Catéchisme d’économie politique/1881/16

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Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 96-102).
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CHAPITRE XVI.

Des réglements relatifs à l’exercice de l’industrie.


Quels règlements fait-on communément relativement à l’industrie ?

Les lois et les règlements que le gouvernement fait à ce sujet ont pour objet, soit de déterminer les produits dont il faut ou dont il ne faut pas s’occuper, soit de prescrire la manière dont les opérations de l’industrie doivent être conduites.

Quels exemples a-t-on de la manière dont un gouvernement détermine la nature des produits ?

Dans l’agriculture, lorsqu’il interdit tel ou tel genre de culture, celle de la vigne, par exemple, ou lorsqu’il donne des encouragements extraordinaires à d’autres cultures, comme à celle du blé.

Dans les manufactures, lorsqu’il favorise certaines fabrications, comme celle des soieries, et oppose des prohibitions ou des gênes à d’autres fabrications, comme à celle des cotonnades.

Dans l’industrie commerciale, lorsqu’il favorise par des traités les communications avec certain pays et les interdit avec un autre pays, ou lorsqu’il accorde des privilèges au commerce d’une telle marchandise et prohibe le commerce de telle autre.

Quel but se propose le gouvernement par ces protections et ces entraves ?

D’encourager la création des produits qu’il suppose les plus favorables à la prospérité publique.

Quels sont, en réalité, les produits les plus favorables à la prospérité publique ?

Ce sont ceux qui acquièrent le plus de valeur par comparaison avec leurs frais de production.

Pourquoi sont-ils plus favorables à la prospérité publique ?

Parce que leur plus haute valeur indique le besoin qu’on en a, et parce qu’une plus grande création de valeur est une plus grande création de richesse.

Leur production a-t-elle besoin d’être encouragée ?

Nullement ; car cette circonstance même la rend plus lucrative qu’une autre.

Quels sont les produits qui ne peuvent se passer d’encouragement ?

Ce sont ceux qu’il ne convient pas de produire, et dont sans cela les producteurs ne voudraient pas s’occuper. En favorisant leur production, on encourage des opérations moins avantageuses que les autres, et qui emploient des capitaux, des travaux et des soins qui rapporteraient davantage étant appliqués à d’autres objets.

Comment le gouvernement peut-il se mêler de la manière dont les produits peuvent être exécutés ?

Pour les manufactures, il prescrit quelquefois le nombre de gens qui doivent y gagner leur vie et les conditions qu’ils doivent remplir, comme lorsqu’il établit des corporations, des maîtrises et des compagnonnages ; ou bien il détermine les matières qu’il faut employer, le nombre de fils que doivent porter la chaîne et la trame des étoffes. Pour l’industrie commerciale, il prescrit dans certains cas la route que devront tenir les marchandises, le port où elles devront débarquer, etc.

Quel est le prétexte sur lequel on se fonde pour établir les corporations et les maîtrises ?

On se flatte de pouvoir exclure les hommes sans probité et sans capacité du droit d’exercer une profession, et l’on se persuade que le public sera moins souvent trompé dans ses achats.

L’expérience vient-elle à l’appui de cette assurance ?

Nullement ; parce que les hommes sans probité et sans capacité font aussi facilement que d’autres les preuves exigées pour entrer dans une corporation.

On peut ajouter que lorsqu’on donne à certains hommes le droit de juger de la manière de travailler de certains autres, on s’expose à des jugements dictés par l’ignorance ou la routine, par la rivalité ou la prévention. Le seul juge compétent des produits est le consommateur.

Quel est l’effet réel des corporations par rapport au public ?

De lui faire payer plus cher de plus mauvais produits.

Comment présumez-vous cet effet ?

En premier lieu, toute corporation augmente les frais de production, car les entrepreneurs d’industrie doivent contribuer pour subvenir aux dépenses du corps. En second lieu, la corporation est intéressée à écarter, sous différents prétextes, autant de concurrents qu’elle se peut, et surtout ceux qui, par leur génie et leur activité, pourraient surpasser leurs confrères. Aussi remarque-t-on que les lieux où les arts industriels font le plus de progrès sont ceux où tout homme peut librement exercer toutes les industries.

Quel est l’effet des corporations relativement aux ouvriers ?

Elles facilitent les combinaisons coupables des maîtres pour établir le prix des salaires plus bas que le taux où il serait porté par la concurrence, et pour restreindre le nombre des apprentis afin de ne pas se créer des concurrents.

Mais si les ouvriers, de leur côté, s’entendent pour exiger un certain salaire…

Ce sont alors les ouvriers qui forment une corporation non autorisée, et tout aussi préjudiciable que les corporations autorisées.

Pourquoi nommez-vous ces combinaisons « coupables ? »

Parce qu’elles violent le droit qu’ont tous les hommes de gagner leur vie comme ils peuvent, pourvu qu’ils ne portent atteinte ni à la sûreté ni à la propriété d’autrui. Elles violent aussi le droit qu’ont tous les consommateurs d’acheter les choses dont ils ont besoin aux prix où une libre concurrence peut les porter[1].

N’y a-t-il pas d’autres motifs qui doivent faire repousser les corporations et les maîtrises ?

Il y en a beaucoup d’autres ; mais on peut dire en général qu’aucun règlement, aucune loi ne sauraient produire une seule parcelle de richesse, une seule parcelle des biens qui font subsister la société ; ce pouvoir est réservé à l’industrie, aidée de ses instruments (les capitaux et les terres). Tout ce que les lois et les règlements peuvent faire à cet égard, c’est d’ôter aux uns ce qu’ils donnent aux autres ou de gêner les opérations productives. Dans de certains cas, cette gêne est indispensable[2], mais on doit la regarder comme un remède qui a toujours des inconvénients, et qu’il faut employer aussi rarement qu’il est possible.



  1. Toute personne a sans doute le droit de fixer le prix de son travail et de ne pas travailler pour un prix inférieur à celui qu’elle a déterminé ; mais les individu qui, par menaces ou par violences empêchent de travailler des personnes qui n’ont pas d’autres moyens d’existence que leur travail, se rendent coupables d’un attentat qui mérite une répression sévère, car ils attentent indirectement à la vie de leurs semblables. Ch. C.
  2. Cas fort rares, relatifs à la salubrité, à la défense nationale, à la perception des impôts ; mais l’entrave et la gêne n’ont jamais servi à féconder la production, à activer la circulation, à rendre la distribution plus juste et la consommation plus rationnelle. J. G.