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Catilina (Crébillon)/Acte II

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Imprimerie Royale (p. 204-218).

A C T E   I I.
S C È N E   P R E M I È R E
F U L V I E,   P R O B U S.
F U L V I E.

Nabuſez point, Probus, de l’état où je ſuis ;
Je vous perdrai : du moins, ſongez que je le puis.
Vous croyez, à l’abri de votre caractère,
Pouvoir impunément défier ma colère,
Et que mon cœur tremblant à l’aſpect de ce lieu,
Va mettre au même rang le Miniſtre & le Dieu.
Eh quel Miniſtre encore ! un ſacrilège, un traître,
Qui de Catilina devenu le grand Prêtre,
Des Tarquins ſur ſon front veut ceindre le bandeau,
Et du ſang des Romains nourrir ce Dieu nouveau ;
Lâche, qui ſe dévoue aux amours de Tullie,
Qui de ſes propres Dieux profanateur impie,
Prête leur Sanctuaire à des feux criminels,
Deſhonore le Prêtre, & ſouille les autels.

P R O BU S.

Cédez moins au torrent de votre jalouſie,
Et loin de m’offenſer, écoutez-moi, Fulvie.

Conſidérez l’abyme où va vous engager
Une folle habitude à ne rien ménager.
Vous croyez vous venger, vous vous perdez vous-même,
Et de plus, un amant qui peut-être vous aime.
Le dépit n’a jamais ſatisfait ſes tranſports,
Qu’il n’ait livré notre ame à d’éternels remords.
L’amour le mieux vengé, quelle que ſoit l’offenſe,
Eſt ſouvent le premier à pleurer ſa vengeance :
On punit l’inconſtant, mais on perd en un jour
L’objet de ſa tendreſſe, & l’eſpoir d’un retour.
Enfin, que ſavez-vous ſi l’on aime Tullie ?
A travers les fureurs dont votre ame eſt ſaiſie,
Croyez-vous que l’amour éclaire aſſez vos yeux
Pour percer les replis d’un cœur ambitieux ?
Vous ſavez les projets que votre amant médite,
En pénétrez-vous bien le détail & la ſuite ?
Un homme tel que lui doit-il à découvert
Se montrer ſans prudence au grand jour qui le perd ?
Peut-il porter trop loin l’artifice & la feinte ?
Non, il faut que ſon cœur ne ſoit qu’un labyrinthe,
Que l’amour même en vain y cherche des ſecrets
Que pour lui la raiſon & l’honneur n’ont point faits.
L’uſage qu’aujourd’hui vous avez oſé faire
Des ſecrets dont l’amour vous fit dépoſitaire,
Ne vous prouve que trop, malgré votre dépit,
Pour peu qu’il ait parlé, qu’il n’en a que trop dit.

L’impétueux Caton murmure, tonne, éclate,
Trouble tout pour ſervir un Conſul qui le flatte.
Devenu du Sénat & l’idole & l’eſpoir,
Cicéron eſt armé du ſouverain pouvoir :
Le Sénat qui ſur lui redoute une entrepriſe,
Pour mettre ſon héros à couvert de ſurpriſe,
De l’ordre équeſtre entier le fait accompagner ;
Puiſqu’on ne peut le perdre, il faut donc le gagner.
Pour le faire périr il faut la force ouverte ;
Mais ce ſeroit ſans fruit travailler à ſa perte.
Un hymen prétendu peut calmer ſes frayeurs ;
Et cet hymen devient l’objet de vos fureurs !
Plus de raiſon alors, & la fière Fulvie
Expoſe un nom célèbre au mépris de Tullie,
Se couvre ſans rougir d’un vil déguiſement !
Pourquoi ce deshonneur ? pour perdre ſon amant.
Ah Madame ! ce cœur dont j’ai plaint la tendreſſe,
De l’habit qui vous cache a-t-il pris la baſſeſſe ?
Dans quel ſein dépoſer des ſecrets dangereux,
Si le cœur d’une amante eſt un écueil pour eux ?
Vit-on jamais l’amour, dans ſa plus noire ivreſſe,
Emprunter du dépit une langue traîtreſſe ?

F U L V I E.

Qui donc ai-je trahi, Miniſtre ambitieux ?
Et quelle foi doit-on à des ſéditieux ?

