Chantecler/Acte 1
ACTE PREMIER
Les bruits nous l’ont décrit d’une façon exacte.
Portail croulant. Mur bas fleuri d’ombelles. Foin.
Fumier. Meule de paille. Et la campagne au loin.
Les détails vont se préciser au cours de l’acte.
Sur la maison, glycine en mauve cataracte.
La niche du vieux chien de garde, dans un coin.
Épars, tous les outils dont la Terre a besoin.
Des poules vont, levant un pied qui se contracte.
Un merle dans sa cage. Une charrette. Un puits.
Canards. Soleil. Parfois une aile bat, et puis
Une plume, un instant, vole, toute petite.
Des poussins, pour un ver, se disputent entre eux.
Le dindon porte au bec sa rouge stalactite.
— Silence chaud, rempli de gloussements heureux
Scène PREMIÈRE
Ah ! c’est exquis !
Que croquez-vous ?
Que croque-t-elle ?
C’est ce petit insecte appelé cicindèle
Qui parfume le bec de rose et de jasmin !
Vraiment, ce Merle siffle avec l’art…
D’un gamin !
D’un gamin qui serait un pâtre de Sicile !
Il ne finit jamais son air…
Finir ! Il chantonne l’air que siffle le Merle.
« Qu’il fait donc bon cueillir… cueillir… » Canard,
Sache qu’il faut savoir ne pas finir, en art !
« Cueillir… » Bravo !
Le Merle sort, et, pose sur une branche de glycine, salue.
Je suis apprivoisé !
Mais sa cage ?
D’en sortir brusquement et d’y rentrer soudain,
Car la porte n’a pas de ressort à boudin.
« …Cueillir ! » …Ce n’est plus rien si l’on dit ce qu’on cueille !
qui au fond, dépassent le mur.
Oh ! le beau papillon !
Où ?
Sur le chèvrefeuille !
Ce papillon s’appelle un Mars.
Ah ! sur l’œillet !
Un Mars ! Pourquoi ?
Mais parce qu’il vient en juillet !
Ce Merle… il est roulant !
Mieux que roulant, ma chère !
C’est chic, un papillon !
On prend un W qu’on met sur un Y.
Il dessine une charge en quatre coups de bec !
Il fait mieux que charger, il schématise ! Poule,
Ce Merle veut qu’on pense au moment qu’on se roule :
C’est un Maître qui se déguise en basochien !
Maman, pourquoi le Chat déteste-t-il le Chien ?
Mais parce qu’il lui prend son fauteuil au théâtre !
Ils ont un théâtre ?
Oui. De féerie.
Hein ?
Où tous deux veulent voir la Bûche-au-Bois-Dormant
Rougir de s’éveiller près du Prince Sarment !
Comme il sait indiquer que les haines de races
Ne sont jamais, au fond, que des haines de places !
Il est très fort !
Tu prends du piment ?
Oui, beaucoup.
Pourquoi ?
Ça fait rosir le plumage.
Ah ?…
…Coucou !
Tiens !
Coucou !
Le Coucou !
Dans les bois, ou celui qui loge dans l’horloge ?
Coucou !
Celui des bois.
Manqué l’autre !
C’est vrai, tu l’aimes ?
Il habite un chalet pendu dans la cuisine
Au-dessus du fusil et de la limousine.
Dès qu’il chante, j’accours… mais je n’arrive, hélas !
Que pour le voir fermer son petit vasistas !
Ce soir, je vais rester sur le seuil.
Poule Blanche !
Scène II
par mouvements de tête saccadés.
Qui m’appelle ?
Un pigeon !
Où ?
Sur le toit qui penche !
Ah !
Je m’arrête. Bonjour, poule.
Bonjour, facteur.
Oui, puisque mon service aux Postes de l’Espace
Fait qu’en ce soir d’été par votre ciel je passe,
Je serais bien heureux de pouvoir…
Un moment !
Que croquez-vous ?
Que croque-t-elle ?
Du froment.
Donc, ce soir, sur le seuil il faut que je demeure…
Elle montre la porte de la maison.
La porte est close !
Et pour voir le Coucou je passerai le cou…
Poule Blanche !
Un moment !
Tu passeras le cou par où ?…
qui est au bas de la porte.
Par la chatière !
Vous me laissez le bec dans l’eau de la gouttière !
Hé ! la plus blanche des poules !
Tu me disais ?
Que je serais…
Quoi donc, le plus bleu des bisets ?
Bien heureux si… — mais non, l’audace est indiscrète… —
Je pouvais voir…
Quoi ?
Rien qu’un instant…
Quoi ?
Sa crête !
Ah ! il veut voir…
Mais oui, je veux voir…
Calme-toi !
J’attends en trépignant !
Il abîme le toit !
C’est que nous l’admirons !
Tout le monde l’admire !
Et j’ai promis à ma pigeonne de lui dire
Comment il est.
Superbe, on ne peut le nier.
Nous l’entendons chanter de notre pigeonnier !
C’est Celui dont le chant tient plus au paysage
Qu’à la pente d’un mont la blancheur d’un village,
Car toujours au lointain sa voix se mêle un peu ;
C’est Celui dont le cri perce l’horizon bleu
Comme une aiguille d’or qui toujours enfilée
Coudrait au bord du ciel le bord de la vallée.
C’est le Coq !
Pour lequel tous les cœurs font toc-toc !
Notre Coq !
Mon, ton, son, notre, votre et leur Coq !
Il va bientôt rentrer de sa ronde champêtre.
Ah ! vous le connaissez. Monsieur ?
Ce poussin — car pour moi c’est toujours un poussin ! —
Venait prendre chez moi sa leçon de buccin.
Ah ! vraiment, vous donnez des leçons de ?…
Je peux apprendre à coqueriquer : je glougloute !
Où donc est-il né ?
Dans ce vieux panier.
Poule qui l’a couvé vit encore ?
Elle est là.
Où ?
Dans ce vieux panier.
De quelle race est-elle ?
Poule gasconne, née aux environs de Pau.
C’est celle qu’Henri Quatre a voulu mettre au pot.
Avoir couvé ce Coq… qu’elle doit être fière !
Oui, d’une humble fierté de maman nourricière.
