Chansons populaires de la Basse-Bretagne/La confession du sergent

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LA CONFESSION DU SERGENT
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Voici Pâques, se dit le Sergent,
Je vais maintenant, incontinent,
Trouver le recteur ou le vicaire,
Pour lui compter nombre de mes exploits.
Dom Simon est trop curieux,
Dom Gilles est trop scrupuleux,
Le recteur n’est pas chez lui,
Le vicaire fera mon affaire.
— Bonjour à vous, monsieur le vicaire,
J’arrive vous trouver encore.

______le vicaire

Combien y a-t-il de temps, si vous avez bonne
______________________________ souvenance,
Depuis que vous n’avez été à confesse?

______le sergent

Il y a dix-neuf ans, bientôt vingt,
Quand viendra la fête de tous les Saints.

______le vicaire

Comment ? dit-il, mon cher enfant,
Tu n’étais (donc) pas dans la chrétienté ?
Eusses-tu été en Hibernie,
Ou en Pays-Saxon, ou en Turquie,
Que tu eusses trouvé prêtre quelconque,
Une fois l’an, pour te confesser.



______le sergent
Une fois l’an, mon père, j’y allais,
Mais je ne pouvais qu’essayer ;
Quand je disais que j’étais sergent,
Ils s’écartaient incontinent.

______le vicaire

Comment ? dit-il, mon pauvre ami,
Un sergent n’est (pourtant) pas un diable !
Depuis que tu as été agréé sergent,
As-tu fait tort à quelque paysan ?

______le sergent

Dans la maison du dernier où j’ai été,
Au lieu d’un écu, j’en ai réclamé dix,
Et encore, mon père, ai-je fait pis ;
J’ai vendu le grand chaudron,
Le trépied et le grand chaudron,
Le ribot et même le bâton.
L’autre jour, mon père, par malechance,
J’allai porter un exploit dans une maison noble :
Je me figurais que j’aurais eu
Ou de l’eau-de-vie, ou du vin clairet ;
(Mais) pis que pour le diable ou l’Antechrist,
On m’apporta dans un chaudron
De l’eau, qui avait servi à dessaler de la viande,
Ou je veux être damné chair et os !
Encore devais-je tout boire !
Encore devais-je boire le tout !
Pourtant c’était un affreux ragoût.
La porte était à moitié ouverte,
Je songeai à sauvegarder mon honneur.
On lâche alors sur mes talons
Les dogues et les chiens courants ;
Les dogues et les chiens courants !
J’arrivais à peine près de l’eau,
Que je foirai dans mes braies et dans mon bas.
De là j’allai a Runarfô :
Quand j’arrivai, l’on était à vêpres ;

Aussitôt que je suis entré,
Sous la cape d’une vieille je me suis caché.

______le vicaire

Conte-moi donc tes péchés,
Et laisse-moi (de côté) tes discours.

______le sergent

On s’arme contre moi du manche de la croix,
Je suis chassé dehors, à coups de bâton.
Du cimetière, quand je suis sorti,
Le diable j’ai rencontré :
— « Si tu t’amuses à écouter dom Gilles,
« Si tu t’amuses à écouter dom Philippe,
« Tu ne gagneras pas, dans l’espace d’un mois,
« De quoi faire châtrer une truie.
« Maintenant, dit-il, au moment de l’été,
« Il y aura des hardes sur la haie à sécher.
« Prends une coiffe, un mouchoir,
« Un cotillon, un tablier ;
« Vend-les, et tu auras de l’argent ;
« Tous ils sont bons (à prendre) pour un sergent !
« Maintenant, dit-il, au moment de l’été,
« Il y aura des chevaux, dans la route, à paître ;
« Assure-toi d’un licol,
« Que tu puisses leur passer à la tête ;
« Ne perds pas ton temps à boire de l’eau ;
« Vend-les au premier marchand (venu) ;
« Tu en retireras de l’argent.
« Tous ils sont bons (à prendre) pour un sergent.
« Par-dessus le marché, si tu veux, je t’enseignerai
« À être sorcier, dans le pays.

______le sergent

« Ho ! ho ! si tu voulais faire cela,
« Avec toi en enfer j’irais ;
« Avec toi en enfer j’irais,
« Et à jamais je t’aimerais.


______le diable

(« Je t’apprendrai) à aiguiser une meule avec du cuir de semelles,
« Et à faire de la farine avec des trognons de choux ;
« A changer les chevaux en fourmis,
« A charmer la terre avec des mouches,
« A faire du vin avec de la détrempe de bouillie,
« Et à faire la barbe avec une baratte (à beurre) !
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Communiqué par M. Lopez, recteur de Ploulec’h.
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Suite trouvée à Prat ; — c’est toujours le diable qui parle.

Marche le jour, marche la nuit ;
Vole des chevaux, vole des porcs ;
Embusque-toi aux carrefours,
Attaque les gens par bandes ;
Lève-toi demain de bon matin,
Nous irons tous deux au Sabbat ;
Là tu apprendras force bons tours :
Empêcher le lait de se baratter,
Ensorceler les filles (et les forcer) à te suivre
Avec des nœuds de paille d’avoine...