône, les palais magnifiques, la jouissance, les honneurs, la richesse, les plaisirs et même sa femme et son fils Râhula, que la princesse Yasôdhara lui avait donné.

28. Son père et la princesse Yasôdhara ne cherchèrent-ils pas à le détourner de son projet ?

Il ne le leur confia pas, mais préféra fuir secrètement, craignant que les supplications de son vieux père et les larmes de sa femme ne le fissent vaciller dans sa résolution[6].

29. Comment s’échappa-t-il du palais ?

Une nuit, pendant que tout dormait, il se leva doucement, jeta un dernier regard sur sa femme endormie et sur son enfant ; éveilla Tchanna, lui ordonna de seller son cheval favori Kanthaka et s’éloigna. Il passa, sans être remarqué, devant les gardes de la ville et s’élança dans les ténèbres de toute la vitesse de son cheval.

30. Quel âge avait le prince Siddhârta, quand il alla au désert ?

Il était âgé de vingt-neuf ans.

31. Où se dirigea-t-il d’abord ?

Vers le fleuve Anoma. Là, il coupa, avec son épée, sa longue et belle chevelure, remit au fidèle Tchanna ses armes, ses bijoux et son cheval, lui ordonna de retourner à Kapilavastou et de tranquilliser le roi et la princesse Yasôdhara sur son sort. Après que Tchanna l’eut quitté, il passa encore sept jours dans la solitude, sur les bords du fleuve, livré à ses méditations, rempli de joie d’avoir fait le premier pas, le plus décisif, dans la voie qu’il s’était tracée et de s’être débarrassé des liens du monde. Ensuite il échangea ses vêtements contre ceux d’un mendiant, qui passa par là, et se dirigea vers Radjagriha, capitale du royaume de Magadha.

32. Pourquoi y allait-il ?

Parce que, dans le voisinage de Radjagriha, vivaient deux Brahmanes, célèbres pour leur haute sagesse : Alâra et Uddaka. Il resta près d’eux comme disciple, sous le nom de Gotama.

33. Qu’enseignaient ces Brahmanes ?

Ils enseignaient qu’on pouvait purifier son âme par des prières, des sacrifices, et différents exercices religieux et arriver ainsi, par la grâce divine, à la délivrance.

34. Gotama trouva-t-il que cette doctrine était la véritable ?

Non. Il acquit toute la science des Brahmanes, se livra avec zèle à tous leurs exercices religieux, sans se sentir pour cela plus rapproché de son but. Bientôt il reconnut que la science de ces Brahmanes était vaine et ne conduisait pas à la délivrance de la souffrance, de la mort et de la nécessité de revivre.

35. Que fit-il après cet échec ?

Il y avait d’autres brahmanes qui croyaient que le vrai moyen d’arriver à la délivrance était la vie ascétique, la destruction complète et violente de la volonté et des passions. Gotama se résolut à vivre suivant leurs préceptes. Il se retira donc dans une épaisse forêt, près d’Uruvéla[7] et se livra, dans la solitude aux mortifications les plus dures. Bientôt le bruit de la vie sainte qu’il y menait, se répandit et lui attira cinq compagnons, qui poursuivaient le même but que lui. Pénétrés d’admiration pour la force d’âme et le courage que Gotama montrait dans ses macérations, ils restèrent près de lui, persuadés qu’elles lui vaudraient sûrement un jour la délivrance. Ils voulurent devenir ses élèves et ses disciples.

36. Comment s’appelaient ces cinq ascètes ?

Kondânya, Bhaddiya, Vappa, Mahanama et Assâdji.

37. Combien de temps Gotama resta-t-il dans la forêt d’Uruvéla ?

Près de six années. Les forces de son corps diminuaient de plus en plus, au milieu des jeûnes, des veilles et des macérations continuelles qu’il s’imposait ; mais son zèle ne se ralentissait pas. Une nuit qu’il méditait profondément en marchant, il tomba tout-à-coup d’épuisement et resta sans connaissance. Ses compagnons le crurent mort ; mais il revint à lui après quelque temps.

38. Continua-t-il encore ses exercices ascétiques ?

Non ; il reconnut que la vie ascétique ne mène pas au salut et à la délivrance. Il s’était presque tué et n’avait pas atteint son but ; il n’était pas arrivé à la perfection[8] spirituelle et morale. Il renonça donc à toutes les macérations et recommença à se nourrir régulièrement. Lorsque ses compagnons s’en aperçurent, ils ne surent plus que penser de lui ; ils crurent qu’il manquait à ses résolutions et l’abandonnèrent.

39. Gotama désespéra-t-il alors d’atteindre son but ?

Non, jamais. Abandonné de tous, il reconnut que le salut ne pouvait pas être atteint grâce aux moyens enseignés par les autres, et il résolut de ne plus suivre que ses propres inspirations. Il avait renoncé aux mortifications violentes ; il se contenta dès lors de s’abstenir de tous les plaisirs des sens. Il s’efforça en même temps, dans la solitude complète où il vivait, de dégager ce qu’il sentait exister dans la profondeur de son être et de développer complètement les forces supérieures de son esprit. Une nuit, il fut averti, par des rêves prophétiques, qu’il approchait de son but. Lorsqu’il s’éveilla, il se baigna dans le Nirandjara et accepta ensuite, des mains d’une jeune fille nommée Sudjata, un peu de riz. Après avoir mangé, il se sentit fortifié d’une manière merveilleuse. Il passa toute la journée sur les bords du cours d’eau, plongé dans ses méditations.

