Catherine Tekakwitha/3/2

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Imprimerie du Messager (p. 213-219).


CHAPITRE DEUXIÈME


Le renom de sainteté. — Divers témoignages.


À la mort d’un serviteur ou d’une servante de Dieu, ce qui frappe d’abord c’est sa réputation de sainteté, répandue dans le peuple. « C’était un saint, une sainte », répète-t-on à l’envi. Les Iroquois du Sault, après le décès de Catherine Tekakwitha, se disaient les uns aux autres : « La sainte est morte. »

Dans les premiers siècles de l’Église, cette voix du peuple, bien constatée, était considérée en quelque sorte comme la voix de Dieu, d’après l’adage : Vox populi, vox Dei. Aussi était-ce souvent sur ce suffrage populaire que s’appuyait ce qu’on a appelé la béatification équipollente. Des abus étaient à craindre. Peu à peu, la béatification et la canonisation des saints prirent la forme qu’elles ont de nos jours : constatation par différents procès, devant plusieurs tribunaux, jusqu’à sanction définitive du Souverain Pontife, du renom de sainteté, basé sur l’héroïcité des vertus et les miracles.

Le P. Cholenec, témoin de la gloire qui auréolait le nom de Catherine, écrit à son Provincial de France en 1715 : « Tous les Français qui habitent ces colonies, de même que les Sauvages, ont une singulière vénération pour elle ; ils viennent de fort loin prier sur son tombeau, et plusieurs, par son entremise, ont été guéris sur le champ de leurs maladies et ont reçu du ciel d’autres faveurs extraordinaires. »

C’est bien aussi le témoignage du P. Chauchetière. « Tout le peuple, dit-il, tant sauvages que français, s’adresse à elle dans ses nécessités. »

Nous avons cité ailleurs le P. de Charlevoix. On sait qu’il vint deux fois au Canada. Il y demeura d’abord de 1705 à 1709, où il commença à recueillir les matériaux de sa grande Histoire et Description de la Nouvelle-France. Dix à douze ans plus tard, il y passa plusieurs mois avant de continuer sa route vers la Louisiane. Il put donc se rendre compte par lui-même de l’universelle vénération du pays pour la vierge iroquoise. Voici ce qu’il en rapporte, après avoir dit que Dieu n’avait pas encore glorifié les tombeaux des héroïques apôtres et missionnaires de la Nouvelle-France :

« Il a fait cet honneur à une jeune Néophyte, presque inconnue à tout le pays pendant sa vie. Elle est, depuis plus de soixante ans, regardée comme la Protectrice du Canada, et il n’a pas été possible de s’opposer à une espèce de culte qu’on lui rend publiquement. »

Il donne un exemple de ce culte en ces termes : « Tous les ans, au jour du décès de la bonne Catherine — c’est le nom sous lequel, par déférence pour le S. Siège, on honore en Canada cette Sainte Fille — plusieurs paroisses des environs vont chanter dans l’église du Sault Saint-Louis une messe solennelle de la Trinité. »

En 1688, Mgr de Saint-Vallier, deuxième évêque de Québec, rendant compte de l’état de l’Église du Canada, fournit ce témoignage, précieux dans sa brièveté : « C’est là (au Sault) qu’on a vu dans la personne de Catherine Tegascouita la première vierge chrétienne que la nation Iroquoise ait donnée à l’Église de Jésus-Christ… Dieu fait plusieurs prodiges au tombeau de cette merveilleuse fille. »

Quelques années plus tard, il fit la visite de la mission, en compagnie du marquis de Denonville, gouverneur du Canada. Sa première pensée fut d’aller prier sur la tombe où reposait Catherine, pour se recommander à sa protection. « Consolons-nous, dit-il en se relevant, le Canada possède aussi sa Geneviève. »

Le témoignage suivant est de M. de la Colombière , frère du vénérable Père de la Colombière, S. J., homme lui aussi de grande vertu, chanoine de la cathédrale de Québec et grand vicaire du diocèse. Voici ce qu’il atteste :

« Ayant été malade à Québec, l’année passée, depuis le mois de janvier jusqu’au mois de juin, d’une fièvre lente contre laquelle tous les remèdes avaient été inutiles, et d’un flux que l’ipécacuanha même n’avait pu guérir, on jugea à propos que je fisse le vœu, au cas qu’il plût à Dieu de faire cesser ces deux maladies, de monter à la mission de saint François-Xavier, pour prier sur le tombeau de Catherine Tegahkouita. Dès le jour même la fièvre cessa, et le flux étant beaucoup diminué, je m’embarquai, quelques jours après, pour m’acquitter de mon vœu. À peine eus-je fait le tiers du chemin, que je me trouvai parfaitement guéri.

