Explication suivie des quatre Évangiles/Chapitre 21

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Chapitre 20 Chaîne d’or sur l’évangile de saint Jean


CHAPITRE XXI



Versets 1-11.



S. AUG. (Traité 122 sur S. Jean.) Les dernières paroles de l’Evangéliste semblaient indiquer la fin de son récit. Cependant il nous raconte encore comment Nôtre-Seigneur se manifesta près de la mer de Tibériade : « Après cela, Jésus apparut de nouveau près de la mer de Tibériade. » — S. Chrysostome : (hom. 89 sur S. Jean.). Saint Jean dit : « Après cela, » parce que Nôtre-Seigneur ne restait pas continuellement avec ses disciples comme auparavant. Il se sert de cette expression : « Il se manifesta, » parce que ses disciples n’auraient pu le voir, s’il n’avait consenti à se rendre visible par un effet de sa bonté, puisque son corps était incorruptible. Il fait mention expresse de l’endroit où il leur apparut, pour nous montrer que le Sauveur avait diminué de beaucoup leurs craintes, puisqu’ils s’éloignent à une assez grande distance de leur demeure. En effet, ils ne restaient plus renfermés, mais ils allaient dans la Galilée, pour éviter tout danger de la part des Juifs.




Bède : Suivant sa coutume, l’Evangéliste commence par exposer le fait, puis il raconte la manière dont il eut lieu : « Or, il se manifesta de cette sorte. » — S. Chrysostome : Comme le Seigneur n’était pas continuellement avec eux, qu’ils n’avaient pas encore reçu l’Esprit saint, qu’aucune charge ne leur avait été confiée, et qu’ils n’avaient pas autre chose à faire, ils se livraient à leurs occupations de pêcheur : « Simon-Pierre et Thomas, appelé Didyme, et Nathanaël, qui était de Cana, en Galilée (qui avait été appelé par Philippe), et les fils de Zébédée (Jacques et Jean), et deux autres de ses disciples se trouvaient ensemble. Simon-Pierre leur dit : « Je vais pêcher. » — S. GREG. (hom. 24 sur les Evang.) On peut demander pourquoi Pierre, qui exerçait le métier de pêcheur avant sa conversion, revient à ses filets après sa conversion, alors que la vérité elle-même nous dit : « Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière, n’est point propre au royaume de Dieu. » — S. AUG. Si les Apôtres avaient agi de la sorte aussitôt la mort de Jésus, et avant sa résurrection, nous aurions lieu de penser qu’ils cédaient au découragement qui s’emparait de leur âme. Au contraire, c’est après avoir vu Jésus-Christ sorti du tombeau plein de vie ; c’est après avoir examiné les traces que les blessures avaient laissées sur son corps, c’est après qu’il leur a donné l’Esprit saint en soufflant sur eux, qu’ils redeviennent ce qu’ils étaient auparavant, pécheurs non d’hommes, mais de poissons. Je réponds donc qu’il ne fut point défendu aux Apôtres de pourvoir à leur subsistance par l’exercice d’un métier légitime, tout en sauvegardant la dignité de leur apostolat, s’ils n’avaient point d’ailleurs d’autres moyens d’existence. En effet, si saint Paul refusa d’user du pouvoir qui lui était commun avec les autres prédicateurs de l’Evangile, et voulut combattre à ses propres frais, pour ne point être un obstacle à la conversion des peuples complètement étrangers au nom de Jésus-Christ, en leur laissant supposer que l’intérêt était le mobile de sa prédication ; si cet Apôtre, dont l’éducation avait été tout autre, par suite de ce principe, voulut apprendre un métier qu’il ne connaissait pas, afin qu’en vivant du travail de ses mains, il ne fût à charge à aucun de ceux qu’il enseignait, à combien plus juste titre saint Pierre, qui avait été précédemment pêcheur, pût-il reprendre le métier qu’il savait, si pour le moment il ne trouvait point d’autre ressource pour vivre. On me dira peut-être : Et pourquoi n’en a-t-il point trouvé, lorsque la promesse du Seigneur est formelle : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné comme par surcroît. » Je réponds que le Seigneur a parfaitement accompli sa promesse, car quel autre a conduit les poissons dans les filets où ils ont été pris ? Et très-certainement c’est lui qui permit que la nécessité contraignît ses disciples de retourner à la pêche, parce qu’il voulait les rendre témoins du miracle qu’il se proposait d’opérer. — S. GREG. Ils purent donc reprendre sans aucune faute après leur conversion, des occupations auxquelles ils se livraient très licitement avant leur conversion. Voilà pourquoi Pierre, après sa conversion retourne à la pêche, mais Matthieu ne reprend point sa place au bureau des impôts, car il est des professions que l’on ne peut absolument, ou sans de grandes difficultés, exercer sans péché. Il faut donc que le cœur véritablement converti se détache complètement de tout ce qui peut l’entraîner au péché.




S. Chrysostome : Les autres disciples suivaient Pierre : « Ils lui dirent : Nous y allons aussi avec vous ; » car ils ne formaient tous qu’une seule société, et voulaient tous ensemble être témoins de la pêche : « Ils s’en allèrent donc, et montèrent dans la barque. » Ils péchaient pendant la nuit, parce qu’ils étaient encore dominés par la crainte des Juifs. — S. GREG. Les disciples éprouvèrent de grandes difficultés dans cette pêche, afin qu’à l’arrivée de leur divin Maître, ils fussent remplis d’une grande admiration : « Et cette nuit-là ils ne prirent rien. »