Vers le soir, il s’étendit au pied d’un grand arbre[9], qui n’était pas très loin de là. Il resta assis, le visage tourné vers l’est, dans un recueillement profond et décidé à ne se lever que lorsqu’il aurait obtenu la connaissance suprême. C’est sous cet arbre qu’il soutint victorieusement son dernier combat, le plus difficile de tous.

40. De quelle nature fut ce combat ?

C’était la lutte contre les penchants et les désirs terrestres, qui habitent dans le cœur de l’homme, et qui s’élevèrent encore une fois en lui, quand il croyait les avoir déjà vaincus sans retour ; la lutte contre les illusions, le goût des plaisirs et contre ce désir d’exister et de jouir, cette volonté de vivre qui est la racine et la cause génératrice de notre être en même temps que la source de toutes nos souffrances. Il vit encore une fois se présenter devant lui, sous la forme la plus séduisante, l’honneur, la gloire, la puissance, la richesse, l’amour terrestre, le bonheur de la vie de famille, enfin toutes les jouissances et toutes les joies que le monde offre aux favorisés du sort. Encore une fois, il sentit son cœur rongé par le doute. Mais, inébranlable dans sa résolution de mourir plutôt que de renoncer à atteindre son but, Gotama lutta courageusement avec ces puissances terribles et resta victorieux. Lorsque les dernières traces de la faiblesse humaine eurent été effacées en lui et lorsque la paix profonde du Nirvâna fut entrée dans son cœur, il éleva son esprit par tous les degrés de l’illumination intérieure jusqu’à cette hauteur sublime où celui qui a voulu y arriver perçoit la lumière absolue. Il avait atteint son but ; le voile qui couvrait ses yeux était tombé ; il avait conquis la connaissance universelle et absolue. Il était devenu un Bouddha parfait.

41. Avait-il enfin reconnu les causes de la souffrance, de la vieillesse, de la mort et des existences successives ?

Oui ; suivant l’expression des livres saints, l’œil pur et clair de la vérité s’ouvrit en lui. Il perçut la cause de la naissance et de la ruine des êtres, la cause de la souffrance, de la mort et des vies successives, et en même temps le moyen de mettre un terme à la douleur, d’échapper à cet enchaînement perpétuel de naissances et de morts, et d’arriver à la délivrance, au Nirvâna.

42. Resta-t-il longtemps sous l’arbre de la connaissance ?

Il resta sept jours, profondément absorbé, au pied de cet arbre. Ensuite il se leva et alla près du figuier Adjapâla. Le tentateur Mâra[10] s’approcha alors de lui et lui dit : « Seigneur, entre maintenant dans la paix éternelle. Tu as perçu la vérité, à laquelle il est si difficile d’atteindre, la vérité, qui donne la félicité suprême et que seul le sage accompli peut obtenir. Que ferais-tu maintenant sur la terre ? L’humanité s’agite dans les instincts terrestres : c’est sur la terre qu’elle a sa place et qu’elle trouve sa joie. Elle ne comprendra jamais l’ordre éternel du monde, la loi de l’enchaînement de l’effet à la cause. Elle ne voudra jamais entendre la doctrine, qui lui demandera de renoncer à la volonté de vivre, de vaincre ses désirs et ses passions et qui lui enseignera le chemin de la délivrance. N’essaie donc pas d’annoncer la doctrine et entre dans la paix éternelle. »

43. Le Bouddha écouta-t-il les paroles de Mâra ?

Non ; il repoussa le tentateur avec mépris et lui dit : « Retire-toi, méchant. Je n’entrerai pas dans la paix éternelle avant d’avoir fondé solidement, dans le cœur de mes adhérents, la doctrine salutaire ; avant d’avoir gagné des disciples qui puissent, à ma place, prêcher le chemin de la délivrance à tous ceux qui sont de bonne volonté et dont le cœur est pur ; afin que la vérité s’étende sur le monde entier, pour la joie et la bénédiction de tous les peuples, pour le bien, le salut et la délivrance des Dieux[11] et des hommes. »

Le tentateur s’éloigna alors, mais le Bouddha resta encore trois semaines sous le figuier Adjapâla, jouissant de la félicité de la délivrance et donnant dans son esprit sa forme définitive à la doctrine. Pendant ces vingt-huit jours il resta tout seul, sans boire ni manger. Ensuite il se leva et dit : « Que la porte du salut soit ouverte à tous ; que celui qui a des oreilles écoute la doctrine et qu’il y conforme sa vie. »

44. À qui annonça-t-il d’abord la doctrine ?

Aux cinq ascètes qui étaient restés si longtemps auprès de lui, et qui l’avaient abandonné, lorsqu’il avait cessé ses mortifications violentes.

45. Où les retrouva-t-il ?

Dans un bois, près de Bénarès, dans l’ermitage de Migadâya.

46. Les cinq ascètes l’écoutèrent-ils volontiers ?

Ils avaient l’intention de ne pas le faire, le considérant comme un renégat, mais la majesté de tout son être, l’expression sublime de son visage firent sur eux une impression si grande qu’ils s’inclinèrent, malgré eux, devant lui et écoutèrent ses paroles avec respect.

47. Comment nomme-t-on cette première prédication du Bouddhisme ?

« L’annonciation de l’ordre moral du monde » ou la « Fondation de l’empire de la justice éternelle. » Cette prédication contient les traits fondamentaux de la doctrine, les quatre vérités de salut[12].

48. Quel effet eut cette prédication sur les cinq ascètes ?

Ils reconnurent le Bouddha comme la lumière du monde et désirèrent devenir ses disciples. Le Bouddha les accepta comme les premiers membres de la Confrérie des Élus en leur disant : « Approchez, frères, la doctrine est bien annoncée ; marchez désormais dans la sainteté, pour mettre un terme à toute souffrance. »

49. Quel fut celui des cinq disciples qui arriva le premier à la connaissance absolue ?

Le vieillard Kondânya. L’œil pur et clair de la vérité s’ouvrit en lui et il devint un Arahat[13]. Bientôt les quatre autres suivirent.

