Chanson du premier grenadier de France

La bibliothèque libre.

GUERZIOU

GRŒT

D’AN ENOR AR C’HENTA GREUNADER EUS AR FRANÇZ,

Theophil-Malo Corret

DE LATOUR D’AUVERGNE.

TRADUCTION FRANÇAISE, LIBRE

DES VERS BRETONS

Composés par Auguste Lallour,

À LA MÉMOIRE

DU PREMIER GRENADIER DE FRANCE,

Par le même Auteur.


Air : Jeune fille aux yeux noirs.

   Accourez tous, enfants de la noble Bretagne,
Écouter les exploits d’un preux Cornouaillais,
Napoléon, César, Cyrus et Charlemagne,
Alexandre-le-Grand, s’éclipsent désormais.

   Corret était le nom du chef de sa lignée,
Théophile-Malo, ses deux surnoms chrétiens ;
Latour-d’Auvergne était la noblesse gagnée
Par ses aïeux pour prix de services anciens.

   Où fut jadis un camp de légions romaines,
À Carhaix le héros avait reçu le jour ;
Il ne connut jamais les richesses humaines,
Malgré l’antiquité du blason des Latour.

   Son esprit élevé brillait d’un lustre immense ;
Son vaste cœur brûlait d’un feu de charité ;
Et jamais sous les cieux sa pure conscience
Ne se souilla de haine ou bien d’iniquité.

   Aucun lieu de la terre et du monde aucun âge
N’enfanta tel docteur, si profond érudit ;
De vingt-deux nations il savait le langage ;
Qui, pour lui disputer, serait assez hardi ?

   Avant que le destin ne mit à Louis seize
L’impitoyable sceau des révolutions,
Capitaine il portait la cocarde française ;
Et commandait la fleur de tous nos bataillons.

   Ami du roi Français, le souverain d’Espagne
Était aussi du sang des Capet de Bourbon ;
Et les guerriers marins de la Grande-Bretagne,
Avaient pris ou surpris la ville de Mahon.

   Le roi d’Espagne en proie aux plus vives alarmes,
Demande, puis reçut, du cousin son ami,
Latour-d’Auvergne, afin de relever ses armes,
Et conjurer l’effort d’un si rude ennemi.

   Un assaut général marque son arrivée,
Mais la terreur saisit le soldat Espagnol ;
Un capitaine tombe, et sa troupe effrayée
Laisse en fuyant son chef étendu sur le sol.

   Les Anglais, à l’abri de dessus leurs murailles,

Faisaient pleuvoir sur eux sans cesse et sans pitié,
Balles, boulets, cailloux et paquets de mitrailles,
Comme s’ils n’étaient pas de la chrétienté.

   Pour aller arracher au milieu du carnage
Le cadavre sanglant de l’officier tué,
Un seul ne tremble pas, y vole avec courage,
C’est le Cornouaillais ! c’est le brave Corret !

   Intrépide et portant aux balles meurtrières
Un éclatant défi, seul il prend son fardeau ;
S’en charge et le rapporte aux phalanges guerrières,
Applaudissant en chœur un exploit aussi béan.

   Le prince, en apprenant cet acte de courage,
Lui fit offrir par an cent vingt-cinq doublons d’or,
Et la croix de son ordre, éclatant témoignage
Qu’il appréciait plus son acte qu’un trésor.

   Mais plein d’un noble orgueil, l’enfant de la Bretagne
Répondit : Sire, ici grand est mon embarras,
Suivant votre désir, je prends la croix d’Espagne ;
Mais pour votre or, merci, je ne l’accepte pas.

   Après avoir chassé les Anglais de cette île,
Notre Breton gagna la France et son pays
Aux douceurs de l’étude il se livrait tranquille
Tandis qu’un peuple entier s’agitait à Paris.

   Le pouvoir en ces temps de fièvre populaire
Et de destruction s’appelait Comité,
Dit du Salut public, mais souvent le contraire,
De ce titre éclatant au pays fut montré.

   La France allait périr, les masses alarmées
Fuyaient leurs toits fumants et leur sol dévasté ;
Quand par enchantement soudain quatorze armées
Surgissent à la voix de ce fier comité.

   Le comité pria dans cette extrême crise
Latour-d’Auvergne, au nom de la France en danger,
De choisir le premier une armée à sa guise,
Pour chasser l’ennemi, le barbare étranger.

   Corret lui dit : merci, de votre complaisance
Je ne désire plus aujourd’hui commander ;
Mais je connais l’Espagne et là j’ai l’espérance,
Si vous le désirez, un jour de vous aider.

   Douze mille soldats de valeur sans égale
S’y trouvaient par hasard en un corps réunis ;

Plus tard il s’appela la Colonne infernale,
Comme étant la terreur de tous les ennemis.

   Le général en chef de ces hordes guerrières
Fut tué ; mais Moncey, depuis grand maréchal,
Prit le commandement, car d’instantes prières
Nu purent transformer Corret en général.

   Un armistice eut lieu, sur un chasse-marée ;
Vers la Bretagne accourt le noble Bas-Breton,
Croyant dans l’univers serment chose sacrée ;
Mais sans défense il est pris par l’Anglais félon.

