Catéchisme d’économie politique/1881/29
CHAPITRE XXIX.
Des effets économiques de l’impôt.
Que peut-on désirer savoir relativement aux effets de l’impôt ?
On peut désirer de savoir sur qui tombe réellement son fardeau, et quel est son résultat par rapport à la prospérité nationale.
L’impôt ne pèse-t-il pas uniquement sur le contribuable qui l’acquitte ?
Non ; quand c’est le producteur d’un produit qui acquitte l’impôt, il cherche à s’en rembourser autant que possible en vendant ses produits plus cher. Quand c’est le consommateur, il diminue sa consommation ; d’où résulte une diminution de demande et de prix, qui diminue les profits du producteur.
Faites-moi comprendre ces effets par des exemples.
Lorsqu’on met un droit sur l’entrée à Paris du bois de chauffage, le marchand de bois, pour faire payer ce droit par le consommateur, élève le prix de sa marchandise.
Le consommateur de bois paye-t-il, par ce moyen, la totalité du droit ?
Probablement non ; car les consommateurs de bois, ou du moins une forte partie d’entr’eux, réduisent leur consommation à mesure que ce produit devient plus cher. En effet, sur quoi payons-nous notre combustible ? Sur notre revenu, quelle qu’en soit la source. Chacun de nous consacre une portion de son revenu à chacune de ses consommations. Celui qui a 10,000 francs à dépenser tous les ans, consacre, par supposition, 300 francs à son combustible ; il obtient pour cette somme douze mesures de bois. Si l’impôt est d’un sixième de la valeur de la denrée, il n’en obtiendra plus pour la même somme que dix mesures.
Il réduira de même sa consommation de vin en raison de l’impôt sur le vin ; son logement en raison de l’impôt sur les loyers ; et il est impossible qu’il fasse autrement ; car il n’a que 10,000 francs à dépenser, il est impossible qu’il en dépense 12,000.
Comment cet effet réagit-il sur le producteur ?
La demande qu’on fait en général d’un produit venant à diminuer à la suite de son renchérissement, les profits des producteurs en sont affectés. Si le bois était à 28 francs la mesure, un droit de 4 francs le porterait à 32 ; mais il faudrait, pour cela, que la consommation restât la même, ce qui n’est pas possible. Dès lors les producteurs seront forcés de renoncer à une partie de leurs profits, et de le céder, par exemple, à 30 francs ; l’acheteur payera ainsi son combustible 2 francs de plus, quoique le producteur le vende 2 francs de moins, et le droit de 4 francs aura porté sur le revenu de l’un et de l’autre. Car c’est toujours, en définitive, les revenus des particuliers qui doivent payer l’impôt.
Quand on demande l’impôt au consommateur, comment le producteur en supporte-t-il sa part ?
Par une suite des mêmes nécessités ; si un consommateur achète du vin en Bourgogne, les droits qu’on lui fera payer l’obligeront à réduire sa consommation de vin ; et le marchand, pour vendre, sera obligé de réduire son prix. Aussi remarque-t-on que, plus les droits font renchérir les consommations, moins les producteurs gagnent.
Est-ce toujours d’après des proportions fixes que les producteurs et les consommateurs supportent leur part des impôts ?
Non ; c’est dans des proportions qui varient beaucoup, suivant les denrées et suivant les circonstances. Quelquefois l’acheteur d’une denrée fort nécessaire ne diminue pas sa consommation en vertu du renchérissement ; mais comme il ne peut toujours dépenser qu’une somme bornée, il supprime, en tout ou en partie, une autre consommation, et c’est quelquefois le producteur du sucre qui supporte une partie d’un impôt mis sur la viande.
Qu’observez-vous à ce sujet ?
Que le bois, le sucre, la viande, ce qu’on appelle communément la matière imposable, ne sont en réalité qu’un prétexte à l’occasion duquel on fait payer un impôt, et que tout impôt porte réellement, soit sur les revenus de tous genres des consommateurs qu’ils diminuent en rendant les produits plus chers, soit sur les revenus des producteurs, en rendant les profits moins considérables. Dans la plupart des cas, ce double effet a lieu tout à la fois.