50. Le Bouddha gagna-t-il encore d’autres disciples à Bénarès ?

Oui. Le premier qui s’y convertit fut Yasa, un jeune homme de noble race. Mais ce ne furent pas seulement des Brahmanes, des nobles et des grands qui écoutèrent les paroles du Bouddha, mais aussi les gens du peuple ; car il ne faisait aucune distinction de caste, de rang ou d’état, comme faisaient les prêtres Brahmanes. Il prêchait le salut à tous ceux qui voulaient l’entendre et sa parole était puissante, allant droit au cœur. Cinq mois après, ses disciples étaient déjà soixante, sans compter les adhérents laïques. C’est alors qu’eut lieu la dispersion des frères.

51. Que comprend-on sous le nom de la dispersion des frères ?

Le Bouddha réunit autour de lui tous les frères et leur commanda de partir dans le monde isolément pour répandre partout la doctrine libératrice[14].

52. En quels termes le Bouddha leur donna-t-il cet ordre ?

Le Bouddha dit aux frères : « Vous êtes libres de tous liens humains ou divins. Partez donc, frères, allez et prêchez partout la doctrine pour la délivrance de tous les êtres vivants ; par pitié pour le monde ; pour la joie, la bénédiction et le salut des hommes et des dieux. Beaucoup ont le cœur pur et sont de bonne volonté, qui se perdront cependant, s’ils n’entendent pas la doctrine libératrice. Ils deviendront vos adhérents et les confesseurs de la vérité. »

53. Le Bouddha resta-t-il seul à Bénarès ?

Non ; il retourna à Uruvéla. Là vivaient sous des huttes, dans les bois, de nombreux Brahmanes, qui entretenaient le feu sacré et accomplissaient les sacrifices prescrits par le Veda. Il leur prêcha sur le feu des plaisirs sensuels, des passions et des désirs et se fit parmi eux beaucoup de disciples et d’adhérents.

Ensuite il continua sa route, arriva à Radjagrîha, et y convertit le roi Bimbisâra et un grand nombre de ses nobles. C’est ainsi que la Doctrine de salut se répandait toujours davantage.

54. Ne retourna-t-il jamais dans sa patrie, à Kapilavastou ?

De Radjagrîha, il alla à Kapilavastou, où le bruit de ses œuvres l’avait précédé. Il n’entra pas dans le palais royal, mais resta, avec les Frères qui l’accompagnaient, dans un bois devant la ville, comme l’ordre de la Confrérie le prescrit. Le roi Souddhôdana et tous ses parents mâles sortirent de la ville, pour venir le saluer. Mais lorsqu’ils le virent vêtu pauvrement comme un Bhikshou (frère mendiant), la barbe et les cheveux coupés courts, ils eurent honte de lui.

Le lendemain matin, le Bouddha prit son vase à aumônes[15] et alla dans la ville, pour y recueillir sa nourriture devant les portes, suivant l’usage de la Confrérie. Lorsque le roi, son père, l’apprit, il accourut en toute hâte et lui dit avec reproche : « Mon fils, pourquoi me fais-tu un pareil affront et vas-tu ainsi demander des dons, comme un mendiant ? »

Le Bouddha répondit : « Grand roi, cela a toujours été l’usage de tous ceux de ma race. »

Le roi Souddhôdana ne comprit pas et s’écria : « Nous descendons d’une race de nobles et de rois, et jamais aucun de nous ne s’est abaissé jusqu’à mendier son pain devant les portes. »

Le Bouddha sourit et dit : « C’est avec raison que toi et les tiens, vous vous glorifiez de descendre d’une race de rois. Mais, pour moi, mes ancêtres sont les Bouddhas des âges passés, et tous ont fait comme moi[16]. »

Le roi Souddhôdana se tut alors, le prit par la main et le conduisit au palais.

55. Le Bouddha ne désira-t-il pas revoir sa femme et son fils Râhoula ?

Le même jour, il alla trouver la princesse Yasôdhara, accompagné de deux de ses disciples[17]. Lorsque Yasôdhara le vit devant elle, dans l’habit des moines mendiants, elle ne put prononcer une parole, mais se laissa tomber à ses pieds et embrassa ses genoux, en pleurant amèrement.

Le Bouddha la releva, la consola et, avec de douces paroles, il l’instruisit dans la Doctrine. Ses paroles trouvèrent un bon accueil dans son cœur.

Lorsque le Bouddha fut parti, Yasôdhara revêtit son fils Râhoula de ses habits les plus magnifiques et l’envoya à son père, pour lui demander son héritage. L’enfant se présenta devant le Bouddha et dit : « Mon père, je serai roi un jour et monterai sur le trône des Sakyas. — Donne-moi donc mon héritage. »

Le Bouddha le prit alors par la main, le conduisit hors de la ville, dans le bois de Nigrodha, où il s’était établi avec ses disciples, et là, il dit à Râhoula : « Mon fils, tu réclames de moi un héritage périssable et qui a la douleur comme conséquence, je n’en ai pas de semblable à te donner. Mais que les trésors que j’ai acquis sous l’arbre de la connaissance t’appartiennent. Voilà l’héritage spirituel que je te laisse et personne ne pourra te l’arracher. »

Il ordonna ensuite à Sâripoutta de recevoir Râhoula dans la Confrérie des Élus. Outre Râhoula, plusieurs parents du Bouddha entrèrent dans la Confrérie. Parmi eux il faut citer Ananda, Devadatta, Upâli et Anourouddha.

