Causeries du lundi/Tome VI/Mme Sophie Gay

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Causeries du lundi, VIGarnier frères (p. 64-83).
Lundi, 26 avril 1852.


MADAME SOPHIE GAY

La mort nous dicte des sujets d’étude dont quelques-uns sont des devoirs. Un critique qui est, comme nous le sommes, à son poste de chaque semaine, ne saurait laisser passer, sans les saluer, les pertes les plus remarquables que font la littérature et la société. Madame Sophie Gay, morte à Paris le 5 mars dernier, a été une personne de trop d’esprit et trop distinguée dans les Lettres pour être ensevelie en silence. Elle a beaucoup écrit, et, en ce moment, je n’ai guère moins d’une quarantaine de volumes d’elle rangés sur ma table, romans, contes, comédies, esquisses de société, souvenirs de salons, et tout cela se fait lire, quelquefois avec un vif intérêt, toujours sans ennui. Mais madame Gay était bien autre chose encore qu’une personne qui écrivait, c’était une femme qui vivait, qui causait, qui prenait part à toutes les vogues du monde depuis plus de cinquante ans, qui y mettait du sien jusqu’à sa dernière heure. Elle eut, vers le milieu de sa carrière, un bonheur dont toutes les mères qui écrivent ne se seraient pas accommodées : elle eut des filles qui l’égalèrent par l’esprit, et dont l’une la surpassa par le talent. La mère de madame Émile de Girardin présida longtemps aux succès et à la renommée poétique de sa fille ; elle en reçut des reflets qui la réjouirent, qui la rajeunirent, et qui ne l’éclipsèrent pas. Quand on voyait madame Gay en compagnie de ses filles, de madame de Girardin et de madame la comtesse O’Donnell, ce qu’il y avait de plus jeune, de plus moderne de façon, de plus élégant en celles-ci, ce que leur esprit avait, si je puis dire, de mieux monté dans son brillant et de mieux taillé par toutes les facettes, ne faisait que mieux ressortir ce qu’il y avait de vigoureux et de natif en leur mère. C’est de ce caractère original, de cette vitalité puissante de femme du monde et de femme d’esprit que je voudrais toucher ici quelque chose, en rapportant madame Gay à sa vraie date, et en indiquant aussi, en choisissant quelques-uns des traits fins et des observations délicates qui distinguent ses meilleurs écrits.

Marie-Françoise-Sophie Nichault de Lavalette, née à Paris, le 1er juillet 1776, d’un père homme de finances, attaché à la maison de Monsieur (depuis Louis XVIII), et d’une mère très-belle, dont la ressemblance avec Mlle Contat était frappante, reçut une très-bonne éducation, une instruction très-soignée, et se fit remarquer tout enfant par la gaieté piquante et la promptitude de ses reparties. À l’une des cérémonies qui accompagnèrent sa première communion, comme elle était en toilette avec une robe longue et traînante qui l’embarrassait, et qu’elle se retournait souvent pour la rejeter en arrière, une de ses compagnes lui dit : « Cette Sophie est ennuyeuse avec sa tête et sa queue. » — « Toi, ça ne te gênera pas, répondit-elle, car tu n’as ni queue ni tête. » Toute la personne même de mademoiselle de Lavalette était celle d’une jolie brune piquante, avec des regards pleins de feu, plus faits encore pour exprimer l’ardeur ou la malice que la tendresse ; d’une charmante taille, qu’elle garda jusqu’à la fin, d’une taille et d’une tour-Dure bien françaises. Mariée à un agent de change. M. Liottier, elle débuta dans le monde sous le Directoire ; elle a rendu à ravir l’impression de cette époque première dans plusieurs de ses romans, mais nulle part plus naturellement que dans les Malheurs d’un Amant heureux. Ce fut un moment de grande confusion et de désordre, mais aussi de sociabilité ; la joie d’être ensemble, le bonheur de se retrouver et de se prodiguer les uns aux autres, dominait tout. Un dîner chez madame Tallien, une soirée chez madame de Beauharnais, les Concerts-Feydeau, ces réunions d’alors avec leur mouvement et leur tourbillon, avec le masque et la physionomie des principaux personnages, revivaient jusqu’à la fin sous la plume et dans les récits de madame Gay. Bayle, le grand critique, a remarqué que nous avons tous une date favorite où nous revenons volontiers, et autour de laquelle se groupent de préférence nos fantaisies ou nos souvenirs. Cette date est d’ordinaire celle de notre jeunesse, de notre première ivresse et de nos premiers succès : il se fait là au fond de nous-mêmes un mélange chéri, que rien plus tard n’égalera. La date favorite de madame Gay, quand elle y songeait le moins et qu’elle laissait faire à son imagination, était celle précisément qui répond à la fin du Directoire et au Consulat ; jeune personne sous le Directoire et femme sous l’Empire, voilà son vrai moment, et qui lui imprima son cachet et son caractère, en littérature comme en tout ; ne l’oublions pas.