Son cher poussin — c’est là tout ce qu’elle comprend —
Devient grand !… et quand on lui dit qu’il devient grand,
Sa raison presque éteinte un instant se réveille.
Hé ! la vieille, il grandit !
Il grandit !
une vieille tête ébouriffée.
Ça vous fait donc plaisir qu’il grandisse ?
Le blé de mercredi fuit honneur à mardi !
De temps en temps, elle ouvre, et, crac ! avant de clore,
Elle laisse tomber une fleur de folk-lore,
Un dicton qu’elle invente et qui sent le patois…
Poule Blanche !
… Et qui tombe assez bien quelquefois !
Quand le paon n’est pas là, le dindon fait la roue.
Est-ce vrai que jamais Chantecler ne s’enroue ?
C’est vrai !
Un coq qui comptera parmi les Animaux
Illustres, dont le nom vivra dans plusieurs lustres !
Très fiers ! très fiers !
Quels sont les Animaux Illustres ?
Le pigeon de Noé, le barbet de Saint-Roch,
Le cheval de Cali…
Cali ?…
Cali…
Est-ce vrai que son chant rythme, active, guerroie,
Fait rire le travail et fuir l’oiseau de proie ?
C’est vrai !
Cali… Cali…
Que son chant, défenseur de l’œuf tiède et sacré,
Empêcha bien souvent l’onduleuse belette
D’avoir à son plastron des taches…
D’omelette ?
C’est vrai !
Cali…
Gu ?…
Gu…
Poule, est ce vrai…
Gula !
…Que, pour chanter si bien, on suppose qu’il a
Un secret… un secret qui rend sa voix si rouge
Qu’à son cocorico le coquelicot bouge
Comme s’il s’entendait appeler par son nom ?
C’est vrai !
Ce grand secret, nul ne le connaît ?
Non !
Il ne le dit pas même à sa poule ?
À ses poules !
Ah ! il en a plusieurs ?
Il chante. Tu roucoules !
Même à sa favorite, alors, il ne dit rien ?
Oh ! rien !
Rien !
Rien !
Le Papillon, piaffant comme un petit Pégase,
N’a pas vu…
Qu’est cela ?
C’est le Destin !
En gaze !
Oh !… un filet !… au bout d’un bambou…
Se termine par un bambin à l’autre bout !
Muscadin qui toujours vers d’autres roses cingles.
Tu vas être tiré ce soir à quatre épingles !
Palpitant ! — Ça s’approche ! — Oui ! — Poco a poco !
— Chut ! — Prendra ! — Prendra pas ! — Prendra !…
Hein ? — Quoi ? — Qu’est-ce ?
Il est loin déjà dans la prairie !
C’est Chantecler qui fait de la chevalerie !
Chantecler !
Sur le mur… il vient !
Il est tout près !
Oh ! tu vas voir, c’est un beau coq !
Facile à faire, un coq !
Ce Merle est d’une force !
Vous prenez un melon, de Honfleur, pour le torse.
Pour les deux jambes, deux asperges, d’Argenteuil.
Pour la tête, un piment, de Bayonne. Pour l’œil,
Une groseille, de Bar-le-Duc. Pour la queue,
Un poireau, de Rouen, tordant sa gerbe bleue.
Pour l’oreille, ô Soissons ! un petit haricot.
Ça y est. C’est un coq !
Moins le cocorico !
Oui. Mais sauf ce détail tu vois que ça ressemble ?
Pas du tout !
Venir le Chevalier superbe de l’Été,
Qui pour se draper d’or semble avoir emprunté
À quelque char du soir où la moisson vacille
Sa cape, qu’il retrousse avec une faucille !
Cô…
C’est qu’il aime une poule ou qu’il médite un chant.
Flambe !… Illumine !…
Il dit des mots sans suite !
Embrase !
Il s’arrête, une patte en l’air…
Cô…
C’est l’extase !
Ton or est le seul or qui soit de bon conseil !
— Je t’adore !
À qui donc parle-t-il ?
Au soleil !
Toi qui sèches les pleurs des moindres graminées,
Qui fais d’une fleur morte un vivant papillon,
Lorsqu’on voit, s’effeuillant comme des destinées,
Trembler au vent des Pyrénées
Les amandiers du Roussillon,
Je t’adore, Soleil ! ô toi dont la lumière,
Pour bénir chaque front et mûrir chaque miel,
Entrant dans chaque fleur et dans chaque chaumière,
Se divise et demeure entière
Ainsi que l’amour maternel !
Je te chante, et tu peux m’accepter pour ton prêtre,
Toi qui viens dans la cuve où trempe un savon bleu,
Et qui choisis souvent, quand tu vas disparaître,
L’humble vitre d’une fenêtre
Pour lancer ton dernier adieu !
Nous n’y couperons pas, mes enfants : c’est une ode
descend du mur.
Il avance, plus fier…
Tiens ! l’abreuvoir !
Commode.
…Plus fier qu’un Toulousain qui chante : « O moun Païs ! »
Tu fais tourner…
Que croque-t-elle ?
Du maïs.
Tu fais tourner les tournesols du presbytère,
Luire le frère d’or que j’ai sur le clocher,
Et quand, par les tilleuls, tu viens avec mystère,
Tu fais bouger des ronds par terre
Si beaux qu’on n’ose plus marcher !
Tu changes en émail le vernis de la cruche ;
Tu fais un étendard en séchant un torchon ;
La meule a, grâce à toi, de l’or sur sa capuche,
Et sa petite sœur la ruche
A de l’or sur son capuchon !
Gloire à toi sur les prés ! Gloire à toi dans les vignes !
Sois béni parmi l’herbe et contre les portails !
Dans les yeux des lézards et sur l’aile des cygnes !
Ô toi qui fais les grandes lignes
Et qui fais les petits détails !
C’est toi qui, découpant la sœur jumelle et sombre
Qui se couche et s’allonge au pied de ce qui luit,
De tout ce qui nous charme as su doubler le nombre,
À chaque objet donnant une ombre
Souvent plus charmante que lui !
Je t’adore, Soleil ! Tu mets dans l’air des roses,
Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson !
Tu prends un arbre obscur et tu l’apothéoses !
