Chanson sur les modes

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La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 108-110).


CHANSON SUR LES MODES

Sur l’air du Confiteor.


Je trouve que les jeunes gens
Aujourd’hui prennent trop leurs aises.
Chez les dames au bon vieux temps
Prenaient-ils les meilleures chaises,
Et les voyait-on renversés,
Les jambes, les genoux croisés ?

La perruque en ce temps ici
Qu’on ôte dès qu’elle incommode ;
Et le tabac qui, Dieu merci,
Est devenu fort à la mode,
Font qu’ils se montrent sans cheveux
Et barbouillés jusques aux yeux.

Un homme incivil et grossier,
Qui souvent vous rompt en visière,
Qui vous dit des mots de chartier[1],
Est approuvé dans sa manière,
Et passe pour avoir du Ciel
Le talent d’esprit naturel.

Le jeu, le vin et cetera
A gâté toute la jeunesse,
Les Infantes de l’Opéra
Ont dégoûté de la tigresse,
La politesse de la cour
Venait d’un plus parfait amour.

La femme d’un autre côté
A pris part au libertinage,
Et s’est par son habileté
Soustraite au fâcheux esclavage

De tous les habits contraignants
Que l’on portait en certain temps.

Le corps de jupe est aboli,
La collerette est supprimée,
Le grand habit noir est banni,
La robe est la plus négligée,
Et l’on dirait que les amours
Prennent soin de tous les atours.

L’on voit que l’écharpe aujourd’hui,
Dont la mode est bien établie,
Passe dans la maison d’autrui
Pour habit de cérémonie,
On ne se fait plus un devoir
De visiter en habit noir.

Même la femme sans façon,
Depuis janvier jusqu’en décembre,
Va, vient, et sort de la maison
Très souvent en mules de chambre,
Et prête à tout événement
Semble attendre un heureux moment.

Le lansquenet n’était connu
Jadis que des laquais et pages,
Maintenant il est devenu
Le jeu des folles et des sages,
On y querelle, on parle haut
Et c’est la cour du Roi Pétaud.

La femme décide du vin,
Sait où le meilleur se débite,
Elle se pique de goût fin ;
Elle s’en fait un grand mérite,
Le vin relève ses appas,
Les canapés sont à deux pas.

Veut-elle chercher ses amis,
Aller où son plaisir l’appelle,
On la voit courir tout Paris
Sans écuyer, sans demoiselle,

Et reste avec beaucoup de soin
Chez elle et sans aucun témoin.

Elle tire négligemment
Du tabac de sa tabatière,
C’est un petit amusement,
C’est un air, c’est une manière :
Si les maris en sont contents,
Vive la mode de ce temps.

Coulange.

  1. Charretier.