Chanson pour Mme d’Hervart

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La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 106-107).


CHANSON POUR MADAME D’HERVART

1687
Sur l’air des Folies d’Espagne.


On languit, on meurt près de Sylvie :
C’est un sort dont les rois sont jaloux,
Si les dieux pouvaient perdre la vie,
Dans vos fers ils mourraient comme nous.
 
Soupirant pour un si doux martyre,
A Vénus ils ne font plus la cour ;
Et Sylvie accroîtra son empire
Des autels de la mère d’Amour.

Le printemps parait moins jeune qu’elle ;
D’un beau jour la naissance rit moins :
Tous les yeux disent qu’elle est plus belle,
Tous les cœurs en servent de témoins.

Ses refus sont si remplis de charmes,
Que l’on croit recevoir des faveurs :
La douceur est celle de ses armes
Qui se rend la plus fatale aux cœeurs.

Tous les jours entrent à mon service
Mille Amours, suivis d’autant d’amants :
Chacun d’eux, content de son supplice,
Avec soin lui cache ses tourments.

Sa présence embellit nos bocages ;
Leurs ruisseaux sont enflés par mes pleurs
Trop heureux d’arroser des ombrages
Où ses pas ont fait naître des fleurs.

L’autre jour, assis sur l’herbe tendre,
Je chantais son beau nom dans ces lieux ;
Les zéphyrs, accourant pour l’entendre,
Le portaient aux oreilles des dieux.


Je l’écris sur l’écorce des arbres ;
Je voudrais en remplir l’univers.
Nos bergers l’ont gravé sur des marbres
Dans un temple, au-dessus de mes vers.

C’est ainsi qu’en un bois solitaire
Lycidas exprimait son amour.
Les échos, qui ne sauraient se taire,
L’ont redit aux bergers d’alentour.

La Fontaine