Ô Soleil ! toi sans qui les choses
Ne seraient que ce qu’elles sont !
Bravo ! J’en parlerai longtemps à ma pigeonne !
Jeune inconnu bleuâtre et dont le bec bourgeonne,
Merci ! — Vous me mettrez à ses pieds de corail !
Il faut soigner les admirateurs !
Tous, gaîment !
Regardez-la : son vol n’est qu’un don d’elle-même.
Oui, mais dans mon estime elle a beaucoup perdu
Depuis l’histoire de…
De ?…
De la Mouche du…
Mais cette histoire-là m’a toujours paru louche !
Et qui sait si le coche eût monté sans la mouche ?
Tu crois qu’il valut moins qu’un « hue ! » ou qu’un « dia ! »
Le psaume de soleil qu’elle psalmodia ?
Tu crois à la vertu d’un juron qu’on décoche
Et que c’est le cocher qui fit monter le coche ?
Non, non ! elle a plus fait que le gros fouet claqueur,
La petite musique où bourdonnait un cœur !
Oui… mais…
C’est l’heure de conduire au bord de l’eau vos oies,
Messieurs les Jars !
Vraiment, vous croyez ?
Trêve aux cacardements oisifs et pateaugeards !
Toi, vieux Poulet, tu sais qu’il faut que tu ramasses
Avant ce soir au moins tes trente-deux limaces !
— Toi, futur Coq, va-t’en chanter « Cocorico »
Quatre cents fois devant l’écho !
Devant l’écho ?
C’est ainsi que j’appris à m’assouplir la glotte
Quand ma coquille encor me servait de culotte !
Tout ça n’a pas beaucoup d’intérêt…
Veuillez aller couver les œufs qu’on vous donna !
Toi, va sous la verveine et sous la potentille
Gober tout ce qui ronge ! Ah ! ah ! si la chenille
Croit qu’on va de nos fleurs lui faire des cadeaux,
Elle peut se brosser le ventre… avec son dos !
Toi, va sauver les choux qu’en de vieux coins incultes
La sauterelle assiège avec ses catapultes !
Vous…
Tiens ! bonjour, nounou !…
J’ai grandi ?
Il faut que la grenouille émerge du têtard !
Oui.
Picorer dans les prés.
Viens-tu ?
Moi, pour voir le Coucou !
Vous avez l’air de vous aligner en boudant ?
Coq…
Quoi ?
Moi que vous préférez…
Chut !
De ne pas savoir…
Coq…
Quoi ?
Moi, la favorite…
Chut !
Je voudrais savoir…
Coq…
Quoi ?
Pour moi…
Chut !
Dis-le-moi…
…Le secret.
…De ton chant ?
Je crois que vous devez avoir dans la trachée
Une petite chose en cuivre.
Oui, bien cachée.
Vous devez, comme on dit que font les grands ténors,
Avaler des œufs frais.
Fichtre ! Ugolin, alors ?
Peut-être que, vidant leurs coques en spirales,
Tu mets les escargots en pâtes…
Oui.
Coq !
Allez !
Deux mots !
Apparaissant, disparaissant, reparaissant,
Auront, là-bas, parmi la sauge et la bourrache,
L’air de coquelicots jouant à cache-cache,
Ne faites pas de mal aux vrais coquelicots !
Les bergères, comptant les mailles des tricots,
Marchent sur l’herbe, sans savoir qu’il est infâme
D’écraser une fleur même avec une femme :
Vous, mes Poules, soyez pleines de soins touchants
Pour ces fleurs dont le crime est de pousser aux champs
La carotte sauvage a le droit d’être belle.
Si sur la plate-forme exquise d’une ombelle
Marche un insecte rouge et pointillé de noir,
Cueillez le promeneur, mais non le promenoir !
Les fleurs d’un même champ sont des sœurs, il me semble,
Qui doivent sous la faulx tomber toutes ensemble.
Allez !
Et, vous savez, quand les poules vont aux…
Champs…
La première…
Va devant !
Allez !
Deux mots
Jamais en traversant la route on ne picore !
— Vous pouvez traverser !
Pouh ! pouh ! pouh !
Pas encore !
Pouh ! pouh ! pouh !
Attendez !
Pouh ! pouh ! pouh !
À présent !
On n’a pas pu me voir !
Tout ce qu’on va manger va sentir le pétrole !
Scène III
Non, je n’appuierai pas sur une âme frivole
Ce secret dont la gloire est plus lourde qu’un roc.
Moi-même, oublions-le !
Soyons gai d’être Coq !
Je suis beau. Je suis fier. Je marche. Je m’arrête.
J’esquisse une gambade ou de brusques écarts !
Et parfois il advient que par quelque amourette
Je scandalise la charrette
Qui lève au ciel ses deux brancards !
À demain les soucis ! Mâchonnons un brin d’orge !
Soyons gai ! Ce que j’ai sur la tête et sous l’œil
Est plus rouge, lorsqu’en marchant je me rengorge,
Que le foulard d’un rouge-gorge
Ou que le gilet d’un bouvreuil !
Il fait beau. Tout va bien. Je fanfare et je fringue.
Ayant fait mon devoir, je peux prendre cet air
Que mon ami le Merle appelle « à la Mélingue » ;
Et, mousquetaire et camerlingue,
Je peux…
Prends garde, Chantecler !
Quel est donc l’animal qui m’a crié : « Prends garde ? »
Scène IV
Moi ! moi !
Qui sors de l’ombre avec des pailles dans les yeux ?
Oui ! pour voir dans les tiens des poutrrrres !
Furieux ?
Rrrr…
Quand il roule l’R, il est très en colère !
C’est par amour pour toi que je la roule, l’Rrrr…
Gardien de la maison, du jardin et du champ,
Ce que je dois surtout protéger, c’est ton chant !
Et je grogne au danger. C’est mon humeur.
De dogue !
Tu fais des mots ? Ça va très mal ! Le psychologue
Que je suis sent le mal s’accroître.
D’un ratier !
Tu n’es pas un ratier.
Qu’en savons-nous ?
Au fait, qu’es-tu ?
Je suis le chien total, fils de tous les passants !
