Chansons populaires de la Basse-Bretagne/La veuve (Ann intanvès)

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LA VEUVE
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I

   Le pauvre cher vieux disait,
(Appuyé) sur son coude, dans son lit :

   — Je voudrais savoir la manière
De plaire à votre goût.


   — Si vous désirez me plaire,
Jetez-vous à l’eau pour vous noyer ;

   Jetez-vous à l’eau pour vous noyer,
Là où jamais je ne puisse vous voir.

   — Levez-vous, allumez la chandelle,
Que je vous compte votre dot ;

   Que je vous compte quatre cents écus,
(Que je vous donne) le choix de quatre gobelets ;

   Le choix de quatre métairies,
Afin que vous trouviez un jeune homme...

II

   ... La pauvre veuve disait,
Devant l’église de Goélo quand elle passait :

   — J’invoque la bénédiction de Dieu
Sur mon vieux mari, qui est allé en cette terre !

   Quand vivait mon vieux mari,
Je n’avais que du pain blanc ;

   Je n’avais que du pain blanc,
Maintenant, on me sert du fagot.

   Voilà mon vieil époux mort,
Et j’en ai eu un jeune,

   Qui me fait trembler, sans que j’aie froid,
Boire de l’eau, sans que j’aie soif ;

   Aller au lit, sans que j’aie sommeil,
Et déjeuner, sans une miette de nourriture.

   Autrefois, quand j’étais chez mon père,
On me nourrissait délicatement ;

   On me nourrissait de si mignonne sorte,
Que je n’eusse pas mangé de soupe (à l’oignon.)

   Maintenant, il faut que je mange de la soupe
Où il n’entre ni farine ni beurre ;

   Où il n’entre ni farine[1], ni beurre ;
(Ce n’est qu’une goutte d’eau, (et) une pincée de sel.


   Autrefois, quand j’allais à la grand’messe,
J’avais cotillon plissé[2],

   J’avais cotillon plissé,
Jupe de dessous couleur de pourpre.

   Maintenant quand je vais à la messe,
Mes hardes tombent en mille loques.

   Mes hardes tombent en mille loques,
Sur mes deux jambes, j’ai deux vieilles guêtres,

   Quand j’ai de l’argent, j’ai des chaussures que j’achète,
Quand je n’en ai pas, je vais pieds nus.


Marie Clech, de la forêt de Beffou.
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  1. Brignon : Farine d’avoine qu’on détrempait pour faire de la soupe maigre, dans laquelle on mettait des légumes, comme dans la soupe grasse, et souvent du lait doux.
  2. Bléjet, ridé à grands plis venant du bas en haut de la jupe ; ce mot doit se traduire par plissé.