Chansons populaires du Canada, 1880/p090

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Texte établi par Robert Morgan,  (p. 90-93).


ah ! qui me passera le bois ?…


J’étais en partie de pêche au lac Saint-Pierre lorsque j’entendis pour la première fois cette remarquable mélodie que chantait un homme de la campagne en battant la mesure avec son aviron. Je fus tellement frappé de l’étrangeté de ce chant que j’insistai pour qu’il me le répétât plusieurs fois. Le pauvre homme ne pouvait s’imaginer ce que je pouvais trouver de si beau dans sa chanson, et ce ne fut pas sans un peu de défiance qu’il consentit à me la redire. Je crois l’avoir notée exactement comme il me la chantait. Il me semble, cependant, qu’il ne faisait pas la note fa tout à fait naturelle dans la première phrase : Ah ! qui me passera le bois ? …, mais il ne faisait certainement pas le fa dièse non plus. Je lui chantai moi-même la mélodie, lentement, avec le fa dièse : il hocha la tête en faisant, signe que non ; je la répétai alors avec le fa naturel, et, cette fois, il parut content.

La phraséologie tout inusitée de cette mélodie indique clairement qu’elle doit être fort ancienne. Inutile de dire qu’il ne faut pas songer à lui ajouter un accompagnement. Elle appartient à une tonalité dans laquelle pas un des maîtres de l’art moderne n’a écrit et qui, à parler franchement, nous est à peu près inconnue ; or on sait que l’harmonie, telle que nous l’entendons aujourd’hui, est incompatible avec tout ce qui n’est pas tonalité européenne moderne ; que ce n’est qu’en assimilant les modes antiques à nos modes majeur et mineur, c’est-à-dire en faisant disparaître des premiers ce qu’ils ont de caractéristique que l’usage de notre harmonie dissonante devient possible. D’ailleurs, est-il bien sûr qu’un grand nombre de nos mélodies populaires ne soient pas incompatibles avec toute harmonie, même purement consonante ? Pour ma part, je le crois, bien que je sache que beaucoup de musiciens pensent le contraire. C’est le propre des musiciens de ces derniers siècles, comme l’a si bien fait remarquer M. Fétis, de ne pouvoir s’imaginer une musique quelconque sans harmonie. C’est qu’en effet, la tonalité qui nous est familière, avec ses modes à note sensible exclusifs, étant essentiellement harmonique, on a peine à comprendre qu’il puisse en être autrement d’une autre tonalité. Si l’histoire n’était pas là pour nous le dire, on ne voudrait pas croire qu’il fut un temps où l’on faisait de belle, d’admirable musique sans le secours de l’harmonie ; que les premières notions de cette science étaient inconnues en Italie jusqu’à ce qu’elles y fussent apportées par les peuplades barbares du nord de l’Europe qui envahirent tant de fois la péninsule dans les premiers siècles de l’ère chrétienne.

Pour ce qui est de la mélodie qui nous occupe, en particulier, on peut sans doute lui ajuster un accompagnement quelconque, mais non sans lui faire perdre de l’allure, du caractère qui lui est propre ; allure et caractère que les virtuoses campagnards surtout savent si bien lui donner.

J’ignore si la mélodie de Ah ! qui me passera le bois ? est connue en France ; je sais seulement qu’on y chante encore quelques fragments des paroles que l’on va voir ci-après.





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Ah! qui me pas -- se -- ra le bois, Moi qui suis si pe- 
ti -- te? Ce se -- ra mon -- sieur que voi -- là: N’a -- t-il pas bon -- ne 
mi -- ne? là! Somm’s -- nous au mi -- lieu du bois? 
Somme's -- nous à la ri -- ve? 
 
}


Ah ! qui me passera le bois,
Moi qui suis si petite ?
Ce sera monsieur que voilà :
N’a-t-il pas bonne mine ? là !
Somm’ s-nous au milieu du bois ?
Somm’ s-nous à la rive ?

Ce sera monsieur que voilà ;
N’a-t-il pas bonne mine ?
Quand nous fûm’s au milieu du bois ?
Il se mit à courire, là !
Somm’s-nous au milieu, etc.

Quand nous fûm’s au milieu du bois,
Il se mit à courire.
— Oh ! qu’a’-vous donc, mon bon monsieur,
Qu’a’-vous à tant courire, là !
Somm’s-nous au milieu, etc.

Oh ! qu’a’-vous donc, mon bon monsieur,
Qu’a’-vous à tant courire ?
— J’entends venir des loups, là-bas,
Qui nous suiv’ à la rive, là !
Somm’s nous au milieu, etc.

J’entends venir des loups, là-bas,
Qui nous suiv’ à la rive.
Quand ils eur’nt traversé le bois
La bell’ se mit à rire, là !
Somm’s-nous au milieu, etc.

Quand ils eur’nt traversé le bois
La bell’ se mit à rire.
— Bell’ qu’avez-vous, bell’ qu’avez-vous,
Qu’avez-vous à tant rire ? là !
Somm’s-nous au milieu, etc.

Bell’ qu’avez-vous, bell’ qu’avez-vous,
Qu’avez-vous à tant rire ?
— Je ris de toi, je ris de moi,
De ta poltronnerie, là !
Somm’s-nous au milieu, etc.

Je ris de toi, je ris de moi,
De ta poltronnerie ;
D’avoir pris les perdrix du bois
Pour des loups en furie, là !
Somm’s-nous au milieu du bois ?
Somm’s-nous à la rive ?