S. Chrysostome : Tandis qu’ils se fatiguent ainsi avec le regret de ne rien prendre, Jésus leur apparaît : « Mais le matin venu, Jésus parut sur le rivage. » Il ne se découvre pas tout d’abord, mais veut auparavant lier conversation avec eux. Il leur parle donc en premier lieu un langage tout humain : « Enfants, n’avez-vous rien à manger ? » Il semble, par cette question, avoir l’intention de leur acheter quelque chose ; mais comme il les voit saisis de crainte, il leur donne un signe qui put le faire reconnaître : « Il leur dit : Jetez le filet à droite de la barque, et vous en trouverez, » Les miracles se succèdent alors en grand nombre ; le premier, c’est qu’ils prennent une quantité énorme de poissons : « Ils le jetèrent et ils ne pouvaient plus le tirer tant il était chargé de poissons. » Dans la manière dont ils reconnaissent Jésus-Christ, Pierre et Jean font voir chacun la différence de leur caractère. Le premier était plus ardent, le second d’une intelligence plus élevée, l’un avait plus d’initiative, l’autre plus de discernement ; aussi est-il le premier à reconnaître Jésus-Christ : « Le disciple que Jésus aimait, dit à Pierre : C’est le Seigneur. » — Bède : C’est par ce miracle que Jésus, comme en beaucoup d’autres endroits, manifeste sa personne divine. Or, Jean reconnaît le premier le Seigneur, soit à cette pêche miraculeuse, soit au son d’une voix qui lui était connue, soit au souvenir de la première pêche. — S. Chrysostome : Pierre avait plus d’ardeur, et il met plus d’empressement à venir à Jésus-Christ : « Simon-Pierre ayant entendu que c’était le Seigneur, se ceignit de sa tunique (car il était nu), » etc.




bède. Saint Jean dit que Pierre était nu par opposition aux autres vêtements dont il faisait usage. C’est ainsi qu’en voyant un homme couvert d’un simple vêtement, nous lui disons : Pourquoi donc êtes-vous ainsi nu ? Ou peut aussi admettre que suivant la coutume des pêcheurs, il s’était dépouillé de tous ses vêtements pour pêcher plus librement. — THEOPHYL. Pierre se ceignit aussitôt, par un sentiment de pudeur ; il se ceignit d’un vêtement de lin dont les pêcheurs de la Phénicie et de Tyr s’enveloppent, et dont ils se couvrent, qu’ils aient ou non d’autres vêtements. — Bède : Pierre vient à la rencontre de Jésus avec la même ardeur qu’il faisait éclater dans toutes ses actions : « Et il se jeta à la mer ; les autres disciples vinrent avec la barque. » Il n’est point cependant nécessaire d’entendre que Pierre ait marché sur les flots, il vint trouver Jésus, soit en nageant, soit en marchant dans l’eau, car on était près de la terre. « Car, remarque saint Jean, ils n’étaient pas éloignés de la terre. » — LA GLOSE. Il y a ici une transposition évidente, car nous lisons à la suite : « En tirant le filet rempli de poissons. » Voici l’ordre naturel de la phrase : « Les autres disciples vinrent dans la barque, en tirant le filet rempli de poissons, car ils n’étaient pas loin de la terre. »




S. Chrysostome : Un autre miracle les attendait sur le rivage : « Lorsqu’ils furent descendus à terre, ils virent des charbons allumés, » etc. Nôtre-Seigneur n’opère plus ici sur une matière préexistante, mais il fait quelque chose de plus merveilleux, il donne l’être à ce qui n’existait pas, et il montre ainsi qu’avant sa passion, c’était par suite d’une mystérieuse économie qu’il faisait ses miracles en se servant d’une matière déjà existante. — S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) Il ne faut point entendre ces paroles dans ce sens, que le pain fut placé sur les charbons, mais voici ce que l’Evangéliste veut dire : « Ils virent des charbons allumés, et un poisson placé dessus, et ils virent du pain. » — THEOPHYL. Pour leur prouver qu’ils ne sont pas dupe d’une illusion fantastique, il leur commande de lui apporter quelques-uns des poissons qu’ils avaient pris : « Jésus leur dit : Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre. » Un troisième miracle fut que le filet ne se rompit point sous l’énorme quantité de poissons qu’il renfermait : « Simon-Pierre monta donc dans la barque, et tira à terre ce filet plein de cent cinquante-trois grands poissons. Et quoiqu’il y en eût un si grand nombre, le filet ne se rompit point. »




S. AUG. (Traité 122 sur S. Jean.) Dans le sens mystique, cette poche miraculeuse est la figure du mystère qui s’opérera dans l’Église lors de la résurrection des morts. C’est à mon avis pour faire ressortir plus clairement ce mystère que saint Jean parait vouloir terminer son Evangile par cette réflexion qui devient comme l’introduction du récit qui va suivre et lui donne ainsi plus d’importance. Ce qui donne un nouveau caractère de vérité à ce sentiment, c’est que le récit évangélique paraissait terminé, et que ce fait est comme le commencement d’un nouveau récit. Les sept disciples qui prirent part à cette pêche sont, par leur nombre de sept, la figure de la fin du temps, dont la révolution s’accomplit dans un espace de sept jours. — THEOPHYL. Tant que dura la nuit, avant le lever du soleil de justice, qui est Jésus-Christ, les prophètes ne purent rien prendre, car bien que leurs efforts n’eussent pour but que la réforme du seul peuple juif, ce peuple ne laissait pas de tomber fréquemment dans l’idolâtrie.