J’entends japper en moi la voix de tous les sangs :
Griffons, mastiffs, briquets d’Artois ou de Saintonge,
Mon âme est une meute assise en rond, qui songe !
Coq, je suis tous les chiens, je les ai tous été.
Ça doit faire une somme énorme de bonté !
Vois-tu, nous sommes faits pour nous entendre, frère !
Tu chantes le soleil et tu grattes la terre :
Moi, quand je veux m’offrir un instant sans pareil…
Tu te couches par terre et tu dors au soleil !
Oui !
Cette double amour nous fut toujours commune !
Et j’adore à ce point le sol que, tout le temps,
Je fais des trous pour y fourrer mon nez dedans !
Je sais ! Cela désole assez la jardinière !
— Mais quels dangers vois-tu ? Tout est calme et lumière,
Mon règne humble et doré n’a pas l’air menacé.
L’œuf a l’air d’être en marbre avant d’être cassé !
Quels dangers ?
Ils sont deux. D’abord, dans cette cage…
Eh bien ?
Ce sifflotis.
Que fait-il ?
Il saccage !
Quoi ?
Tout !
Ah ! diable !
É…on !
Et puis ce cri.
É…on !
… Plus faux à lui tout seul que tout un orphéon !
Que t’ont fait ce siffleur et ce preneur de poses ?
Ils m’ont fait que je sais qu’ils te feront des choses !
Ils m’ont fait que chez nous, bons et purs animaux,
Le Paon fait de l’esbroufe et le Merle des mots !
Que l’un, avec les goûts grotesques et postiches
Qu’il prit en paradant sur des perrons trop riches,
L’autre, avec le jargon nonchalamment voyou
Qu’il dut prendre en allant traîner je ne sais où,
L’un, commis voyageur du rire qui corrode,
Et l’autre, ambassadeur stupide de la Mode,
Chargés d’éteindre ici l’amour et le travail,
L’un à coups de sifflet, l’autre à coups d’éventail,
Ils nous ont apporté dans la lumière blonde
Ces deux fléaux, qui sont les plus tristes du monde :
Le mot qui veut toujours être le mot d’esprit,
Le cri qui veut toujours être le dernier cri !
— Toi qui sus préférer le vrai grain à la perle,
Comment te laisses-tu prendre à ce… vilain Merle ?
Un oiseau qui travaille un air !
Il siffle un air !
Ou…i. Mais pas jusqu’à la fin !
Il est léger !
Un oiseau qui consent à faire du trapèze !
Et puis, voyons, il est intelligent
Mais pas très : car son œil n’est jamais ébloui.
Il a, devant la fleur, dont il voit trop la tige,
Le regard qui restreint et le mot qui mitige.
Mon cher, il a du goût.
Être noir, c’est avoir à coup trop sûr du goût :
Il faut savoir risquer des couleurs sur son aile !
Enfin… sa fantaisie est assez personnelle.
Il est très drôle.
Quelques locutions qui remplacent l’esprit ?
Qu’il croit inaugurer des syntaxes alertes,
Et qu’il dit : « On est des » pour : « Je suis un » ? Non, certes !
Il a de l’imprévu.
Je ne crois pas qu’il soit extrêmement sorcier
De dire, lorsqu’on voit une vache qui broute :
« La vache la connaît dans les foins » ; et je doute
Que d’un particulier génie on ait besoin
Pour répondre au canard : « Ça t’en bouche un coin-coin ! »
La blague de ce Merle à qui je suis hostile
N’est pas plus de l’esprit que son argot du style !
Il n’est pas tout à fait responsable. Il subit
Son costume moderne.
Ah ?
Il a l’air, dans son frac d’une coupe gentille…
Du petit croque-mort de la Foi, qui sautille.
Là ! tu le fais plus noir qu’il n’est.
Que le merle siffleur n’est qu’un corbeau manqué.
Oui, mais sa petitesse…
Le mal, pour commencer, crée un petit modèle.
Ne prends pas des essais pour des diminutifs :
L’âme des coutelas rêve dans les canifs ;
Le merle et le corbeau sont faits du même crêpe,
Et, jaune et noir, le tigre est déjà dans la guêpe !
Bref, le Merle est méchant, il est bête, il est laid…
Il est surtout… que l’on ne sait pas ce qu’il est.
Pense-t-il un instant ? Sent-il une minute ?
Tu ! tu ! tu !
Mais quel mal fait-il ?
Et rien n’est plus fatal, pour qui pense et qui sent,
Que ce vil tu tu tu complexe et réticent !
Oui, chaque jour — voilà pourquoi je roule l’Rrrr —
J’entends baisser les cœurs et le vocabulaire
Ah ! c’est à devenir enragé !
Mais, Patou !…
Selon leur mot ignoble, on rigole de tout ;
Et moi, qui ne suis pas cependant un king Charles,
Quand je dis quelque chose on me répond : « Tu parles ! »
Oh ! fuir ! suivre un berger qui n’a rien dans son sac !
Mais, du moins, quand la nuit on lape l’eau du lac,
Avoir — ce qui vaut mieux que tous les os à moelles —
La fraîche illusion de boire les étoiles !
a baissé la voix.
Pourquoi parles-tu bas ?
Quand on parle d’étoile il faut baisser la voix.
Voyons !
Je crierai si je veux.
Étoiles !…
Nom d’un homme !
Étoile ! — À nous l’azur ! — Étoile !
On entendra bientôt siffloter les poulets !
Que m’importe ! Je chante ! et j’ai pour moi les poules !
Tu cueilles trop le prix de tes cocoricos
Sur des becs !
Mais l’amour, c’est la gloire en bécots !
Moi, je fus jeune aussi. J’eus ma beauté du diable…
Un œil incendiaire, un cœur incendiable.
Eh bien, je fus trompé. Pour un autre plus beau ?
Non ! elles m’ont trompé pour un sale cabot !
Trompé pour qui ? pour qui ? Le sais tu ?
Tu m’effrayes !
Pour un basset qui se marchait sur les oreilles !
à travers les barreaux de sa cage.
Comment ! il crie encore à propos du basset ?
Eh bien, quoi ? tu le fus ! L’être, qu’est-ce que c’est ?
On l’est tous ! C’est la négligeable contingence !
