Catéchisme d’économie politique/1881/10

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Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 52-58).
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CHAPITRE X.

En quoi consistent les Progrès de l’Industrie.


À quel signe peut-on connaître que l’industrie fait des progrès dans un pays ?

Lorsqu’on y remarque des produits nouveaux qui trouvent à se vendre, ou bien lorsqu’on voit diminuer le prix des produits connus. Dans l’un et l’autre cas, il y a de nouvelles jouissances acquises par le public, et de nouveaux profits gagnés.

Pourquoi aux mots « produits nouveaux » ajoutez-vous : « qui trouvent à se vendre ? »

Parce qu’un nouvel objet dont le prix n’atteint pas ses frais de production, ne peut donner lieu à une fabrication suivie ; on perdrait à s’en occuper. Il n’en peut résulter ni jouissances nouvelles, ni profits nouveaux. Ce n’est pas un progrès.

Je conçois qu’un nouveau produit procure des jouissances et des profits nouveaux, mais je ne le comprends pas de même quand ce sont des produits déjà connus qui diminuent de prix.

Un produit, lorsqu’il baisse de prix, se met à la portée d’un certain nombre de consommateurs qui, auparavant, n’en pouvaient pas faire la dépense. Beaucoup de familles peuvent acheter un tapis de pied lorsqu’il ne coûte plus que 50 francs, et s’en passaient quand il fallait le payer 100 francs.

Si, en même temps, les étoffes dont se faisaient les robes de la mère et des filles ont baissé de 100 francs à 50, il n’y a toujours, dans cette famille, que 100 francs dépensés, et il s’y trouve une consommation plus considérable.

La seule possibilité d’acheter des jouissances nouvelles est équivalente à des profits nouveaux ; mais nous verrons tout à l’heure qu’aux avantages que les hommes trouvent comme consommateurs dans les progrès industriels, ils en trouvent d’autres comme producteurs.

Quelles sont les causes auxquelles il faut attribuer les progrès de l’industrie ?

Parmi ces causes, il s’en trouve qui agissent d’une manière générale, comme les progrès des connaissances humaines, les bonnes lois, la bonne administration du pays. D’autres agissent plus immédiatement, telles que la division du travail, un emploi mieux entendu des instruments dont se sert l’industrie, et particulièrement des agents naturels dont le secours est gratuit.

Qu’entendez-vous par la division du travail ?

C’est cet arrangement par lequel les travaux industriels sont répartis entre différents travailleurs, de manière que chaque personne s’occupe toujours de la même opération qu’elle recommence perpétuellement.

Donnez-m’en un exemple.

Dans la fabrication des épingles[1], c’est toujours le même ouvrier qui passe le laiton à la filière ; un autre ne fait que couper le fil de laiton par bouts d’une longueur pareille ; un troisième aiguise les pointes ; la tête seule de l’épingle exige deux ou trois opérations qui sont exécutées par autant de personnes différentes. Au moyen de cette séparation des emplois, on peut exécuter tous les jours 48,000 épingles dans une manufacture, où l’on n’en terminerait pas 200 s’il fallait que chaque ouvrier commençât et finit chaque épingle l’une après l’autre.

Ne remarque-t-on pas les effets de la division du travail autre part que dans les manufactures ?

On peut les observer partout dans la société où chacun se voue exclusivement à une profession différente, et la remplit mieux que si chacun voulait se mêler de tout.

Qu’en concluez-vous ?

Qu’il n’est pas avantageux de cumuler les occupations diverses ; qu’il convient au chapelier de commander ses habits au tailleur, et au tailleur de commander ses chapeaux au chapelier. Par la même raison, nous devons croire que l’industrie est plus perfectionnée quand le commerce en gros, le commerce en détail, le commerce avec l’intérieur, le commerce maritime, etc., sont l’objet d’autant de professions différentes.

Comment tire-t-on plus de parti des instruments de l’industrie ?

En les occupant plus constamment et en tirant plus de produits des mêmes instruments. C’est ainsi que l’agriculture est plus avancée là où, au lieu de laisser les terres en jachères, on leur procure du repos en changeant de culture. Un manufacturier actif qui exécute ses opérations plus rapidement qu’un autre, et qui commence et termine cinq fois ses produits dans le cours d’une année, au lieu de quatre, tire un plus grand service de son capital, puisque avec le même capital il fait cinq opérations au lieu d’une.

N’y a-t-il pas une autre manière de tirer plus de parti des instruments de l’industrie ?

Oui ; elle consiste à remplacer des instruments coûteux par d’autres qui nous sont offerts gratuitement par la nature, comme lorsqu’on fait moudre le grain par la force de l’eau ou du vent, au lieu de faire exécuter ce travail par des bras d’hommes. C’est l’avantage qu’on obtient ordinairement par le service des machines.

Le service des machines est-il avantageux aux producteurs et aux consommateurs ?

Il est avantageux aux entrepreneurs d’industrie aussi longtemps qu’il ne fait pas baisser le prix des produits. Du moment que la concurrence a fait baisser les prix au niveau des frais de production, le service des machines devient avantageux aux consommateurs.

N’est-il pas dans tous les cas funeste à la classe des ouvriers ?

Il ne lui est funeste qu’à l’époque où l’on commence à se servir d’une nouvelle machine ; car l’expérience nous apprend que les pays où l’on fait le plus d’usage des machines, sont ceux où l’on occupe le plus d’ouvriers.

Les arts même où l’on a remplacé par des machines les bras des hommes, finissent par occuper plus d’hommes qu’auparavant.

Citez-m’en des exemples.

Malgré la presse d’imprimerie, qui multiplie les copies d’un même écrit avec une étonnante rapidité, il y a plus de personnes occupées par l’imprimerie à présent, qu’il n’y avait de copistes employés auparavant à transcrire des livres.

Le travail du coton occupe plus de monde maintenant qu’il n’en occupait avant l’invention des machines à filer.

Le service des machines ne tend-il pas au perfectionnement de la société en général ?

Tous les moyens expéditifs de produire ont cet effet à un point surprenant. C’est en partie parce qu’on a inventé la charrue qu’il a été permis aux hommes de perfectionner les beaux-arts et tous les genres de connaissances.

Dites-moi par quelle raison.

Si pour obtenir la quantité de blé nécessaire pour nourrir un peuple, il avait fallu que ce peuple tout entier fût employé à labourer la terre avec la bêche, personne n’aurait pu se vouer aux autres arts ; mais du moment que quarante personnes ont suffi pour faire pousser la nourriture de cent, il est arrivé que soixante personnes ont pu se livrer à d’autres occupations. Elles ont échangé ensuite le fruit de leurs travaux contre le blé produit par les premières, et la société tout entière s’est trouvée mieux pourvue d’objets de nécessité ou d’agrément ; ses facultés intellectuelles et morales se sont perfectionnées en même temps que ses autres moyens de jouir.



  1. C’est l’exemple d’Adam Smith ; mais il en faut prendre un autre ou parler au passé, car les épingles se fabriquent maintenant à la mécanique. J.G.