Chants de l’Atlantique suivis de Le ciel des Antilles/01/04

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IV

CHANSONS D’UN ANACHORÈTE


Day after day, week after week,
Month after month, year after year.
L. S.


I

CHANSON DE L’IMPOSSIBLE


Un soir, on voudrait être Heine,
Un autre soir Poe,
On voudrait être un capitaine
Aux îles Féroé.

Devenir six mois un beau Lord
Ou l’Adonis des Halles,
Un fin sportsman au maillot d’or
Ou le prince de Galles.


Connaître les plus beaux pays :
Leurs fleurs et leurs visages.
Passer le printemps à Paris,
L’hiver chez les sauvages.

De changer sa vie un mortel
N’a pas beaucoup de chance.
Il faut rester « Monsieur un Tel »
Toute son existence.


II

CHANSON DU GRILLON


Mon grillon familier crisse dans ma maison ;
Et c’est un petit cœur sincère,
Mélancolique et solitaire,
Qu’enivre la saison.

Il me faut négliger la plume et le poème
Pour écouter ses chants.
C’est l’odeur des fleurs que l’on aime,
C’est le parfum des champs.


III

AU GRILLON


Petit grillon, chantre des soirs,
Vous évoquez Toulouse
Et Pech-David et la pelouse
Et mes plus beaux espoirs.

Petit grillon, chantez encore
Pour moi votre chanson ;
J’aime le frêle petit son,
Doux insecte sonore.

Sur le balcon, près de la rose,
Vous célébrez l’azur.
Pour un cœur devenu morose
C’est le chant le plus pur.


IV

CHANSON DU BEAU SPORTSMAN


La rose est morte d’avoir vu
Tout un jour la lumière.
Et, vieux vin d’Espagne, on t’a bu
Pour la fête d’Hilaire.


Le poète n’a plus vingt ans
Et ce n’est plus la joie,
Quand il redit aux grands enfants
Les contes de Mère L’Oie.

Tous sont partis pour la pelouse.
Au foot-ball joue un lord…
Qu’ils sont loin les soirs de Toulouse
Et mon bel âge d’or !


V

CHANSON DE L’ENFANT MORT


Je suis seul et mon cœur médite
Loin du monde agité.
Où sont Louis, Jean et Marguerite ?
— Compagnons de l’été ? —

J’ai connu des Îles exquises
Du levant au ponant.
Seigneur ! pardonnez mes méprises.
Je suis si repentant.


L’île vraiment la plus jolie,
Je la vis dans les yeux
— Couleur de lin et d’ancolie —
De mon enfant joyeux.

Mais cette île fut éphémère,
Elle n’eut pas de nom.
Mon enfant n’est plus que poussière,
Mon enfant au doux front !


VI

CHANSON DE L’AMI


Si j’avais quelqu’un sur la terre
Qui m’aime encor vraiment ;
Je confesserais ma misère,
Je lui dirais mon grand tourment.

Il unirait son cœur d’artiste,
Son faible cœur au mien ;
Deux chiens noirs hurleraient au loin,
Sous une étoile triste.



VII

CHANSON DU RADIO


À mon voisin le Radio
Porte les concerts d’Amérique.
Mon âme entend l’adagio
Des vieux grillons grecs du Portique.

Qu’il est sensible le beau fil
Qui relie un cœur de poète
À l’Univers ; ce cœur fût-il
Celui d’un pauvre anachorète !


LA FIÈVRE


J’entends chanter dans mon cerveau
Les rivières de la quinine.


À midi, des frissons passèrent sur ma peau
Et ma chair a senti le grand froid de la fièvre.
Mes yeux brûlent, la soif me dessèche la lèvre.
Je cherche en mon hamac l’impossible repos…

Une étoile de sang brille. La nue est grise.
L’astre perce un trou d’or dans un arbre à pain noir.
La touffe d’un palmier que tourmente la brise,
Me semble une araignée immense au fond du soir…

Un lugubre ramier roucoule sous la lune ;
Et je songe soudain à la pire infortune.
Seigneur, faites cesser ce chant qui me fait peur.

La transpiration me délivre et, plus crâne,
J’entends les sourds marteaux du sang battre en mon crâne
Et galoper les chevaux ivres de mon cœur.