Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le Clerc Geffroi

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LE CLERC GEFFROI
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I

  S’il vous plait, vous écouterez
Un gwerz nouvellement composé ;
Il a été fait au clerc Geffroi,
Le plus méchant paysan qui marche (qui existe).

  Il savait lire et écrire,
Et dire aux gens leur planète (la bonne aventure) ;
De plus, il était blasphémateur,
Et aussi violateur.

  La première fois qu’il viola,
Ce fut une femme nouvellement accouchée ;
Pendant qu’on était allé faire le baptême,
Le tyran entra dans la maison.

  Le tyran entra dans la maison
Et alla avec la femme dans son lit :
Il en disposa à sa volonté.
Puis, il lui ôta la vie.

  À une jeune fille de la paroisse
Il arriva la même chose ;
Quand il en eût fait à sa volonté,
Il lui ôta aussi la vie.

  Comme il allait sur le grand chemin,
Il rencontra une jeune femme.
— Jeune femme, dites-moi,
Où vous allez ou avez été ;

  Où vous allez ou avez été,
Ou avez l’intention d’aller ?
— C’est à la maison que j’espère aller,
Si Dieu me laisse la santé.

  — Petite jeune femme, dites-moi,
Depuis combien de temps êtes-vous enceinte ?
— Il y a huit mois et demi,
Mon terme est proche.


  Il tira son coutelas
Et la coupa par la taille ;
Il la coupa par la taille
Et jeta ses enfants dans un buisson d’épine ;

  Puis, il couvrit son corps de feuilles,
Après lui avoir mis les mains dans les flancs.
Un jeune clerc, en passant,
Remarqua les deux enfants.

  — Pauvres enfants, dites-moi,
Que faites-vous là ?
Les enfants parlèrent
Aussitôt, par un grand miracle :

  — Nous serions très-bien ici,
Si nous recevions le baptême :
C’est le fripon Claude Geffroi
Qui nous a enlevé et notre mère et la vie !

  Quand le jeune clerc entendit (cela),
Il fit chrétiens (il baptisa) les deux enfants ;
Et aussitôt qu’ils eurent été faits chrétiens.
Ils moururent sur le lieu :

  Ils moururent sur le lieu,
Et allèrent aux joies (éternelles) ….
Comme le recteur et le vicaire
Étaient à la procession,

  Faisant le tour (de l’Église) avec le Saint-Sacrement,
Le tyran entra dans le cimetière ;
Il sauta dans le cimetière,
Tenant à la main un couteau nu.

  Le prêtre, saisi de frayeur,
Laissa tomber le saint-ciboire !
D’honnêtes gens, des hommes honorables,
Qui portaient le tabernacle (le dais),

  Dirent à Claude Geffroi :
— Homme impie, retire-toi !
Retire-toi, vite, boucher de Trébeurden,
Tu portes la couleur de la corde à ton cou ![1]

  Il achetait des bêtes brutes
Et les attachait à la porte principale (de l’église) ;
Il les attachait à la porte principale,
Et les saignait là.



  Quand l’envie lui prenait de fumer,
Il s’asseyait sur le marchepied (de l’autel)
Et allumait sa pipe à la lumière de la lampe
Qui brûlait devant le Saint-Sacrement !

  Le cinquième jour du mois de Juillet,
Fut exécuté le boucher de Trébeurden ;
Fut exécuté le boucher de Trébeurden,
Pour les crimes qu’il avait commis.[2]


Recueilli en paroisse de Ploulec’h — 1849.






  1. Tu sens la corde !
  2. Il ne faut pas croire que la dénomination de « Kloarek » ne s’appliquât qu’aux jeunes gens qui étudiaient pour être prêtres. Il avait une signification plus étendue, comme le mot « clerc », autrefois, et se disait aussi de tous ceux qui avaient reçu quelqu’instruction élémentaire, qui savaient, par exemple lire et écrire, et quelquefois dire la bonne aventure aux jeunes hommes et aux jeunes filles, comme le « clerc » Geffroi de notre gwerz. C’est aussi dans ce sens que La Fontaine a dit :

    Un loup quelque peu clerc…

    Les clercs, pour leurs études, quelque élémentaires qu’elles fussent, avaient ordinairement habité plus ou moins les villes, et en rapportaient, souvent, des mœurs et des vices inconnus, ou du moins rares, alors, dans nos campagnes. C’est ce qui explique pourquoi on les trouve fréquemment mêlés aux affaires scandaleuses, ou même criminelles, qui fournissent les sujets d’un grand nombre de « gwerziou ».

    Cette observation doit s’appliquer à plusieurs pièces de ce recueil, car le mot kloarek ou clerc y revient fréquemment. Il est donc bien entendu que, à moins de désignation spéciale, le mot kloarek ou clerc, dans les ballades de ce recueil, doit s’entendre d’une classe de personnes qui n’ont rien de commun avec le clergé.