Au milieu des mille choses qu’une jeune femme, lancée dans le monde comme elle l’était, avait droit d’aimer à cette époque et à cet âge, il en était une que madame Gay mit dès l’abord sans hésiter au premier rang, je veux dire l’esprit, les talents, la louange et le succès qui en découlent. On la voit liée de bonne heure avec tout ce que la littérature et les arts offraient alors de distingué. Excellente musicienne, elle recevait des leçons de Méhul ; elle composait des romances, musique et paroles. Le vicomte de Ségur avait pour elle une amitié coquette ; le chevalier de Boutlers lui apprenait le goût ; mais elle ne s’en tenait pas à des aperçus timides, et, sa nature l’emportant, elle prit bientôt la plume. Le premier usage qu’elle en fît fut d’écrire en laveur de la grande gloire controversée du jour, en laveur de madame de Staël.

Le roman de Delphine venait de paraître, et soulevait bien des questions et des querelles. Madame Gay, sous le masque et par une lettre insérée dans un journal, prit parti ; elle brisa une lance. Le premier roman qu’on a d’elle, et qui date de ce temps, porte également témoignage de ses opinions et de ses couleurs. Laure d’Estell, publiée en l’an X (1802) par Madame***, en trois volumes, n’est pas un bon roman, mais il y a déjà des parties assez distinguées. Une jeune femme, orpheline et veuve à vingt ans, se retire dans un château, chez sa belle-sœur, pour s’y livrer à son deuil d’Artémise auprès du mausolée de son époux, et s’occuper de l’éducation de sa fille. Elle y trouve, ainsi que dans un château voisin, une société qui lui donne occasion de développer par lettres à une amie ses principes et ses maximes. Madame de Genlis y est fort maltraitée : elle figure dans ce roman sous le nom de madame de Gercourt, sentencieuse, pédante, adroite et flatteuse, visant k une perfection méthodique, fort suspecte de mettre « les vices en action et les vertus en préceptes. » L’héroïne du roman, Laure, s’y félicite de partager l’antipathie de madame de Gercourt « avec deux femmes d’un grand mérite, dont les opinions, dit-elle, ont quelque rapport avec les miennes. » Ces deux femmes sont, la première, madame de Staël, et la seconde, je crois, madame de Flahaut. En contraste de madame de Gercourt et d’un abbé de sa connaissance, qui joue un fort vilain rôle dans le roman, l’auteur place un curé tolérant dans le genre de celui de Mélanie, plus occupé de la morale que du dogme : cette morale, il faut en convenir, à l’examiner de près, paraîtrait un peu relâchée, et madame de Genlis, si elle avait répondu, aurait pu prendre sa revanche.

Les scènes mélodramatiques de la fin et les airs de mélancolie, répandus çà et là dans l’ouvrage, sont la marque du temps ; ce qui est bien déjà à madame Gay, c’est le style net, courant et généralement pur, quelques remarques fines du premier volume ; par exemple, lorsque Laure dit qu’en se retirant du monde pour vivre à la campagne, partagée entre les familles des deux châteaux voisins, elle avait cru se soustraire aux soins, aux tracas, aux passions, et qu’elle ajoute : « Eh bien ! mon amie, le monde est partout le même ; il n’y a que la différence d’une miniature à un tableau. »

Il y eut là une interruption dans la vie littéraire de madame Gay[1]. Mariée en secondes noces à M. Gay, qui devint receveur général du département de la Roër, elle habita durant près de dix ans, tantôt à Aix-la-Chapelle, tantôt à Paris, et vécut pleinement de cette vie d’un monde alors si riche, si éclatant, si enivré. Elle nous a montré et décrit son salon à Aix-la-Chapelle, pendant un voyage qu’y fit Joséphine en revenant des eaux de Plombières, dans l’été de 1804. L’Empereur vint lui-même du camp de Boulogne, où il était alors, l’aire une apparition dans la ville de Charlemagne. M. Gay réclama l’honneur de loger M. Maret (depuis duc de Bassano). Ce premier commis impérial, labolieux, infatigable, donnait chaque nuit, après les représentations du jour, un certain nombre d’heures au travail, mais il trouvait là des veilleurs encore plus infatigables et plus intrépides que lui :

« Lorsque vers deux heures du matin, dit madame Gay, après en avoir donné trois ou quatre au travail, il entendait parler encore dans mon salon, nous voyions s’entr’ouvrir la porte de son cabinet, et il nous demandait s’il n’était pas trop tard pour qu’il vînt causer avec nous. Il me surprenait alors au milieu de ce qu’il appelait mon état-major : c’était un cercle de bons rieurs, de causeurs spirituels, d’artistes, où les aides-de-camp étaient en majorité. »