La garder aux méchans, c’eſt partager leurs crimes :
Mais je vois que Probus connoît peu ces maximes ;
Et je ſais, quand la haine enflamme vos pareils,
Juſqu’où va la noirceur de leurs lâches conſeils,
Sur-tout dès qu’il s’agit de venger leurs injures.
Céſar eſt déſigné ſouverain des augures,
Cicéron a brigué pour ce rival heureux,
Et le place en un rang dont on flattoit vos vœux ;
Catilina d’ailleurs vous étoit favorable :
Le moyen qu’à vos yeux je ne ſois point coupable,
Moi qui viens de ſauver un Conſul odieux
Qui s’eſt oſé jouer d’un miniſtre des Dieux,
Qui de ſa dignité dépoſitaire habile,
Plein de faſte aux autels, & près des Grands ſervile,
Sur l’eſpoir de leurs dons meſure ſa ferveur,
Et n’adore en effet que la ſeule faveur ?
Mon devoir m’ordonnoit de ſauver la patrie ;
Imitez-le, ou gardez vos conſeils pour Tullie.
Croyez-moi, terminez d’imprudentes leçons,
Qui ne font qu’irriter ma haine & mes ſoupçons :
Ceſſez de me flatter qu’on peut m’aimer encore,
J’ai trop vû la beauté que l’infidèle adore ;
Mes yeux avant ce jour ne la connoiſſoient pas,
Mais vous me payerez ſes funeſtes appas :
C’eſt vous qui leur gagnez ſur moi la préférence,
Moi que déſhonoroit la ſeule concurrence.

Pourquoi de cet hymen m’a-t-on fait un ſecret ?
Et pourquoi, s’il eſt feint, m’en cacher le projet ?
Traître, ce n’eſt pas vous qui deviez me l’apprendre ;
Mais on croit n’avoir rien à craindre d’un cœur tendre.
Sachez que d’un ſecret à demi confié,
Dès qu’on peut une fois percer l’autre moitié,
On eſt toûjours en droit d’en trahir le myſtère,
Et qu’on ne doit plus rien à qui nous l’oſe faire.

P R O BU S.

Eh bien, perdez, Madame, un homme généreux
Qui veut briſer les fers de tant de malheureux ;
Vengez votre beauté d’un amant infidèle,
Et votre orgueil bleſſé des projets qu’il vous cèle ;
D’un long embraſement devenez le flambeau,
Et nous ouvrez à tous les portes du tombeau.
Mais Catilina vient, évitez ſa préſence,
Ou du moins, gardez-vous d’irriter ſa vengeance.


S C È N E   I I.
C A T I L I N A,   F U L V I E,   P R O B U S.
C A T I L I N A.

Probus, où ſommes-nous ? & qu’eſt-ce que je voi !
Quel opprobre pour Rome, & quel affront pour moi !

C’eſt aux yeux du Sénat, aux miens, qu’une Romaine,
Au mépris des devoirs où ſon ſexe l’enchaîne,
Sous un déguiſement fait pour de vils humains,
S’en va deſhonorer le premier des Romains,
De ſes folles erreurs le rendre la victime,
Sans daigner ſeulement s’éclaircir de ſon crime !
Et lorſque tout conſpire à me juſtifier,
Sa jalouſe fureur veut me ſacrifier !
Eh quel étoit le but où ma valeur aſpire ?
Pour qui voulois-je ici conquérir un empire ?
Eſt-ce pour Cicéron, l’objet de mon courroux,
Lui que je voudrois voir expirer ſous mes coups ?
Non, c’eſt pour une ingrate à qui je ſacrifie
Ma gloire, mon devoir, & le ſoin de ma vie.

F U L V I E.

