Châtelaine, un jour…/4

La bibliothèque libre.

IV

— Mademoiselle Semnoz ?

Colette venait de rentrer hâtivement chez elle afin de préparer son départ pour Pont-Audemer avec Lina. Elle regarda ce jeune homme assez élégant qui se tenait devant sa porte.

— C’est moi-même, monsieur. Vous désirez ?

— Je suis votre cousin François Lesquent.

Le jeune homme mit sur le compte de l’étonnement la réserve dont la jeune fille fit preuve à son égard. Puis, comme elle restait muette et embarrassée, il ajouta :

— Je dois votre adresse à Me Lemasle. Il m’a même annoncé que vous viendriez dimanche à Grandlieu.

— Oui, c’est exact, mais excusez-moi de vous laisser à la porte. Voulez-vous entrer ? Je suis tellement surprise de faire la connaissance de mon cousin inconnu…

Le jeune homme sourit, puis il entra sans aucune gêne, d’un pas délibéré. Examinant la pièce, il s’approcha d’une photographie pour la regarder.

— C’est maman, dit Colette.

— Elle était jeune.

— Oui, elle est morte peu après ma naissance.

Lesquent détailla le mobilier assez modeste, mais fort coquettement arrangé, et, d’un ton détaché :

— C’est gentil, chez vous. Vous vivez seule ?

— Oui, depuis la mort de papa. J’ignorais qu’il me restât de la famille.

— C’est amusant, n’est-ce pas, cette histoire d’héritage. Amusant pour vous, parce que, moi, je connaissais très bien Anthime.

Colette sourit et demanda :

— Ah ! vraiment. Quel genre d’homme était-ce ?

— Un bon vivant, très amusant, aimant la bonne chère et le bon vin.

Tout en parlant, il poursuivait son examen. Enfin, il regarda sa cousine.

— Vous travaillez ?

La jeune fille offrit un siège au visiteur et lui expliqua en quoi consistait son travail.

Ils bavardèrent ainsi plus d’une heure. Lesquent revint sur le projet de promenade à Grandlieu.

— Je vous y emmènerai, ma chère cousine. Ce sera l’occasion pour nous de faire plus amplement connaissance. Je viendrai vous prendre samedi après-midi, nous serons au château le soir même.

— Je vous remercie beaucoup, mais je n’avais pas prévu de faire ce voyage toute seule.

Le visage de Lesquent se rembrunit.

— Vous êtes fiancée ?

— Non, j’ai une excellente amie et nous nous étions fait une fête de passer le congé de Pâques ensemble et d’aller visiter le château.

— Une amie ! Mais je maintiens ma proposition. Si ma présence ne vous importune pas, profitez toutes les deux de ma voiture.

— Je ne voudrais pas abuser de votre amabilité.

— Nullement. Alors, c’est entendu, je vous prendrai ici toutes les deux, disons à trois heures.

Lesquent se leva, et comme la jeune fille le reconduisait, il lui dit sa joie d’avoir fait sa connaissance. En arrivant à la porte, il dit d’un ton enjoué :

— Vous me permettrez bien de vous embrasser ?

Il n’attendit pas que la jeune fille l’y autorisât. Il la saisit un peu rudement et il lui déposa un baiser sur chaque joue.

Colette n’était pas encore revenue de sa surprise, qu’il ouvrait la porte et, après un dernier au revoir, s’engageait dans l’escalier.

La jeune fille attendit qu’il eut disparu et, toute rêveuse, referma sa porte.

Elle ne s’était fait, jusqu’ici, qu’une image très vague de son cousin, mais cette image ne ressemblait absolument pas à Lesquent même. Elle ne s’attendait pas à ce sans-gêne empreint de bonhomie.

Il lui était difficile de porter un jugement précis sur lui. Elle n’aimait pas sa coquetterie un peu vulgaire et cependant il lui était sympathique. Sa façon d’entrer et d’examiner meubles et bibelots la choquait, mais sa simplicité bon enfant était plaisante.

Colette regrettait maintenant d’avoir accepté l’offre de son parent. Non qu’elle redoutât de passer une journée entre Lina et lui, mais plutôt parce qu’elle craignait que la présence du jeune homme nuisît aux heures agréables qu’elle se promettait de passer avec son amie.

Un peu plus tard, elle pensa :

« Lina, curieuse comme une chouette, va me demander ce que fait mon cousin, et je ne saurai pas le lui dire. Nous avons parlé de tout, semble-t-il, sauf de lui. »

Colette s’attarda dans ses préparatifs. Elle, qui, depuis quelques jours, se faisait une joie de ce voyage, elle n’y trouvait plus maintenant le même plaisir. Elle souhaitait qu’un fait inattendu l’empêchât de partir. Malgré tout, elle prépara ses vêtements et une petite valise avec son nécessaire de voyage.