Chansons pour mon ombre (1907)/Quatre Poèmes inspirés du Grec

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Chansons pour mon ombreAlphonse Lemerre, éditeur (p. 57-64).

QUATRE POÈMES INSPIRÉS DU GREC

I


Reste ici, homicide (lance) de bois de cornouiller, et ne répands plus le triste meurtre des ennemis autour de ton ongle d’airain : mais, fixée dans la haute demeure en marbre de l’Athéna, dis la bravoure du Crétois Echécratidas.
Anyta de Tégée.

Quittant l’air troublé que laboure
Le glaive aux éclairs froids,
Redis au peuple la bravoure
Du valeureux Crétois.

Repose en paix, ô rouge lance !
Évoque, dans la somnolence
De ces murs au grave silence,
Les combats d’autrefois.

Dans l’ombre que l’encens parfume,
Près de l’autel serein,
Tu regrettes le sang qui fume,
Et le choc souverain ;
Sur la plaine où le jour s’efface,
Mélancoliquement tenace,
Tu ne dresses plus la menace
De ton ongle d’airain.

Ici, le soir fumeux attriste
De son rire fané
Le sanctuaire d’améthyste
Et de jaspe veiné.
Repose dans la ténèbre ample
Et pacifique de ce temple,
Où la vierge aux bras blancs contemple
L’image d’Athéné.

II


À Pan aux cheveux hérissés et aux nymphes protectrices des bergeries, Theudotos, qui fait paître des brebis, offrit ce présent sous son lieu d’observation. C’est parce que, un jour qu’il était grandement fatigué par l’été desséchant, elles le reposèrent, lui ayant présenté dans leurs mains une eau douce comme le miel.
Anyta de Tégée.

D’Invisibles pipeaux charment ma solitude.
Le soir voit défleurir le méliot des prés.
Ô nymphes aux yeux verts, et toi, Pan au poil rude,
Je vous offre ces fruits que l’automne a dorés.


Lorsque j’ai convoité la fraîcheur des fontaines,
Étendu sur la roche et las des longs chemins,
Vous m’avez apporté l’eau des sources lointaines,
Ô nymphes ! dans le creux frissonnant de vos mains.

Je n’ai plus redouté l’aridité des sables,
Bouclier d’or où se double l’airain du ciel,
Car j’ai bu longuement, dans vos mains pitoyables,
L’eau claire qui me fut plus douce que le miel.

III


Moi, Hermès, j’étais debout près du jardin ouvert aux vents, au croisement de trois chemins, près de la mer blanchissante, offrant aux hommes fatigués une halte dans leur route et une source pure leur verse une eau fraîche.
Anyta de Tégée.

Ici, dans le verger où se croisent tes vents,
Près du sable blanchi par le sel et l’écume,
J’accorde le repos, loin des êtes fervents,
Sur l’herbe aux frissons doux que le cerfeuil parfume.


Nul vent ne fait trembler tes beaux pommiers fleuris,
La charmante langueur du mélilot s’exhale,
Et, baignant l’aloès et le vert tamaris,
La fontaine jaillit, riante et virginale.

Moi, l’Hermès dont les yeux suivent les flots d’étain,
Sur mon socle de pierre aux bords moussus, j’écoute
Le chant de l’eau, plus clair que le pipeau lointain,
Et les pâtres lassés font halte dans leur route.

IV


Ce lieu est à Kupris, puisqu’il lui fut toujours cher de voir du continent la mer brillante, afin qu’elle puisse accorder une navigation heureuse aux matelots ; et, tout autour, la mer tremble, voyant la radieuse statue.
Anyta de Tégée.

Sur les rocs ont erré les pieds nus de Kupris.
Elle aime à contempler, du haut de la falaise,
Les ondes déployant leurs violets d’iris
Dont l’immortel ennui s’exaspère et s’apaise.
Sur les flots ont erré les pieds nus de Kupris.


La vague a reconnu la voix de la Déesse
Qui jaillit autrefois du délicat embrun,
Blonde sous le jour blond que la tiédeur oppresse,
Et respirant l’iode ainsi qu’un frais parfum.
La vague a reconnu la voix de la Déesse.

Son image a dompté le courroux de la mer.
Elle accorde la paix et le soleil aux voiles,
Et, souriant aux nefs de son visage clair,
Elle fait resplendir les nuits belles d’étoiles.
Son image a dompté le courroux de la mer.