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Chansons bretonnes

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Annales de Bretagne (p. 85-115).


CHANSONS BRETONNES



la guerz du seigneur de la villeneuve


Le seigneur de la Villeneuve
A fait faire un navire neuf,

A fait faire un navire neuf
Pour l’offrir en présent au Roi.

Le fils aîné disait
À son père, à sa mère, en la Villeneuve :

— Mon père, ma mère, si vous m’aimez,
Avec le navire neuf je n’irai point,

Car mon cœur ne résisterait pas
À l’odeur de la mer et des poissons.

— Bien ou mal en dise qui voudra,
Avec le navire neuf vous irez ;

C’est vous, le fils aîné, qui y serez maître,
Vos frères seront vos matelots.

I

Le fils de la Villeneuve disait
Au bord de la grève quand il arrivait :

— Fort est mon cœur, puisqu’il ne se brise
En perdant de vue Saint-Jean,


En perdant de vue la maison de Le Poullé ;
Que de complications j’y laisse après moi !

Que de complications j’y laisse après moi,
Chez ma douce jolie, Marie Le Poullé !

Et ses frères à force de l’entendre
L’un à l’autre se sont dit :

— Jetons-le à la mer qu’il s’y noie
Puisque nous n’avons de lui nulle joie ;

Jetons-le aux poissons dans la mer,
Puisqu’il ne nous donne aucune joie.

Le fils aîné, quand il a entendu
À ses frères il a dit :

— Mes frères chers, si vous m’aimez,
Du moins dans la mer vous ne me jetterez point,

Du moins dans la mer vous ne me jetterez point
Pour servir de pâture aux poissons.

Déposez-moi sur le flanc d’un récif,
Pour y mourir de faim ou de soif.

Trois jours et trois nuits a été
Le fils aîné sur le récif,

Le fils aîné sur le récif
Sans qu’il ait eu ni faim ni soif.

II

Les matelots disaient
Au maître du navire un jour fut :

— Holà ! maître du navire, arrêtez !
Nous voyons un matelot naufragé,


Un mouchoir à la main,
Faisant signe de l’aller prendre.

Or, maître du navire, si vous permettez,
Nous irons avec le canot le chercher.

III

Le fils de la Villeneuve disait
Au maître du navire, en le saluant :

— Maître du navire, dites-moi,
De quelle terre venez-vous ?

De quelle terre venez-vous ?
Quel voyage prétendez-vous (faire) ?

— De la terre de Saint-Jean nous venons,
À Terre-Neuve nous prétendons (aller).

— Si c’est de Saint-Jean que vous venez,
Quoi de nouveau avez-vous appris ?

— Je n’ai rien appris de nouveau
Si ce n’est que Marie Le Poullé est accouchée,

Qu’elle a eu un garçon beau comme le jour
Qu’on dit être au fils de la Villeneuve,

— Menez-moi à Saint-Jean aujourd’hui,
Au lieu d’aller à Terre-Neuve,

Et je vous paierai cinq cents écus
Pour le voyage que vous n’aurez pas fait.

Et, avant qu’il soit nuit, aujourd’hui,
J’épouserai Marie Le Poullé.

Je la ferai propriétaire de mille écus de rente,
Elle qui n’en a pas le premier sou,


Elle qui n’en a pas le premier sou,
Mais aussi c’est la plus jolie fille qui marche.

IV

Le fils de la Villeneuve saluait,
Chez Le Poullé le vieux quand il entrait :

— Bonjour et joie en cette maison.
Marie Le Poullé où est-elle ?

— Elle est bien malade sur son lit,
C’est vous qui en êtes cause, seigneur de la Villeneuve.

— Marie, levez-vous de votre lit
Pour épouser le seigneur de Villeneuve,

Pour épouser le seigneur de Villeneuve,
Lors même que sa lignée ne serait pas contente.

— Je ne me lèverai point de mon lit,
Puisque votre lignée n’est point contente.

Puisque votre lignée n’est point contente
Que je sois belle-fille à la Villeneuve.

Je mourrai ici aujourd’hui
Avec notre enfantelet beau comme le jour.

Chanté par Anna Boujeant, de Penvénan.
Août 1890.


la gwerz de iannic herri


Je ne puis ni lire ni étudier
Avec le bruit que font les rouets en filant,

Avec le bruit que font les rouets en filant,
Avec la voix des filles qui chantent.


