Chant funèbre, en l’honneur des guerriers morts à la bataille de Marengo, précédé d’autres essais lyriques/La consolation des Muses

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LA CONSOLATION DES MUSES,

ODE.

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COMME on voit ces oiseaux funèbres,
Messagers plaintifs du destin,
S’envoler avec les ténèbres,
Au premier rayon du matin ;
Ainsi la pénible indigence,
La crainte, le deuil, la souffrance,
S’éloignent au flambeau des vers ;
Et du Styx l’agile courrière,
Suspendant sa faulx meurtrière,
Até leur cède l’Univers.


De l’enfance aimables nourrices,
Les Muses recueillent ses pleurs ;
De l’homme augustes bienfaitrices,
Elles soulagent ses malheurs ;
Et lorsque son ferme courage,
Sous le poids accablant de l’âge,
Succombé après de longs combats,
Calmant son ombre désolée,
Elles parent son mausolée,
Et le dérobent au trépas.

Ah ! si des Nymphes d’Aonie
Le tems raffermit le pouvoir,
Avec ton luth, Ô ! Polymnie,
Quel péril peut nous émouvoir ?
L’âge même le plus débile,
Soutient d’un regard immobile,
L’orgueil des brigands irrités ;
Il brave l’ingrate fortune,
Les monstres béans de Neptune
Et les poignards ensanglantés.

Dans la fleur de l’adolescence,
Voyez ce chantre voyageur ;
Sans alarme, sans méfiance,
Des mers il contemple l’horreur.
Entouré de nochers avides,
Il oppose à leurs coups perfides,
La lyre et la voix d’Amphyon.
Brigands, que l’or barbare irrite,
Laissez au dauphin d’Amphytrite,
L’honneur de sauver Arion.


La mer à sa voix éplorée,
Entr’ouvre ses flots frémissans ;
Accourez filles de Nérée,
C’est vous qu’appellent ses accens.
Venez, secondant son audace,
Guidez cet enfant du Parnasse,
Dans votre asile redouté.
Là, dans les bras d’une Déesse,
Brillant de vers et de jeunesse,
Qu’il puise l’immortalité !

Si la naïve adolescence,
Est sous l’appui des chastes Sœurs,
L’homme, dans sa seconde enfance,
Éprouve leurs soins protecteurs.
Quand le monde en sa folle ivresse,
Déserte la triste vieillesse
Elles visitent ses foyers ;
Et leur puissance tutélaire,
Venge l’auguste caractère,
D’un front blanchi sous leurs lauriers.

Quoi ! l’on traîne à l’Aréopage
Ce vieillard confident des Dieux !
Quoi ! Sophocle honneur de son âge,
Flétri par ses fils odieux !
Sa fille même l’abandonne !
Muses, servez-lui d’Antigone,
Rallume, Œdipe, ton flambeau ;
Par ton exemple, aux Eumenides,
Il livre ses enfans perfides,
Et descend vainqueur au tombeau.


Il meurt : la Grèce au loin rejette
L’opprobre vivant de ses fils :
Traîtres ! le père et le poète
Appellent sur vous Némésis.
Que tes enfans, divin Sophocle,
De Polynice et d’Étéocle,
Éprouvent l’horrible destin ;
Et sur ta cendre vengeresse,
Puissent-ils, calmant le Permesse,
Tomber en se perçant le sein !

Malheur à la voix qui blasphême
Le Pinde et ses dons immortels !
Malheur ! sur une Muse même,
Les Muses vengent leurs autels.
Vainqueur des fers de sa patrie,
Alcée, en son ame attendrie,
Ne peut vaincre des feux cruels :
Il porte aux neuf Sœurs son injure ;
Et dénonçant une parjure,
Il pleure au pied de leurs autels.

Il pleure, et son ingrate amante
Le front de roses couronné,
Sapho, qu’un vain désir tourmente,
Chante un amour désordonné.
Tu périras, femme insensée,
Tu dédaignas le grand Alcée,
De Phaon subis les refus :
Les Dieux désenchantent ta lyre,
Et Leucade par ton délire,
Venge Polymnie et Vénus.