Elle nous y parle du jeu, qui se mêlait très-bien, assure-t-elle, à la causerie, et qui, tout follement engagé qu’il était, n’était point acharné alors comme aujourd’hui, et ne laissait perdre ni un récit amusant ni un bon mot. Elle se dessine là comme elle restera de tout temps. J’ai lu d’elle de très-spirituels et très-mordants couplets de cette époque, et qui emportaient la pièce, sur des ennuyeux et des ennuyeuses qui n’étaient pas de son monde : on ne les disait que portes closes. Mais elle composait aussi, en ces années, des romances sentimentales très-agréables, que chacun savait par cœur et qu’on applaudissait. Celle de Mœris, qui est d’elle, air et paroles, a eu bien de la vogue :

Mais d’où me vient tant de langueur ?
Qui peut causer le^chagrin que j’ignore ?
Quoi ! ces bosquets, ces prés fleuris,
Dont j’aimais tant la fraîcheur, le silence,
Ces chants d’amour, de jeux suivis,
Tous ces plaisirs n’étaient que sa présence !…

Demandez à quelqu’une de vos tantes ou de vos mères de vous chanter cela.

M. Gay, homme d’esprit et qui recevait bien, était ami intime d’Alexandre Duval, de Picard, de Lemercier ; madame Gay, qui les connaissait déjà, se trouva plus liée que jamais avec eux tous : ce sont là ses premiers contemporains littéraires. Elle a son originalité de femme parmi eux.

Le second roman de madame Sophie Gay, qui parut avec les seules initiales de son nom, en 1813, est Léonie de Montbreuse, et, si j’osais avoir un avis en ces matières si changeantes, si fuyantes, et dans lesquelles il est si difficile d’établir une comparaison, je dirais que c’est son plus délicat ouvrage, celui qui mérite le mieux de rester dans une bibliothèque de choix, sur le rayon où se trouveraient la Princesse de Clèves, Adèle de Sénanges et Valérie.

Léonie a seize ans ; orpheline de sa mère, elle a été élevée au couvent ; elle en sort ramenée par son père, M. de Montbreuse, qui va songer à l’établir. En quittant son couvent, où elle laisse une amie indispensable, elle verse « autant de larmes qu’elle en eût répandu si l’on était venu lui dire qu’il y fallait passer un an de plus. » Léonie a l’imagination vive ; elle ne conçoit rien de médiocre ; elle est de celles qui veulent être des plus distinguées ou complètement ignorées : « Adorée ou indifférente ! voilà, dit-elle, tout le secret des chagrins de ma vie. » Arrivée chez son père, Léonie voit une tante, madame de Nelfort, bonne personne, mais très-exagérée, et qui a pour fils un Alfred, joli garçon, étourdi, dissipé, un peu fat déjà et lancé dans les aventures à la mode, colonel, je le crois, par-dessus le marché ; car la scène se passe dans l’ancien régime et à une date indécise. Madame de Nelfort loue son fils, elle loue sa nièce ; M. de Montbreuse, homme prudent, froid, et qui cache sa tendresse sous des dehors réservés, essaye (le prémunir sa fille contre ces exagérations mondaines ; il lui trace aussi la ligne de conduite qu’il voudrait lui voir tenir avec son cousin Alfred. Mais Alfred parait ; c’est à l’Opéra que Léonie l’aperçoit d’abord ; il y est fort occupé auprès d’une élégante, madame de Rosbel ; ou plutôt, tandis que la foule des adorateurs s’agitait autour de la coquette, qui se mettait en frais pour eux tous, Alfred, plus tranquille, « lui parlait peu, ne la regardait jamais, et l’écoutait avec l’air de ne point approuver ce qu’elle disait, ou d’en rire avec ironie :

« Celle espèce de gaieté (c’est Léonie qui raconte) contrastait si bien
avec les airs doucereux et flatteurs des courtisans de madame de Rosbel,
que personne ne se serait trompé sur le genre d’intimité qui existait
entre elle et M. de Nelfort. Cette première remarque, jointe à celle
d’une plus longue expérience, m’a convaincue que les femmes sont
souvent plus compromises par la froide familiarité de celui qu’elles
préfèrent, que par les soins empressés d’un amant passionné, la sécurité
de l’un trahit leur faiblesse, l’inquiétude de l’autre n’apprend
que son amour. »

Voilà de ces remarques fines, comme madame Gay en avait beaucoup, plume en main. Quand elle causait, elle en avait aussi, mais elles disparaissaient au milieu de ce qu’il y avait de plus actif et de plus animé dans sa personne. On les retrouve plus distinctes quand on la lit.