Et moi-même, malgré ma vive intelligence,
Tout en noir, mais trahi par mon bec jaune d’œuf,
Je ne suis qu’un cocu qui veut passer pour veuf !
Cette plaisanterie est au moins singulière.
Il est certains sujets, pourtant…
La muselière !
Mais toi qui te permets là-haut de tout railler,
Qu’es-tu donc ?
Je suis le titi du poulailler.
Et tu lui porteras malheur !
Je descends !
il descend de sa cage.
On se tord, n’est-ce pas, les glycines ?
Rrrr…
Chut ! c’est un ami !
… Qui t’arrange en dessous !
On apprend du joli quand on parle de vous !
Qui touche un bois pourri voit sortir des cloportes !
Il fait des mots sur toi.
Ah ! bon chien, tu rapportes ?
Il dit, lorsque ton cœur s’épuise en cris ardents,
Que c’est pour nous scier que ta crête a des dents !
Tu dis ça ?
Que veux-tu ? ça ne peut pas te nuire,
Et les mots que l’on fait sur toi font toujours rire !
Enfin, admirez-vous ou raillez-vous le Coq ?
Je le blague en détail, mais je l’admire en bloc.
Tu picores toujours deux grains.
J’ai deux soucoupes !
Moi, je suis plus tranchant !
Tu n’es qu’un vieux barbet de Quarante-Huit ! — Moi,
Je suis, dame ! un oiseau très averti.
— File ! ou ton croupion de noir deviendra rose.
Maintenant il est averti de quelque chose !
Calme-toi ! C’est un air qu’il prend ! La vérité,
C’est que, s’il était mis devant de la beauté,
Ce Merle applaudirait !
certes !
Qu’attendre d’un oiseau dont la cage est ouverte,
Qui voit le chèvrefeuille et le sempervirens,
Et rentre pour manger un vieux biscuit de Reims !
Il n’a pas l’air de s’en douter une minute :
Le pâle braconnier n’est qu’une sombre brute !
Je sais que les sous-bois sont pleins d’un or léger !
Oui : mais en un plomb vil cet or peut se changer.
La grive est un oiseau si grivois qu’il s’esbigne
De peur d’être rôti dans des feuilles de vigne ;
Alors, faute de grive… Hé !… Il serait fâcheux
Que je fusse fauché par un vieux Lefaucheux !
Le grand cerf trouve-t-il sa forêt moins superbe
Parce que son sabot rencontre un soir dans l’herbe
Un débris de cartouche en train de se rouiller ?
Non, mon vieux… mais le cerf n’est qu’un grand andouiller !
Oh !… Mais la liberté, sous l’œil des violettes !
L’amour !
Et qui ne valent pas mon trapèze en bois neuf !
Ô ma cage ! signons le joyeux ; trois-six-neuf.
On est des ducs ; on a de l’eau filtrée à boire ;
Et tu peux m’envoyer au bain : j’ai ma baignoire !
Ah ! pourquoi donc toujours descendre à des argots ?
C’est pour vous faire un peu grimper sur des ergots.
Rrrr… De cette présence il est urgent qu’on purge…
On ne dit pas : « Il est urgent » ; on dit : « Il urge ! »
Qu’est-ce que tous ces mots ?
J’ai connu dans le temps un moineau parisien :
On parle comme ça rue Auber ou Saint-George !
Moi, j’ai beaucoup connu le petit rouge-gorge
Qui fut pendant longtemps l’ami de Michelet :
Ce n’était pas du tout comme ça qu’il parlait !
Que veux-tu ? j’ai l’esprit que mon siècle m’insuffle,
Et tout bec un peu chic se doit d’être un peu mufle !
Les voilà, leurs deux mots ! J’écume ! Ce loustic
Apporta le mot « mufle » et le Paon le mot « chic » !
Oh ! le Paon !
Oui, le Paon !
Les vois-tu, les écumes ?
Le Paon, qu’est-ce qu’il fait ?
De l’œil avec ses plumes !
Son dandysme a troublé d’humbles cœurs plébéiens !
À quoi vois-tu son influence ?
À mille riens !
La bulle de savon qui descend les rivières
Nous apprend qu’il y a, plus haut, des lavandières.
Je n’ai pas encor vu la moindre bulle qui…
Tiens, vois ce cochon d’Inde.
Il est jaune.
Kaki !
Ka ?…
Une bulle !…
Et ce canard qui déambule…
Il va prendre son bain.
Mon tub !
Son ?…
Une bulle !
Coucou !
vers la chatière.
Enfin, je vais le voir !
Hélas ! c’est trop tard !
Bis !
Hein ?
Il ne sonne plus !
C’était une demie !
Vous n’êtes pas aux champs ?
Dieu !
Là, dans cette chatière ?
Oh ! j’allongeais le cou…
Pour voir qui ?
Oh !
Qui ?
Oh !
Avouez !
Le Coucou !
Vous l’aimez ? Pourquoi donc ?
Il est Suisse !
Une bulle
C’est un penseur ! Il sort…
Elle aime une pendule !
Il sort toujours à la même heure, comme Kant !
Comme quoi ?
Comme Kant !
Ça, c’est estomaquant !
Allez-vous-en !
Fichez le Kant !
Où donc a-t-elle appris que Kant ?…
Chez la Pintade.
Cette vieille Pintade aux cris hurluberlus
Qui se plâtre le bec…
A pris un jour !
De plus ?
Non, de réception.
De réc ?… Où reçoit-elle ?
Mais dans un coin du potager
De cet homme de paille au vieux gibus infect.
L’Épouvantail ?
Oui. Grâce à lui, c’est plus sélect !
Comment ?
Tous les petits oiseaux dénués d’importance.
Les parents pauvres, ça fait mal dans un salon.
Le jour de la Pintade !
Une bulle !
Un ballon !
Le lundi !
Que fait-on chez cette folle ?
Le Dindonneau se lance et le Poussin se pousse.
De cinq à six.
Le soir ?
Non, le matin.
Comment ?
Tu comprends, il fallait profiter d’un moment
Où le jardin est vide, et que ce fût quand même
Un five o’clock. Alors, on a pris l’heure blême
Où le vieux jardinier va chez le mastroquet
Et pour tuer un ver étouffe un perroquet.
