Chansons posthumes de Pierre-Jean de Béranger/Plus de vers

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PLUS DE VERS



Non, plus de vers, quelque amour qui m’anime :
La règle et l’art m’échappent à la fois ;
Un écolier sait mieux coudre la rime
Au bout du vers mesuré sur ses doigts.
Devant le ciel lorsque tout haut je cause
Avec mon cœur, au fond des bois déserts,
L’écho des bois ne me répond qu’en prose.
Dieu ne veut plus que je fasse de vers.

Dieu ne veut plus ! Et, comme aux fins d’automne,
Le villageois, dans ses clos dépouillés,
Regarde encor si l’arbre en sa couronne
Ne cache pas quelques fruits oubliés,
Je vais cherchant ; pour cela je m’éveille ;
Mais l’arbre est mort, fatigué des hivers :
Qu’il manquera de fruits à ma corbeille !
Dieu ne veut plus que je fasse de vers.

Dieu ne veut plus ! Et pourtant dans mon âme
J’entends sa voix dire au peuple craintif :
Lève ton front, peuple, je te proclame
De la couronne héritier présomptif.
Il dit : et moi, joyeux de prescience,
Lorsque j’allais, par de nouveaux concerts,
Peuple dauphin, t’instruire à la clémence,
Dieu ne veut plus que je fasse de vers.