Chants populaires de la Basse-Bretagne/Saint Mathurin de Moncontour
Je vous donnerai une ceinture de cire,
Qui fera trois fois le tour de votre terre ;
Qui fera trois fois le tour de votre cimetière et de
votre chapelle,
Et trois tours à la tige du crucifix ;
Trois tours à la tige du crucifix,
Et viendra allumer sur l’autel ! —
Elle avait à peine fini de parler,
Qu’elle fut transportée sur le rivage de Saint-Jean[1] ;
Avec son enfant sur ses genoux,
Au rivage de Saint-Jean, sur la grève.
L’enfant tenait à la main une branche de varech vert,
Pour montrer qu’il était né dans la grande mer.
Elle l’a caché dans son sein,
Et l’a emporté chez elle.
Et, en arrivant à la maison,
Elle l’a mis dans son lit :
— Reste-là, mon enfant,
Moi, je vais encore à Moncontour,
A pied, sans chaussure et sans bas,
Et sur mes genoux, si je puis résister ! —
En arrivant à Moncontour,
Elle a fait trois fois le tour de l’église ;
Elle a fait trois fois le tour de l’église,
Et on aurait pu la suivre aux traces de son sang ;
De ses genoux coulait le sang,
Et de ses yeux tombaient les larmes !
— Monsieur saint Mathurin le bienheureux,
Je ne puis entrer dans votre maison,
Car bien closes sont vos portes,
Et vos fenêtres aussi —
Elle avait à peine fini de parler,
Que les cloches se sont mises à sonner ;
Et tout le monde disait dans le pays :
— Encore quelque nouveau miracle !
Encore quelque nouveau miracle,
Saint Mathurin en fait tous les jours ! —
La porte principale a été ouverte,
Et la procession est venue la prendre ;
La procession est venue la prendre,
Et son cœur s’est brisé !
Que Dieu pardonne à son âme,
Son pauvre corps est sur les tréteaux funèbres [1][2] !
Elle est ensevelie et mise au tombeau,
Et la bénédiction de Dieu soit sur son âme[3] !
Plouaret, 1847.
Mathurine Troadec disait
A son père et à sa mère, un jour :
— Mon père, et ma mère, si vous m’aimez,
Vous ne m’enverrez pas au pardon de Saint-Jean ;
Mon esprit me donne à croire
Que si je vais sur la mer, je serai noyée. —
— Le trouve mauvais qui voudra,
Vous irez au pardon de Saint-Jean ;
Vous irez au pardon de Saint-Jean du Doigt,
Pour faire voir son fils au marquis. —
— Viens, mon enfant, que je t’habille,
Car jamais plus je ne te déshabillerai !
Je vais mettre mon corset,
Et le lacer avec un ruban ;
Je vais mettre ma robe blanche,
Et mon tablier de taffetas jaune ;
Mon tablier de taffetas jaune,
Jamais plus je ne l’oterai !
Adieu, mon mari, et tous les gens de la maison,
Car jamais plus je ne vous reverrai ! —
- ↑ (1) Saint-Jean du Doigt, arrondissement de Morlaix.
- ↑ [1] Ce mot est composé de maro et de skaonv, mortis scamnum, mot à mot : escabeau de la mort, tréteaux funèbres.
- ↑ (1) Ces quatre derniers vers sont une formule qu’on rencontre fréquemment dans nos chants populaires, et que le chanteur ajoute souvent de sa propre
autorité. L’auditoire y répond ordinairement : Amen !