Le rouet le plus près du trou de la porte
C’est le rouet de ma douce, Marie Le Priol.

I

— Marie, ma douce, ma douce Marie,
Péché vous avez à cause de moi.

Péché vous avez à cause de moi :
Vous m’empêchez de devenir prêtre.

— Iannic, mon doux, mon doux Iannic,
(Péché) vous avez aussi à cause de moi,

(Péché) vous avez aussi à cause de moi,
Vous m’empêchez d’avoir ma chance (de trouver à me marier).

— Marie Le Priol, dites-moi,
Je vous épouserai quand il vous plaira ;

J’ai sept bâtiments chargés,
Et le huitième est près de l’être,

Pour aller en Espagne chercher des richesses.
Quand je serai de retour je vous épouserai.

II

Iannic Herri disait
À sa mère, à la maison quand il arrivait :

— Jetez mes livres dans le feu,
Ou donnez-les à mon petit frère.

Si Marie vient à l’entour de votre maison,
Je vous en prie, faites état d’elle ;

Je vous en prie, faites état d’elle,
Et nommez-la votre belle-fille.


— Si Marie vient (rôder) autour de ma maison,
Je détacherai sur elle mon chien,

Car c’est celle-là qui est cause,
Mon fils, si tu n’es pas prêtre.

Iannic Herri, quand il a entendu,
Au portez-arm[1] il est allé,

Un fusil à deux coups il a attrapé,
Et les grands chiens il a tué.

III

Iannic Herri disait,
Sur la mer grande quand il voguait :

— Ohé ! pagelet, mon petit page,
Toi qui es diligent et prompt,

Grimpe à la vergue la plus haute
Pour voir où nous sommes ici.

Le petit page disait,
Sur le pont du navire quand il descendait :

— Nous avons passé les Espagnols (l’Espagne),
Mais les Turcs, nous ne les avons pas (passés).

Son mot n’est pas achevé,
Que Iannic Herri est salué,

Que Iannic Herri est salué
Par le roi des Turcs.

— Iannic Herri, dites-moi,
Ou allez-vous, où avez-vous été,


Où allez-vous, où avez-vous été,
Où avez-vous espoir d’aller ?

— Eh ! ce n’est point votre affaire, messire,
(De savoir) où je vais ni où j’ai été,

Où je vais ni où j’ai été,
Ni où j’ai espoir d’aller.

— Si tu retournes jamais à ton pays,
Je te ferai souvenir de tes paroles ;

Si tu retournes, Iannic Herri,
Tu me paieras ton arrogance !

IV

Iannic Herri disait,
Vers la maison quand il revenait :

— Si surviennent les Turcs
Pour sûr à la maison je n’arriverai point.

Ohé ! pagelet, mon petit page,
Toi qui es diligent et prompt,

Grimpe à la vergue la plus haute
Pour voir où nous sommes ici.

Le petit page disait,
Au pied du mât quand il arrivait :

— Nous avons passé les Espagnols
Mais les Turcs, nous ne les avons point (passés).

Son mot n’est pas achevé
Que Iannic Herri est salué,

Que Iannic Herri est salué
Par le roi des Turcs :


— Iannic Herri, dites-moi,
De quoi êtes-vous chargé ?

— D’amandes et de noix,
De vin clairet jusqu’à fond de cale,

De vin clairet jusqu’à fond de cale ;
En aurez-vous à goûter, messire ?

— Nous n’avons besoin ni de noix, ni de vin,
C’est toi seul, Iannic, que nous voulons.

Tu viendras avec nous en Turquie,
Afin de nous donner rançon.

Tu laboureras comme un bœuf,
En saison chaude, en saison froide.

Iannic Herri, en guise de nourriture,
Tu n’auras qu’avoine et ajonc pilé,

Tu n’auras qu’avoine et ajonc pilé,
Encore seras-tu rossé à coups de fouet.

Iannic Herri, quand il a entendu,
Charger les canons est allé ;

Dix-huit canons il a chargé ;
Comme il chargeait le dix-neuvième,

Comme il chargeait le dix-neuvième,
Le pouce de sa main il a coupé.

— Madame Marie du Folgoat,
Pleine est ma chemise de sang !