Pourtant Léonie commence par se piquer d’honneur. Elle a entendu au passage madame de Rosbel la désigner du nom de petite pensionnaire : il n’en faut pas plus pour qu’elle en veuille à Alfred d’avoir souri à cette injure, et pour qu’elle débute avec lui par exiger une réparation. Alfred, auprès d’une si jolie cousine, ne demande pas mieux que de réparer ; une fois qu’il a le secret de ce dépit, il reprend aisément ses avantages. Il a l’air de sacrifier madame de Rosbel, et il croit à ce moment préférer Léonie. Dès le premier pas, les voilà engagés tous deux plus qu’ils ne pensent :

 « Alfred me plaisait, je crus l’aimer, dit Léonie. Que de femmes
sont tombées dans la même erreur ! Ne connaissant l’amour que par
récit, le premier qui leur en parle émeut toujours leur cœur en leur

inspirant de la reconnaissance ; et, dupes de cette émotion, elles prenent

le plaisir de plaire pour le bonheur d’aimer, »

J’omets divers accidents qui engagent de plus en plus la jeune exaltée et l’aimable étourdi. Cependant M. de Montbreuse avait d’autres projets pour sa fille ; il la destinait au fils de l’un de ses meilleurs amis, et dont il était le tuteur : mais elle lui laisse à peine le temps de lui expliquer ce désir ; elle aime Alfred, elle n’aime que lui : Jamais d’autre ! c’est sa devise. Bref, le mariage est fixé à l’hiver prochain ; Alfred, qui a été blessé à l’armée, a lui-même besoin d’un délai, bien que ce terme de huit mois lui semble bien long. On doit passer ce temps au château de Montbreuse dans une demi-solitude, et s’y éprouver l’un l’autre en préludant au futur bonheur. C’est ici que le romancier fait preuve d’un art véritable ; ces huit mois, destinés à confirmer l’amour d’Alfred et de Léonie, vont peu à peu le défaire, et leur montrer à eux-mêmes qu’en croyant s’aimer, ils s’abusent.

Et tout d’abord Alfred, à peine arrivé au château, trouve Suzette, une fille de concierge, mais élevée un peu en demoiselle, et, en la voyant, il ne peut s’empêcher de s’écrier assez militairement devant Léonie ; « Ah ! la jolie petite personne ! » —

« Dans ma simplicité, remarque Léonie, je croyais alors qu’un homme bien amoureux ne pouvait parler avec chaleur d’aucune autre beauté que du celle de l’objet de son amour ; mais l’expérience m’a prouvé, depuis, que les femmes seules étaient susceptibles d’un sentiment exclusif ; l’amant le plus passionné pour sa maîtresse n’en est pas moins sensible aux charmes de toutes les jolies femmes, tandis que celle qui aime ne voit que son amant. » Ce n’est là qu’un commencement : la façon dont cet amour de tête chez Léonie se découd chaque jour insensiblement et comme fil à fil est très-bien démêlée. Alfred, dès qu’il se porte mieux, fait des sorties à cheval et court les champs ; au retour, il a mille bonnes raisons pour s’excuser :

« En sa présence, dit Léonie, j’accueillais toutes ses raisons, et j’allais même jusqu’à me reprocher de l’avoir accusé ; mais, dès qu’il me laissait longtemps seule, je m’ennuyais, et c’est un malheur dont on se venge toujours sur celui qui est en cause, et quelquefois sur ceux qui en sont innocents. »

M. de Montbreuse a beau faire à sa fille de petits sermons sur l’ennui, vouloir lui prouver que chacun s’ennuie dans sa sphère, et que savoir s’ennuyer est une des vertus les plus utiles dans le monde, elle n’en croit rien et trouve un tel héroïsme au-dessus de ses forces de dix-sept ans.

Quand Alfred se décide à rester au château, il ne réussit pas toujours mieux qu’en s’éloignant :

« Son esprit si vif, si gai dans le grand monde, où l’ironie a tant de succès, était d’un faible secours dans une société intime où l’on n’a point envie de se tourner mutuellement en ridicule. C’est là qu’il faut réunir toutes les qualités d’un esprit attachant pour y paraître longtemps aimable. Une bonne conversation se compose de tant d’éléments divers que, pour la soutenir, il faut autant d’instruction que d’usage, de bonté que de malice, de raison que de folie, et de sentiment que de gaieté. »

C’est Léonie, c’est madame Gay qui observe cela, et on ne dit pas mieux. Il y avait donc des moments où Alfred était tout à fait au-dessous de lui-même et des autres, quand ces autres étaient tout simplement un petit cercle de gens instruits et aimables ; il le sentait, il en soutirait et en devenait de mauvaise humeur et maussade, par conséquent ennuyeux. Léonie le sentait aussi et en souffrait à sa manière, mais plus profondément : « On est si humilié, remarque-t-elle, de découvrir une preuve de médiocrité dans l’objet qu’on aime, qu’il y a plus de honte que de regret dans le chagrin qu’on en éprouve. »

Un certain Edmond de Clarencey, voisin de campagne, se trouve là d’abord comme par un simple effet du voisinage ; il cause peu avec Léonie et semble ne lui accorder qu’une médiocre attention ; il accompagne Alfred dans ses courses et lui tient tête en bon camarade. Pourtant, quand il s’aperçoit de ses petits désaccords avec Léonie, il lui arrive une ou deux fois, et sans en avoir l’air, d’y prendre garde et de les réparer. Cette attention imprévue et détournée choque Léonie dès qu’elle s’en aperçoit, presque autant que l’inattention première ; car enfin, s’il entrait au moins quelque générosité dans la conduite de M. de Clarencey ! s’il sacrifiait quelque chose en s’intéressant ainsi au bonheur de son ami ! s’il lui enviait tout bas la douceur d’être aimé !

