Chants populaires de la Basse-Bretagne/Dom Jean Derrien

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Édouard Corfmat (1p. 121-123).


DOM JEAN DERRIEN
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I

— Dom Jean Derrien, vous dormez
Mollement sur la plume, moi je ne le fais point. —

— Qu’est-ce donc à cette heure de la nuit,
Qui fait du bruit à ma porte ? —

— C’est moi, votre mère, Dom Jean Derrien,
Qui suis ici à faire pénitence ;

Qui suis à faire dure pénitence,
Dom Jean Derrien, depuis l’heure de ma mort ! —

— Ma pauvre mère, dites-moi.
Que vous manque-t-il ? —

— Autrefois, quand j’étais dans ce monde-là,
J’avais fait un vœu

D’aller à Saint-Jacques de Turquie ;[1]
La route est longue et c’est bien loin d’ici ! —

— Ma pauvre mère, dites-moi.
Servirait-il d’y aller moi-même ? —

— Oui, cela servirait.
Comme si j’y étais allée moi-même. —

Dom Jean Derrien disait
A son père et à sa sœur, ce jour-là :

— Mon père, ma sœur, si vous m’aimez.
Donnez-moi deux ou trois cents écus ;

Donnez-moi deux ou trois cents écus.
Car j’ai un long voyage à faire. —

— Maintenant donc, que vous êtes prêtre,
Maintenant, mon frère, vous nous quitterez ? —


Je vais à Saint-Jacques de Turquie,
Pour ma mère et la vôtre. —

II

Comme il était en route,
Il rencontra un Turc :

— Choisis ou de renoncer à ta loi,
Ou d’aller dans la mer, la tête la première ! —

— Je ne renoncerai pas à ma loi,
Dussé-je aller dans la mer, la tête la première ! —

Dom Jean Derrien disait,
Au milieu de la grande mer, couché sur le côté :

— Monsieur saint Jean le bienheureux,
Je voulais aller à votre maison :

Je vous ferai un présent.
Qui sera beau, le jour de votre pardon.

Je vous donnerai une ceinture de cire.
Qui fera le tour de toute votre terre ;

Le tour de votre maison et du cimetière,
Et de toute votre terre bénite ;

Qui fera une ou deux fois le tour de votre maison.
Et viendra se nouer au crucifix ! —

A peine avait-il fini de parler.
Qu’il fut rendu dans l’église (àe Saint-Jacques}.

III

Dom Jean Derrien disait,
En arrivant à Saint-Jacques :

— Si j’avais du vin et un calice,
Et quelqu’un pour me répondre la messe ! —

Il n’avait pas fini de parler,
Que vin et calice lui sont arrivés ;

Que vin et calice lui sont arrivés.
Avec un ange pour servir la messe !

Sa messe n’était pas encore terminée.
Que sa mère lui est apparue :

— Courage, mon fils, courage !
Tu as délivré l’âme de ta mère !

Tu as délivré l’âme de ta mère,
Et sauvé la tienne propre ! —

Dom Jean Derrien disait
Ce jour-là, à saint Jacques :


  1. (1) Ce saint Jacques de Turquie, ne serait-ce pas saint Jacques de Compostelle ?