S. GREG. (hom. 24.) Mais pourquoi, pendant que ses disciples se consument en efforts au milieu de la mer, Jésus, après sa résurrection, se tient-il sur le rivage, lui qui, avant sa résurrection, marche sur les flots mêmes de la mer pour aller les trouver ? La mer est la figure du siècle présent qui se brise au choc de l’agitation des événements et des flots de cette vie corruptible, tandis que la terre ferme du rivage est le symbole de la stabilité du repos éternel. Comme les disciples étaient encore au milieu des flots de cette vie mortelle, ils avaient à supporter les fatigues de la mer, mais notre Rédempteur, qui avait dépouillé la corruption de la chair, se tenait sur le rivage après sa résurrection. — S. AUG. Le rivage est comme la fin de la mer et figure la fin du monde. De même que Notre-Seigneur veut nous signifier dans cet endroit ce que sera l’Église à la fin du monde ; ainsi dans une autre pêche qui a précédé, il a voulu nous figurer l’Église telle qu’elle est pendant cette vie. Aussi lors de cette première pêche, Jésus ne se tenait pas sur le rivage, mais montant sur une barque qui était celle de Simon-Pierre, il le pria de s’éloigner du rivage. Dans cette même circonstance, les filets ne sont pas jetés à droite de la barque, pour ne pas signifier les bons seulement, ni à gauche, pour ne pas figurer exclusivement les mauvais, mais indifféremment à droite ou à gauche : « Jetez, dit Jésus, vos filets pour pêcher, » (Lc 5) afin de figurer ainsi le mélange des bons et des mauvais, ici, au contraire, il dit : « Jetez votre filet à la droite de la barque, » pour signifier seulement ceux qui se tiendront à la droite, c’est-à-dire, les bons exclusivement. Le Sauveur fit le premier miracle au commencement de sa prédication, et le second après sa résurrection. La première pêche représente le mélange des bons et des mauvais, dont l’Église est maintenant composée ; et la seconde, les bons seulement, dont elle sera formée, pour l’éternité après la résurrection des morts, qui aura lien à la fin du monde. Ceux qui auront part à la résurrection du la vie (c’est-à-dire, ceux qui seront adroite), et qui sont morts dans les filets du nom chrétien, ne paraîtront que sur le rivage (c’est-à-dire, à la fin du monde après la résurrection). Aussi les disciples ne purent tirer les filets pour verser comme la première fois dans la barque, les poissons qu’ils avaient pris. Ces poissons qui sont pris à la droite de la barque, l’Église les conserve cachés dans le sommeil de la paix, comme dans les profondeurs de la mer, jusqu’à ce que le filet soit tiré sur le rivage. Dans la première pêche il y avait deux barques, et dans celle-ci, les disciples étaient à deux cents coudées du rivage ; on peut dire que c’est la figure des élus des deux peuples, du peuple de la circoncision et du peuple des Gentils (comprenant chacun le nombre cent). — Bède : Ou bien encore, ces deux cents coudées représentent les deux préceptes de la charité, car c’est par l’amour de Dieu et du prochain que nous approchons de Jésus-Christ. Le poisson rôti est la figure de Jésus-Christ dans sa passion ; il a daigné se cacher dans les eaux du genre humain, il s’est laissé prendre dans les filets de notre mortalité ; il a été pour nous comme un poisson par son humanité, et il est devenu pour nous un pain en nous fortifiant par sa divinité.




S. GREG. C’est à Pierre qu’a été confié le soin de la sainte Église, et c’est à lui spécialement qu’il est dit : « Paissez mes brebis. » Ce que le Sauveur lui dira bientôt en termes exprès, il le lui dit maintenant par les faits. C’est Pierre qui tire les poissons sur la terre ferme du rivage, parce que c’est lui qui montre aux fidèles l’éternelle et immuable patrie ; c’est ce qu’il a fait par ses paroles, c’est ce qu’il a fait par ses Epîtres, c’est ce qu’il fait encore tous les jours par l’éclat de ses miracles. L’Evangéliste ne se contente pas de nous dire que le filet était plein de poissons, mais il en précise le nombre : « Il était plein de cent cinquante-trois poissons. » — S. AUG. Dans la première pêche, on ne parle pas du nombre des poissons, et nous y voyons comme un accomplissement de cette prédiction du Roi-prophète : « J’ai voulu annoncer vos œuvres, leur multitude m’a paru innombrable. » (Ps 39, 6.) Ici, au contraire, le nombre est précisé, et il faut en donner la raison. Le nombre qui figure la loi est le nombre dix, à cause du décalogue ; mais lorsque la grâce vient s’unir à la loi (c’est-à-dire, l’esprit à la lettre), le nombre sept vient s’ajouter au nombre dix. En effet, le nombre sept est comme le symbole de l’Esprit saint, qui est surtout l’auteur de notre sanctification. Cette sanctification se montre pour la première fois dans le repos du septième jour. (Gn 2) Le prophète Isaïe fait l’éloge de l’Esprit saint, en énumérant ses sept dons ou ses sept opérations, (Is 11) Lors donc qu’au nombre dix de la loi vient s’ajouter le nombre sept, symbole de l’Esprit saint ; ces deux nombres réunis forment le nombre dix-sept ; si l’on décompose ce nombre en commençant par l’unité et en ajoutant toujours à chacune de ces parties, depuis un jusqu’à dix-sept le nombre additionnel ou arrive au nombre total de cent cinquante-trois. — S. GREG. Multiplions le nombre sept et dix-sept par trois, et nous trouvons cinquante-un. Or, c’est dans la cinquantième année que tout le peuple se reposait de tout travail. Mais le véritable repos est dans l’unité, car le véritable repos ne peut se trouver au milieu des déchirements produits par la division.




S. AUG. Il ne faudrait pas conclure de là qu’il n’y aura que cent cinquante-trois saints qui ressusciteront à la vie éternelle, car tous ceux qui ont part à la grâce de l’Esprit saint, sont compris dans ce nombre qui renferme trois fois le nombre cinquante, et de plus le nombre trois, symbole du mystère de la sainte Trinité. Or, le nombre cinquante est le produit du nombre sept multiplié par sept, et auquel on ajoute l’unité. Cette unité indique qu’ils ne doivent faire qu’un. Ce n’est pas sans raison que l’Evangéliste fait la remarque que les poissons étaient grands, car lorsque Nôtre-Seigneur eut dit : « Je ne suis pas venu détruire la loi, mais l’accomplir (en donnant l’Esprit saint qui devait la faire accomplir) ; » il ajoute un peu plus loin : « Celui qui fera et enseignera sera grand dans le royaume des cieux. » (Mt 5) Lors de la première pêche, le filet se rompait en figure des schismes qui devaient déchirer l’Église. Ici, au contraire, comme les schismes seront impossibles dans la paix suprême dont jouiront les saints, l’Evangéliste a dû faire remarquer que, malgré le grand nombre et la grosseur des poissons, le filet ne se rompit point. Il semble faire allusion à la première pêche où le filet se rompit, et vouloir faire ressortir par cette comparaison la supériorité de la pèche actuelle.




Versets 12-14.



S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) La pêche étant terminée, le Seigneur invite ses disciples à manger : « Jésus leur dit : Venez, mangez. » — S. Chrysostome : (hom. 87 sur S. Jean.) Nous ne voyons pas ici qu’il ait mangé avec eux, mais saint Luc le dit expressément. Il le fit du reste, non pas que sa nature eût encore besoin d’aliments, mais pour s’accommoder à la faiblesse de ses disciples et leur donner ainsi une nouvelle preuve de sa résurrection. — S. AUG. (de la cité de Dieu, 13, 22.) Quant aux corps des justes, tels qu’ils seront après la résurrection, ils n’auront plus besoin de l’arbre de vie pour se garantir des maladies et de la décrépitude qui conduisent à la mort, ni des aliments matériels qui apaisent le besoin si souvent pénible de la faim et de la soif, parce qu’ils seront revêtus du don assuré d’une immortalité qu’ils ne pourront plus perdre, immortalité qui, en les affranchissant de la nécessité de se nourrir, leur en laissera la faculté. En effet, les corps ressuscites seront affranchis, non de la faculté, mais du besoin de boire et de manger. C’est ainsi que Notre Seigneur, après sa résurrection, voulut boire et manger avec ses disciples dans une chair toute spirituelle, quoique très-véritable, non par le besoin qu’il avait de nourriture, mais en vertu de la faculté qui lui en était restée.