« Mais rien, nous dit Léonie, ne pouvait m’en donner l’idée, et j’avoue à ma honte que j’en éprouvai de l’humeur. Les femmes habituées au éloges, aux protestations de tendresse, ont cela de malheureux qu’elles ne peuvent supporter la pensée d’être indifférentes même aux gens qui les intéressent le moins. Le dépit qu’elles en ressentent les conduit souvent à faire, pour plaire, des frais exagérés qui les compromettent si bien qu’elles ne savent plus comment rétrograder, et bientôt elles se trouvent engagées sans avoir le moindre sentiment pour excuse. Je crois que ce travers de la vanité a fait commettre plus de fautes que toutes les folies de l’amour. »

Ce n’est point ici le cas pour Edmond : Léonie est loin de s’engager avec lui ; mais peu à peu elle le remarque, elle lui en veut, puis elle lui sait gré ; enfin, elle s’occupe de lui, et tout le terrain que perd Alfred, Edmond insensiblement le gagne. Il y a, je le répète, beaucoup d’art et de nuance dans cette seconde partie du roman. Le tout se termine à souhait, puisque cet Edmond n’est autre que le pupille et le protégé de M. de Montbreuse, celui dont Léonie n’avait point d’abord voulu entendre parler, sans même le connaître. Elle finit par l’épouser sans qu’Alfred en soutire trop ; et la morale du roman, cette fois excellente, c’est que, « de tous les moyens d’arriver au bonheur, le plus sûr (pour une jeune fille qui sort du couvent) est celui que choisit la prévoyante tendresse d’un père. »

Dans ce roman gracieux, où il n’entre rien que de choisi et où elle a semé de fines observations de société et de cœur, madame Gay s’est montrée une digne émule des Riccoboni et des Souza[2].

Son troisième roman, Anatole (1815), est encore du même ton et a eu peut-être plus de célébrité, bien que je préfère Léonie. Anatole est de l’espèce des romans-anecdotes dont la donnée repose sur une infirmité ou une bizarrerie de la nature : ainsi, Ourika de madame de Duras, Aloïs de M. de Custine, le Mutilé de M. Saintine. Anatole, le beau silencieux, est un sourd-muet de naissance, mais on ne le sait pas d’abord, et c’est là qu’est le secret. Un soir, au sortir de l’Opéra, il sauve la vie de Valentine, de madame de Saverny, qui allait être écrasée sous les pieds des chevaux ; lui-même est blessé et disparaît. Celle qu’il a sauvée, jeune veuve, pleine de beauté et d’une rare délicatesse de sentiments, le fait chercher sans le découvrir d’abord, et pendant longtemps elle ne le connaît qu’à demi et dans un mystère qui l’empêche d’avoir la connaissance de son infirmité. Quand elle le sait, il est trop tard, elle l’aime ; mais, comme bien peu de personnes ont le secret de cet amour, on la croit près d’épouser un chevalier d’Émeranges, fat spirirituel, qui jusqu’alors semblait enchaîné par madame de Nangis, belle-sœur de Valentine, et qui lui est devenu infidèle. La jalousie de madame de Nangis, qui se croit sacrifiée à une rivale, produit des scènes assez belles et assez dramatiques, dans lesquelles la pauvre Valentine, poussée à bout par sa belle-sœur, en présence du mari de celle-ci, n’aurait qu’un mot à dire pour écraser la coupable et pour se venger : mais ce mot, elle ne le dit pas, et prend sur elle tous les torts. De son côté, Anatole, le bel Espagnol, doué de tous les talents et de tous les charmes, et à qui il ne manque que la parole, se croit également sacrifié, et il est disposé à s’éloigner pour toujours, lorsqu’un soir, à l’Opéra (car sans Opéra point de roman), Valentine, qui a voulu le revoir, et à qui il croit aller faire du regard un éternel adieu, lui adresse de loin un signe qui veut dire : Restez ! Il n’ose comprendre, il regarde encore, quand un second signe, toujours dans la langue des sourds-muets, vient lui dire : Je vous aime. C’est à étudier cette langue de l’abbé Sicard et de l’abbé de L’Épée que Valentine a consacré ses matinées durant les trois derniers mois : « Lorsque j’ai senti, dit-elle, que rien ne pouvait m’empêcher de l’aimer, j’ai voulu apprendre à le lui dire. »

