Chansons posthumes de Pierre-Jean de Béranger/L’Aigle et l’Étoile
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L’AIGLE ET L’ÉTOILE
À son étoile, à travers un nuage,
L’aigle s’adresse : — On manque d’air ici ;
Cette île d’Elbe est une étroite cage.
Paris m’attend ; qu’il dise : Le voici !
Brille, et je pars. On manque d’air ici.
Reprends l’éclat des jours de ma jeunesse,
Lorsque le ciel n’écoutait que ma voix ;
Lorsqu’un grand peuple, ivre de mon ivresse,
Riait vainqueur au nez de tous les rois.
Le ciel encor doit écouter ma voix.
Mais à ton feu ma foudre se renflamme ;
Oui, tu renais. De clocher en clocher,
Je vais voler jusqu’aux tours Notre-Dame.
Que le drapeau qui dort sur ce rocher
Vole avec moi de clocher en clocher.
L’aigle fend l’air. Le peuple, qui l’appelle,
Le voit de loin : — Français, séchons nos pleurs.
C’est lui, c’est lui ! que son étoile est belle !
Il nous revient quand renaissent les fleurs.
Aigle du ciel, tu vas sécher nos pleurs.
Salut ! salut ! Notre amour te seconde.
— Enfants, bonjour ! leur dit l’aigle en passant.
Soldats, bourgeois, paysans, tout un monde
Lui crie : — À toi nos biens et notre sang !
— Bonjour, bonjour ! leur dit l’aigle en passant.
De son étoile, alors plus éclatante,
Le cours rapide éblouit tout Paris ;
Pour le vingt mars, la foule, dans l’attente,
Mêle à ses vœux des souvenirs chéris.[1]
L’étoile heureuse éblouit tout Paris.
Rois alliés, que faites-vous dans Vienne ?
Tous sont au bal après quinze ans de deuil,[2]
Ne craignant plus que d’un coup d’aile il vienne
Éteindre encor leur joie et leur orgueil.
Ils dansent tous après quinze ans de deuil.
Mais sur leur front éclate la nouvelle :
Il revient ! Dieu ! Pâlissent tous les rois.
En vain l’orchestre au plaisir les appelle.
Sur les divans ils retombent sans voix.
Dieu ! que ce bal a vu pâlir de rois !
Pourtant on rêve encore aux Tuileries ;
Mais l’aigle frappe aux vitraux du palais.
Tout tremble alors, princes, grandeurs, pairies :
— Fuyons à Lille ; oui, fuyons à Calais.
Il frappe, il frappe aux vitraux du palais.
Le vieux Louis se dit : — J’arrive à peine ;
À peine a-t-on dételé mes chevaux,
Que dans l’exil il faut qu’on me remmène
Tendre la main à des secours nouveaux.
À peine a-t-on dételé mes chevaux.
Du trône enfin les rois savent descendre.
Ce prince est vieux ; peuple compatissant,
Dût-il rentrer dans nos villes en cendre,
Les pieds rougis du plus pur de ton sang,
Laisse-le fuir, peuple compatissant.
L’aigle en triomphe a ressaisi son aire.
Mais quoi ! soudain son étoile a pâli.
Pour lui déjà s’alourdit le tonnerre,
Et dans sa gloire il semble enseveli.
Malheur ! malheur ! son étoile a pâli !
Cent jours passés, un Anglais sous sa voile
Voit tout sanglant tomber l’aigle abattu.
Le doigt de Dieu vient d’éteindre l’étoile ;
N’espère enfin, peuple, qu’en ta vertu.
L’étoile meurt, l’aigle tombe abattu.
- ↑ Anniversaire de la naissance du roi de Rome.
- ↑ C’est en effet pendant un bal de rois que se répandit à Vienne la nouvelle du retour de Napoléon.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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