56. Quels étaient, avec ceux qui viennent d’être nommés, les principaux disciples du Bouddha ?

Mogallâna et Kasyapa.

57. Combien de temps le Bouddha resta-t-il à Kâpilavastou ?

Il y passa les quatre mois de la saison des pluies de la deuxième année de son enseignement. Il partit ensuite pour continuer son œuvre dans d’autres lieux.

58. Combien de temps le Bouddha prêcha-t-il la Doctrine ?

Jusqu’à sa mort, c’est-à-dire en tout quarante cinq ans. Durant ce temps, il alla pendant huit mois de l’année de village en village, de ville en ville, de pays en pays, toujours accompagné d’une troupe de disciples et instruisant partout le peuple par ses prédications, ses exhortations et des paraboles. Mais les quatre mois de la saison des pluies il passait toujours dans le même lieu, soit dans la maison d’un de ses adhérents, soit dans des jardins et des bosquets, dont de riches convertis firent donation à la Confrérie.

59. Où restait le Bouddha le plus souvent et le plus volontiers ?

Dans la forêt de bambous (Velouvana) de Radjagrîha, qui avait été autrefois un parc du roi Bimbisâra et que celui-ci avait donné à la Confrérie, ou dans le bosquet de Djeta (Djetâvana) de Srâvasti, don du riche marchand Anathapindika. Dans ces deux endroits, on avait bâti des ermitages (Vihâra) pour les moines mendiants (Bhikshou). Ces lieux sont devenus célèbres dans l’histoire du Bouddhisme, car c’est là que le Sublime[18] annonça la plupart des vérités recueillies dans les Livres Saints.

60. Le Bouddhisme fut-il solidement établi pendant ces quarante-cinq années ?

Oui ; la renommée du Bouddha et la vérité se répandirent au loin. Des milliers de personnes de tous les états, hommes ou femmes, prononcèrent les vœux supérieurs et entrèrent dans la Confrérie, comme frères mendiants (Bhikshou, Samanas) ou comme religieuses (Bhikshouni), et les adhérents laïques devinrent innombrables[19].

61. Le Bouddha n’eut-il pas à subir, pendant son enseignement, des persécutions et des attaques de la part de la religion régnante, le Brahmanisme ?

Non. De même que le Bouddhisme, le vrai Brahmanisme est étranger à toute intolérance, à tout fanatisme religieux. Mais un de ses disciples se révolta contre lui.

62. Qui était ce disciple ?

Devadatta. Il fut aveuglé par l’ambition et voulut arracher à son maître, devenu vieux, la direction de la Confrérie. N’y ayant pas réussi, il essaya même de faire mourir le Bouddha ; mais toutes ses tentatives échouèrent.

63. Qu’opposa le Bouddha à ces attaques ?

Sa bienveillance inépuisable et la bonté de son cœur. Car la bienveillance et la bonté du cœur possèdent une force merveilleuse à qui rien ne peut résister sur la terre, comme dans les cieux ; une force merveilleuse, qui vient à bout des ennemis les plus puissants et devant laquelle la méchanceté, la haine et la perfidie deviennent impuissantes.

64. Savons-nous quelque chose sur les derniers jours du Bouddha et sur sa mort ?

Oui ; le Mahâ-Parinibbâna-Soutta, ou le livre de l’entrée du Bouddha dans la paix éternelle (Paranirvâna), les raconte avec détail.

65. Quels sont ces détails ?

Lorsque le Bouddha fut âgé de quatre-vingts ans, il sentit ses forces s’en aller et il dit à Ananda[20], qui était toujours près de lui : « Ananda, mes années sont nombreuses ; je suis un vieillard ; la mesure de mes jours est pleine et mon voyage terrestre approche de sa fin. » Ananda fut saisi d’une grande tristesse et supplia le Maître de rester encore sur la terre. Mais le Bouddha lui reprocha une telle faiblesse et lui dit : « Ne t’ai-je pas enseigné, Ananda, qu’il est dans la nature essentielle de toutes les choses que nous aimons, que nous devons nous en séparer et les abandonner. Tout ce qui a été enfanté, tout ce qui est devenu et qui a commencé porte en soi-même la nécessité de périr. Comment donc serait-il possible qu’un être humain ne périsse pas, quand même ce serait un Bouddha suprême et parfait ? Il ne peut pas y avoir d’état de durée éternelle. En vérité, je te le dis, dans trois mois le Tathagata[21] entrera dans la paix éternelle. Aussi vous, Frères, à qui j’ai enseigné la vérité que j’avais reconnue, acquérez-la tout entière ; vivez jour par jour et heure par heure, dans son esprit ; absorbez-vous en elle et répandez-la à ma place, afin que la pure Doctrine vive et se conserve longtemps. Celui qui restera fidèlement sur le sentier de la sainteté, traversera sûrement l’Océan de la vie et arrivera à ce but sublime, où cesse toute souffrance. »

Bien que le Bouddha fût infirme et tourmenté de douleurs, il continua cependant à aller de lieux en lieux, rassemblant partout, autour de lui, les adhérents laïques, les exhortant à rester inébranlables sur le chemin du salut.