Cette première veine délicate et nuancée, cette première manière de roman s’arrête pour madame Gay avec Anatole, et elle ne la prolongea point au delà de l’époque de l’Empire. En 1818, madame Gay publia le premier volume d’un roman intitulé : les Malheurs d’un Amant heureux, et dont elle donna les deux volumes suivants en 1823. C’est censé écrit par une espèce de valet de chambre très-instruit et très-lettré, qui, au besoin, est homme à citer Horace en latin, Shakspeare en anglais, et à avoir lu Corinne. Malgré ces invraisemblances, le ton de ce roman, surtout du premier volume, est facile et naturel ; c’est le Gil Blas de madame Gay, et elle s’y permet sous le masque des traits plus gais, plus vifs, plus lestes si l’on veut, que dans sa première manière. Elle y peint avec assez de naïveté et avec beaucoup d’entrain les mœurs de la société dans sa jeunesse, ce pêle-mêle de grandes dames déchues, de veuves d’émigrés vivants, de fournisseurs enrichis, de jacobins à demi convertis, dont quelques-uns avaient du bon, et à qui l’on se voyait obligé d’avoir de la reconnaissance :

« En vérité, il y a de quoi dégoûter d’une vertu qui peut se trouver au milieu de tant de vices, et il me semble qu’on ne lui doit pas plus de respect qu’à une honnête femme qu’on rencontrerait dans un mauvais lieu. — Soit ; mais c’est encore une bonne fortune assez rare pour qu’on en profite sans ingratitude. »

Les scènes du monde d’alors, les originaux qui y figurent et qu’on y raille, les talents divers qu’on y applaudit, depuis le chanteur Garat jusqu’au républicain Daunou, y sont retracés assez fidèlement, et ce premier tome de roman n’est guère, en bien des pages, qu’un volume de Mémoires. Les volumes suivants, dans lesquels le maître du valet de chambre narrateur est devenu aide-de-camp du général en chef de l’armée d’Italie nous rendent, à travers un romanesque surabondant, quelques échos sentis de cette époque d’enthousiasme et d’ivresse, « où l’on ne voulait pour prix de ses dangers que du plaisir et de la gloire. » Mme Gay, se rejetant en arrière, dirait volontiers avec les guerriers de ces années d’orgueil et d’espérance ; « Nous étions jeunes alors ! »

Les femmes, pour peu qu’elles écrivent et qu’elles marquent, portent très-bien en elles le cachet des époques diverses, et, si l’on voulait désigner en leurs personnes les périodes successives de Louis XVI, du Directoire et de l’Empire, de la Restauration et du régime de Louis-Philippe, on arriverait à quelques aperçus de mœurs qui ne tromperaient pas.

Sous Louis XVI, la femme, la jeune femme qui écrit ou qui rêve, est sentimentale, d’un sentimentalisme qui tient à la fois de Jean-Jacques et de Berquin, qui s’embellit de Florian ou de Gessner, et s’enchante de Bernardin. Elle ne pense qu’à élever ses enfants selon les vrais principes, à concilier l’amour et la vertu, la nature et le devoir ; à faire dans ses terres des actes de bienfaisance dont elle ne manque pas d’écrire aussitôt le récit, afin de jouir de ses propres larmes, — des larmes du sentiment. C’est là l’idéal ; un amant, comme toujours, y trouve son compte ; mais il faut qu’il se déguise en berger ou en vertueux. Les romans de Mme de Souza (pour prendre un type très-distingué) ont été sinon écrits, du moins rêvés sous Louis XVI.

Sous le Directoire, on est dans un tout autre monde, dans une vogue toute différente. Une belle impudeur y règne, on y affiche des principes hardis, et les moutons, bien qu’il s’en rencontre encore par les chemins, sont en train de disparaître. Avec le Consulat et l’Empire, la femme militaire paraît, celle qui aime franchement la gloire, qui l’admire et qui s’honore de la récompenser ; qui a les sentiments en dehors, la parure d’éclat, le front haut, les épaules éblouissantes, l’esprit (quand elle en a) franc, naturel et pas trop compliqué. Comme la société pourtant et le cœur aiment les contrastes, il se mêlera, à cet amour avoué de la gloire et des exploits, des airs de rêverie et de romance.

La Restauration arrive : donnez-lui le temps de s’asseoir et de recueillir son esprit. Dès que cet esprit aura parlé par la voix de quelques écrivains, par le chant de quelques poètes, vous avez une génération de femmes toutes différentes. À celles-ci il faut des idées avant tout, des sentiments, je ne sais quoi de métaphysique et de raffiné ; elles ont lu les Méditations de Lamartine, et elles soupirent ; elles aiment l’esprit, et elles s’en vantent ; elles s’éprennent et se passionnent pour des orateurs ; elles sont femmes à se trouver mal si elles ont rencontré, sans être prévenues à l’avance, le grand poëte de leur rêve. De la religiosité, un peu de mysticisme, des nerfs (on n’avait pas d’attaques de nerfs sous l’Empire), un idéal ou libéral ou monarchique, mais où il s’exhale quelque vapeur de poésie, voilà ce qui distingue assez bien la jeune femme de la Restauration. Un observateur physiologiste l’a dit : C’est l’avénement de la femme frêle, à qui un ton de langueur et de pâleur donne plus de prix : elle a remplacé la femme opulente. Les variations du goût s’expriment dans ces types de beauté à la mode. Je ne veux pas dire qu’à toutes ces époques diverses, on fasse des choses bien différentes, mais c’est la manière qui a changé.