C’est fou !
Totalement.
Tu y vas !
Il y va ?
J’y vais. On m’y admire.
Et je crains…
Que dis-tu dans ton faux col de clous ?
… Que quelque poule un jour t’y fasse aller.
Moi ?
Vous !
Moi ?
Par le bout du bec !
Moi ?
Nouvelle, c’est plus fort que toi, tu perds la boule !
Tu te mets à tourner.
Et tu fais : « Cô… »
Est-il bête, cet oiseau-là !
Ton aile pend… Ton pied dessine une chaconne…
Ah ! je n’aime pas ça !
Le grand Jules braconne.
Chien, ça t’excite ?
Oui… ça me…
Non !
Tu t’attendris ?
Oh ! c’est affreux ! Peut-être une pauvre perdrix !…
Tiens ! l’âge a mis de l’eau…
Dans mes yeux !
Tu donnes des accès d’animalitarisme !
Non, mais j’ai plusieurs chiens en moi. Je lutte un peu.
Ma truffe d’épagneul se dresse aux coups de feu.
Mais alors, avec ma mémoire de caniche,
J’évoque une aile en sang, un œil mourant de biche,
Ce que met un lapin dans son dernier regard…
Et je sens s’éveiller mon cœur de Saint-Bernard !
Encor !
Scène V
et tombant, affolé, dans la cour.
Cachez-moi !
Ciel !
Un faisan doré !
Pas le grand Chantecler ?
Faut-il qu’on le connaisse !
Sauvez-moi, si c’est vous !
C’est moi. Fiez-vous-en…
Ah ! mon Dieu !
Mais c’est très nerveux, un coq faisan !
Je n’en peux plus ! J’ai trop couru !
V’lan ! la syncope !
De l’eau ! C’est qu’on a peur de l’abimer !
De l’eau !
On me poursuit ! Ah ! cachez-moi !
C’est du mélo !
Comment diable a-t-on pu vous manquer ?
Le chasseur n’attendait qu’une alouette grise.
En me voyant partir, il a dit : « Sacrebleu ! »
Il n’a vu que de l’or. Je n’ai vu que du feu !
Mais le chien me poursuit, un affreux chien…
… de chasse !
Cachez-moi !
Où le cacher ? — Monsieur… Seigneur… Noble étranger…
— Où cacher l’arc-en-ciel s’il était en danger ?
Là, près du petit banc qui supporte deux ruches,
J’habite un chalet vert qu’on cale avec des bûches :
Entrez !
Un bout dépasse encor, là… Je m’assois dessus !
Bonjour !
Hum ! bonne odeur !
Soupe à la paysanne !
Dis donc, tu n’as pas vu passer une faisane ?
Une faisane ?
Avec son air de vieil Anglais très comme il faut !
Non. Mais j’ai vu passer un faisan.
C’était elle !
La faisane a toujours une robe isabelle.
C’était un faisan d’or. Il a pris par le pré.
C’est elle !
Une faisane à plumage doré ?
Ah ! vous ne savez pas ce qui parfois se passe ?
Non.
Il va raconter une histoire de chasse !
Il arrive parfois… — C’est exceptionnel :
Mon maître dit qu’il a lu ça dans Toussenel. —
Il advient… — C’est un fait très extraordinaire
Que l’on remarque aussi chez les coqs de bruyère. —
Il advient…
Quoi ?
Que la faisane… ah ! mes amis.
Mais quoi donc ?
Quand le mâle au printemps met ses habits de fête,
Elle voit qu’il est plus beau qu’elle…
Ça l’embête !
Elle cesse de pondre et de couver. Alors,
La Nature lui rend les pourpres et les ors,
Et la faisane, libre et superbe amazone,
Fuit, préférant avoir du bleu, du vert, du jaune,
Et toutes les couleurs du prisme sur son dos,
Que, sous une aile grise, avoir des faisandeaux.
Dame ! elle s’affranchit des vertus de son sexe !
Elle vit !…
Qu’en sais-tu, d’abord ?
Quoi ?… ça le vexe ?
Déjà ?
Bref, ce faisan que ton patron rata ?
C’était une faisane !
Oh ! mais…
C’est mon rata !
Il sent très bon.
Je n’aime pas quand il renifle.
Figurez-vous qu’un jour…
Encore une !
On te siffle !
Diable ! Bonsoir.
Bonsoir !
Enfin, parti !
Briffaut !
Dieu ! que fais-tu ?
Je veux te dire un mot.
Un mot ?
Oui. Prends garde, Briffaut !
De nos peurs tu te joues !
Car tu vas perdre quelque chose.
Quoi ?
Tes joues !
Hon !…
Scène VI
LE CHAT, toujours endormi sur le mur,
LA VIEILLE POULE dans son panier.
où il est remonté, voit par-dessus le mur.
Il est loin ?
Très loin !
Sortez, Madame !
Révoltée, affranchie, oui… comme a dit ce chien !
Mais de très grande race, et fière autant que franche,
Et faisane des bois !
Fichtre ! elle a de la branche !
J’habite la forêt où braconne…
Qui voulait enchâsser du plomb dans un bijou !
Sous le feuillage épais que le soleil transperce,
Je vis ! Mais c’est d’ailleurs que je viens. D’où ? De Perse ?
De Chine ? On ne sait pas ! Mais on peut être sûr
Que j’étais faite pour chatoyer dans l’azur
Parmi les thuyas verts gonflés de sandaraque,
Et non pour fuir sous des ronciers, devant un braque !
Suis-je l’ancien Phénix ou la poule Kin-Ky ?
D’où fus-je rapportée ? et comment ? et par qui ?
La Fable tergiverse et m’offre un choix splendide.
C’est pourquoi je choisis d’être née en Colchide
D’où j’ai dû revenir sur le poing de Jason !
Je suis en or. C’est moi, peut-être, la Toison !
Qui, vous ?
Moi, le Faisan !
La Faisane.
Car je la représente, ayant pris la cuirasse
De pourpre. Oui, ce destin que longtemps je subis
D’être une feuille morte à côté d’un rubis
M’ayant un jour semblé décidément trop pâle,
J’ai volé son plumage éblouissant au mâle.
