Chants populaires de la Basse-Bretagne/Le seigneur de Rosmadec

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LE SEIGNEUR DE ROSMADEC.
PREMIÈRE VERSION.
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I

  Entre Rosmadec et le Baron[1]
S’est élevé un petit désaccord,
Au sujet d’une avenue d’arbres
Qui leur appartenait de compte-à-demi.

  Le seigneur de Rosmadec disait
Qu’il voulait avoir le choix des arbres ;
Qu’il voulait avoir le choix des arbres,
Et ses héritiers après lui.

  — Avant d’avoir le choix des arbres,
Il te faudra les gagner ! —
Le seigneur de Rosmadec disait
Au seigneur Baron, ce jour-là :

  — Allons tous les deux au Pré-Neuf
Pour jouer un coup d’épée. —
— Moi, je n’irai pas jouer de l’épée,
Il faut que j’aille à la messe :

  — Allons tous les deux à la messe.
Pour conjurer le mauvais sort ;
Allons à la grand’messe et aux vêpres,
Qui conjurent beaucoup de mauvais sorts. —

  Nous n’irons pas à la grand’messe,
Il faut aller jouer de l’épée ;
Allons tous les deux au Pré-Neuf,
Pour jouer un coup d’épée. —

II

  Arrivés au Pré-Neuf,
Ils se sont mis à jouer de l’épée ;
Et quand ils eurent commencé à jouer de l’épée,
Le seigneur Baron gagnait (avait l’avantage).

  Le seigneur Rosmadec dit
Au seigneur Baron, qui avait l’avantage :
— Baron, ramasse tes boucles,
Si je marche dessus je les briserai. —


  Il s’est baissé pour ramasser ses boucles (de souliers).
Le traître l’a traversé (de son épée) !....
Le seigneur Baron disait
A son petit page, en ce moment :

  — Guillaume Le Bélec, mon bon serviteur,
Va quérir un prêtre, pour me confesser,
Un médecin pour arrêter mon sang,
Pour que j’aie la vie de Rosmadec ! —

  Guillaume Le Bélec dit
A son maître le Baron, quand il l’entendit :
— Mieux vaudrait faire votre testament,
Pendant que vous avez votre entendement. —

  Le premier testament qu’il fit,
Ce fut d’offrir son âme à Dieu :
— Guillaume Le Bélec, mon bon ami,
Vous allez à la maison, moi je n’y vais pas :

  Faites mes compliments à ma femme,
Mais ne lui dites pas que j’ai été tué ;
Mais dites lui que je serai allé à Paris,
Pour saluer le roi Louis ;

  Dites que je serai allé à Paris,
Pour saluer le roi Louis,
Et que j’ai acheté un nouveau cheval,
Le petit cœur de mon cheval était trop gai. —

III

  La baronne demandait
A Guillaume Le Bélec, ce jour-là :
— Guillaume Le Bélec, dites-moi,
Où est allé votre maître le Baron ? —

  — Mon maître est allé à Paris,
Pour saluer le roi Louis,
Et il a acheté un nouveau cheval,
Le petit cœur de son cheval était trop gai. —

  Guillaume Le Bélec disait,
Quand il était à souper, cette nuit-là :
— Savoir qui aura la hardiesse
D’annoncer la nouvelle à Madame ?

  D’annoncer la nouvelle à Madame,
Que notre maître le Baron a été tué ?
Quand il s’est baissé pour ramasser ses boucles,
Rosmadec le traître l’a traversé de son épée ! —

  La petite servante, quand elle entendit,
Monta aussitôt par l’escalier tournant ;
Elle est montée par l’escalier tournant,
Et a dit à la Baronne :


  — Seigneur Dieu, que faire ?
Notre maître le Baron a été tué !
Quand il s’est baissé pour ramasser ses boucles,
Rosmadec le traître l’a traversé de son épée ! —

  Quand la Baronne a entendu,
Elle est tombée trois fois à terre ;
Elle est tombée trois fois à terre,
La petite servante l’a relevée.

