Chansons (Antoine Clesse)/La Fourmilière

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Librairie Nouvelle ; Librairie Universelle (p. 4-5).

LA FOURMILIÈRE


Air : À coups d’pied, à coups d’poing


A tout Dieu donnait une voix.
Seul, je rêvais au fond du bois,
Assis sur l’herbe printanière,
Quand je vis d’un tout petit trou,
Vingt fois moins grand qu’un petit sou,
Sortir, amis,
Un peuple de fourmis :
Oh ! la drôle de fourmilière !

Jusque dans le moindre détail
L’ordre présidait au travail
De la peuplade tout entière ;
N’ayant pas d’intérêt jaloux,
Chacun songeait au bien de tous.
Ô mes amis,
Les drôles de fourmis,
Oh ! la drôle de fourmilière !

Un autre peuple indépendant
Non loin travaille, et cependant
Point de douaniers à la frontière ;
Chacun échange librement
Houille, bétail, vin et froment.
Ô mes amis, etc.

Un insecte avec son fardeau
Glissa dans une goutte d’eau :
Pour lui c’était une rivière.
Soudain tout le monde arrivé
Fait la chaîne : un frère est sauvé !
Ô mes amis, etc.


La mort frappe un des travailleurs
Et son enfant verse des pleurs :
Le voilà sans père ni mère.
L’enfant, sublime charité !
Par la peuplade est adopté.
Ô mes amis, etc.

Au souper un vieil ouvrier
Qui ne pouvait plus travailler
Des parts de tous eut la première ;
Plein de respect pour ses vieux ans,
On soutenait ses pas tremblants.
Ô mes amis, etc.

Puis, le soir venu, les fourmis
Avant de rentrer au logis
En commun ont fait la prière :
C’était un petit chant si doux
Que je me suis mis à genoux.
Ô mes amis, etc.

Et le cœur tout gros je me dis :
Mais les infiniment petits
Aux grands porteraient la lumière.
Ah ! que nous sommes loin de Dieu !
Quand pourrons-nous vivre en ce lieu
Heureux, amis,
Ainsi que les fourmis
Dans chaque humaine fourmilière ?

1851