Auprès de Marie Le Priol si j’étais,
Celle-là me l’aurait lavée blanc,

Celle-là me l’aurait lavée blanc,
Sans eau d’étang ni eau de fontaine.


Elle l’aurait bien lavée
Avec les larmes de ses yeux.

Iannic Herri disait
À ses matelots, alors :

— Matelots, si vous m’aimez,
Faites mes compliments à Marie.

Dites-lui de vendre ses rouets (peut-être aussi ses charrettes),
De venir en Turquie porter ma rançon.

V

Marie Le Priol disait
Sur les marches du seuil assise :

— J’entends le bruit des canons :
Iannic Herri revient au pays.

Mais le pavillon est voilé de noir…
Adieu, mon doux, plus je ne vous verrai !

Marie Le Priol demandait
Aux matelots, alors :

— Matelots, dites-moi,
Iannic Herri où est-il resté ?

— Avec les Turcs il est allé,
Car par eux il a été pris.

Il dit que vous vendiez vos rouets,
Que vous alliez en Turquie porter sa rançon.

VI

Marie Le Priol disait
En Turquie quand elle arrivait :


— Bonjour et joie en cette ville ;
Le roi de Turquie où est-il ?

Son mot n’était pas achevé
Que le roi de Turquie est survenu ;

À deux genoux elle s’est mise
Pour réclamer Iannic, son mari[2].

Le roi de Turquie disait
À Marie Le Priol, alors :

— Sinon que vous lui êtes mariée,
Il eût fallu que je vous aie,

Pour la rançon de Iannic Herri ;
Mais à présent je n’en demande aucune ;

Avec votre sagesse et votre (bonne) mine
Vous avez payé sa rançon.

Iannic Herri est mandé
Pour aller à la maison avec sa femme.

VII

Iannic Herri disait
Dans son pays quand il arrivait :

— Je vais maintenant trouver mon père,
Pour demander son consentement.

— Mon père, ma mère, si vous m’aimez.
Votre bénédiction vous me donnerez,

Votre bénédiction vous me donnerez,
Que j’épouse Marie Le Priol.


Assez de peine elle a pris avec moi,
En venant en Turquie m’apporter ma rançon.

— Au lieu d’avoir notre bénédiction à tous deux
Vous aurez notre malédiction,

Car celle-là est cause,
Mon fils, si vous n’êtes point prêtre.

VIII

Marie Le Priol disait
À Iannic Herri ce jour-là.

— Iannic Herri, dites-moi,
Qu’est-ce que vos parents ont répondu ?

— Au lieu d’avoir leur bénédiction à tous deux,
J’ai eu leur malédiction.

— Malédiction de la mère, malédiction du père
Ne présagent point un bon ménage…

Et, lui, de s’asseoir à côté d’elle,
De mettre la tête sur ses genoux,

De mettre la tête sur ses genoux,
Et ils moururent là, tout soudain.

Chanté par Fantic Omnès
faiseuse de chandelles de résine, à Bégard (août 1890).

la gwerz de saint igunet (ou idunet)

Igunet, vrai ami de Dieu,
J’ai désir de vous louer aujourd’hui,

J’ai désir de vous louer aujourd’hui,
De vous louer dans un cantique nouveau.


I

Comme il était à table en train de souper,
Voici venir un ange qui lui dit :

Igunet, dit l’angelot de Dieu,
Il vous est temps de changer de vie,

Et d’aller maintenant à la Chrétienté,
Là où vous serez baptisé.

Sa sœur Dunvel, quand elle a entendu,
À pleurer s’est mise,

À pleurer s’est mise
Et à son frérot elle a dit :

— Mon frérot, si vous me permettez,
J’irai aussi à la Chrétienté,

J’irai aussi à la Chrétienté,
Là où nous serons baptisés.

Son oncle Minic, quand il a entendu,
À pleurer s’est mis,

À pleurer s’est mis,
Et à Igunet il a dit :

— Mon neveu, si vous me permettez,
J’irai aussi à la Chrétienté,

J’irai aussi à la Chrétienté,
Là où nous serons baptisés.

II

Tous les trois ils sont donc partis,
À la ville de Bethléem ils sont allés,


À la ville de Bethléem ils sont allés ;
Dans le couvent ils ont demandé

Dans le couvent ils ont demandé
Au nom de Dieu à être baptisés.

