Chants et chansons populaires de la France/Monsieur et Madame Denis
Pour les autres éditions de ce texte, voir Souvenirs nocturnes de deux époux du dix-septième siècle.
MONSIEUR ET MADAME DENIS
NOTICE.
Cette ingénieuse bouffonnerie dialoguée est une des plus piquantes productions de la joyeuse verve de Désaugiers ; ce Désaugiers qui était né chansonnier, comme Lafontaine était né fablier. Si le mot de succès populaire n’eût pas existé, il eût fallu le créer pour cette chanson modèle ; l’enseigne de la rue, le devant de cheminée, l’éventail, la tabatière, tout offrit dans le temps les portraits de Monsieur et Madame Denis, nombreuses copies du tableau-chantant où ils avaient été peints de main de maître.
Quoique la chanson fût déjà elle-même une sorte de petite comédie, le théâtre ne manqua pas de s’en emparer. Le public accueillit une bluette dont elle fournit le sujet au théâtre de la Gaîté ; il courut longtemps applaudir le spirituel vaudeville du théâtre des Variétés, où Désaugiers s’était fait à lui-même un fort heureux emprunt. On peut dire qu’il avait donné une nouvelle teinte de comique à ses personnages dans cette spirituelle folie, dont tout le monde a retenu ces deux vers originaux :
Deux vieux époux sont deux tisons,
Qui ne brûlent plus, mais qui fument.
Enfin, lorsqu’il y a quelques années Théaulon rendit un spirituel hommage à l’auteur qu’il est allé trop tôt rejoindre, dans son vaudeville intitulé les Chansons de Désaugiers, la scène de Monsieur et Madame Denis fut une de celles qui excitèrent les bravos les plus vifs et le rire le plus franc.
Malgré leur succès, toutes ces pièces ont disparu, mais la chanson originale leur survit et leur survivra longtemps. Elle méritait une des premières places dans notre Musée populaire, car MONSIEUR ET MADAME DENIS resteront comme un de ces TYPES qu’à l’exemple de la comédie la chanson est fière d’avoir créés.
SOUVENIRS NOCTURNES DE DEUX ÉPOUX
DU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE.
Il avait plu toute la journée ; et n’ayant pu aller le soir faire leur partie de loto chez madame Caquet, sage-femme, rue des Martyrs, Monsieur et Madame Denis s’étaient couchés de bonne heure. Au bout de vingt-trois minutes, Madame Denis, qui ne dormait pas, impatientée du silence obstiné de son mari, qui n’avait pas cessé de lui tourner le dos, soupira trois fois, et prit la parole :
Madame Denis. Quoi ! vous ne me dites rien ? Monsieur Denis, se retournant. Mais, m’amour, j’ai sur le corps Madame Denis, se ravisant. C’est de vous qu’en sept cent un
Monsieur Denis. En mil sept cent deux, mon cœur Madame Denis. On nous maria, je crois, Monsieur Denis, se mettant sur séant. Comme j’étais étoffé ! Madame Denis, s’asseyant de même. Comme vous étiez coiffé ! Monsieur Denis. Habit jaune en bouracan ;
Madame Denis. En culotte de velours Monsieur Denis. On ne danse pas toujours. Madame Denis. La nuit, pour ne pas rougir, Monsieur Denis. La nuit, lorsque votre époux Comme vous faisiez l’enfant ! Madame Denis. « Comment avez-vous dormi ? » Monsieur Denis, lui offrant une prise de tabac. Demain, songez s’il vous plaît, Madame Denis, tenant la prise de tabac sous le nez. Quoi ! c’est demain la Saint-Jean ? Monsieur Denis, rentrant dans son lit. Souvenez-vous-en, souvenez-vous-en… Madame Denis, se recouchant. Oui, jolis retours, ma foi ! Encor votre beau discours Madame Denis, minaudant. Que faites-vous donc, mon cœur ? Monsieur Denis. Rien… je me pique d’honneur. Madame Denis. Quel baiser !… il est brûlant… Monsieur Denis, toussant. Souvenez-vous-en, souvenez-vous-en… Madame Denis, rajustant sa cornette. Tendre objet de mes amours, |