  Quand le jeune Baron a appris,
Il a dit à sa mère la Baronne :
— Ma mère chérie, ne pleurez pas,
Moi, j’aurai la vie de Rosmadec ! —

IV

  Et quand il fut arrivé à l’âge de quinze ans,
Il a dit à sa mère la Baronne :
— Ma mère la Baronne, si vous m'aimez,
Vous me donnerez l’épée de mon père ;

  Vous me donnerez l’épée de mon père,
Pour aller trouver Rosmadec ;
Pour aller trouver Rosmadec,
Car il faut que j’aie sa vie ! —

  Le jeune Baron disait.
En arrivant chez Rosmadec :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Rosmadec, où est-il ? —

  La gouvernante répondit
Au jeune Baron quand elle l’entendit :
— Il est là-haut, dans sa chambre,
Allez le trouver, si vous voulez. —

  — Je n’irai pas le trouver dans la chambre,
Mais il descendra quand il en sera prié. —
Quand Rosmadec entendit cela.
Il mit la tête à la fenêtre ;

  Il a mis la tête à la fenêtre
Et a dit au jeune Baron :
— Jeune Baron, retire-toi de là.
Car j’ai pitié de ton sang ! —

  — N’ayez nulle pitié de mon sang,
Puisque vous n’en aviez pas de celui de mon père :
Et hâtez-vous de descendre,
Ou je mettrai le feu à tous vos biens !

  Hâtez-vous de venir jouer (de l’épée) avec moi,
Ou je mettrai le feu à votre maison ;
Ou je mettrai le feu à votre maison,
Et vous laisserai brûler au milieu ! —


  Le seigneur de Rosmadec disait,
En faisant ses adieux aux gens de sa maison :
— Je vais en ce moment au Pré-Neuf,
Et je suis sûr que j’y perdrai la vie ! —

  Quand ils sont allés jouer de l’épée,
Le jeune Baron gagnait :
Le seigneur de Rosmadec disait
Au jeune Baron, voyant qu’il avait l’avantage :

  — Baron, ramasse tes boucles,
Si je marche dessus, je les briserai. —
— Et quand mes boucles seraient brisées,
J’ai de l’argent assez dans mes poches ;

  J’ai de l’argent assez dans mes poches,
Pour en avoir d’autres qui les remplaceront ;
Ne t’inquiète pas de cela,
Et joue hardiment ton coup d’épée ! —

  Le seigneur de Rosmadec disait,
Au seigneur Baron qui avait l’avantage :
— Baron, ramasse tes mouchoirs,
Si je marche dessus, je les souillerai. —

  — Et quand mes mouchoirs seraient souillés,
J’ai de l’argent assez dans mes poches ;
J’ai de l’argent assez dans mes poches,
Il y a des filles dans le pays qui les laveront :

  Ne t’inquiète donc point de cela,
Et joue hardiment ton coup d’épée ;
Joue ton coup d’épée quand tu voudras,
Car voici l’heure où tu mourras ! —

  Il n’avait pas fini de parler,
Qu’il lui trancha la tête de dessus le corps,
Et la jeta sur la rue,
Aux enfants, pour jouer à la crosse !

  Et les gentilshommes disaient,
Se disaient l’un à l’autre :
— Voici le jeune Baron qui passe.
Portant la tête de Rosmadec !

  Et ils se disaient l’un à l’autre :
— Celui-là sait jouer de l’épée ! —

V

  Sa mère la Baronne demandait
Au jeune Baron, quand il arriva :
— Mon fils le Baron, dites-moi,
Avez-vous eu la vie de Rosmadec ? —


  Le jeune Baron répondit,
A sa mère la Baronne, quand il l’entendit :
— Ma mère, sa tête est sur la rue,
Servant aux enfants à jouer à la crosse ! — (1)


Renan, le sabotier, commune de Trégrom. — 1854.


(1) Variante :

— J’ai mis sa tête sur le pavé
Pour leur servir de boule a jouer aux quilles ! —


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ROSMADEC
ET LE BARON HUET.
SECONDE VERSION.
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I

  Le baron Huët disait
Un jour à Rosmadec :
— Allons tous les deux à la messe,
Pour conjurer le mauvais sort. —

  Le seigneur de Rosmadec disait
Au baron Huët, ce jour-là :
— Aille à la messe qui voudra,
Pour nous, allons jouer de l’épée!

  Pour nous, allons jouer de l’épée,
Et celui qui perdra, perdra ;
Celui qui perdra, perdra,
Et celui qui gagnera, gagnera ! —

  Trois heures et demie ils ont été
A jouer de l’épée et du fleuret ;
Et quand sonnèrent les quatre heures,
Le baron Huët était tué.

