Chants populaires de la Basse-Bretagne/La Religieuse

La bibliothèque libre.



LA RELIGIEUSE
________


I

Il y a trois nuits que je n’ai dormi goutte,
Et cette nuit je ne le ferai pas encore,
(Je ne fais) qu’embrasser mon oreiller,
Et songer que mon doux (ami) est près de moi.[1]
………………………………………………………………

II

Elle n’était âgée que de treize ans,
Quand elle eut un chapelet,
Un chapelet de cinq dizaines,
Pour le porter en l’honneur de la Vierge.

Une chapelle était près d’elle (de sa demeure),
Nommée la chapelle du Mur-Blanc,[2]
Et elle songea dans son cœur,
À s’y rendre, pour prier.

Un jeune clerc, en passant,
Remarqua la lumière ;
Remarqua la lumière
De Marie en prière.

Et il lui prit la fantaisie
D’aller lui parler, dans la chapelle :
— Salut à vous, ma douce Marie,
Voudriez-vous venir à la maison avec moi ?

— Oh ! oui, dit-elle, mon serviteur ;
Puisque vous êtes arrivé, j’irai à la maison ;
Pour une fois je ne vous refuserai pas.
Mais je vous en prie, une autre fois ne venez pas.

Comme ils allaient par le chemin,
Il lui donna une bague :
— Je ne prendrai pas de bague, aujourd’hui,
Ni n’en mettrai sur mes doigts ;



  Si ce n’est l’anneau de la part de Dieu
Qui est entre nous, nuit et jour.
Comme ils allaient par le chemin,
Il s’élève entr’eux des propos de fiançailles.

  — Je ne me fiancerai pas, cette année,
Ni davantage l’année prochaine ;
Ni l’année prochaine, ni jamais,
Il faut que je me fasse religieuse.

  Quand le jeune clerc entendit (cela),
Il a demandé à faire ses adieux.
— Si vous demandez à faire vos adieux.
Voici ma main et faites vos adieux ;

  Voici ma main et faites vos adieux,
Car pour mon visage, vous ne le baiserez pas ;
Vous ne baiserez pas davantage mon visage,
Le temps des amours est passé.

  La fille Marie disait
À sa mère, en arrivant à la maison :
— Si vous voulez me donner mon bien,
J’irai avec au couvent ?

  — Comment, dit-elle, ma fille Marie,
Comment aller au couvent ?
Comment aller au couvent,
Une fille si jolie que vous !

  J’ai fait assez de saintes gens,
Puisque j’ai fait trois prêtres ;
Puisque j’ai fait trois prêtres,
Dans un collège de Saint-Brieuc.

  Votre sœur aînée est religieuse,
Dans le grand couvent de Saint-François,
Et vous, dit-elle, ma fille Marie,
Il vous faudra consentir à vous marier.

  Quand la fille Marie entendit (cela),
Elle se mit à pleurer ;
Elle sortit de la maison,
Et vit la Vierge Marie :

  — Consolez-vous, Marie, ma filleule,
Je vous ferai vraie religieuse.
— Religieuse je ne serai,
Car ma mère ne le voudrait point….


  — Consolez-vous, dit-elle, ma filleule,
Vous serez une vraie religieuse ;
Vous serez une vraie religieuse,
Je serai votre avocate (protectrice).

III

  Sept années entières elle a été
Sans être vue par aucun chrétien (personne).
Quand les sept ans furent accomplis,
Son frère Dom Jean la vit ;

  Il la vit dans le jardin,
Parmi les herbes et les fleurs.
Son frère Dom Jean disait
À sa mère, en arrivant à la maison :

  — Que donneriez-vous, ma mère,
Pour voir encore votre fille Marie ?
— Je donnerais avec elle tous mes biens,
Si elle voulait consentir à se marier.

  — Vous m’étonnez, ma mère,
(Quand je vois) combien vous êtes sotte avec les pompes du monde ;
Comment marier une jeune fille
Qui a sur la tête la couronne ?….

IV

  Cruel eût été le cœur de celui qui n’eut pleuré
S’il eût été dans le jardin.
En voyant la Vierge Marie
Qui embrassait la fille Marie !

  Elle est allée à la joie (éternelle),
Puissions-nous y aller tous !…[3]


Chanté par une fileuse, au bourg de Plouëc,
près Pontrieux.




  1. Ce premier couplet me semble avoir peu de rapport avec le reste de la pièce. Je croirais assez volontiers que c’est une interpolation.
  2. Peut-être faut-il traduire « ar Vur-Wenn > par le Bourg-Blanc, car nos paysans appellent ordinairement « ar Vur-Wenn, » la famille et le manoir de ce nom, en Plourivo. — Il y a aussi, dans le Finistère, une commune qui a nom le Bourg-Blanc.
  3. Une autre version présente comme suit la fin de ce gwerz :

    Elle entra alors dans la maison,
    Et s’agenouilla devant sa mère ;
    Elle s’agenouilla devant sa mère,
    Et lui demanda pardon.

    — Oh ! oui, ma fille, je te pardonne,
    Et de bouche et de cœur,
    Et je te pardonnerais encore davantage,
    Si tu étais disposée à te marier.

    En ce moment-là elle partit,
    Sans que jamais personne sût (où) ;
    Sans que jamais personne sût (où),
    Et elle dit à son frère Dom Jean :

    — Dans le paradis, ou aux environs,
    Mon frère Dom Jean, nous nous reverrons !