Ces Dames de Lesbos/9
— Ô Cynthia, pourquoi donc as-tu les yeux cernés et la démarche si lasse ?
— Vraiment, je ne sais.
— Tais-toi, petite fille ! Tu roules les hanches comme une amante gorgée, et pourtant insatisfaite d’amour.
— Ne te trompes-tu point, ô ma mère ?
— Que non ! Tu as les regards humides d’une qui pense sans cesse à son amant. Je veux savoir la raison de cela.
— Il n’y en a point, je pense, sinon que les dieux l’ont voulu ainsi.
— Oui, da ! Où étais-tu ce matin ?
— Par Aphrodite, je me suis rendue chez notre voisine Sapho.
— Et que fîtes-vous ?
— Elle m’a lu de très beaux vers.
— Cynthia, ma chérie, dis-moi de quoi parlaient ces vers ?
— De moi seule.
— Sais-tu qu’elle en fait aussi de très beaux à Mnasidiké, notre voisine ?
— Oui, mais c’est moi qu’elle caresse.
— Ah ! Ah ! c’est toi qu’elle caresse ! Voyez comme elle nous dit cela ! Et tu penses que tu es seule à connaître les caresses de Sapho ?
— Elle me l’a juré.
— Je comprends maintenant pourquoi tu as sous les paupières ce cercle bleu et la raison de ta démarche languissante m’apparaît. Cynthia, tu joues à l’amour avec Sapho ?
— Elle m’aime.
— Mais, sotte, elle aime toutes les belles filles de ton âge. Elle les caresse toutes, elle leur apprend mille choses lascives et perverses.
— Serait-ce coupable, ô ma mère ?
— Cynthia, les dieux seuls savent choisir entre les actes humains ceux qui sont coupables et ceux qui sont innocents. Puisque Sapho existe, c’est qu’ils lui permirent la vie, et de faire connaître son amour, et de le répandre, mais cela pourtant ne fait pas mon affaire.
— Pourquoi donc cela ?
— Parce que le berger Glaucos voudrait t’épouser. Il me l’a dit. Sais-tu, ma fille, qu’il possède plusieurs troupeaux et de biens, et une terre fertile près de la route du port, à Méthymne ?
— Je ne veux point épouser d’homme.
— Épouseras-tu une femme, ô sotte ? Ne sais-tu pas que, demain ou dans un mois, Sapho en aimera une autre que toi ? C’est une poétesse, et sa fureur amoureuse s’accroît par ses chansons. Elle se développe aussi dans ses perpétuels changements.
« Pourrais-je même dire toutes celles qui passèrent dans ses bras ? Elle est ardente, mais peu fidèle. Déjà, elle fait des yeux doux à Ermina, la blonde fille du marchand de cuir, près du promontoire d’Eryx. Allons, Cynthia, épouse Glaucos !
— Me permettra-t-il d’aller voir Sapho ?
— Hé ! triple fille de Lesbos, il sera Sapho elle-même, s’il te plaît ! Crois-tu qu’un homme soit si mal fait que les plaisirs que tu poursuis lui soient étrangers ?