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Chansons pour mon ombre (1907)/La Mort d’une Bacchante

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Pour les autres éditions de ce texte, voir La Mort d’une Bacchante.

Chansons pour mon ombreAlphonse Lemerre, éditeur (p. 31-33).

LA MORT D’UNE BACCHANTE



Nous ne tisserons plus les graves violettes…
Nous ferons retentir le paktis vaste et doux
À travers les forêts et les plaines muettes,
Et nous arracherons le feuillage aux tons roux…
— Ô compagnes, la voix large des lyres chante
La mort d’une Bacchante.


La solitude a moins de regrets que l’amour,
Et le sanglot est moins déchirant que le rire…
Nous mêlerons nos bras jusqu’au déclin du jour,
Et nous parfumerons de roses et de myrrhe
Nos corps, où brûlera, comme un ferment divin,
La colère du vin.

Contemple sur ton seuil de pierre, ô sombre proie
De l’Hadès et du Styx, ô silence, ô paleur !
Notre douleur, pareille aux éclats de la joie,
Notre joie aux yeux fous, pareille à la douleur, —
Car la foule, cueillant la fleur des vignes, chante
La mort d’une Bacchante.

Nous t’envelopperons de lumière et de bruit.
Plus tard, nous couperons nos cheveux de prêtresses,
Dorés comme la lune, épais comme la nuit ;
Ardents comme le soir, imprégnés de caresses ;
Plus tard, nous éteindrons la lueur du flambeau
Sur ton calme tombeau.


Et nous te laisserons à l’ombre pacifique…
Jadis ta lassitude envia le sommeil
Du faune et du satyre accablés de musique,
Rassasiés de fruits et repus de soleil.
— Compagnes, écoutez la pleureuse qui chante
La mort d’une Bacchante.