« Et nul de ceux qui étaient assis n’osait lui demander : Qui êtes-vous ? » — S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) C’est-à-dire, nul d’entre eux n’osait élever des doutes sur la réalité de la personne du Sauveur, car l’évidence de la vérité était si grande, qu’aucun d’eux n’osait, non-seulement nier, mais même douter que ce fût lui, car s’ils avaient eu quelque doute, ils l’auraient interrogé. — S. Chrysostome : Ou bien l’Evangéliste fait celle réflexion, parce que les disciples n’osaient plus lui parler avec la même liberté qu’auparavant ; ils étaient assis en silence et dans l’attitude du plus grand respect, les yeux fixés sur lui, et à la vue des propriétés différentes de son corps, ravis d’admiration et d’étonnement, ils auraient voulu l’interroger. Mais comme ils savaient que c’était le Seigneur, la crainte les arrêtait, et ils se contentaient de manger ce qu’il leur distribuait avec une autorité souveraine. Il ne lève point ici les yeux au ciel, et il n’agit plus comme un homme, pour leur apprendre que ce qu’il faisait autrefois était la suite de ses abaissements volontaires : « Et Jésus vint, prit le pain, et le leur donna, » etc.




S. AUG. Dans le sens mystique, le poisson rôti représente Jésus-Christ dans sa passion. Il est le pain descendu du ciel, et l’Église lui est incorporée pour avoir part au bonheur éternel. Il leur dit : « Apportez quelques-uns des poissons que vous venez de prendre, afin que nous tous qui avons cette espérance, nous sachions que nous entrons en participation d’un si grand mystère dans la personne de ces sept disciples (nombre où l’on peut voir l’universalité des fidèles), et que nous sommes associés à leur félicité.




S. GREG. Ce dernier repas que Jésus fait avec sept de ses disciples, nous enseigne que ceux-là seuls qui sont remplis des sept dons de l’Esprit saint, auront part avec lui à l’éternel festin. Le cours du temps s’accomplit et se mesure par espaces de sept jours, et ce nombre est souvent pris pour le symbole de la perfection. Ceux donc qui, dans ce dernier et éternel festin, se nourriront de la présence de la vérité, sont ceux que le zèle pour leur perfection élève au-dessus des choses de la terre.




S. Chrysostome : Le Sauveur ne restait pas longtemps avec ses disciples, et n’avait plus avec eux les mêmes rapports que précédemment, c’est pour cela que l’Evangéliste ajoute : « Ce fut la troisième fois que Jésus apparut à ses disciples, depuis qu’il était ressuscité des morts. — S. AUG. Ce nombre de trois doit s’entendre, non de l’ordre des apparitions elles-mêmes, mais des jours où elles eurent lieu. Ainsi il leur apparut le jour même de sa résurrection, puis huit jours après, lorsque Thomas crut après l’avoir vu de ses yeux, et encore le jour de cette pêche miraculeuse, et ensuite aussi souvent qu’il le voulut jusqu’au quarantième jour où il monta au ciel. — S. AUG. (de l’acc. des Evang., 3, 25.) Nous trouvons dans les quatre évangélistes, dix apparitions du Seigneur après sa résurrection. Il apparut la première fois aux saintes femmes, près du sépulcre ; la seconde, lorsqu’elles revenaient du sépulcre ; la troisième fois à Pierre ; la quatrième aux deux disciples qui allaient à Emmaüs ; la cinquième à plusieurs disciples dans Jérusalem ; la sixième aux onze Apôtres et à Thomas ; la septième sur les bords de la mer de Tibériade ; la huitième aux onze Apôtres, sur une montagne de Galilée, selon saint Matthieu ; la neuvième, comme le rapporte saint Marc, à ce dernier repas après lequel ils ne devaient plus manger avec lui sur la terre ; la dixième fois enfin ; le jour même de son ascension, alors qu’il n’était déjà plus sur la terre, mais qu’il s’élevait dans les cieux.




Versets 15-17.



THEOPHYL. Après le repas, Jésus confie à Pierre, et non pas à d’autres, le gouvernement de toutes les brebis qui étaient dans le monde : « Lors donc qu’ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre, » etc. — S. AUG. ( Traité 123 sur S. Jean.) Le Sauveur interroge, bien qu’il sût ce qu’il demandait, car il savait parfaitement que, non-seulement Pierre l’aimait, mais qu’il l’aimait plus que tous les autres.




ALCUIN. Simon est appelé fils de Jean, parce que son père s’appelait Jean. Dans le sens mystique, Simon veut dire obéissant, et Jean signifie grâce. C’est à juste titre que Pierre est appelé obéissant à la grâce de Dieu, pour faire voir que s’il aime Jésus-Christ d’un amour plus ardent, ce n’est point à ses mérites, mais à la grâce de Dieu qu’il en est redevable.




S. AUG. (Serm. sur la pass.) Lorsque le Seigneur fut sur le point d’être mis à mort, Pierre fut saisi de crainte et renia son divin Maître, car c’est la crainte de la mort qui lui fit renier Jésus-Christ ; mais maintenant qu’il est ressuscité, que pourrait-il craindre encore, puisque la mort a reçu elle-même dans sa personne le coup de la mort ? « Il lui répondit donc : Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. » Sur cette assurance que Pierre lui donne de son amour, Jésus lui confie le soin de sou troupeau. Il lui dit : « Paissez mes brebis, » comme si Pierre n’avait point d’autre occasion de manifester son amour pour Jésus-Christ, qu’en devenant un pasteur fidèle de ses brebis sous l’autorité du Prince de tous les pasteurs. — S. Chrysostome : (hom. 88 sur S. Jean.) Rien ne nous rend plus dignes de la bienveillance divine comme le soin que nous prenons du prochain. Nôtre-Seigneur donne cette charge à Pierre de préférence à tous les autres Apôtres, parce qu’il était le premier entre tous les Apôtres, la bouche des disciples, et la tête du sacré collège, et c’est pour cela qu’après lui avoir pardonné son reniement, il l’établit le chef de ses frères. Il ne lui reproche pas de l’avoir renié, mais il lui dit : « Si vous m’aimez, soyez à la tête de vos frères, montrez maintenant cet amour dont vous avez fait constamment preuve, et sacrifiez pour mes brebis cette vie que vous étiez prêt, disiez-vous, à donner pour moi. »