   Plus d’un Anglais voyant nos couleurs qu’il abhorre
Voulut, dans sa colère, ôter de son chapeau
Sa brillante cocarde emblème tricolore
De toutes les vertus réunies en faisceau.

   Ennuyé pars l’Anglais, Corret prend sa cocarde,
Arrache son épée à l’instant du fourreau ;
En perce le milieu, la remonte à la garde
Et pose avec orgueil la main droite au pommeau.

   Venez alors, dit-il, si quelqu’un la désire,
Il peut me l’arracher, mais foi de Bas-Breton,
Il serait bien plus sûr, sans qu’il s’y fasse inscrire,
D’aller ce soir souper à l’hôtel de Pluton.

   Dans Londres poursuivi par l’infime canaille.
Qui le huait encor pour sa cocarde, on vit
Une étonnante chose en fait de représaille,
Et cependant cet acte en plein jour s’accomplit.

   Il guettait ces bandits, dévorant sa colère,
Et se tenait très-près d’un de ces tombereaux
De vidangeurs ; soudain, il fait face à l’arrière,
Et jette un gros Anglais dans ses fétides flots.

   Admirant sa vigueur, son calme et sa souplesse,
Le peuple se confond en applaudissements,
Le pauvre prisonnier, après cette prouesse,
Fut toujours à l’abri des mauvais traitements.

   À Paris un échange la paix le rappelle ;
Corret, le valeureux Cornouaillais, y vient
Prier les directeurs de se donner la peine
De le pensionner, n’ayant pas d’autre bien.

   À son juste exposé Carnot, un des ministres,
Réplique : Citoyen, tu ne l’obtiendras pas,
Car la France a besoin, dans ces moments sinistres,

Que tu lui voues encore tes conseils et ton bras.

   Mais il offrait argent et mainte récompense,
Et même des honneurs, l’engageant à servir ;
Corret les refusa, bornant son exigence
À son droit, seul objet qu’il voulut obtenir.

   Breton ! lui dit Carnot, je ne partage guère
Tes motifs de refus, ils n’ont point de raison ;
Ton âme serait-elle ou trop grande ou trop fière
Pour accepter de nous quoique ce soit en don ?

   Nullement, citoyen, je ne suis sous l’empire
Ni de la honte ni de la moindre fierté ;
Je te répéterai donc que je ne désire
Que ce qui m’est acquis et dûment constaté.

   Néanmoins j’ai besoin très-pressant de chaussure ;
Car, on le voit, bientôt je marcherai nu-pieds,
Puisque la nation le permet, je t’adjure
De me faire présent d’autres meilleurs souliers.

   Les directeurs, surpris d’entendre son langage,
Et voyant qu’il était surtout bien résolu ;
Lui firent délivrer, pour vivre en son village,
Huit cent livres par an, bien faible revenu.

   À la paix succéda bientôt encor la guerre ;
Un parent de Corret, Le Brigant, appelé,
En était alarmé, car ce malheureux père
Du dernier de ses fils allait être privé.

   D’onze fils, qu’il avait, le destin des batailles
En avait moissonné dix ; pour le consoler
De sa douleur, après ces tristes funérailles,
Un seul fils lui restait, on allait l’appeler !

   Malgré tout les efforts, les larmes de son père,
Puisqu’on le jugeait propre au métier de soldat,
Il fallait obéir à la loi militaire,
Et partir au plus tôt pour défendre l’État.

   Le Brigant était pauvre, et l’on ne pouvait guère
Payer les remplaçants qu’avec des flots d’argent ;
Corret le consola de sa douleur amère,
En partant pour son fils, comme humble remplaçant.

   Corret, malgré le poids de ses cinquante années,
Était vert et gaillard ; ses cheveux grisonnants
Ne laissaient nul plus jeune, en toutes nos armées,
S’acquitter mieux que lui du service des camps.


   Mais quand Napoléon, de notre République,
Alors premier consul, fut instruit que Corret
Servait comme soldat, pour cet homme héroïque,
Tout surpris il montra le plus vif intérêt.

   Que ferons-nous, dit-il, de cet homme admirable
De ce vertueux, noble et preux Cornouaillais ;
Il serait général, c’est chose incontestable,
Ou colonel au moins, pour prix de ses hauts faits.

   Carnot répond soudain : c’est extraordinaire ;
Corret n’acceptera jamais de commander ;
Je lui ai tout offert ; son noble caractère,
Inflexible à ma voix, n’a jamais pu céder.

   Quoi qu’il ait rejeté vos bienveillants offices,
Je vaincrai sa raideur, son obstination ;
Je vais imaginer, pour payer ses services,
Quelques nouveaux honneurs, reprit Napoléon.

   Je crois que du Breton, la digne récompense
Serait de lui donner, de par la nation,
Le titre de premier des Grenadiers de France ;
Il sera satisfait, je crois, de ce beau nom.

   De la part du pays, qu’honora sa vaillance,
Je lui ferai de plus don d’un sabre, et j’aurai
Soin d’y faire graver : Don de reconnaissance,
En lettres d’or : La France au citoyen Corret.