Et j’ai bien fait, car je le porte mieux que lui !
La palatine d’or sur moi se gonfle et luit ;
J’ai donné plus de grâce à la verte épaulette,
Et d’un simple uniforme ai fait une toilette !
Mais c’est qu’elle est étourdissante !
Il ne va pourtant pas aimer un travesti !
Il faut absolument prévenir la Pintade
Qu’il passe un oiseau d’or ! Elle en sera malade !
Elle va l’inviter !
Je m’en vais faire un tour.
Vous venez d’Orient, alors, comme le Jour ?
Ma vie a le désordre amusant d’un poème.
Si je vins d’Orient, ce fut par la Bohème !
Bohémienne !
Il n’y a que l’Aurore et moi qui les portons !
Princesse des sous-bois et Reine des clairières,
J’ai le jaune chignon qu’ont les aventurières.
Nostalgique, j’ai pris pour palais palpitants
Les iris desséchés qui bordent les étangs.
J’adore la forêt, et lorsque, septembrale,
Elle sent le bois mort…
C’est une cérébrale !
… Folle comme une branche un jour de siroco,
Je m’agite, je vibre et je m’énerve.
CHANTECLER, qui depuis un instant commence à laisser traîner son aile,
se met à tourner (comme faisait tout à l’heure le Merle en l’imitant),
et fait son bruit de gorge, très doux.
Cô…
Cô…
Que si c’est pour moi…
Quoi ?
L’aile qui pend, le « Cô… »
Mais je…
Seulement, ça ne me fait pas le moindre effet.
Madame…
Il n’est pas une poule au monde qui ne lustre
Ses plumes dans l’espoir — certes, des plus touchants, —
De pouvoir vous distraire, un jour, entre deux chants !
On est si sûr de soi que jamais on n’hésite,
Même quand la personne est chez vous en visite
Et n’est pas tout à fait la poule en jupon court
À laquelle on peut faire un doigt… de basse-cour.
Mais…
Puis, pour moi, comme coq, vous êtes trop… en pâte.
En pâte ?
Serait un coq sans gloire à qui je serais tout.
Mais…
Aimer un grand Coq, — je ne suis pas si femme !
Mais… nous pouvons au moins nous promener, Madame !
Oui, comme deux amis.
Deux amis.
Deux poulets.
Très vieux.
Oh ! non, pas vieux !… Très laids !
Oh ! non, pas laid
Voulez-vous visiter la cour ?… Prenez mon aile.
Voyons !
L’abreuvoir siphoïde en fer galvanisé.
Mais tout le reste est beau, noble, charmant, usé
Le toit du poulailler, la porte de l’étable…
La Pintade est dans un état épouvantable !
Vous vivez là tranquille et sans rien craindre ?
Car le propriétaire est un végétarien.
C’est un homme étonnant. Il adore les bêtes.
Il leur donne des noms qu’il prend dans les poètes :
Ça, c’est l’âne, Midas ; ça, la génisse, Io.
C’est ce que nous nommons le tour du proprio.
Et ça ?
L’oiseau d’esprit.
Que fait-il ?
Il s’occupe.
À quoi donc ?
C’est un très gros travail.
Peut-être, mais bien laid.
Eh ! va donc, romantique !… Elle l’a, le gilet !
La meule. Le vieux mur. Le mur, lorsque je chante,
En bave des lézards ; la meule est plus penchante.
Je chante à cette place où j’ai gratté le sol,
Et, lorsque j’ai chanté, je bois dans ce vieux bol.
Mais votre chant a donc une importance ?
Grande.
Pourquoi ?
C’est mon secret.
Si je vous le demande ?
un tas de branches liées dans un coin.
Mes amis les fagots !
— C’est donc vrai, ce qu’on dit ? Vous avez un secret ?
Oui, Madame.
Je sens que l’insistance est vaine.
Et, d’ici, vous verrez le reste du domaine
Jusques au potager où l’on traîne le soir
Un serpent qui finit en pomme d’arrosoir.
Comment ! c’est tout ?
C’est tout.
Que le monde a pour borne un carré d’aubergines ?
Non.
Quand passe un vol triangulaire d’émigrants ?
Non.
Mais tous ces objets sont pauvres et moroses !
Moi, je n’en reviens pas du luxe de ces choses !
Tout est toujours pareil, pourtant !
Jamais, sous le soleil, à cause du soleil !
Car Elle change tout !
Elle !… Qui ?
Mais ce géranium planté par la fermière
N’a pas deux fois le même rouge ! Et ce sabot,
Ce vieux sabot crachant de la paille, est-ce beau !
Et le peigne de bois pendu parmi les blouses
Qui garde entre ses dents les cheveux des pelouses !
La vieille fourche en pénitence dans un coin,
Mais qui, dormant debout, fait des rêves de foin !
Les quilles au corset sanglé, ces belles filles
Dont Patou, mal reçu, dérange les quadrilles !
L’énorme boule en bois, vermoulue à demi,
Sur laquelle toujours voyage une fourmi
Qui fait, avec l’orgueil des parcoureurs de mondes,
Son petit tour de boule en quatre-vingts secondes !
Aucun de ces objets n’est pareil deux instants !
Et quant à moi, Madame, il y a bien longtemps
Qu’un râteau dans un coin, une fleur dans un vase
M’ont fait tomber dans une inguérissable extase,
Et que j’ai contracté devant un liseron
Cet émerveillement dont mon œil reste rond !
On sent que vous avez une âme !… Mais une âme
Se forme donc loin de la vie et de son drame,
Derrière un mur de ferme où sommeille un matou ?
Quand on sait regarder et souffrir, on sait tout.
Dans une mort d’insecte on voit tous les désastres.
Un rond d’azur suffit pour voir passer les astres…
Ce qui connaît le mieux le ciel, c’est l’eau du puits !
Ma nourrice.
Ah ! vraiment ?
C’est un beau coq !
C’est un coq pour lequel il existe… autre chose !
Mon cher, c’est une poule avec laquelle on cause !
Scène VII
Ah !…
Nous allons avoir de la Pintade !…
Qu’elle est belle ! On accourt pour vous connaître un peu !
Ah !
Qu’elle marche bien !
Vous marchez comme si vous aviez des ampoules !