Pourſuis, Catilina, le reproche ſied bien
A des cœurs innocens & purs comme le tien ;
Mais dans l’art de tromper, ta ſcience ſuprême,
Tu m’en as trop appris pour me tromper moi-même.
Va, ceſſes d’éclater ſur mon déguiſement,
Tout, juſqu’à ton courroux, eſt faux en ce moment.
Égorges Cicéron aux yeux de ſa famille,
Je ne t’en croirai pas moins épris de ſa fille :
Ce n’eſt pas d’aujourd’hui que tu ſais allier
La vertu, les forfaits, l’amant, le meurtrier ;

Et Tullie à tes yeux fût-elle encor plus chère,
Rien ne garantiroit la tête de ſon père.
Mais de quoi te plains-tu ? quel eſt mon attentat ?
Eſt-ce moi qui prétends t’accuſer au Sénat ?
De l’eſpoir d’être à toi ma tendreſſe enivrée,
A tes lâches complots ne m’a que trop livrée.
Songes que tu me dois, & Céſar, & Craſſus,
Les enfans de Sylla, Cépion, Lentulus.
Cruel ! J’aurois voulu que tout ce qui reſpire,
Eût été, comme moi, ſoûmis à ton empire :
Mais tandis que pour toi je ſéduiſois les cœurs,
Tu préparois au mien le comble des horreurs ;
Et le tien, trop épris des charmes de Tullie,
A bien-tôt oublié ce qu’il doit à Fulvie.
Cependant, qui de nous s’arme ici contre toi ?
C’eſt elle qui te perd, ingrat, ce n’eſt pas moi.
Il eſt vrai qu’en ſon cœur j’ai voulu te détruire ;
Mais c’eſt-là ſeulement qu’attachée à te nuire,
Contente de pouvoir vous déſunir tous deux,
Je n’ai rien oublié pour te rendre odieux.
Eh pouvois-je prévoir que l’honneur chimérique
De ſauver les débris d’un nom de république,
Porteroit une amante à perdre ſon amant ?
Mais, pour t’en garantir, je ne veux qu’un moment.
Abandonne à mon cœur le ſoin de ta défenſe :
Je ne ſais s’il te doit, ou tendreſſe, ou vengeance ;

Je ne veux ſur ce point nul éclairciſſement,
Qui puiſſe triompher d’un plus doux mouvement :
Mais, par un déſaveu, ſouffres que j’humilie
A l’aſpect du Sénat l’orgueilleuſe Tullie ;
Son cœur eſt déſormais indigne de ta foi.

C A T I L I N A.

Tullie en me perdant ſe rend digne de moi ;
Et vous, qui prétendez me ſauver par un crime,
Vous ne méritez plus mes vœux, ni mon eſtime.
C’eſt au Sénat qu’il faut m’accuſer aujourd’hui ;
Je ne redoute rien, ni de vous, ni de lui.
Si jamais vous oſiez y démentir Tullie,
Un affront ſi ſanglant vous coûteroit la vie ;
Ainſi déclarez tout, c’eſt l’unique moyen
De regagner un cœur qui ne vous doit plus rien :
Vos fureurs n’ont que trop épuiſé ma conſtance.
Mais je vois les Licteurs, & le Conſul s’avance ;
Éloignez-vous d’ici.

F U L V I E.

Éloignez-vous d’ici. Tu me braves, ingrat.
Adieu, tu me verras ce jour même au Sénat.

[Elle ſort.]
C A T I L I N A.

Probus, ſuivez ſes pas, allez tous deux m’attendre,
Et cachez Manlius qui doit ici ſe rendre.


S C È N E   I I I.
C I C É R O N,   C A T I L I N A,   L E S   L I C T E U R S.
C I C É R O N fait ſigne aux Licteurs de s’éloigner.

C’eſt vous, Catilina, que je cherche en ces lieux,
Non comme un ſénateur jaloux & furieux,
Mais comme un ennemi qui ſait régler ſa haine
Sur ce qu’en peut permettre une vertu Romaine.
Enfin, depuis le jour que le ſort des Romains,
Par le choix des Tribuns, fut remis en mes mains,
Vous ne m’avez point vû, ſoigneux de vous déplaire,
Braver l’inimitié d’un ſi noble adverſaire.
Je remportoi ſur vous l’honneur du Conſulat,
Sans acheter les voix du peuple & du Sénat ;
Et vous ſavez aſſez que cette préférence
Qui flattait vos déſirs, paſſoit mon eſpérance :
Mais le Sénat toûjours en butte à vos mépris,
Réunit en moi ſeul les vœux & les eſprits.
Encor, ſi quelquefois vous daigniez vous contraindre,
Que, fait pour être aimé, vous vous fiſſiez moins craindre,
Que mettant à profit tant de dons précieux,
Vous affectaſſiez moins un orgueil odieux :