« Comme ma santé est quelque chose de si inutile, que je n’aurais pas osé la demander, si la déférence que je dois avoir pour des serviteurs de Dieu ne m’y avait obligé, on ne peut raisonnablement s’empêcher de croire que Dieu, en m’accordant cette grâce n’a point eu d’autre vue que celle de faire connaître le crédit que cette bonne fille a auprès de lui. Pour moi, je craindrais de retenir la vérité dans l’injustice, et de refuser aux missions du Canada la gloire qui leur est due, si je ne témoignais, comme je fais, que je suis redevable de ma guérison à cette vierge iroquoise. C’est pourquoi je donne la présente attestation avec tous les sentiments de reconnaissance dont je suis capable, pour augmenter, si je puis, la confiance que l’on a en ma bienfaitrice, mais encore plus pour exciter le désir d’imiter ses vertus.

« Fait à Villemarie, le 14 septembre 1696.

J. de la Colombière, P. J.
Chanoine de la cathédrale de Québec


Un autre témoignage est celui du capitaine du Luth, commandant du fort Frontenac, « un des plus braves officiers, dit le P. de Charlevoix, que le Roy ait eus dans cette colonie » ; il a donné son nom à la ville américaine située au bout du lac Supérieur.

Il voulut, lui aussi, consigner juridiquement son attestation :

« Je, soussigné, certifie à qui il appartiendra, qu’étant tourmenté de la goutte depuis vingt-trois ans, avec de si grandes douleurs, qu’elle ne me laissait pas de repos l’espace de trois mois, je m’adressai à Catherine Tegahkouita, vierge iroquoise, décédée au Sault Saint-Louis en opinion de sainteté, et je lui promis de visiter son tombeau, si Dieu me rendait la santé par son intercession. J’ai été si parfaitement guéri, à la fin d’une neuvaine que je fis faire en son honneur, que depuis quinze mois je n’ai senti aucune atteinte de goutte. « Fait au fort Frontenac, ce 15 août 1696. »

Signé J. du Luth

L’historien de Bacqueville de la Potherie, au tome premier de son Histoire de l’Amérique septentrionale[1], consacre plusieurs pages à notre sainte. Le passage débute ainsi :

« La réputation de Catherine Tekakouita Iroquoise, est trop recommandable dans ce nouveau monde pour passer sous silence ce modèle de vertu et de sainteté. Sa mémoire est en grande vénération ; on remarque que beaucoup de personnes ont ressenti des effets admirables de la pieuse confiance qu’elles ont eue en elle en différentes occasions. »

On trouve un excellent chapitre sur le même sujet dans les Annales de l’Hôtel-Dieu de Québec. Sous le titre : « Mort de la bonne Catherine Tegakouita », le chapitre s’ouvre par ces mots : « L’année suivante, 1680, le 17e avril, la bonne Catherine Tegakouita Iroquoise mourut en odeur de sainteté, au Sault Saint-Louis, où elle demeurait depuis quelques années. » Il se termine par cette observation : « Depuis ce temps-là (sa mort), on a recours à elle de tous les quartiers du Canada, et Dieu a fait par son intercession plusieurs guérisons miraculeuses. »

Chateaubriand, dans ses Natchez, dresse un parallèle entre sainte Geneviève et Catherine Tekakwitha : « Les vertus de Catherine, dit-il en conclusion, resplendirent après sa mort. Dieu couvrit son tombeau de miracles riches et éclatants, en proportion de la pauvreté et de l’obscurité de la sainte ici-bas, et cette vierge ne cesse de veiller au salut de la Nouvelle-France et de s’intéresser aux habitants du désert. »

Le Dictionnaire historique des hommes illustres du Canada et de l’Amérique de Bibaud, jeune (Montréal, 1857), range Catherine Tekakwitha parmi ces illustres personnages.

Les prodiges dont nous parlerons ci-après apporteront aussi leurs témoignages. Mais déjà il nous semble que le renom de sainteté de notre héroïne est assez bien établi par les divers témoins que nous avons cités à notre barre. Pourtant, il y a mieux encore : l’intervention de Catherine elle-même, pour faire éclater la gloire qui la couronne dans le ciel.

  1. De la Potherie, Histoire de l’Amérique Septentrionale, t. i, XIIe lettre, Paris, 1753.