Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le comte Des Chapelles
Le comte Des Chapelles, frère du Marquis,
Est en prison à Paris.
— Et quel crime a-t-il donc commis,
Le comte Des Chapelles, pour être mis en prison ? —
— Il a commis un assez grand crime,
Il a tué le page du roi !
Il a tué le page du roi,
En sa présence, d’un coup d’épée !
— Notre-Dame Marie-du-Kreiz-ker,
Ne trouverais-je pas un messager,
Qui me portât une lettre,
Pour dire au Marquis de venir à la maison ? —
La geôlière répondit
Au comte Des Chapelles, quand elle l’entendit :
— Ecrivez votre lettre quand vous voudrez,
On trouvera bien un messager ;
On trouvera bien un messager.
On enverra le messager de la poste. —
Quand arriva la lettre a Botilio, [1][1]
Les danses allaient en rond.
— Bonjour dans ce manoir,
Monsieur le Marquis, où est-il ? —
— Le Marquis est allé à l’armée,
Et la Marquise est au lit ;
Marchez doucement par la maison,
De peur de la réveiller ;
De peur que vous la réveilliez,
Voici trois nuits qu’elle n’a dormi goutte. —
— Puisqu’elle est couchée depuis trois nuits,
Tout-à-l’heure je la réveillerai. —
— Prenez, Marquise, une lettre
Qui vous est envoyée par votre beau-frère ;
Par votre beau-frère, le frère du Marquis,
Qui est en prison à Paris. —
— Et quel crime a-t-il commis,
Le comte Des Chapelles, pour être mis en prison ?
— Il a commis un assez grand crime,
Il a tué le page du roi ;
Il a tué le page du roi,
En sa présence, d’un coup d’épée !
Le plus grand ami qu’eût le roi de France,
Il l’a tué en sa présence ! —
La Marquise disait
A ses cochers, cette nuit-là :
— Attelez mon carrosse,
Pour que nous allions à Paris cette nuit !
Cent vingt lieues, ou environ,
Sont entre Paris et Botilio ;
Quand je fatiguerais dix chevaux à chaque pas,
Il faut que j’aille à Paris, cette nuit ! —
Le comte Des Chapelles demandait
Un jour, dans la prison de Paris :
— Qu’y a-t-il de nouveau dans cette ville,
Que le pavé tremble de la sorte ?
La geôlière répondit
Au comte Des Chapelles, quand elle l’entendit :
— Un beau carrosse passe par ici,
Attelé de douze chevaux de lice ;
Les goupilles (1)[2] en sont d’argent blanc,
Les fenêtres d’or jaune ;
Et dedans est une demoiselle,
La plus belle princesse qui soit en Basse-Bretagne ! —
La Marquise disait,
En arrivant à la cour du roi :
— Bonjour, ma cousine la reine,
Je suis venue jeune à votre cour,
Pour réclamer mon beau-frère, le comte Des Chapelles,
Pour son poids d’argent blanc ;
Pour son poids d’argent blanc,
Et autant en or jaune ! —
La reine répondit
A sa cousine, quand elle l’entendit :
— Vous avez parlé un peu tard,
Mon mari a signé sa mort ;
Mon mari a signé sa mort,
Et il ne peut pas aller contre sa signature. —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L’homme de loi répondit
A la Marquise, quand il l’entendit :
— Demain, à dix heures, dans cette ville,
Vous verrez, l’exécuter ! —
— Notre-Dame Marie-du-Folgoat,
Comment mon cœur pourrait-il résister ?
Comment mon cœur pourrait-il résister
A voir la tête de mon beau-frère sur un plat ?
A voir la tête de mon frère chéri, si beau,
Roulant sur un plat d’argent !
Mais pendant que je serai en vie,
Il ne manquera pas de guerre au roi ;
Je vais retourner à la maison,
Pour chercher un feu d’artifice,
Qui incendiera le palais du roi,
Et de plus la moitié de la ville ! —
Pour le lendemain matin,
Le Marquis était arrivé avec son armée :
— Si vous faites mourir mon frère chéri,
Je mettrai le feu à votre palais !.... —
Le Marquis était de ce côté-ci,
Et la Marquise du côté opposé.
Quand l’homme de loi vit cela,
Il dit à la Marquise :
— Emmenez votre beau-frère à la maison,
Je ne me mêle plus de l’affaire ! —
Keramborgne, 1844.
(1) Ce dénouement n’est pas d’accord avec l’histoire. En effet, François de Bosmadec, comte Des Chapelles, qui est le héros de notre ballade, fut décapité a Paris en 1627. Komt ar Chapel, breur ar Markiz, dit le chant breton, et, en effet, il était frère de Sébastien, marquis de Rosmadec et gouverneur de Quimper. Y aurait-il quelque rapport historique entre cette pièce et celle qui se trouve à la page 366 et suivantes de notre recueil, sous le titre de : Le Seigneur de Rosmadec ? Les chanteurs, fidèles à leur habitude de défigurer les noms propres, prononcent presque tous Contrechapel. Voir dans le Barzaz-Breiz, p. 301, le Page de Louis XIII, qui correspond à ce gwerz.
- ↑ (1) D’après M. de La Villemarqué, et ses raisons me paraissent bonnes, ce serait Bodigneau, maison noble des environs de Quimper ; mais mon chanteur tenait pour Bodinio, en Pestivien (Côtes-du-Nord).
- ↑ (1) Goupille, esse, cheville ou crochet de fer en forme d’S, que l’on met au bout de l’essieu, pour maintenir les roues.