Mais bravant le Sénat & les Conſuls enſemble,
A vos moindres chagrins vous voulez que tout tremble.
Regardez ces autels, voyez parmi nos Dieux
Ces marbres conſacrés aux noms de vos ayeux ;
Leurs grands cœurs ont toûjours haï la tyrannie,
Et Rome n’a jamais tremblé que pour leur vie.
Si, moins ambitieux, votre haute valeur
Ne nous eût inſpiré que la même terreur,
Qui d’entre nous pouvoit refuſer ſon ſuffrage
Aux vertus dont le Ciel a fait votre partage ?
Politique, orateur, capitaine, ſoldat,
Vos défauts, des vertus ont même encor l’éclat.
Quel citoyen pour nous, & le plus grand peut-être,
S’il nous menaçoit moins de nous donner un maître !
On dit….. mais je crois peu des bruits mal aſſurés,
Qui vous oſent nommer parmi des conjurés.
Tout défiant qu’il eſt, Caton ne l’oſe croire ;
Cependant le Sénat jaloux de votre gloire,
Pour étouffer des bruits qui dans un Sénateur
Pourroient en vous bleſſant, bleſſer ſon propre honneur,
Dès hier vous nomma gouverneur de l’Aſie.
Pompée & Pétréius deſcendus vers Oſtie,
L’un & l’autre chargés de vous y recevoir,
Remettront dans vos mains leur ſouverain pouvoir.
Partez donc, & ſongez que votre obéiſſance
Peut ſeule être le prix de notre confiance.

C A T I L I N A.

Ainſi donc le Sénat veut, ſans me conſulter,
Me charger d’un emploi que je puis rejeter.
Je ne ſais s’il a cru me forcer à le prendre,
Mais j’ignore comment vous oſez me l’apprendre,
Et croire m’éblouir juſqu’à me déguiſer
Tout l’affront d’un honneur que je dois mépriſer.
On me hait, on me craint, on conſpire dans Rome,
Parmi des conjurés c’eſt moi ſeul que l’on nomme ;
Cependant le Sénat peu certain de ma foi,
Daigne, malgré ces bruits, m’honorer d’un emploi ;
Le farouche Caton, devenu plus flexible,
D’aucun ſoupçon encor ne paroît ſuſceptible ;
Et Cicéron ne vient armé que de bienfaits,
Lorſqu’il peut, par la foudre, arrêter mes projets.
Mais d’un Conſul jaloux la politique habile,
Devroit mieux me cacher que c’eſt lui qui m’exile,
Et ne point abuſer de la crédulité
D’un Sénat trop jaloux de ſon autorité ;
Car enfin tous ces bruits, enfans de ſa foibleſſe,
N’ont d’autres fondemens qu’un ſoupçon qui vous bleſſe.

C I C É R O N.

N’eſt-ce rien, ſelon vous que, d’être ſoupçonné ?
A votre ambition ſans ceſſe abandonné,
Vous cauſez tant de trouble & tant d’inquiétude,

Que le moindre ſoupçon tient lieu de certitude.
Dès qu’on oſe alarmer le pouvoir ſouverain,
On eſt toûjours ſuſpect d’un coupable deſſein.
Peut-on trop ſur ce point raſſurer la patrie ?
Acceptez-vous l’emploi que Rome vous confie ?
C’eſt pour m’en éclaircir que je viens vous trouver.

C A T I L I N A.

J’entends ; c’eſt ſur ce point que l’on veut m’éprouver.
Si j’accepte l’emploi, c’eſt à tort qu’on m’accuſe,
Et je ſuis criminel dès que je le refuſe :
Mais malgré l’appareil d’un frivole diſcours,
Je perce en ce moment à travers vos détours :
L’intérêt des Romains n’eſt pas ce qui vous guide,
C’eſt le ſeul mouvement d’une haine perfide,
Que le fiel de Caton ſut toûjours enflammer,
Et que mes ſoins en vain ont tenté de calmer.
J’ai fait plus, j’ai brigué juſqu’à votre alliance ;
Et, lorſque Rome attend avec impatience
Un hymen qui pourroit raſſurer les eſprits,
Vous oſez le premier ſignaler des mépris !
Eh depuis quand, Seigneur, l’intérêt de ma gloire
Vous fait-il craindre un bruit que Caton n’oſe croire ;
Quand ce même Caton, citoyen furieux,
Répand ſeul contre moi ces bruits injurieux
Que vous autoriſez avec trop d’imprudence,
Vous, qui de ſon orgueil nourriſſant l’inſolence,