  Le baron Huët disait
A Guillaume Le Bélec, ce jour-là :
— Retournez à la maison, Guillaume Le Bélec,
Et emmenez mes chevaux :

  Et dites que je suis allé à Paris,
Pour saluer le roi Louis,
Et que j’ai acheté une nouvelle haquenée
Le petit cœur de mon cheval était trop gai. —


II

  La Baronne disait,
A la fenêtre de sa chambre, ce jour-là ;
— Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison,
Que le château tremble de la sorte ? —

  Quelles nouvelles dans la maison,
Que le château tremble de fond en comble ? —
Une petite servante était dans la maison,
Et y servait depuis longtemps,

  Et elle dit à sa maîtresse :
— Il y a quelque chose de nouveau,
Je vois revenir Guillaume Le Bélec,
Et je ne vois pas le Baron mon maître. —

  La Baronne, dès qu’elle l’entendit,
Descendit l’escalier tournant ;
Elle est descendue par l’escalier tournant
Et a dit à Guillaume Le Bélec :

  — Guillaume Le Bélec, dites-moi,
Votre maître le Baron, où est-il allé ? —
Guillaume Le Bélec répondit
A la Baronne, sitôt qu’il l’entendit :

  — Mon maître est allé à Paris,
Pour saluer le roi Louis,
Et il a acheté une haquenée,
Le petit cœur de son cheval était trop gai. —

  La Baronne répondit
A Guillaume Le Bélec, quand elle l’entendit :
— Guillaume Le Bélec, si vous m’aimez,
Vous me direz la vérité ;

  Dites-moi la vérité,
Et je vous achèterai un habit neuf,
Un habit neuf, avec passements,
Qui sera beau pour un jeune homme. —

  Guillaume Le Bélec répondit
A la Baronne, sitôt qu’il l’entendit :
— Notre-Dame Marie de la Trinité,
Je ne puis pas vous le nier !

  Je ne puis pas vous le nier,
Le Baron mon maître a été tué ;
Le Baron mon maître a été tué
Par le traître Rosmadec ! —

  Quand la Baronne entendit cela,
Elle tomba trois fois à terre ;
Trois fois à terre elle est tombée,
Le jeune Baron l’a relevée :


  — Consolez-vous, ma mère, ne pleurez pas,
La vengeance de mon père ne sera pas perdue ;
Si je vis, quand je serai en âge,
Moi, je vengerai la mort de mon père ! —

III

  Le jeune Baron disait
Ce jour-là à Guillaume Le Bélec :
— Sortez mes chevaux de l’écurie,
Et mettez dessus des tapis ;

  Mettez dessus des tapis,
Car je veux aller sans retard,
Je veux aller sans retard
Rendre visite à Rosmadec, chez lui. —

  Le jeune Baron disait,
En arrivant au manoir de Derleu :
— Bonjour et joie à tous dans cette maison,
Rosmadec où est-il ? —

  Rosmadec, sitôt qu’il entendit,
Mit la tête à la fenêtre ;
Il a mis la tête à la fenêtre,
Et a dit au jeune baron :

  — Retournez à la maison, mon bon Baron,
Jusqu’à ce que vous soyez venu en âge,
Car je trouve que ce serait grande pitié
De vous oter la vie à présent ! —

  Le jeune Baron répondit
A Rosmadec, sitôt qu’il l’entendit :
— Allons jouer de l’épée,
Ou je mettrai le feu à tous tes biens,

  Et tu verras tout brûler,
Et toi-même tu seras rôti en même temps ! —
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

  Rosmadec, à ces mots,
Descendit l’escalier tournant ;
Il descendit l’escalier tournant,
Et ils allèrent jouer de l’épée.

  Deux heures et demie ils ont été
A jouer de l’épée et du fleuret ;
A jouer de l’épée et du fleuret,
Rosmadec a été tué.

IV

  Quand le Baron allait par la rue,
Les gens tremblaient des deux côtés ;
Les gens tremblaient des deux côtés :
— C’est celui-ci qui sait jouer de l’épée ! —


  Le jeune baron disait
A sa mère, en arrivant à la maison :
— Tenez, ma mère, voici l’épée de mon père,
Je l’ai lavée dans son sang !

  J’ai mis sa tête à bas,
Pour servir aux enfants de boule à jouer aux quilles !
Je vous avais dit et assuré
Que je vengerais la mort de mon père ! —


Chanté par Garandel, surnommé compagnon l’aveugle,
Keramborgne, 1847.


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  1. Variante :

      En l’année mil sept cent quatorze,
    Quand les états furent tenus a Nantes :
    — Allons tous aux messes,
    Ensuite nous nous battrons ! —