À Boya-Nagara il s’arrêta dans le temple d’Ananda. C’est là qu’il dit aux disciples : « Frères, lorsque je vous aurai quittés, quelques-uns se lèveront, des Anciens de la communauté, des Frères et des Ermites qui diront : J’ai entendu ceci ou cela de la bouche de l’Éclairé ; c’est de sa propre bouche que je l’ai recueilli. Voilà la Vérité, voilà la Loi, voilà la Doctrine du Maître. Il ne faudra ni croire sans examen, ni rejeter avec dédain de semblables affirmations. Vous devrez écouter chaque parole attentivement et sans prévention et la comparer avec soin avec les traits fondamentaux de la Doctrine et les règles de la Confrérie, tels que je vous les ai donnés. Si, après cette comparaison, l’affirmation de cet Ancien, de ce Solitaire ou de ce Frère ne concorde pas avec la Doctrine et avec la Règle, rejetez-la ; en cas contraire, acceptez-la comme ma propre parole. Tel est l’enseignement que je vous donne. »

Le Bouddha alla ensuite à Boya-Gama, puis à Pava. Là, il s’arrêta dans le bosquet de Mangos de Tchounda, qui appartenait à la caste des forgerons. Dès que Tchounda l’apprit, il accourut plein de joie et pria le Bouddha de venir prendre son repas, avec les Frères, dans sa maison. Le Bouddha lui fit connaître par son silence qu’il y consentait.

Tchounda, le forgeron, leur servit alors ce qu’il avait de meilleur : du riz, des gâteaux et du sanglier cuit au four. Lorsque le Bouddha s’en aperçut, il dit à Tchounda : « Tu ne donneras qu’à moi du sanglier, que tu as préparé, Tchounda. Les Frères auront le riz et les gâteaux. » Le forgeron fit suivant la volonté du Maître. Lorsque celui-ci eut mangé, il se tourna de nouveau vers Tchounda et lui dit : « Enterre dans une fosse ce qui reste de la viande, car à part le Bouddha, il n’y a ni sur terre ni dans les mondes célestes, ni parmi les Samanas, ni parmi les Brahmanes, les dieux ou les hommes, un seul être qui puisse prendre cette nourriture sans se nuire. »

66. Que signifiaient ces paroles ?

Le Bouddha voulait ainsi montrer clairement aux adhérents laïques que la chair des animaux n’était pas une nourriture pour les hommes ou les êtres d’une nature supérieure ; mais que celui qui mange de la viande, nuit à son corps et à son esprit. C’est pour cela qu’il défendit au forgeron d’en donner aux disciples.

67. Pourquoi le Bouddha en avait-il mangé lui-même ?

Parce qu’il ne voulait pas violer un précepte qu’il avait donné lui-même en recommandant aux Frères de ne jamais repousser ce qui leur serait offert de bon cœur.

68. Y a-t-il d’autres détails sur les derniers moments du Bouddha ?

Après que le Bouddha eut encore réjoui et édifié Tchounda par sa parole, il continua son chemin vers Kousinara. En chemin, il fut surpris par une grave maladie et affligé de violentes douleurs. Cependant il les supporta sans se plaindre, d’un cœur fort et en se dominant complètement lui-même. Sa faiblesse devint pourtant si grande qu’il dut se coucher sous un arbre, au bord du chemin. Il dit alors à Ananda : « Cherche-moi un peu d’eau, Ananda, j’ai soif. »

Ananda répondit : « Seigneur, une caravane vient de passer dans le ruisseau, le fonds a été enlevé par les roues des voitures : l’eau est trouble et souillée. »

Mais le Bouddha renouvela sa prière. — Ananda prit son vase à aumônes et descendit au ruisseau. À son grand étonnement, l’eau, tout à l’heure sale et trouble, coulait plus claire et plus pure que jamais. Ananda, frappé d’admiration, puisa de l’eau qu’il porta au Maître. Celui-ci la but et se désaltéra.

Il arriva alors que le jeune Poukkousa, qui était de la tribu des Mallas et à qui appartenait la caravane, passa sur le chemin. Lorsqu’il vit le Bouddha assis sous l’arbre, il s’approcha avec respect, le salua et s’inclina devant lui. Il ordonna ensuite à un de ses serviteurs d’apporter deux vêtements d’étoffe d’or et dit : « Maître, accorde-moi la faveur d’accepter de mes mains ces vêtements. »

Le Bouddha répondit : « Donne-moi un de ces vêtements, Poukkousa, et offre l’autre à Ananda. »

Ananda revêtit alors le Bouddha de l’un de ces vêtements, mais dès que cela fut fait, l’étoffe sembla avoir perdu tout son éclat.

Plein d’étonnement, Ananda s’écria : « Seigneur ! Ton visage est si resplendissant ; une telle lumière sort de toi que ce vêtement d’étoffe d’or semble avoir perdu tout son éclat. »

Et le Bouddha répondit en disant : « Ce que tu dis est vrai, Ananda. Le Bouddha est transfiguré deux fois dans sa carrière terrestre : La première fois dans la nuit où il arrive à la suprême connaissance ; et la seconde dans la nuit, où il entre dans la paix éternelle. Et c’est aujourd’hui, Ananda, à la troisième heure de la nuit, que le Bouddha entrera dans la paix éternelle. »

Le Bouddha se leva alors avec de nouvelles forces, et marcha, avec les disciples qui étaient avec lui, vers le bosquet de Salas des Mallas, non loin de Kousinara, sur les bords de l’Hiranyavati. Et il dit à Ananda : « Je t’en prie, Ananda, étends pour moi un vêtement sur ce banc, entre ces deux arbres. C’est là que je veux m’étendre. » — « Qu’il soit fait comme tu le désires, Maître, » répondit Ananda et il prépara un lit sur le banc, avec la tête vers le Nord, entre deux arbres jumeaux. Le Bouddha s’y étendit. Et les deux arbres se couvrirent de fleurs innombrables, bien que ce ne fût pas la saison. Ils laissaient tomber leurs fleurs, comme une pluie, sur le Bouddha et des mélodies célestes résonnèrent dans les airs.

