Ces Dames de Lesbos/21

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Mabel Smith est une fillette maigre et douce, assouplie par la misère à toutes les concessions de pudeur. Il y a quelques mois, elle se promenait dans les passages innombrables et généralement peu éclairés, qui réunissent à la façon moyenâgeuse toutes les artères anciennes du centre londonien.
Elle disait, lorsqu’un passant, seul et cossu, la frôlait :
— Je le ferai pour un shilling la cabriole, sir !
Et six fois sur dix, elle recevait un shilling.
Alors, elle se plaçait devant un mur et, retenue par les mains au sol, levait brusquement les jambes en l’air. Sous la jupe, elle était incontestablement nue…
Ensuite, elle erra dans Hyde-Park et vint modestement s’asseoir près des messieurs solitaires. Peu à peu, on se rapprochait et on échangeait des amitiés. Mais les policemen avaient interrompu ces amusements ingénus. Et Mabel Smith, sans moyens de vie, s’était ensuite engagée dans la troupe des Marvellous Sisters où elle gagnait, dans un music-hall des faubourgs, cinq livres par semaine. Elle avait appris pour cela à faire le grand écart, à se trémousser de l’arrière-plan sur un rythme nègre, enfin à simuler l’amour avec les autres adolescentes de la troupe.
C’est qu’en effet le manager des Marvellous Sisters, afin d’être bien assuré que les jeunes filles de sa compagnie ne le quitteraient point pour des hommes, fussent-ils baronnets, voire vicomtes, et naturellement lords, tenaient à ce qu’elles s’aimassent entre elles.
Mabel Smith trouva cela très normal au début. On doit obéir à qui vous paye. C’est la loi, et la honte ou le péché ne viennent qu’ensuite. Elle s’était donc divertie sans mal y voir. Mais les flammes de l’amour damné avaient peu à peu pénétré sa chair et elle chercha longtemps la femme qui satisferait sa soif inépuisable d’amour parfait.
Rosy Bonmar était exquise, mais si frêle qu’elle se consuma de passion interdite et mourut. Séléné Paddigton quitta Mabel pour un horseguard de six pieds qui jouait de la cornemuse, et même la Française Jeanne Dolcès ne voulut rester avec Mabel Smith.
Car l’ancienne danseuse des Marvellous Sisters, devenue Mabel, l’étoile de cinéma, vêtue désormais en homme et portant une cravache, prétendait soumettre les femmes par la force et les attachait à un chevalet pour les caresser.
Un jour, pourtant, elle s’amouracha d'une Russe de Crimée qui, après les expansions le splus audacieuses, dit en reprenant son sac à main :
Lovely, je vous aime fort, mais ce qu’on aime on ne veut plus que ce soit à personne…
En prenant un browning mignon, elle tua gentillement la charmante Mabbel Smith, la première des dames de Lesbos à Londres, voici trois ans.