   De cette même main, qui signait paix ou guerre,
Napoléon saisit une plume et traça
Quelques mots à Corret, pour ce, la tenant fière.
Quoique, seule, elle tint les rênes de l’état.

   Dès que Corret eut lu la lettre du grand homme,
Il s’écria : Ce sabre est un présent d’ami ;
Mais il reste à prouver, et je ferai voir comme
Un Bas-Breton s’en sert contre son ennemi.

   J’espère démontrer aux peuples de la terre
Que la France n’est point déçue à mon endroit ;
Et qu’en armant son fils d’un sabre, cette mère
Veillait à son honneur, au maintien de son droit.

   En effet, nos soldats, rendus à la frontière,
Très-peu de temps ensuite eurent franchi le Rhin.
Fleuve qui d’Allemagne est la seule barrière,
Soumettant à leurs lois le peuple riverain.

   Ils étaient parvenus jusque dans la Bavière.

Aux champs d’Oberg’hausen, lieu fatal aux Français ;
C’est là que s’arrêta la sublime carrière
Du vrai républicain, du fier Cornouaillais.

   Sabre en main, et marchant en tête de colonne,
Latour-d’Auvergne ouvrait dans les rangs ennemis
Large brêche, héritier de la valeur bretonne,
Il maintenait partout l’honneur de son pays.

   Pendant que son bras droit lui frayait un passage,
Sa main gauche arrachait un drapeau d’Allemands,
Lorsqu’à cheval, chargeant au milieu du carnage,
Un Houlan lui plongea sa lance dans les flancs.

   Mes frères, c’est ainsi que finit l’existence
Du citoyen illustre à qui l’on décerna
Le titre de premier des Grenadiers de France,
Pays où l’homme est libre en naissant et soldat.

   En paix, loin du fracas des camps et de l’armée,
Il composait souvent les plus savants écrits,
Par lesquels il accrut la grande renommée
Et du peuple Breton et de leur beau pays.

   Corret fait le Breton le plus vieux des langages
Ses preuves valent bien celles des plus instruits ;
Il était, prétend-il, même en les premiers âges,
Celui d’Adam et d’Êve en leur beau paradis.

   Apprenant son trépas, le prince de Bavière
Fit relever son corps et le fit embaumer ;
Puis avec les honneurs de la pompe guerrière
En un tombeau superbe il le fit inhumer.

   Par le plus vieux sergent, compagnon de sa gloire,
On fit porter son cœur dans un vase d’argent,
Tant pour éterniser sa brillante mémoire,
Que pour électriser son brave régiment.

   Son régiment, alors nommé demi-brigade,
Le quarante-troisième honorait sa valeur,
Le sergent, pour Corret, aux appels de parade,
Disait toujours : présent, et mort au champ d’honneur.

   En l’honneur de Corret le jour de la saint Pierre
L’an mil huit cent quarante-et-un, le vingt-neuf juin,
Une statue en bronze, auprès de sa chaumière,
A reproduit les traits du parfait citoyen.

   Le Roi, pour ajouter un éclat mémorable
À la fête où se fit l’inauguration,

Voulut que, de tout corps, un serviteur notable
Se rendit à Carhaix en députation.

   Des plus lointains cantons de Bretagne accourue,
Pour honorer aussi le preux Cornouaillais,
Une foule innombrable admira sa statue,
Rappelant des vertus les plus aimables traits.

   Le monde entier saura maintenant quelle race
Habite la Bretagne et quels hommes surtout,
Sont ceux chez qui l’amour de la liberté passe
Au-dessus de tout bien et se préfère à tout.

   Plein de fidélité pour la mère patrie
L’ambition jamais, dans ses égarements,
Contre le sol natal n’arme ni leur génie,
Ni leur esprit imbu des meilleurs sentiments.

   Quel que soit le pouvoir qui gouverne la France,
Ils combattent toujours sous ses fiers étendards,
Aux frères opprimés ils portent assistance.
Et pour les soutenir affrontent tous hasards.

   Mes chers concitoyens, ne changez point d’allure,
Gardez bien votre rang dans la société ;
Ce rang est le premier, c’est Dieu qui vous l’assure,
Tant que vous garderez sa loi de charité.

   J’ai composé ce chant, croyant me rendre utile ;
D’être Cornouaillais je dois me montrer fier,
Second fils d’un premier magistrat de la ville
Où je naquis, où fut saint Corentin, Quimper.

   Douze ans autour du monde occupé de voyage
Enseignant, commerçant ou servant mon pays,
J’appelle de mes vœux la santé comme gage,
De servir de nouveau, quand j’en serai requis.

Auguste Lallour,
Instituteur primaire privé.

Repose en paix et que ta pierre
Enseigne aux orgueilleux humains
Ce qu’il faut de vertus sur terre
Pour faire des républicains.

Refrain applicable à la plupart des couplets.

Sa patrie
Tant chérie
Fut toujours
Ses amours,
Et l’histoire
De sa gloire
Gardera
Tout l’éclat.

bis