Le Bouddha dit alors : « Voyez ! Quel spectacle. Le ciel et la terre luttent à l’envi pour honorer le Tathagata. Cependant ce n’est pas ainsi que le Tathagata doit être vénéré et exalté. Ceux de mes disciples et de mes adhérents qui vivront toujours dans l’esprit et qui suivront fidèlement les préceptes d’une vie honnête, seront seuls à honorer et à exalter le Bouddha, comme il doit l’être. »

Il se tourna alors encore une fois vers ses disciples et dit : « Lorsque je serai mort, quelques-uns de vous penseront peut-être : la bouche du Maître est devenue muette ; nous n’avons plus de guide. Mais, vous ne devez pas penser ainsi, Frères. La Doctrine que je vous ai annoncée, et les préceptes d’une vie sans tache, que j’ai établis pour vous, doivent être vos guides et vos maîtres, quand je ne serai plus avec vous. »

Quelque temps après, le Bouddha éleva encore la voix et dit : « Frères, souvenez-vous toujours de ce que je vous ai dit : Tout ce qui naît est périssable. Efforcez-vous sans relâche d’arriver à la délivrance. »

Ce furent les dernières paroles du Bouddha. Son esprit s’enfonça dans les profondeurs de l’absorption mystique et, lorsqu’il eut atteint ce degré, où toute pensée, toute notion s’éteint et où la conscience de l’individualité cesse, il entra dans le suprême Nirvâna.

Devant la porte de Kousinara, qui s’ouvre vers l’Orient, les nobles des Mallas brûlèrent le corps du Bouddha avec des honneurs royaux.


  1. Les Sakyas appartenaient à la grande famille aryenne, dont les Latins, les Germains et les Slaves sont aussi des membres. Le pays qu’ils habitaient s’étendait au N.-O. de l’Inde, au pied de l’Himalaya. La capitale Kapilavastou était située à peu près à 150 kilomètres, au nord de Bénarès, sur le cours d’eau Rohini.
  2. Déjà plusieurs siècles avant la naissance du Bouddha, il y avait, dans les Indes, des ermites et des ascètes brahmanes. Ils vivaient, soit réunis dans de petites huttes de bambou dans les forêts, adonnés à l’étude des saintes écritures mystiques (les Upanischades des Vedas), ou bien seuls dans des cavernes ou sous des arbres. Beaucoup d’ascètes allaient aussi de lieux en lieux, mendiant leur nourriture et se livrant aux mortifications les plus pénibles, pour tuer violemment en eux les désirs de la chair, délivrer leur âme de tous les liens terrestres et arriver ainsi à se réunir à l’Éternel, à Brâhma.
  3. C’est encore aujourd’hui la coutume des Hindous des hautes classes de marier leurs enfants de très bonne heure, souvent dès leur dixième ou douzième année. Naturellement ces unions ne deviennent réelles que beaucoup plus tard.
  4. Les livres saints bouddhiques racontent ce qui suit sur les rencontres que fit le futur Bouddha : Le prince Siddhârta, étant allé un jour se promener dans le parc, remarqua tout à coup un vieillard infirme, tout courbé sous le poids des années. Étonné, il demanda à son cocher Tchanna quel était cet être étrange. Tchanna lui répondit que c’était un vieillard. — Est-il né dans cet état ? demanda encore le prince. — Non, Seigneur, il a été autrefois jeune et florissant comme vous. — Y a-t-il d’autres vieillards comme celui-là ? interrogea le prince toujours plus étonné. — Beaucoup, Seigneur. — Et comment est-il tombé dans cette triste situation ? continua le prince. — C’est l’ordre de la nature que tous les hommes doivent devenir vieux et infirmes, s’ils ne meurent pas jeunes. — Même moi, Tchanna ? — Même vous, Seigneur.

    Cet incident plongea le prince dans de si profondes réflexions qu’il ordonna de rentrer à son palais, ayant perdu tout plaisir à la promenade. Quelque temps après, dans une autre sortie, il aperçut un malheureux couvert d’ulcères ; et, sur les réponses que fit Tchanna à ses questions, il fut si ému qu’il renonça dès lors à tous les plaisirs et commença à méditer sur les souffrances de l’existence. Après un autre laps de temps, il fit la troisième rencontre. Il vit, sur le bord du chemin, un cadavre déjà en décomposition. Violemment ému, il rentra aussitôt à son palais en s’écriant : « À quoi servent l’éclat royal, toutes ces jouissances et toutes ces magnificences, s’ils ne peuvent pas me préserver de la vieillesse, de la maladie et de la mort ! Que les hommes sont malheureux ! N’y a-t-il donc aucun moyen d’en finir pour toujours avec la douleur et la mort qui se renouvellent chaque fois que nous recommençons une nouvelle existence ? »

    Cette question ne cessa plus de l’occuper. Il eut la réponse qu’il cherchait dans une autre promenade. Un moine mendiant lui apparut, revêtu de vêtements jaunes, comme en portent les frères bouddhistes, et dont les traits vénérables reflétaient la profonde paix intérieure. Cette vision prophétique, car c’est ainsi que nous devons la considérer, montra au prince, tourmenté par les énigmes de l’existence, le chemin sur lequel il devait chercher leur solution. À partir de ce jour, il conçut et mûrit la résolution de renoncer au monde et de prendre la voie que tous ceux qui aspirent à la perfection doivent suivre. — Ce récit allégorique, cette légende nous découvre une vérité profonde : c’est que seule la perception de la fragilité et du néant de la vie peut amener une âme sensible à renoncer au monde et provoquer ce changement complet d’esprit par lequel sont passés tous les saints, et que celui qui ne s’est pas détaché du monde ne peut même pas comprendre.