L’impôt ne fait-il pas à une nation un tort indépendant de la valeur qu’il fait payer au contribuable ?
Oui, surtout quand il est excessif. Il supprime en partie la production de certains produits. En France, avant la révolution, une partie des provinces payaient l’impôt sur le sel ; d’autres provinces ne le payaient pas. La consommation de sel était, chaque année, dans les premières, de neuf livres de sel par tête, et dans les secondes, de dix-huit livres. Ainsi, outre les quarante millions que payaient les provinces soumises à la gabelle, elles perdaient les profits attachés à la production et les jouissances attachées à la consommation de neuf livres de sel par personne.
D’autres inconvénients ne suivent-ils pas le recouvrement des droits ?
Oui ; c’en est un très grave que la nécessité de visiter aux frontières, et quelquefois à l’entrée des villes, les ballots du commerce et les effets des voyageurs. Il en résulte des pertes de temps et des détériorations de marchandises. Ce mal devient d’autant plus grave que les droits sont plus élevés ; ce n’est qu’alors que les particuliers sont excités à la fraude et que le fisc est obligé à des rigueurs.
L’impôt n’a-t-il pas le bon effet de favoriser la production, en obligeant les producteurs à un redoublement d’efforts ?
Les producteurs ne sont jamais plus excités à produire que par la certitude de jouir sans réserve du fruit de leurs efforts, et l’impôt ne les en laisse pas jouir sans réserve. On peut donc conclure qu’il borne plutôt qu’il n’encourage les efforts de l’industrie.
Quels sont les autres effets de l’impôt ?
Quand les droits sont excessifs, ils provoquent la fraude ; or, la fraude est un tort réel que font les fraudeurs aux producteurs qui ne le sont pas ; elle oblige le gouvernement à prendre des moyens de répression qui sont odieux, à salarier des armées de commis et de gardes qui augmentent considérablement les frais de recouvrement.
Ne pourrait-on pas obtenir quelques bons effets des contributions, outre les besoins publics qu’elles sont destinées à satisfaire ?
Oui, en les faisant porter sur les consommations mal entendues. C’est l’effet que produisent les impôts sur les objets de luxe et les habitudes contraires à la morale.
Le gouvernement ne rend-il pas au public, par ses dépenses, l’argent qu’il lève sur le public par les contributions ?
Lorsque le gouvernement ou ses agents font des achats avec l’argent qui provient des contributions, ils ne font pas au public un don de cet argent ; ils obtiennent des marchands une valeur égale à celle qu’ils donnent. Ce n’est donc point une restitution qu’ils opèrent. Que penseriez-vous d’un propriétaire foncier qui, après avoir reçu de son fermier le loyer de sa terre, prétendrait lui avoir rendu son fermage, parce qu’il l’aurait employé tout entier à acheter le blé, le beurre, les laines du fermier ? Ceux qui pensent que le gouvernement rend à la nation, par ses dépenses, ce qu’il lève sur la nation par les contributions, font un raisonnement qui n’est pas moins ridicule.
Cependant le gouvernement, par ses dépenses, rend à la circulation l’argent qu’il a levé.
L’argent qu’il reverse dans la circulation ne vaut pas plus que les objets qu’il achète, en supposant les achats faits selon les prix courants.
Il encourage du moins la production des objets qu’il achète.
Oui ; mais s’il avait laissé cet argent aux contribuables, ceux-ci auraient employé ce même argent à des achats d’où serait résulté un encouragement précisément égal. Cet encouragement se serait même perpétuellement renouvelé, si le contribuable avait employé l’argent à une dépense reproductive. Vous ne pouvez pas avoir oublié que la consommation reproductive favorise la production au même degré que la consommation stérile et que, n’étant autre chose qu’une avance, l’encouragement qui en résulte se renouvelle chaque fois que la rentrée permet de répéter la même avance. Les sommes que l’économie dans les dépenses publiques laisse aux contribuables la possibilité de mettre de côté, deviennent, entre leurs mains, des portions de capital.