Sous le règne de Louis-Philippe, malgré le caractère si moral de la famille régnante, le dirai-je ? la jeune femme avait fort dégénéré, ou du moins elle s’était émancipée plus qu’on n’aurait pu croire sous un régime si sage. Il s’était glissé de bonne heure chez elle du Musset, un peu de George Sand, Eugène Sue brochant sur le tout, un peu de socialisme avant l’effroi, avant l’épreuve, avant la lettre, me dit un spirituel voisin ; un peu de théorie et beaucoup de caprice. Le cigare, ou du moins la cigarette était de mise dans le boudoir. Je ne parle que des lionnes, dira-t-on ; mais il y en avait à bien des degrés et à plus d’un étage. Tout cela, déjà, est un peu vieux, c’est de l’ancien régime ; les jeunes femmes du régime nouveau s’essaient encore, et je ne les connais plus.

Madame Sophie Gay, par le caractère et par le tour natif, datait de bien avant la Restauration ; elle est une des femmes qui avaient le plus d’esprit sous l’Empire ; mais, comme il arrive, l’auteur chez elle retardait sur la femme du monde ; ce n’est que dans les premières années de la Restauration et dans cette seconde moitié de son âge qu’elle a réalisé la plupart de ses productions littéraires. En avançant, elle s’est appliquée sans trop d’efforts à les tailler dans la forme du jour, à leur en donner la coupe et la couleur : elle y a réussi. Sans énumérer ici ses nombreux romans, nul, en la lisant, ne devinerait qu’elle fut, par ses débuts, et, je dirai mieux, par son chef-d’œuvre (Léonie de Montbreuse), d’une époque si antérieure. Qui a lu le Moqueur amoureux (1830), un Mariage sous l’Empire (1832), la Duchesse de Châteauroux (1834), ne s’est aperçu en rien que ce ne fût pas à un auteur du moment, et du dernier moment, qu’il ait eu affaire. La Duchesse de Châteauroux, particulièrement, obtint du succès dans le public ; ce n’est que nous autres critiques qui nous sommes dit que c’est un de ces romans trop voisins de l’histoire pour intéresser véritablement les esprits amis du vrai en matière de faits ou en matière de sentiment et de passion. L’auteur, en y mettant, dès les premières pages, de cette érudition dont on est curieux aujourd’hui, est sorti de son genre et de sa nature. Son style aussi, en affectant plus de couleur, s’est tendu par endroits et s’est altéré ; il est moins pur qu’autrefois. Ce n’est point dans Léonie de Montbreuse que l’auteur aurait dit, en parlant d’une excuse que fit M. de Maurepas, ministre, à madame de La Tournelle (madame de Châteauroux), et que celle-ci repoussa avec dédain : « Cette réponse dédaigneuse fut la base de l’inimitié éclatante qui a toujours régné depuis entre le ministre, sa femme et madame de La Tournelle. »

Mais laissons ces détails, et prenons madame Sophie Gay dans l’ensemble de son esprit et de sa carrière. Elle s’était de tout temps beaucoup occupée de théâtre, et plusieurs de ses pièces, soit à l’Opéra-Comique, soit au Théâtre-Français, furent représentées avec un certain succès. On se souvient à la Comédie-Française du Marquis de Pomenars (1820). Madame Gay jouait elle-même très bien la comédie en société ; elle aimait à la diriger ; elle était un régisseur excellent. On avait, à cet égard, à profiter de ses conseils : dans une esquisse qu’elle a donnée au salon de mademoiselle Contat, j’ai noté d’elle sur les différentes manières de prendre le rôle d’Elmire des remarques pleines de vérité et d’analyse morale.

Les personnes qui, comme madame Gay, vivent jusqu’à la fin et vieillissent dans le monde, sans se donner de répit et sans se retirer un seul instant, échappent difficilement à la longue, et malgré tout l’esprit qu’elles ne cessent d’avoir, à une certaine sévérité ou à une certaine indifférence. Je voudrais, dans les éloges qu’on peut lui accorder, en choisir quelques-uns qui parussent incontestables. Personne éminemment sociable, si elle menait de front trop de goûts à la fois, et qui même se nuisaient entre eux, on doit dire qu’elle ne sacrifiait jamais le goût de l’esprit. Elle en avait en elle un fonds qu’elle n’épuisa jamais. Il était impossible qu’une conversation dont elle était tombât dans le nul ou dans le commun ; toujours elle la relevait par une saillie, une gaieté, un trait d’ironie ou de satire, ou même un mot d’une douce philosophie. Vers la fin, elle promettait quelquefois à ses amis qu’elle irait mourir chez eux : « Je ne veux pas que cette demoiselle (disait-elle de la mort) me trouve seule. » Ne lui demandez pas dans ses jugements cet esprit de justesse et d’impartialité qui prend sa mesure dans les choses mêmes et qui rend a chacun ce qui lui est dû. Elle était femme en ce point, et des plus femmes. Elle aimait ses amis et les défendait, et brisait des lances pour eux à l’aventure. Quand elle vous aimait, me dit l’un de ceux qui l’ont connue le mieux, elle vous trouvait des vertus inattendues ; de même, que quand elle ne vous aimait pas, elle vous aurait nié des mérites incontestables. Pourtant ses inimitiés ne tenaient pas ; son esprit de coterie n’était point exclusif ; elle était toujours prête à élargir le cercle plutôt qu’à le restreindre. Elle aimait la gaieté, la jeunesse, les gens d’esprit et ceux qui ont le collier franc. Sa parole, plus forte et plus drue quand elle causait que quand elle écrivait, rappelait parfois le tempérament de certaines femmes de Molière, bien qu’il s’y mêlât plus d’un trait de la langue de Marivaux.