  5. La doctrine des existences successives, c’est-à-dire de l’incarnation répétée de la partie spirituelle de l’homme est la connaissance la plus ancienne et la plus vénérable de la race humaine. C’est une sagesse ou une religion primitive, qui s’impose d’elle-même, à toute intelligence que les erreurs et les préjugés, qui nous assiègent dès notre enfance, n’ont pas troublée. Dans les religions de tous les peuples civilisés, les religions judæo-chrétienne et islamique exceptées, cette doctrine forme la base sur laquelle reposent toutes les autres. Et même dans les pays chrétiens, beaucoup de grands esprits l’ont professée en secret, à toutes les époques. Elle seule peut nous délivrer de cette illusion, que l’homme soit une créature, que la volonté arbitraire d’un Dieu aurait tirée du néant et qu’il doive encore être reconnaissant pour la vie qui lui a été donnée et qui est pourtant un présent d’une valeur si contestable. La doctrine des existences successives donne à l’homme sa liberté et son libre-arbitre, qui ne peuvent pas exister avec un Dieu créateur et tout puissant. Elle seule repose sur la vraie justice, et ce n’est qu’en elle que la belle parole du sublime Jésus de Nazareth devient une vérité « L’homme moissonnera ce qu’il a semé. » Seule, la doctrine des naissances successives nous donne la solution de l’énigme de notre existence et nous explique d’une manière acceptable, pourquoi le juste est souvent pauvre et méprisé pendant que le méchant vit riche et honoré. Seule elle répond à la question que des millions de cœurs humains, torturés et désespérés, adressent vainement au ciel lui demandant pourquoi nous devons tant souffrir ici-bas. Elle nous montre que notre être intime est aussi indestructible que la matière et que les forces naturelles. Nous sommes entrés dans la vie de notre propre volonté et nous l’avons gardée, sous des formes sans cesse changeantes, depuis le commencement des choses jusqu’à ce jour. La mort n’est pas une délivrance ou un anéantissement, mais le passage d’une forme devenue caduque à une autre nouvelle. Celui à qui la vie suffit doit être content : aucun dieu aucun diable ne peut la lui prendre. La destinée de l’homme ne repose que sur son être intime, sur sa propre volonté ; il a devant lui d’innombrables existences, dans lesquelles il recueillera les fruits de ses bonnes, comme de ses mauvaises actions. Mais celui qui est dégoûté de cette existence sans cesse renouvelée, avec ses joies et ses douleurs, a devant lui le chemin qui mène à la délivrance. Il n’a qu’à le suivre d’un cœur ferme et, par ses propres forces, il atteindra ce but sublime, où son individualité, naturellement restreinte, souffrante et coupable se fondra pour toujours dans l’Éternel. Telle est la félicité suprême vers laquelle tendent, consciemment ou inconsciemment, tous les êtres vivants, et que les illusions trompeuses les empêchent de trouver.
  6. La reine Mâya ne vivait plus ; elle était morte sept jours après la naissance du prince. C’est là le sort de la mère d’un Bouddha futur ; le sein qui a porté un de ces flambeaux du monde, ne pouvant plus nourrir de simples mortels.
  7. Le lieu, où le Bouddha se livra, pendant de longues années, à l’ascétisme, et où il arriva aussi à l’illumination intérieure, fut appelé depuis Bouddha-Gaya, c.-à.-d. l’ermitage du Bouddha. Il s’y éleva des temples et des cloîtres qui, mille ans plus tard, lorsque le Bouddhisme se fut étendu sur tout le centre et l’est de l’Asie, furent habités par de nombreux religieux et devinrent un lieu de pèlerinage général pour tous les pays bouddhistes. Encore aujourd’hui, ce lieu consacré porte un temple en ruines.
  8. De même que le sublime fondateur du bouddhisme, plusieurs saints chrétiens des premiers siècles arrivèrent à reconnaître, par expérience, que l’ascétisme ne conduit pas au salut. « Si l’on ne fait que se mortifier », dit Nagaséna, le grand apôtre Bouddhiste, « non seulement on n’obtient pas la délivrance, mais on n’arrive même pas à renaître heureusement. »

    La doctrine bouddhique rejette donc, comme inutiles et nuisibles, les macérations et la « mortification de la chair » par des moyens violents. Elle cherche à purifier le cœur et la volonté de toutes les passions, de tous les mauvais instincts. Elle veut développer la connaissance et les forces spirituelles de l’homme. Pour y arriver, elle exige, comme condition indispensable, que ses disciples renoncent à rien posséder et qu’ils vivent dans la chasteté et la pauvreté volontaire, étrangers aux plaisirs des sens et à toute préoccupation mondaine.

