Chansons populaires de la Basse-Bretagne/Yvonnette

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YVONNETTE
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I

Approchez tous, et vous entendrez chanter
Une chansonnette divertissante, qui a été levée, cette année ;
Qui est faite à une jeune fille âgée de quinze ans,
Laquelle a été enlevée, la première nuit de l’année.
Et si vous avez envie d’apprendre comment cela se fit (le voici):
Le père de cette fille était resté gravement malade au lit.
Yvonnette demandait, un jour, à son père ;
— Votre permission pour me marier, dit-elle, si cela vous agrée,
Votre permission pour me marier, dit la fille, je désire,
(Pour me marier) à un jeune menuisier de la paroisse de Saint-Gily ;
A un jeune menuisier de la paroisse de Saint-Gily,
Il me recherche et il me plaît.
— Moi, je suis, dit le bonhomme, retenu par la maladie,
Et tu viens encore me donner du chagrin et mettre mon esprit à la gêne !
Tu vas prendre un homme de la plus basse condition,
Quand tu pourrais en avoir un de ton rang ;
Tu vas prendre un homme de la plus basse condition,
Quand tu pourrais avoir un homme de bonne lignée !...

II

Jean Raison disait à son domestique, le traître !
— Fais-moi avoir l’héritière, si tu peux me venir en aide ;
Fais-moi avoir l’héritière, en dépit de ses parents,
Et je te donnerai dix écus, pour avoir des habits neufs ;

Et je te prendrai pour domestique, le reste de tes jours.
Les voilà de s’entendre alors, à deux ou trois,
D’acheter un philtre, (et) d’aller la ravir chez elle.
Quand ils entrèrent dans la maison, la fille trempait (la soupe) ;
Eux de jeter le philtre dans l’écuelle d’Yvonne.
Yvonne, quand elle eut mangé quelque deux cuillerées ou trois,
Jette là ses sabots, au milieu de l’aire de la maison,
Et s’en va à Kervéno trouver Jean Raison.
La voilà fourrée en cage, voilà prise la colombe ;
Prise était la colombe (on n’y avait pas eu grand’peine,)
Et envoyée à Kerveno achever son souper.

III

Le recteur de Saint-Gily disait, le dimanche suivant, dans son prône :
— J’ai appris, gens de Saint-Gily, que vous aviez volé une colombe.
Le colombier qui la possédait n’avait qu’elle.
Mais, croyez-m’en, gens de Saint-Gily, il faudra la rendre.
L’homme prend peur à entendre (ce que dit) le recteur,
Il va au colombier de Kerveno chercher sa colombe ;
Va chercher sa colombe, au colombier de Kerveno,
Et la rapporte alors à Place-Keraval,
Pour aider la vieille à faire des boudins.
Jean liaison disait, quand il entrait dans la maison :
— Voilà votre fillette, puisque vous ne venez la prendre.
Elle a été faire une promenade, en attendant la noce ;
Vous ne voulez pas me la donner, mais vous le ferez (pourtant).
Le bonhomme, quand il a entendu, se lève de son lit,
Pour aller à la maison de justice, le lendemain matin ;
Pour aller à la maison de justice, pour faire rendre un jugement,
Qui les condamne aux galères ou à être brûlés…

IV

— Mon père, je demande pardon, du plus profond de mon cœur ;
J’aime mieux être mariée que de rester à l’abandon,
Vous aussi vous aviez volé ma mère, de chez son père,
Et cela ne vous a pas empêché de faire bonne souche.
La vieille, en l’entendant, a dit alors :
— Personne n’ira aux galères, et personne ne sera pendu.
Mieux vaut réparer le mal, si le péché a été commis.


V

Voilà que fut célébrée la noce, en grande solennité.
On fit monter le jeune époux sur le dos d’une haquenée,
De crainte qu’il ne lui arrivât de porter le bonnet de son père[1],
Il n’y avait pas à s’y méprendre ; il avait bien commencé.


Chanté à Kercabin.
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  1. C’est-à-dire le bonnet à cornes, allusion grossière.