« Jésus lui dit de nouveau : Simon, fils de Jean, m’aimez-vous ? » — S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) C’est avec raison que Jésus demande à Pierre : « M’aimez-vous ? » et que sur la réponse qu’il lui fait : « Je vous aime. » Jésus lui dit : « Paissez mes agneaux. » Nous voyons ici que l’amour et la dilection sont une seule et même chose, car la troisième fois le Seigneur ne lui dit pas : Diligis me, avez-vous pour moi de la dilection ? mais : Amas me, m’aimez-vous. Jésus lui dit une troisième fois : « Simon, fils de Jean, m’aimez-vous ? » Jésus demande à Pierre pour la troisième fois s’il l’aime, à son triple renoncement correspond une triple confession, il faut que sa langue devienne l’organe de sou amour comme elle l’a été de sa crainte, et que le témoignage de sa parole soit aussi explicite en présence de la vie qu’il l’a été devant la mort qui le menaçait. — S. Chrysostome : Trois fois Jésus lui fait la même question, et trois fois aussi il lui renouvelle la même recommandation, pour nous apprendre quel prix il attache à la direction de ses brebis, et que c’est à ses yeux la preuve la plus grande d’amour. — THEOPHYL. C’est de là qu’est venu l’usage de la triple promesse exigée de ceux qui demandent à recevoir le baptême.




S. Chrysostome : A cette troisième question, le trouble s’empare de l’âme de Pierre : « Pierre fut contristé de ce que Jésus lui demandait pour la troisième fois : M’aimez-vous ? » Il tremble au souvenir de sa conduite passée, il craint de se tromper en croyant qu’il aime Jésus, et de mériter de nouveau la rude leçon qu’il a reçue par suite de la trop grande confiance qu’il avait dans ses propres forces. C’est donc auprès de Jésus-Christ qu’il cherche son refuge : « Et il lui dit : Seigneur, vous connaissez toutes choses, » c’est-à-dire, les secrets les plus intimes du cœur pour le présent et pour l’avenir. — S. AUG. (Serm. 50 sur les par. du Seig.) Ce qui l’attriste, c’est de se voir renouveler cette question par celui qui savait parfaitement ce qu’il demandait et qui avait inspiré à Pierre les assurances qu’il donnait de son amour. Il répond donc en toute vérité, et c’est du fond de son cœur qu’il fait sortir ces accents d’un véritable amour : « Vous savez que je vous aime. » — S. AUG. (Traité 124 sur S. Jean.) Pierre n’ajoute pas : Plus que ceux-ci, il ne répond que sur ce qu’il sait de lui-même, car il ne pouvait connaître le degré d’amour qu’avaient les autres disciples pour Jésus, puisqu’il ne pouvait lire dans le fond de leur cœur : « Jésus lui dit : Paissez mes brebis, » c’est-à-dire, donnez un témoignage de votre amour en paissant le troupeau du Seigneur, comme vous avez donné une preuve de votre timidité en reniant le pasteur.




THEOPHYL. On peut établir une différence entre les agneaux et les brebis ; les agneaux sont ceux qui commencent à faire partie du troupeau ; les brebis sont les âmes qui ont atteint la perfection. — ALCUIN. Paître les brebis, c’est fortifier ceux qui croient en Jésus-Christ, pour que leur foi ne vienne pas à défaillir, pourvoir, lorsqu’il le faut, aux nécessités temporelles de ceux qu’on dirige, s’opposer à leurs ennemis, et ramener ceux d’entre eux qui s’égarent. — S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) Ceux qui paissent les brebis de Jésus-Christ, dans l’intention d’en faire leurs propres brebis plutôt que de les attacher à Jésus-Christ, sont convaincus de s’aimer au lieu d’aimer Jésus-Christ, d’être conduits par le désir de la gloire, de la domination ou de l’intérêt plutôt que par la charité qui ne se propose que d’obéir, de secourir et de plaire à Dieu. Gardons-nous donc de nous aimer nous-mêmes, au lieu d’aimer Jésus-Christ ; en paissant ses brebis, cherchons ses intérêts plutôt que les nôtres. Celui qui s’aime au lieu d’aimer Dieu, ne s’aime pas véritablement, car puisqu’il ne peut vivre par lui-même, en n’aimant que soi il se condamne à la mort. Ce n’est donc point s’aimer véritablement que de s’aimer d’un amour qui fait perdre la vie. Lorsqu’au contraire ou aime celui qui nous fait vivre, en ne s’aimant pas soi-même, on s’aime beaucoup plus, puisqu’on refuse de s’aimer pour aimer davantage celui qui est pour nous le principe de la vie. — S. AUG. (Serm. sur la pass.) Il s’est trouvé des serviteurs infidèles qui ont divisé le troupeau de Jésus-Christ, et qui, par leurs rapines, se sont amassé une certaine fortune. Vous les entendez dire : Ce sont là mes brebis, que venez-vous faire près de mes brebis, prenez garde que je vous retrouve parmi mes brebis. Si nous tenons nous-mêmes ce langage, et qu’à leur exemple, nous disions aussi : Mes brebis ; c’en est fait, Jésus-Christ a perdu ses brebis.




Versets 18-19.



S. Chrysostome : (hom. 88 sur S. Jean.) Après avoir enseigné à Pierre le véritable caractère de l’amour qu’il devait avoir pour lui, il lui prédit le martyre qu’il devait souffrir pour son nom, et nous apprend ainsi comment nous devons l’aimer nous-mêmes : « En vérité, en vérité, je vous le dis, lorsque vous étiez plus jeune, vous vous ceigniez vous-même, et vous alliez où vous vouliez. » Jésus lui rappelle le temps de sa jeunesse, parce qu’en effet, pour les affaires de la terre, le jeune homme seul a de la valeur, le vieillard n’en a presque point. Dans les choses divines, au contraire, c’est dans la vieillesse que la vertu a plus d’éclat, plus d’habileté, plus d’application, sans que l’âge y apporte aucun obstacle. Or, comme Pierre voulait toujours être au milieu des dangers avec Jésus-Christ, le Sauveur lui dit : « Ayez confiance, j’accomplirai votre désir ; ce que vous n’avez pas souffert dans votre jeunesse, vous le souffrirez dans votre vieillesse ; » preuve que Pierre n’était alors ni jeune ni vieux, mais dans la force de l’âge.




