Celles qui sont restées/01

La bibliothèque libre.
Oscar Lamberty, éditeur (p. vii-xi).

PRÉFACE



Ces quelques lignes ne sont pas une préface.

Je n’aime pas les préfaces et j’avais juré de ne plus en écrire. Je vais dire pourquoi je tiens mon serment.

Toute préface écrite pour autrui est inutile, ridicule et dangereuse. La seule préface que j’admette, et encore par exception, est celle qu’un auteur écrit pour soi-même. Si l’on est Hugo, on peut écrire pour Cromwell, en manière de préface, le manifeste littéraire d’une école dont on est le chef ; on peut, si l’on est Théophile Gautier, écrire une préface pour Mademoiselle de Maupin, c’est-à-dire tirer, au nez de la critique, de la littérature et de la politique de son siècle, un feu d’artifice de paradoxes éblouissants ; mais quelque talent qu’on ait ou quelque génie, on s’expose à passer pour avantageux si l’on dit tout le bien que l’on pense de son œuvre, et pour hypocrite, si on s’évertue à le taire avec effort. Et l’on tombe facilement dans le ridicule des grands romantiques qui, en tête d’un recueil de poèmes d’un lyrisme tout personnel, affichaient, dans le naïf espoir de les rattacher au cours de leur temps, des phrases où ils faisaient remarquer que le moment était grave et que le monde avait les yeux fixés sur le bec de leur plume. Donc, à moins d’être Hugo ou Gautier, n’écrivons pas de préfaces pour nos livres et surtout n’écrivons jamais, sous aucun prétexte, de préface pour le livre d’autrui !

Une préface pour le livre d’un autre ? Qui donc a inventé cette énormité ? Quelques lignes de Monsieur Chose en tête d’un bouquin de Monsieur Machin, à quoi bon et pourquoi faire ? Vit-on jamais peintre coller au front de sa toile, sur le cadre, un petit morceau de toile peinte et signée par un autre peintre ? Vit-on jamais sculpteur déposer sur le socle de sa statue une petite tête ou un petit torse modelés par un autre sculpteur ? Ouït-on jamais musicien faire entendre, avant son œuvre, quelques mesures composées par un autre musicien ?

Quand un auteur en vue écrit une préface pour un confrère, ou bien il est de bonne foi et sincère, et alors il s’attache à mettre en lumière les qualités de l’œuvre et dans ce cas le lecteur est poussé par une sorte d’instinct diabolique à ne pas croire le préfacier et même à croire le contraire de ce qu’il écrit, sauf si le préfacier met le doigt sur un défaut — alors le lecteur redevient crédule ! — ou bien le préfacier n’est sincère qu’à demi et s’amuse à faire la roue pour la galerie, et dans ce cas, plaignons le pauvre préfacé ! Le préfacier lui saute sur les épaules pour mieux le montrer à la foule. Le montreur reprend à sa façon les thèmes principaux du livre et s’attache à éclipser le préfacé. Rappelons-nous l’éclatante et coruscante préface de J.-K. Huijsmans pour les Rimes de Joie de son ami Théodore Hannon. Heureux malgré tout le préfacé si son appariteur ne profite pas de la circonstance pour exécuter d’étincelantes variations sur le motif célèbre : « Il n’y a que moi et toi, — et encore, toi !… »

Non, décidément, ceci ne sera pas une préface : je ne veux pas être parjure ; mais, si je tenais encore la critique littéraire dans une revue, comme je la tenais jadis dans La Jeune Belgique, — à l’heureuse et légendaire époque où, grâce à des articles écrits, malgré leur fantaisie et leur piaffe, sous la foi du serment, je me créai des sympathies et des antipathies dont je reste également fier — j’annoncerais ainsi Celles qui sont restées :

« Il y a quelques années, dans une revue aujourd’hui défunte, quelques lettrés tombèrent en arrêt devant des nouvelles signées d’un nom inconnu : Cécile Candière. Un peu timides et hésitantes dans la forme, mais heureusement dépourvues de toute mauvaise littérature empruntée, elles révélaient une nature féminine d’une finesse et d’une distinction peu ordinaires. Le décor et le milieu étaient à peine indiqués, mais une analyse pénétrante animait ces pages, sur lesquels aucun artifice de style n’attirait violemment l’attention, et qui semblaient de petits romans rêvés en marge d’une vie discrète et profonde. Aujourd’hui, voici que le pseudonyme tombe et que Cécile Candière s’efface derrière Madame Cécile Gilson, qui a écrit un livre sur la guerre et le signe vaillamment de son nom.

» Ce livre est un hommage, émouvant et délicat, rendu aux femmes belges qui restèrent au pays pendant la guerre par une de celles dont la tempête a trempé le cœur. Cette fois, il ne s’agit plus de vagues romans rêvés en marge de la vie, mais d’une série de drames pris sur le vif, dont le milieu et le décor sont évoqués avec netteté, et dans lesquels se meuvent et s’agitent, sur un fond d’orage, des personnages divers, dessinés avec relief, que la tourmente entrechoque et dont la sensibilité s’aiguise douloureusement. L’auteur n’a rien perdu de sa finesse, mais connaît maintenant l’art de composer, de nouer et de dénouer une action, et son analyse pénétrante, sans cesser d’être féminine, est devenue plus sûre, plus franche et plus aiguë. Des huit morceaux qui composent le livre, il n’en est pas un qui soit médiocre et j’en sais plusieurs, parmi lesquels La Grand-Mère, qui sont d’un art savant, discret et profond. Parmi les livres que la guerre a fait éclore en Belgique, celui de Madame Gilson est certes l’un des meilleurs. »

Voilà ce que je dirais si, au lieu d’écrire une préface, j’étais encore le critique littéraire de cette Jeune Belgique où chacun d’entre nous avait le droit de penser tout haut, à l’époque légendaire où personne n’écrivait de préface, ni pour les autres ni pour soi-même.

ALBERT GIRAUD.