Vous marchez comme si vous marchiez sur vos œufs !
Allons, décidément, il est très amoureux !
Le Pintadeau, mon fils !
Elle est d’un blond !…
De beurre !
Rentrez !
Déjà ?
Elles se couchent de bonne heure.
Oui, nous rentrons chez nous.
Tiens ! par un escalier ?
Ma chère, n’est-ce pas, nous allons nous lier ?
Sa toilette de cour la rehausse et l’isole.
Les autres n’ont plus l’air que d’être en camisole !
Je regagne ce soir mes abris forestiers.
Vraiment ?
On chasse encore !
Il faut que vous restiez.
C’est ça ! Jusqu’à demain gardons-la prisonnière !
Mais où passer la nuit ?
Là, dans ma garçonnière.
Moi, dormir sous un toit !
Entrez !
Mais vous, alors !
Oh ! Patou, c’est un nom fait pour coucher dehors !
Restons jusqu’à demain !
Demain !…
Quoi donc ?
Demain, c’est le jour de ma mère !
Ne voudriez-vous pas, tout à fait sans façon,
Venir prendre chez nous un petit limaçon ?
Le Paon…
Plus bas ! Le soir a soufflé sa fumée…
Chacun a-t-il repris sa place accoutumée ?
Le Paon viendra. Nous nous tiendrons dans les cassis !
Les Dindons sont-ils sur leur juc ?
De cinq à six !
Les Canards sont-ils tous dans leur maison pointue ?
Je crois que nous aurons peut-être la Tortue !
Ah ! vraiment ?
Tout le monde est-il bien à l’abri ?
Mais à chaque échelon vous poussez donc un cri ?
Oui, Monsieur. Car il faut…
… Faire tout ce qu’on peut sur la plus humble échelle.
pour qu’elle vienne le lendemain.
La Houdan m’a promis le Coq !
Nous serions fous…
Mais…
Tu viendras !
Non.
Si.
Pourquoi ?
Avez dit non à l’autre.
Ah ?…
Hom !… Je t’en supplie !
Je…
Hom !… Il plie ! On le fera chanter s’il plie !
C’est avec les roseaux qu’on fait les mirlitons !
Je…
Dormons.
Quandoque dormitat…
Dormitons !
Je n’irai pas. Bonsoir.
Bonsoir.
Jusqu’à ce que le ciel soit rose comme… comme…
Un ventre de petit chien…
Cinq à six…
Tu… tu…
Tu…
Tout dort !
Un poussin qui découche ?
Veux-tu !
Faisane ?
Quoi ?
Rien…
Rien !
Vais-je dormir…
Un ventrrre…
… Sous un toit ?… J’ai des goûts plus bohé… mi…
Je rentre.
C’est l’heure de fermer mes… mes…
…Bohémi-ens…
…Mes yeux.
D’ouvrir les miens !
Les miens !
Les miens !
Les miens
Scène VIII
Trois CHATS-HUANTS, puis LA TAUPE
et LA VOIX DU COUCOU.
Deux yeux verts ?…
Six yeux d’or ?…
Sur le mur ?…
Hiboux !
Matou !
Chats !…
Chat !…
…huants !
…miaulant !
Qu’entends-je ?
Grand complot contre lui !
Ce soir ?
Oui ! oui ! oui !
Où ?
Dans les houx ! houx ! houx !
Quelle heure ?
Huit ! huit ! huit !
Chauves-Souris avec lesquelles la nuit jongle !…
Elles sont pour nous ?
Oui.
Taupe dont j’entends l’ongle !…
Elle est pour nous ?
Oui.
Coucou de la petite horloge !
Il est pour nous ?
Oui. — Et même il y a, noirs veilleurs taciturnes,
Quelques oiseaux du jour qui sont pour les Nocturnes !
qui feignait seulement de dormir dans la basse-cour.
C’est ce soir, chers yeux ronds ? Vous irez ?
Nous irons !
Il y aura tous les yeux ronds des environs !
Je voudrais bien voir ça !
Rrrrr…
Le Chien rêve… il gronde !
Cô…
Lui ! lui ! lui !
Fuyez !
Et nous disparaîtrons rien qu’en fermant les yeux !
Tu n’as rien entendu, Merle noir ?
Si, mon vieux !
Hein ?
Le sombre complot !
Ah ?
Contre toi… Frissonne !
Blagueur !
Il est rentré !
Je n’ai trahi personne !
Ce Merle est donc pour nous ?…
Non… mais puis-je aller voir ?
Jamais l’oiseau de nuit ne mange un oiseau noir.
Tu peux venir !
Le mot de passe ?
Ombre et Rapace !
J’étouffe sous le toit de cette maison basse,
Et…
Oh !
Chut !
Rien… Partons !
Bonne chance, Hiboux !
Merci. Mais pourquoi donc êtes-vous tous pour nous ?
Ah ! la nuit fait sortir ce qu’on cache à soi-même !
Je n’aime pas le Coq parce que le Chien l’aime.
Je n’aime pas le Coq, moi, Dindon, propter hoc
Que, l’ayant vu poussin, je ne l’admets pas coq !
Moi, Canard, parce que, comme il n’a pas de toiles
Entre les doigts, il trace en marchant des étoiles !
Je n’aime pas le Coq parce que je suis laid !
Je n’aime pas le Coq parce qu’en violet
Il a son portrait peint dans toutes les assiettes !
Je n’aime pas le Coq parce qu’aux girouettes
Il a sur tous les toits une statue en toc !
Eh bien, et toi, Chapon ?
Je n’aime pas le Coq !
à l’intérieur de la maison.
Coucou !
L’heure !
Coucou !
Partons !
Coucou !
La lune !
Coucou !
Fendons l’air bleu !…
Coucou !
… La terre brune !…
Tiens ! la Taupe !
Coucou !
Toi, pourquoi le hais-tu ?
Je le hais parce que je ne l’ai jamais vu !
Coucou !
Et toi, Coucou, pourquoi, t’en rends-tu compte ?
Parce qu’il n’a jamais besoin qu’on le remonte !
— Coucou !
Et nous n’aimons…
On doit nous réclamer…
… Pas le Coq parce que…
Je commence à l’aimer !