ORIG. (sur S. Matth.) Remarquez qu’il n’est pas facile de trouver quelqu’un de ceux qui sont prêts à quitter immédiatement cette vie. C’est pour cela que Jésus dit dès maintenant à Pierre : « Lorsque vous serez devenu vieux, vous étendrez vos mains. »




S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) C’est-à-dire vous serez crucifié, et pour vous conduire au supplice, un autre vous ceindra et vous conduira où vous ne voudrez pas. Jésus prédit d’abord l’événement et ensuite la manière dont il devait s’accomplir. Ce n’est pas lorsqu’il fut crucifié, mais avant d’être attaché à la croix, qu’il fut conduit là où il ne voulait pas. Il voulait bien être dépouillé de son corps pour être avec Jésus-Christ, mais, s’il eût été possible, il aurait désire entrer dans la vie éternelle sans passer par les angoisses de la mort. C’est malgré lui qu’il fut conduit au supplice, mais c’est par sa volonté qu’il a triomphé des horreurs de cette mort et qu’il s’est dépouillé de ce sentiment de crainte et de répugnance pour la mort, sentiment tellement inhérent à notre nature que la vieillesse même ne put l’éteindre dans saint Pierre. Mais quelles que soient les souffrances dont la mort se montre environnée, nous devons en triompher par la force de l’amour que nous avons pour celui qui, étant notre vie, a voulu souffrir la mort pour nous. Car s’il n’y avait que peu ou point de souffrance à endurer pour mourir, la gloire des martyrs serait beaucoup moins grande. — S. Chrysostome : Jésus lui dit : « Vous serez conduit là où vous ne voudrez point, » à cause de ce sentiment naturel à l’âme qui fait qu’elle se sépare malgré elle du corps par un sage conseil de la Providence divine qui s’oppose ainsi aux funestes desseins d’un grand nombre qui auraient fini leurs jours par une mort violente. L’Evangéliste élève ensuite plus haut nos pensées : « Jésus dit cela indiquant par quelle mort il devait glorifier Dieu. » Il ne dit pas : de quelle mort il devait mourir, pour nous apprendre que c’est un honneur et une gloire de souffrir pour Jésus-Christ. Or, jamais le chrétien ne consentirait à souffrir la mort pour Jésus-Christ si son esprit n’avait la certitude qu’il est vraiment Dieu. Aussi la mort des saints est-elle pour nous une preuve certaine de la gloire de Dieu.




S. AUG. (Traité 123 sur S. Jean.) Telle fut donc la fin de Pierre. Après avoir renié Jésus-Christ, il l’aima de tout son cœur, et, sous l’impulsion de cet amour parfait il souffrit la mort pour celui pour qui, par une précipitation coupable, il avait promis de sacrifier sa vie. Il fallait d’abord, en effet, que Jésus-Christ souffrît la mort pour le salut de Pierre avant que Pierre donnât sa vie pour la foi de Jésus-Christ qu’il annonçait.




Versets 19-23.



S. AUG. (Traité 124 sur S. Jean.) Après avoir prédit à Pierre par quelle mort il devait glorifier Dieu, il l’invite à marcher à sa suite : « Et après avoir ainsi parlé, il lui dit : « Suivez-moi. » Mais pourquoi le Sauveur dit-il à Pierre seul : « Suivez-moi, » sans adresser la même invitation aux autres qui étaient présents et qui le suivaient comme des disciples suivent leur maître ? Or, si par ces paroles Jésus l’appelle au martyre, Pierre est-il donc le seul qui ait souffert pour la vérité chrétienne ? Est-ce que Jacques n’était pas là, lui que nous savons avoir été mis à mort par Hérode ? On répondra peut-être à cela que Jacques n’ayant pas été crucifié, Jésus put dire exclusivement à Pierre : « Suivez-moi, » parce que non-seulement il devait souffrir la mort, mais la mort de la croix, à l’exemple de Jésus-Christ.




THEOPHYL. Pierre ayant appris qu’il devait souffrir la mort pour Jésus-Christ, lui demande si Jean doit mourir de la même mort. « Pierre s’étant retourné vit le disciple que Jésus aimait, » etc. — S. AUG. Il se nomme le disciple que Jésus aimait parce qu’en effet Jésus avait pour lui un amour plus intime et plus tendre que pour les autres, et c’est pour cela que, pendant la cène, il le fit reposer sur sa poitrine. Je crois que le Sauveur a voulu ainsi nous donner une haute idée de l’excellence de l’Evangile que Jean devait annoncer. Il en est qui pensent (et ce ne sont pas les interprètes les moins distingués des saintes Ecritures) que l’amour plus particulier de Jésus pour Jean avait pour cause la chasteté que cet Apôtre avait toujours inviolablement gardée depuis sa première enfance.




« Pierre donc, l’ayant vu, dit à Jésus : Seigneur, mais celui-ci, que deviendra-t-il ? » — théofhtl. C’est-à-dire, suivant l’explication de quelques interprètes, est-ce qu’il ne doit pas mourir aussi ?


« Jésus lui dit : Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ; que vous importe ? » — S. AUG. Et il lui répète : « Suivez-moi, » paroles qui semblent nous indiquer que Jean ne le suivrait point, parce qu’il voulait qu’il restât jusqu’à ce qu’il vint lui-même. Il semble qu’on ne pourrait facilement admettre d’autre interprétation de ces paroles que celle qui vint à l’esprit des disciples qui étaient présents : « Le bruit courut donc parmi les frères que ce disciple ne mourrait point. » Mais Jean lui-même combat cette interprétation en ajoutant : « Et Jésus ne lui dit pas : Il ne mourra point, mais je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne, que vous importe ? » On peut insister cependant si l’on veut, et dire qu’à la vérité Nôtre-Seigneur n’avait pas dit que « ce disciple ne mourrait point, » mais que c’est le sens qui résulte des paroles rapportées par saint Jean. — THEOPHYL. On peut dire encore : Jésus-Christ n’a point nié que Jean dût mourir (car tout ce qui naît doit mourir), mais il lui a dit simplement : Je veux qu’il demeure, c’est-à-dire qu’il vive jusqu’à la fin du monde, et c’est alors qu’il souffrira pour moi le martyre. Voilà pourquoi il en est qui prétendent que Jean vit encore, et qu’il doit être mis à mort par l’antéchrist, après avoir annoncé le nom de Jésus-Christ avec Elie et Enoch. On montre, il est vrai, son tombeau, mais il y est entré vivant pour en sortir bientôt après.