Quand ils ont été là quelque temps,
Igunet à sa sœur a dit :

— Ma sœurette, il est temps de partir ;
Je sais bien que ce n’est pas ici,

Je sais bien que ce n’est pas ici
Que nous ferons la pénitence la plus grande.

III

Les voilà tous les trois partis ;
Avec le chemin ils ont continué

Jusqu’à ce qu’ils fussent à un grand mézou[3] arrivés ;
Land-Kerjulvé il est nommé ;

Land-Kerjulvé il est nommé,
Et là ils ont fait halle.

Là ils ont fait halte,
Un pénity (maison de pénitence) ils ont construit.

En ce temps-là il n’y avait tout à l’entour
Que mousse verte et feuilles moisies,

Que mousse verte et feuilles moisies
Avec cela ils faisaient leurs lits.

IV

Quand ils ont été là quelque temps,
Les mauvaises langues ont commencé,


Les mauvaises langues ont commencé
À mal parler contre eux :

— Là-bas, disent-elles, dans la lande,
Deux forbans sont descendus,

Et une mauvaise fille est avec eux.
Il est temps de les chasser de là.

Sainte Dunvel, quand elle a entendu,
À son frérot elle a dit :

— Les gens commencent, mon frérot,
À mal parler contre votre mérite.

— Ma sœurette, allons-nous en donc,
Puisque nous n’avons paix de ces gens-ci.

Tant qu’il y aura deux (personnes) à Kerjulvé,
Jamais que (mauvaises) langues il ne saurait y avoir.

De là ils sont partis,
Et avec le chemin ils ont continué.

Dans un petit bois ils sont arrivés,
Le Bois-du-Chêne il est nommé ;

Le Bois-du-Chêne il est nommé,
Et leur pénity ils ont construit.

Quand ils ont été là quelque temps,
Les gens de nouveau ont commencé

Les gens de nouveau ont commencé
À mal parler contre eux.

Et Dunvel demandait alors :
— Que fera-t-on de ces gens-là ?

Les laisserez-vous, mon frérot,
Mal parler de votre mérite ?


— Laissez-les, ma sœur Dunvel,
Mal parler ou se taire ;

Pour moi, je prierai pour eux
Et nul d’entre eux ne sera perdu (damné).

V

Quand leur pénitence a été achevée,
Un angelot est descendu

Un angelot est descendu
Donner à chacun son lot ;

Donner à chacun son lot,
Et par Dunvel il a commencé.

— Voici une petite vergette blanche,
Suivez-la en chemin, tout du long ;

Là où votre verge s’arrêtera,
Là, Dunvel, vous demeurerez.

Là, petite Dunvel, vous demeurerez
Et (là) votre pénity sera construit.

L’ange, après qu’il a dit,
Par Minic a continué :

— Tenez, Minic, une verge,
Allez après elle en chemin, tout du long ;

Là où votre baguette s’arrêtera,
Là, Minic, vous demeurerez,

Là donc, Minic, vous demeurerez,
Et (là) votre pénity sera construit.


Pour vous, dit-il, Igunet,
À Saint-Iéned vous resterez,

À Saint-Iéned vous resterez
Là où votre pénity est construit.

VI

Min et Dunvel, quand ils ont entendu,
Devant le saint ils se sont prosternés,

Devant le saint ils se sont prosternés,
Pour demander chacun leur souhait.

Ils ont demandé à se voir
La nuit du pardon de Saint-Iéned.

Et on les voit qui viennent,
La nuit du pardon de Saint-Iéned,

La nuit du pardon de Saint-Iéned,
Bonjourer saint Igunet ;

Et dans leurs mains sont des cierges ;
Et personne n’en sera surpris.

Saint Igunet a fait condition
Qu’il y aurait des marches d’acier à son cimetière,

Des marches d’acier qui seraient usées
Par les pieds nus des pèlerins,

Par les pieds nus des pèlerins
Le venant voir à sa chapelle.

Chanté par Marguerite Philippe,
Pluzunet, septembre 1892.

  1. Dans la plupart des maisons bretonnes, au vaste manteau de la cheminée est fixée une espèce de double crémaillère où sont appendus les fusils. On l’appelle d’un mot français le portez-armes, ar portez-arm.
  2. Elle l’appelle son mari, sans doute pour mieux attendrir le roi.
  3. Les mézou sont de hautes terres, des plateaux découverts.