Elle n’était point fatigante de marivaudage pourtant ; que vous dirai-je ? elle avait des aperçus, des idées, et cela sans jamais prétendre, comme tant de femmes, refaire le monde ; elle n’aurait voulu refaire que le monde de son beau temps et de sa jeunesse. Et encore, bien souvent, elle n’y songeait pas ; elle acceptait le présent avec émulation, avec philosophie, et les plus jolis vers qu’on a d’elle sont ceux qu’elle a faits sur le Bonheur d’être vieille.

Chez elle, me disent ceux qui ont eu l’honneur de la voir habituellement, elle était très-aimable, et plus que dans le monde ; elle y avait tout son esprit, et de plus celui des personnes qu’elle recevait. Elle les faisait valoir avec une sorte de grâce familière et brusque, qui n’excluait pas un souvenir d’élégance.

Sa vanité n’était point pour elle ni pour ses ouvrages ; elle ne la mettait que dans le succès de ses proches, de ses entours ; quant à elle-même, qui avait tant produit, elle n’avait point d’amour-propre d’auteur : ce n’était qu’un amateur qui avait beaucoup écrit.

Le monde était pour elle un théâtre et comme un champ d’honneur dont elle ne pouvait se séparer ; elle était infatigable à causer, à veiller, à vouloir vivre. Un jour, ou plutôt une nuit, comme les bougies s’étaient plusieurs fois renouvelées et qu’elle sonnait pour en demander d’autres, le valet de chambre qui était à son service, familier comme les anciens domestiques, alla à la fenêtre, ouvrit brusquement les volets, et le soleil du matin entrant : « Vous voulez des lumières, dit-il, en voilà ! »

Dans ses dernières années, elle passait régulièrement une partie de la belle saison à Versailles ; elle s’y était fait une société et était parvenue à animer un coin de cette ville de grandeur mélancolique et de solitude. Elle y avait trouvé, il est vrai, de bien vifs et spirituels auxiliaires ; il suffit de nommer M. Émile Deschamps.

Ce petit nombre de traits qu’on pourrait multiplier font assez voir à quel point madame Sophie Gay était une personne de vigueur et de nature, une de celles qui payèrent le plus constamment leur écot d’esprit, argent comptant, à la société. Ce qu’il faut ajouter pour corriger ce que l’expression paraîtrait avoir de trop énergique, c’est que quelqu’un qui voudrait faire un livre intitulé : l’Esprit de madame Sophie Gay, n’aurait qu’à bien choisir pour le composer d’une suite de bonnes remarques sur le monde et sur les sentiments, d’observations à la fois fines, délicates, naturelles et bien dites.



  1. Ce roman de Laure d’Estell n’avait été écrit et publié par madame Gay que pour venir au secours d’un oncle et d’une tante, M. et Madame B… de L…, qui se trouvaient sans ressources en rentrant de l’émigration, et dans un temps où elle-même n’avait pas encore la fortune qu’elle eut depuis.
  2. Léonie de Montbreuse était dédiée, dans la pensée de madame Gay, à sa fille madame la comtesse de Canclaux, née du premier mariage. Voici les vers faciles et maternels qu’elle avait écrits en tête de l’exemplaire donné à madame de Canclaux, qui venait de se marier au moment où le roman parut :
    À MA FILLE AGLAÉ.

    Comme un doux souvenir, accepte cet ouvrage.
    Tu sais que pour toi seule il fut imaginé ;
    Alors que du malheur nous ressentions l’outrage,
        À te distraire il était destiné.
    Parfois de ses chagrins tu plaignais Léonie,
    Et, sans les imiter, tu riais de ses torts ;
    Plus sage en tes projets, sans ruse, sans efforts,
    Tu m’a laissé le soin du bonheur de ta vie.
    Le choix de cet époux qui devait te chérir
    À ma tendresse fut confié par toi-même ;
    Je le vois t’adorer presque autant que je t’aime,
    et ce que j’ai rêvé, tu viens de l’accomplir.