S. AUG. Il en est même qui vont jusqu’à dire que dans son tombeau, que l’on montre encore à Ephèse, Jean y est enseveli dans le sommeil plutôt que dans la mort, et ils en donnent pour preuve que la terre qui recouvre son tombeau se soulève et fait comme jaillir des flots de poussière, ce qu’ils attribuent obstinément à l’effet de sa respiration. Mais pourquoi le Sauveur aurait-il accordé, comme une grâce privilégiée au disciple qu’il aimait plus que les autres, un sommeil du corps aussi prolongé, tandis que par la gloire éclatante du martyre il a délivré Pierre du fardeau de ce corps terrestre et l’a mis en possession de ce bonheur que saint Paul désirait si vivement lorsqu’il disait : « Je désire d’être dégagé des liens du corps pour être avec Jésus-Christ ? » (Ph 1, 23.) Si donc il faut en croire la renommée sur le fait en question, nous dirons que Dieu le permit pour relever la mort de son disciple qui n’a pas été rehaussée par la gloire du martyre, ou pour toute autre cause qui nous est inconnue. Cependant il reste toujours à résoudre cette question : Pourquoi le Seigneur a-t-il pu dire d’un homme qui devait mourir : « Je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ? »




Il nous est également intéressant d’examiner pourquoi le Sauveur avait pour Jean un amour plus particulier, alors que Pierre aimait son divin Maître plus que les autres. Autant que je puis en juger, je serais porté à dire que celui qui a pour Jésus-Christ un plus grand amour vaut mieux que les autres, tandis que celui qui est plus aimé de Jésus-Christ est plus heureux, si je voyais comment défendre en cela la justice de notre divin Rédempteur. Je vais donc essayer de résoudre cette importante et difficile question. L’Église connaît deux vies différentes que la prédication divine lui a enseignées, l’une est la vie de la foi, l’autre la vie de la claire vision ; la première est personnifiée dans l’apôtre Pierre, à cause de la primauté de sa dignité apostolique ; l’autre dans l’apôtre Jean. Jésus dit à Pierre : « Suivez-moi, » tandis qu’on parlant de Jean, il dit : « Je veux qu’il démesure ainsi jusqu’à ce que je vienne, » paroles dont voici le sens : Pour vous, suivez-moi en supportant, à mon exemple, les souffrances de cette vie ; quant à lui, qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne le mettre en possession des biens éternels. Ou pour parler plus clairement encore : Que la vie active parfaite me suive en imitant l’exemple que je lui ai donné dans ma passion, et que la vie contemplative, qui ne fait que commencer ici-bas, demeure jusqu’à ce que je vienne lui donner toute sa perfection. Cette expression demeurer ne doit pas s’entendre dans le sens de rester, être permanent, mais dans le sens d’attendre, parce que la vie dont Jean est la figure aura son parfait accomplissement lorsque Jésus-Christ viendra. Or, dans cette vie active, plus nous aimons Jésus-Christ, plus aussi nous sommes délivrés facilement du mal. Cependant Jésus nous aime moins dans l’état où nous sommes, et il nous en délivre pour que nous n’y restions pas éternellement. Dans la vie du ciel, au contraire, il nous aime davantage, parce qu’il n’y aura plus rien en nous qui lui déplaise et dont il doive nous délivrer. Que Pierre donc aime Jésus-Christ afin que nous soyons délivrés de cette vie mortelle ; que Jean soit aimé par lui, afin que nous possédions l’immortalité sans crainte de la perdre. Si vous demandez maintenant pourquoi Jean, qui figurait la vie où Jésus est plus aimé, l’aimait cependant moins que Pierre, je répondrai : C’est parce que le Sauveur a dit : « Je veux qu’il demeure (c’est-à-dire qu’il attende) jusqu’à ce que je vienne, » c’est parce que nous n’avons pas encore, mais que nous attendons dans l’avenir cet amour plus parfait que Jésus nous donnera lorsqu’il viendra. Voilà ce qui nous est figuré dans la personne de Pierre, qui aime davantage Jésus-Christ, mais qui en est moins aimé, parce que le Sauveur nous aime moins dans l’état d’épreuve que dans la vie bienheureuse ; et nous-mêmes nous aimons moins la contemplation de la vérité telle qu’elle doit se dévoiler un jour, parce que nous n’en avons encore ni la connaissance, ni la possession. C’est ce qui nous est figuré par Jean, qui aime Jésus-Christ moins que Pierre. Que personne cependant ne songe à séparer ces deux illustres apôtres, car tous deux vivaient de cette vie qui se personnifiait dans Pierre, comme tous deux devaient vivre un jour de cette vie dont Jean était la figure.




LA GLOSE. Ou bien encore ces paroles : « Je veux qu’il demeure ainsi, » veulent dire : Je ne veux pas qu’il termine sa vie par le martyre, mais qu’il attende en paix la délivrance de son corps, lorsque je viendrai le mettre en possession de la félicité éternelle.




THEOPHYL. Ou bien autrement, par ces paroles : « Suivez-moi, » le Seigneur le place à la tête de tous les fidèles ; et ce mot : « Suivez-moi, » emporte l’imitation générale de toutes ses paroles, de toutes ses actions. Il lui prouve aussi par là l’amour qu’il a pour lui, car ce sont ceux que nous aimons le plus que nous voulons voir à notre suite.