Que ce grand et terrible exemple,
Calme le courroux des neuf Sœurs !
Courons, courons orner leur temple,
Loin, loin leurs ingrats oppresseurs !
Ah ! si pour la beauté d’Hélène
Priam, sous le fer de Mycène,
Vit tomber ses divins remparts,
Que Pallas force de murailles,
Et qu’elle enfante de batailles
Pour la cause du dieu des Arts !

Quoi ! ces murs enfans de la lyre,
La ville même d’Apollon,
Thèbe insultant à son empire,
Flétrit son nouvel Amphion !
Armez-vous, Nymphes du Permesse,
Apollon soulève la Grèce
Contre ces murs séditieux ;
Et par des honneurs légitimes,
Il relève les vers sublimes,
De son chantre rival des Dieux.
 
Ô ! combien de riches guirlandes
De Pindare ornent les autels !
Delphes lui cède ses offrandes,
Pan redit ses chants immortels ;
Les rois, les peuples de la terre,
À son nom calmant leur tonnerre,
Honorent sa postérité ;
Et sa demeure protégée,
Debout, dans Thèbe saccagée,
Me dit : là Pindare a chanté.


N’est-ce point ce touchant hommage,
Ce rare et solemnel honneur,
Qu’au génie, au sein du carnage,
Offrit la sublime valeur
Qui, sur les rives du Granique,
Prépara la palme héroïque
De l’ami de Paiménion,
Ce grand maître de la victoire,
Qu’enflammait aux champs de la gloire
Le chantre immortel d’Ilion ?

Que les Muses reconnaissantes,
Dociles à nos vœux chéris,
Versent des faveurs éloquentes
Sur leurs belliqueux favoris !
La mer cède à leur vol sublime ;
Abaissant leur plus haute cime
Les monts s’inclinent à leur voix,
Et d’un peuple qui les honore
Leur main, du couchant à l’aurore,
Conduit les rapides exploits.

Avez-vous démenti ma lyre,
Enfans d’Apollon et de Mars ?
Ô vous dont le double délire
Illustra la terre des arts.
Lorsque ma voix opiniâtre,
De leur culte que j’idolâtre,
Défendait les droits immortels,
Au sein de la belle Italie
Vous vengiez leur gloire avilie,
Et vous releviez leurs autels.


Mêlant vos palmes héroïques
Aux lauriers du docte côteau,
Du chantre heureux des Georgiques
Vous honorrâtes le berceau.
Le Mincio sur son rivage,
Affranchi par votre courage,
Vit s’élever un monument,
Modeste et touchante sculpture
Qu’au poète de la nature
Vint consacrer le sentiment.

Ce jour vit les fils de Bellone
Autour de ce marbre chéri,
Des dons de Flore et de Pomone
Orner leur chantre favori.
Là sur ces rives enchantées,
Voluptueuses Galatées
Vous vous mêliez à ces héros ;
Et dans vos danses poétiques
Des immortelles Bucoliques
Vous réalisiez les tableaux.

Dès-lors que de succès rapides
Signalèrent nos étendarts !
Sous nos cohortes intrépides
Qu’on vit s’abaisser de remparts !
Que l’Italie avec ivresse
Des guerriers, amans du Permesse,
Accueillit les heureux drapeaux !
Et dans leur brillante carrière
Au rival immortel d’Homère
Qu’ils durent de lauriers nouveaux !


Que cette offrande légitime
Enfantant de nombreux vainqueurs,
Ranime leur élan sublime
Avec l’empire des neuf Sœurs !…
Ah ! dans nos villes consolées
Puissent les Muses rappelées
Sourire aux palmes de la paix !
Ce tribut qu’une main guerrière
Offrit au successeur d’Homère,
Je l’offre au Cygne des Français.