Chants populaires de la Basse-Bretagne/La jeune fille et l’âme de sa mère

La bibliothèque libre.
Édouard Corfmat (1p. 61-67).

LA JEUNE FILLE ET L’AME
DE SA MÈRE.
PREMIÈRE VERSION.
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I

  Une jeune fille de la commune de Blan[1]
A demandé à revoir sa mère (après sa mort) ;

  À revoir sa mère et à lui parler,
Tant elle la regrettait.

  Elle va trouver le curé
Pour lui conter son cas ;

  — Oui, ma fille, vous lui parlerez,
Si vous faites comme on vous dira :

  Pendant trois nuits, après votre souper,
Vous irez à l’église, seule.

  Et vous emporterez trois tabliers à votre mère,
Pour mettre sur sa tombe, pour prier,

II

  Quand elle voit allumer une lumière bleue,
Du côté droit du grand autel.

  Elle entre dans un confessionnal,
D’après la recommandation du curé.

  Pour de là voir les âmes
Faisant la procession.

  Elles étaient partagées en trois groupes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les noires était sa mère ;
Oh ! Dieu que sa frayeur fut grande !

  Quand elles (les âmes) eurent fini leur procession,
Elle (sa mère) va à son tablier ;

  Elle va au tablier
Et le met en neuf morceaux.

  La nuit suivante, après souper,
Elle se rend encore seule à l’église ;

  Elle emporte un second tablier,
Pour mettre sur la tombe pour prier.

  Quand elle voit allumer une lumière bleue,
Du côté droit du grand autel,

  Elle entre dans un confessionnal,
D’après la recommandation du curé,

  Pour de là voir les âmes
Faisant la procession.

  Elles étaient partagées en trois groupes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les grises était sa mère ;
Sa frayeur ne fut pas aussi grande.

  Quand elles eurent fini leur procession,
Elle va à son tablier ;

  Elle va à son tablier,
Et le met en six morceaux.

  La jeune fille avait une sœur mariée
Qui eut un enfant cette nuit-là :

  Elle fut demandée pour nommer l’enfant,
Et elle promit vite d’aller.

  Au moment de baptiser l’enfant,
Elle a demandé au prêtre,

  Elle a demandé au prêtre
De lui donner le nom de sa mère :

  — Toutes les fois que je le verrai,
Il me rappellera ma mère. —

  Lorsque l’enfant eut été baptisé,
Il mourut aussitôt ;

  Il mourut aussitôt,
Et elle passa la nuit à le veiller.

  Quand l’enfant eut été enterré,
Elle alla trouver le curé ;-

  Elle alla trouver le curé,
Pour lui conter son cas :

  — Oui, ma fille, vous lui parlerez,
À la condition de faire comme on vous dira. —

  Quand la jeune fille eut soupé,
Elle se rendit, seule, au cimetière.

  Et emporta un troisième tablier,
Pour mettre sur la tombe, pour prier.

  Quand elle voit allumer une lumière bleue
Du côté droit du grand autel,

  Elle se retire dans un confessionnal,
D’après la recommandation du curé.


  Pour de là voir les âmes
Faire la procession,

  Partagées en trois groupes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les blanches était sa mère,
Et sa frayeur fut changée en joie !

  Quand elles eurent fini leur procession,
Elle va à son tablier ;

  Elle va à son tablier,
Et le met en trois morceaux.

  La mère va alors trouver sa fille
Et lui parle de la sorte :

  — Tu as eu du bonheur
Que je ne t’aie mise toi-même en morceaux !

  Que je ne t'aie mise en pièces, toute vivante,
Comme je le faisais à mes tabliers !

  Tu augmentais mes peines, chaque jour,
Par la douleur que tu me témoignais !

  Tu as tenu un enfant (sur les fonts baptismaux],
Et tu lui as donné mon nom ;

  Tu lui as donné mon nom,
Et c’est ce qui m’a sauvée !

  Je vais maintenant voir Dieu,
Et toi, tu viendras aussi sans tarder ! —


Anna SALIC, 75 ans.
Plouaret, 1864.



LA PETITE MINEURE
DU BAS DE LA LANDE.
SECONDE VERSION.
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  La petite mineure du bas de la lande
Est désolée de la mort de sa mère;

  Nuit et jour elle se lamente
Et son confesseur a. bien de la peine avec elle.

  Comme elle était en prière sur la tombe de sa mère,
Elle entendit sonner minuit ;


  Elle entendit sonner minuit,
C’était l’heure de la procession.

  Elles (les âmes) viennent en trois groupes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les noires elle voit sa mère,
Oh ! Dieu, quelle frayeur !

  La nuit suivante elle va encore
Prier Dieu, sur la tombe de sa mère.

  Comme elle était sur la tombe, en prière,
Elle entendit sonner minuit ;

  Elle entendit sonner minuit,
C’était l’heure de la procession.

  Elles viennent en trois groupes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les grises elle voit sa mère ;
Sa frayeur ne fut pas aussi grande.

  La nuit suivante elle va encore
Prier Dieu sur la tombe de sa mère.

  Comme elle était sur la tombe, en prière,
Elle entendit sonner minuit ;

  Elle entendit sonner minuit,
C’était l’heure de la procession.

  Elles viennent en trois bandes,
Des noires, des grises et des blanches.

  Parmi les blanches était sa mère ;
Alors elle n’eut plus de frayeur.

  Elle a pris son tablier
Et l’a mis en quatre morceaux.

  Et sa mère a parlé ainsi :
— Si tu n’avais été en la grâce de Dieu,

  Je t’aurais mise en pièces,
Comme tu le fais à tes tabliers !

  Tu as tenu un enfant sur les fonts-baptismaux,
Tu lui as donné mon nom,

  Et c’est celui-là qui m’a sauvée ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Chanté par Marie HULO.
Keramborgne, 1855.



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  1. (1) Je ne connais pas de commune de ce nom en Bretagne.