S. Chrysostome : Si l’on me demande comment se fait-il donc que Jacques ait occupé le siège de Jérusalem ? Je répondrai, parce que Pierre a été établi maître du monde entier. « Pierre s’étant retourné, vit le disciple que Jésus aimait, qui, pendant la cène, s’était reposé sur sa poitrine, et lui avait demandé : Seigneur, quel est celui qui vous trahira ? » Ce n’est pas sans raison que l’Evangéliste rappelle cette circonstance du la cène, il veut nous faire voir quelle grande confiance animait Pierre après son renoncement. Pendant la cène, il n’avait pas osé interroger le Sauveur, mais avait fait signe à Jean de l’interroger à sa place, et c’est à lui qu’est confiée la suprême juridiction sur ses frères. Et non-seulement il ne laisse plus à un autre le soin d’interroger son divin Maître sur ce qui le concerne, mais lui-même l’interroge, désormais sur ce qui peut intéresser les autres. Comme le Seigneur venait de lui faire les plus grandes promesses, de lui confier le soin de l’univers entier, de lui prédire son martyre, et de constater solennellement que l’amour de Pierre pour lui était plus grand que celui des autres, Pierre, dans le désir que Jean entre en partage d’aussi grandes prérogatives, dit à Jésus : « Mais celui-ci, que deviendrat-il ? » C’est-à-dire : Est-ce qu’il ne suivra pas la même voie ? En effet, Pierre aimait beaucoup Jean, et leur union nous est attestée par l’Evangile et par le livre des Actes. C’est ainsi que Pierre veut rendre à Jean ce que Jean a fait autrefois pour lui. Il croit que Jean voudrait bien demander ce qui doit lui arriver, mais qu’il n’ose le faire, il interroge donc le Sauveur à sa place. Mais ils devaient être chargés la direction de tout l’univers, et ne pouvaient plus rester réunis comme ils l’avaient été jusqu’à présent, ce qui eût été un véritable préjudice pour le monde tout entier ; le Seigneur répond donc à Pierre, selon le texte grec : « Si je veux qu’il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne, que vous importe ? Quant à vous, suivez-moi, » c’est-à-dire, ne vous occupez que de l’œuvre qui vous est confiée, et accomplissez-la soigneusement, pour celui-ci, si je veux qu’il demeure, que vous importe ?




THEOPHYL. Il en est qui entendent ces paroles : « Jusqu’à ce que je vienne, » dans ce sens : Jusqu’à ce que je vienne contre les Juifs qui m’ont crucifié, et que je les frappe par les armes des Romains. On rapporte, en effet, que cet Apôtre vécut dans ces mêmes lieux jusqu’au temps de Vespasien, sous lequel la ville de Jérusalem devait être prise. Ou bien encore : « Jusqu’à ce que je vienne, » c’est-à-dire, jusqu’à ce que je l’envoie annoncer l’Evangile. Quant à vous, je vous destine le pontificat du monde entier, et c’est pour cela que je vous dis : « Suivez-moi ; » pour lui qu’il demeure ici jusqu’au jour où je lui donnerai sa mission comme à vous.




S. Chrysostome : L’Evangéliste exprime ensuite et redresse l’opinion des disciples, comme nous l’avons dit plus haut.

Versets 24-25.



S. Chrysostome : (hom. 88 sur S. Jean.) Comme le récit de saint Jean est appuyé sur les faits et les documents les plus certains, il n’hésite pas à produire son propre témoignage : « C’est ce même disciple qui rend témoignage de ces choses et qui les a écrites. » Nous avons pour habitude, lorsque nous rapportons des faits d’une véracité incontestable, de produire à l’appui notre propre témoignage ; c’est ce que fait à plus forte raison celui qui écrivait sous l’inspiration du Saint-Esprit. Voilà pourquoi les autres Apôtres disaient eux-mêmes : « Nous sommes témoins de ces faits. » Saint Jean ajoute : « Et qui les a écrites. » Il est le seul qui parle de la sorte parce qu’il a écrit le dernier sur l’ordre qu’il en a reçu de Jésus-Christ. Voilà pourquoi il parle si fréquemment de l’amour de Jésus-Christ pour lui, faisant ainsi connaître indirectement la cause secrète qui le porte à écrire, et appuyant son récit sur le privilège particulier d’être l’ami de Jésus-Christ : « Et nous savons que son témoignage est vrai, » car il avait été présent à tous les événements qu’il raconte ; il était là lorsque Jésus-Christ fut crucifié ; c’est à lui que le Sauveur daigne confier sa mère, preuve du grand amour que Jésus avait pour lui, et de la certitude de tous les faits qu’il raconte. Si quelques-uns restent incrédules, ce qu’il dit en terminant doit les amener à la foi : « Jésus fit encore beaucoup d’autres choses. » Il est donc évident que je n’ai pas écrit dans le but unique d’être agréable à Jésus-Christ, puisque tant de faits qui existent, j’en ai raconté beaucoup moins que les autres évangélistes ; j’en ai laissé un très-grand nombre, choisissant de préférence les injures et les outrages faits à sa personne. Or, celui qui écrit pour donner de la gloire à son héros, doit au contraire passer sous silence ce qui, dans sa vie, porte un caractère d’ignominie, et ne s’attacher qu’aux faits éclatants. — S. AUG. (Traité 124 sur S. Jean.) Il ajoute : « Si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde entier pût contenir les livres qu’il faudrait écrire. » Il ne faut pas entendre ces paroles dans ce sens, que l’étendue du monde entier ne suffirait point à contenir tous ces livres, mais que la capacité des lecteurs du monde entier ne suffirait pas à les comprendre. On peut dire aussi que souvent les expressions, tout en respectant la vérité des choses, paraissent cependant aller au delà, ce qui arrive, non point lorsqu’on met dans son jour une chose obscure ou douteuse, mais quand on exagère ou qu’on atténue une vérité claire par elle-même. Cependant, en parlant, ainsi, on ne s’écarte pas de la voie de la vérité, car ces expressions qui vont au delà de ce qu’on veut dire, ne trahissent nullement l’intention de tromper dans celui qui les a employées. Cette manière de parler, s’appelle eu grec hyperbole, et cette figure ne se rencontre pas seulement ici, mais dans d’autres endroits de l’Ecriture. — S. Chrysostome : On bien encore, il faut rapporter ces paroles à la puissance divine de celui qui accomplissait ces œuvres admirables ; en effet il lui était beaucoup plus facile de faire les œuvres qu’il voulait, qu’il ne nous l’est à nous de les raconter, car il est le Dieu béni au-dessus de toutes choses dans les siècles des siècles.