Chants populaires de la Basse-Bretagne/La petite Mineure (première version)

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LA PETITE MINEURE.
PREMIÈRE VERSION.
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I

J’étais une enfant toute jeune encore.
Quand moururent mon père et ma mère.

Je fus obligée de mendier mon pain,
Car je n’étais pas capable de le gagner.

On m’abandonna sur le grand chemin,
Sur le grand chemin, pour chercher ma vie.

Comme je marchais dans un chemin creux,
Je rencontrai des gens de bonne mine ;

Je rencontrai un monsieur et une dame,
Etant descendue dans un chemin creux ;

Et le monsieur dit à la dame :
— Voilà une enfant qui a bonne mine ;

Prenons-là avec nous dans notre maison.
Et traitons-la comme notre propre enfant. —

II

Quand j’eus été dix-huit mois dans leur maison.
On me fit un habit neuf :

J’étais entretenue, habillée
Et nourrie comme chacun d’eux.

Quand j’eus été dix-huit ans dans leur maison,
(J’avais alors vingt-trois ans)

Mon maître dit à ma maîtresse :
— Il est temps de marier la mineure.

Lui donner la noblesse des Fontaines,
La plus belle noblesse du pays ;

La plus belle noblesse du pays.
Avec une partie de nos biens. —

Et ma maîtresse dit alors :
— La mineure ne sera pas mariée ;

La mineure ne sera pas mariée.
Jusqu’à ce qu’elle ait été avec nous au pardon de Sainte-Agnès ;

Chaque année elle vient avec nous au pardon,
Parce qu’elle est une honnête fille —

En arrivant dans le bois,
Ma maîtresse fut prise de sommeil :


Je m’assis sur le gazon,
Et elle appuya la tête sur mes genoux ;

Elle appuya la tête sur mes genoux,
Et s’endormit aussitôt.

Quelque chose vint alors qui me dit :
— Obéis-moi et tue ta maîtresse ;

Crois-moi, tue ta maîtresse,
Et tu seras dame à sa place ! —

J’ai obéi à cette voix,
Et j’ai tué ma bonne maîtresse ;

J’ai tué ma bonne maîtresse,
Je lui ai donné sept coups de couteau !

Quand j’eus tué ma bonne maîtresse.
Je ne savais où la cacher.

Vint alors une chose qui me dit.
En voyant mon embarras :

— Porte-là au trou à charbon,
Et la couvre avec des feuilles de noisetier. —

J’allai alors au pardon,
Dieu seul connaissait ma pensée.

Je rencontrai mon bon maître,
Qui chantait et qui sifflait ;

Il chantait et il sifflait.
Et moi je lui navrai le cœur !

— Ma bonne maîtresse a été tuée.
Dans le bois, par les brigands !

Moi aussi je l’aurais été.
Si je n’avais couru hors du bois. —

— Si vous lui aviez été fidèle,
Vous eussiez été tuée comme elle ! —

Mon bon maître, à cette nouvelle.
Est tombé trois fois à terre ;

Il est tombé trois fois à terre.
Et à chaque fois je l’ai relevé :

— Mon bon maître, ne pleurez pas.
Je vous servirai comme toujours ;

Mais je n’irai pas coucher avec vous.
Jusqu’à ce que nous soyons fiancés et mariés.

III

Bientôt des propos s’élèvent entre eux,
Au sujet de mariage.

   Quand ils furent fiancés et mariés,
Prêts de se mettre au lit,

   Voilà que le corps mort entre dans la maison,
Précédé de sept cierges allumés ;

   Sept cierges allumés précédaient.
Et sur chaque blessure il y en avait un autre.

   — Levez-vous de là, mineure.
Vous avez tué votre maîtresse ;

   Vous avez tué votre bonne maîtresse,
Et vous en avez accusé les brigands du bois ! —

   À ces mots, son mari
A quitté son lit ;

   Il a saisi son fusil,
Avec l’intention de la tuer :

   Mais le corps mort a dit :
— Mon pauvre mari, ne la tuez pas.

   Mais laissez-la chercher son pain
Entre Gavan et Tonquédec,

   Là où personne ne la connaîtra,
Afin que son corps expie son crime ! —


Chanté par Jeanne Le Gall.
Plouaret, 1853.
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