  9. Cet arbre, appelé par les Bouddhistes bô ou bodhi, c.-à.-d. arbre de la connaissance, est le ficus religiosa des naturalistes. Un rejet de ce figuier verdit encore près des ruines du temple de Bouddha-Gaya, non loin de Radjgir. Un autre rejet fut porté à Ceylan et planté près de l’ancienne capitale de l’île Anuradhâpura. Il est encore plein de vigueur, et c’est le plus ancien arbre historique du monde.
  10. Mâra, le tentateur, le prince de ce monde, joue dans la religion bouddhique à peu près le rôle du Satan des chrétiens, du prince des ténèbres. Le Christ fut tenté par le diable dans le désert comme le Bouddha le fut ici par Mâra. Il s’agit naturellement, dans ce récit allégorique, non d’un événement extérieur, mais d’une lutte intime et qui n’eut lieu que dans l’esprit du Bouddha.
  11. Le Bouddhisme ne reconnaît ni ne nie l’existence de dieux. Il n’en a besoin ni pour appuyer sa morale, ni pour obtenir la délivrance. Celui qui croit à des dieux peut le faire : mais il ne doit pas oublier que les dieux, comme les autres êtres, sont périssables et soumis à la nécessité des existences successives, quand même leur vie devrait durer des millions d’années terrestres. Il doit reconnaître aussi que le saint, arrivé à la délivrance, et surtout un Bouddha, est bien au-dessus de tous les dieux. Dans les paroles du Bouddha le mot « Dieux » doit être compris comme désignant les habitants des mondes célestes.
  12. Les quatre vérités de salut : voyez plus bas au chapitre « Doctrine ».
  13. Un Arahat est celui qui a atteint le quatrième degré de sainteté, le plus élevé, et qui est arrivé en même temps au Nirvâna.
  14. Ce n’est que parce que le Bouddha lui-même avait été leur maître dans la doctrine et parce qu’ils étaient des Brahmanes, c’est-à-dire des hommes qui avaient déjà passé leur vie entière dans le renoncement, la méditation et de saints efforts pour arriver à l’Éternel que cinq mois purent suffire aux disciples pour apprendre complètement la doctrine et pouvoir commencer leur apostolat.
  15. Le vase à aumônes des frères mendiants bouddhiques est un plat de terre, avec un manche, que chaque membre de la Confrérie porte toujours avec lui et dans lequel il recueille sa nourriture quotidienne. Le Bouddha lui-même ne s’écartait de cette règle que lorsqu’il mangeait, après y avoir été invité, dans la maison d’un de ses adhérents.
  16. Dans les temps les plus lointains et dont l’obscurité échappe à l’histoire, il y a eu déjà des Bouddhas, lumières du monde, qui ont annoncé la Doctrine Libératrice. Car, de même que l’erreur, le péché et la souffrance sont toujours autour de nous, le salut est aussi toujours à notre portée. L’homme qui s’efforce sérieusement d’arriver à la connaissance et à la délivrance en a toujours les moyens. Chaque fois que la pure Doctrine menace de disparaître et que l’humanité est sur le point de s’abîmer dans les désirs sensuels et dans les ténèbres morales, un nouveau Bouddha paraît. Le dernier de ces Bouddhas, la lumière de notre âge, fut justement le Bouddha Gotama, dont nous suivons la Doctrine.
  17. Aucun membre de la Confrérie ne doit aller seul dans la demeure d’une femme.
  18. Dans les Livres Saints du Bouddhisme, le Bouddha est le plus souvent désigné par un mot indiquant une de ses qualités. C’est ainsi qu’il est appelé « le Sublime ». — « Sakya-Mouni, » ou le sage de la race des Sakyas ; — « le Saint » parce qu’il est libre de toute volonté de vivre, de toute passion et de tout désir ; — « l’Artisan glorieux de sa perfection » parce qu’il a atteint la perfection, après une longue lutte contre l’erreur et les instincts terrestres ; — « l’Éclairé » parce qu’il reçut sous l’arbre de la connaissance la suprême lumière ; — « le Vainqueur du monde », parce qu’il a vaincu Mâra, le prince de ce monde, de l’amour sensuel, de la mort et des ténèbres, le tentateur des êtres vivants ; — et enfin « la Lumière du monde » parce qu’il ne s’est pas seulement délivré lui-même, mais qu’il a prêché pour tous la Doctrine de Salut et a fait briller sur le monde entier la lumière de la vérité.
  19. Bien que la Doctrine ait cessé de s’étendre depuis 1500 ans, le Bouddhisme compte encore aujourd’hui plus d’adhérents que toutes les confessions chrétiennes prises ensemble, c.-à.-d. 450 millions d’âmes, le tiers de la race humaine. Un siècle avant l’ère chrétienne, les apôtres bouddhistes avaient déjà poussé à l’est jusqu’au Caucase, et il y avait à Alexandria beaucoup de Frères et d’adhérents laïques. On peut donc à peine mettre en doute que Jésus de Nazareth, dont la doctrine a tant de points communs avec celle du Bouddhisme, n’ait été un disciple des Frères bouddhistes, de sa douzième à sa trentième année, temps duquel les évangiles ne parlent pas. Sous leur direction, il devint un Arahat. Il retourna ensuite dans sa patrie, pour y prêcher à son peuple la Doctrine libératrice.

    Cette doctrine du Christ fut plus tard dénaturée en partie et mélangée d’erreurs, empruntées à la Bible des juifs. Les enseignements fondamentaux du Christianisme et toute la manière d’agir de son fondateur sont visiblement d’origine bouddhiste. Le doux Nazaréen, à qui aucun Bouddhiste ne refusera sa vénération, était un Arahat, qui avait atteint le Nirvâna. Maintenant le temps est venu où les Européens, les descendants occidentaux des Aryas, peuvent entendre la pure doctrine du Bouddha dans son intégrité. Ce sera en Europe la religion de l’avenir : elle amènera dans la direction d’esprit et dans la manière de penser des peuples européens une révolution, comme il n’y en a plus eu depuis l’introduction du Christianisme.

  20. Ananda était le compagnon personnel du Bouddha, depuis le moment où il était entré dans la Confrérie des Élus. C’était celui de ses disciples que le Maître aimait le plus, à cause de sa simplicité, de sa tendresse de cœur et de son dévouement.
  21. Le terme « Tathagata » signifie un sage, qui est « venu comme ceux qui l’ont précédé » pour renouveler la vraie Doctrine. C’est ainsi que le Bouddha se nomme toujours, quand il parle de lui-même.