Conſacrez chaque jour ſes tranſports inſenſés ?
Je vous connois tous deux mieux que vous ne penſez.
Timide, ſoupçonneux, & prodigue de plaintes,
Cicéron lit toûjours l’avenir dans ſes craintes ;
Et Caton, d’un génie ardent, mais limité,
Ne connoît de vertu que la férocité ;
Prompt à ſe courroucer, enclin à contredire,
La haine eſt le ſeul Dieu qui le meut & l’inſpire.
Mais c’eſt perdre le temps en diſcours ſuperflus,
Et je reviens aux ſoins qui vous touchent le plus.
Alarmé d’un pouvoir dont la grandeur vous bleſſe,
L’ardeur d’en triompher vous occupe ſans ceſſe :
Et comme il vous falloit le ſecours d’un emploi
Pour éloigner de Rome un homme tel que moi,
Vous m’avez fait nommer gouverneur de l’Aſie,
Bienfait que je tiendrois de votre jalouſie :
Mais mon nom ſeul ici vous faiſant tous trembler,
Vous vous flattez qu’ailleurs vous pourrez m’accabler.
Déjà par Manlius l’Italie occupée,
Va bien-tôt ſe remplir des troupes de Pompée ;
Et ce fameux vainqueur de tant de nations,
Vous offre ſon épée avec ſes légions.
Que d’inutiles ſoins, dans le temps que Tullie
Pourroit à votre gré diſpoſer de ma vie !
Car de ces noirs complots, qui cauſent tant d’effroi,
Elle a dû déclarer que le chef c’était moi.

Je ne préſume pas qu’à ſon devoir ſoûmiſe,
Elle ait pû vous celer le chef de l’entrepriſe.
Pourquoi donc au Sénat ne pas me déférer ?
J’entrevois les raiſons qui vous font différer,
C’eſt que mon rang demande une preuve plus grave
Que les rapports ſuſpects d’un malheureux eſclave :
Mais mon honneur m’engage à vous déſabuſer.
Avec ce ſeul témoin vous pouvez m’accuſer ;
Son nom garantit tout. Cet eſclave eſt Fulvie,
Qui, jalouſe en ſecret des charmes de Tullie,
A cru devoir troubler quelques ſoins innocens,
Qu’exigeoient d’un grand cœur des charmes ſi touchans.
Qui croiroit qu’un Conſul ſi prudent & ſi ſage,
Eût été le jouet d’une femme volage ?
Vous rougiſſez, Seigneur ; mais c’eſt avec éclat
Que je veux aujourd’hui me venger au Sénat :
Car c’eſt-là qu’en Conſul vous devez me répondre,
Et c’eſt-là qu’en héros je ſaurai vous confondre.
Adieu.


S C È N E   I V.
C I C É R O N ſeul.

Adieu. Dans quel déſordre il laiſſe mes eſprits !
Quelle honte pour moi ſi je m’étois mépris !

Catilina pourroit ne pas être coupable ;
Mais qu’il eſt dangereux, & qu’il eſt redoutable !
Quel ennemi le Sort nous a-t-il ſuſcité !
Que de courage enſemble, & de ſubtilité !
Son génie éclairé voit, pénètre, ou devine.
Rome n’eſt plus, les Dieux ont juré ſa ruine.
Eſſayons cependant de calmer la fureur
Du perfide ennemi qui fait tout mon malheur :
S’il paroît au Sénat, & qu’il s’y juſtifie,
Son triomphe bien-tôt me coûteroit la vie.
Malgré tous ſes détours, j’entrevois ce qu’il veut ;
Mais nous ſerions perdus, s’il oſoit ce qu’il peut.
Employons ſur ſon cœur le pouvoir de Tullie,
Puiſqu’il faut que le mien juſque-là s’humilie.
Quel abyme pour toi, malheureux Cicéron !
Allons revoir ma fille, & conſulter Caton ;
C’eſt-là que je pourrai, dans le cœur d’un ſeul homme,
Retrouver à la fois, nos Dieux, nos loix, & Rome.


Fin du ſecond Acte.