Chants populaires de la Basse-Bretagne/La femme aux deux maris

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Édouard Corfmat (1p. 267-269).


LA FEMME AUX DEUX MARIS.
PREMIÈRE VERSION.
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I

  Quand j’allais prendre de l’eau à la fontaine de Gwashalec,
Je rencontrai un homme vêtu d’écarlate rouge.

  Et lui de me demander : — Femme, êtes-vous mariée ? —
Hélas ! j’étais jeune, et je lui dis que je ne l’étais pas.

  Et lui de me conduire près d’un buisson de saule,
Et de me garder là quelque temps pour me conter fleurettes

  — J’ai une marâtre, la plus méchante femme qui ait vu le jour,
Et quand j’arriverai à la maison, je serai gourmandée. —

  — Dites à votre marâtre, la plus méchante femme qui ait vu le jour :
La fontaine est loin, et l’eau était troublée ;

La fontaine est loin, et l’eau était troublée
Par le cheval d’un cavalier, qui revenait de Nantes —

II

  Quand j’étais à Keridon, à Keridon, revenant,
J’entendais une voix qui était (1)[1] .........

  Et les sonneurs qui sonnaient, sonnaient aux gens de la noce,
Et moi de presser mon cheval, pensant arriver de bonne heure ;

  Et moi de presser mon cheval, pensant arriver de bonne heure,
Hélas ! quand j’arrivai, on allait se coucher.

  — Ouvrez-moi votre porte, jeune femme deux fois mariée,
Le vent est cruel, et mes deux mains sont engourdies ;

  Le vent est cruel, et mes deux mains sont engourdies
A tenir la bride de mon cheval, et mon épée dorée. —

  — Allez à Keridon, là vous serez logé,
Demain, quand il fera jour, j’irai vous voir là,

  Et je vous porterai votre part de mon festin de noces,
Un quartier de mouton et un autre de bécasse ;

  Un quartier de mouton et un autre de bécasse,
Et un peu de vin d’Espagne, pour vous désaltérer. —


  — Ce n’est pas là ce que je veux, femme deux fois mariée ;
Ouvrez-moi votre porte, mes deux mains sont engourdies ;

  Ouvrez-moi votre porte, mes deux mains sont engourdies,
A tenir la bride de mon cheval, et mon épée dorée.

  Je vous ai apporté ce que je vous avais promis,
Une quenouillée de laine d’Espagne, dorée aux deux bouts.

  Ouvrez-moi votre porte, femme deux fois mariée,
C’est moi qui vous avais acheté votre premier anneau de noces ;

  Regardez votre petit doigt, celui de la main gauche,
Et vous me croirez, quand je dis des vérités. —

  Quand elle regarde son petit doigt, et qu’elle réfléchit :
— Oh ! oui, c’est bien vous, entrez vite dans la maison !... —
. . . . . . . . . . . . . . . . . .


Chanté par Marie Maho. — 1867.


(1) La pièce est sans doute incomplète. Les villages qui portent le nom de Gwazhalec (Ruisseau des Saules) sont nombreux en Basse-Bretagne. Il y en a un dans la commune de Plounevez-Moëdec, auprès de la charmante chapelle de Keranmanac’h, ancienne aumônerie aux Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, dont la construction remonte au XVe siècle. J’ai recueilli cette version non loin de là, d’une jeune fille nommée Marie Maho.


LA FEMME AUX DEUX MARIS.
SECONDE VERSION.
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I

  J’ai la fièvre, et elle m’a fort malmenée.
— Si vous vouliez manger après l’avoir tremblée ;

  Si vous vouliez manger après l'avoir tremblée,
Votre cœur aurait plus de force pour résister au mal. —

  J’ai une marâtre qui est bien dure,
Deux, trois heures avant le jour, hélas ! je suis levée :

  Deux, trois heures avant le jour, hélas ! je suis levée,
Pour aller chercher de l’eau à la fontaine de Gwashalec.

  La nuit était bien noire et l’eau était troublée,
Par le cheval d’un cavalier qui revenait de Nantes :

  Et lui de me demander : — Jeune fille, êtes-vous mariée ? —
Et moi, je fus assez sotte pour lui dire que je ne l’étais pas.

  Et lui de me prendre par la main et de me conduire dans une genêtaie,
Et de me mettre sur les genoux deux ou trois cents écus ;

  Et de me mettre sur les genoux deux ou trois cents écus,
Avec un mouchoir de coton et un anneau doré :

  — Retournez à la maison, jeune fille, et dites que vous êtes mariée ;
Au bout de sept ans, je reviendrai vous voir. —

II

  — Comme j’étais à Keridon, ma maîtresse, revenant vous voir,
J’entendais clairement les sonneurs de votre noce.

  Ouvrez-moi votre porte, jeune femme nouvellement mariée,
La bride de mon cheval est rompue et mon page s’est égaré. —

  — Je n’ouvrirai ma porte ni à vous, ni à nul autre,
Je suis ici couchée à côté de mon mari ;

  Je suis ici couchée à côté de mon mari,
Et si je le réveille, il m’en voudra —

  Quand la porte fut ouverte et la lumière allumée,
Leurs cœurs à tous les deux se brisèrent aussitôt ! (1)


Chanté par Marie-Louise Loyer.


(1) Rapprocher cette pièce et la précédente de celle du Barzaz Breiz : le frère de lait (page 163, 6e édition).


  1. (1) Je ne traduis pas la fin du vers, car je ne comprends pas ce que peut signifier dili a bec’het. Y a-t-il altération, ou aurai-je mal entendu ? Je me rappelle cependant avoir interrogé la chanteuse qui me répondit : Je ne sais pas ; c’est comme cela que j’ai entendu dire. Peut-être faudrait-il : oa didu da glewet, — qui faisait plaisir à entendre.