Chasse et pêche au Canada/15

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N. S. Hardy, Libraire-éditeurs (p. 126-136).


LA BÉCASSE D’AMÉRIQUE


(American Woodcock)


Dans quelque savane obscure,
Le jour, je reste sans bruit.
Pour chercher ma nourriture
Je sors lorsque vient la nuit.
Si le chasseur tant me prise
Hélas ! c’est pour mon malheur.
Il trouve ma chair exquise
Et me traque avec ardeur.

Hommage des Oiseaux Canadiens.
A. Marsais.

Montréal, mars 1862.


La bécasse arrive dans la province d’Ontario à la fin de mars, et dans celle de Québec, vers le 30 d’avril. Ses habitudes sont tellement nocturnes, qu’elle peut exister dans une localité sans que sa présence soit soupçonnée, excepté par des chasseurs familiers avec la topographie des lieux. Pendant une grande partie du jour, elle se réfugiera dans des savanes ombragées et n’en sortira pour chercher sa nourriture que la nuit, au point du jour où bien après le coucher du soleil. Elle vient nicher en Canada, le printemps ;[1] l’automne venue, elle se retire dans le sud des états de la République voisine. Le nid est placé à terre, dans un endroit retiré de la forêt, très souvent au pied d’un buisson ou d’un arbre : quelques feuilles desséchées, quelques herbes en font tous les frais ; la femelle y pond quatre à cinq œufs d’un pouce et demi de longueur, d’un pouce au plus de diamètre et s’effilant tout à coup au petit bout. Ces œufs sont brun clair avec des taches plus foncées au gros bout, mêlées d’autres taches d’un pourpre pâle. Pendant ses excursions nocturnes, aussi bien que le matin et le soir, la bécasse s’élèvera par un vol spiral à une très grande hauteur dans les airs, faisant entendre de temps à autre sa note quac ; lorsqu’elle est parvenue bien haut, elle court des bordées çà et là d’une manière irrégulière, en bourdonnant ; puis, elle redescend se poser à terre avec la même rapidité qu’elle était montée.

Son cri, quand elle est sur le sol, semble lui être pénible à émettre ; elle incline en ces occasions la tête vers la terre et hoche la queue fréquemment ; ces allures, ont lieu le printemps et paraissent être le cri d’appel du mâle. La bécasse passe son temps à retourner les feuilles ou le sol pour y chercher les larves et les vermisseaux qui s’y cachent ; sa chair est fort recherchée.

La bécasse d’Amérique a les habitudes de la bécasse d’Europe : mais sa taille est bien moindre et son plumage est différent ; le mâle de l’espèce d’Amérique pèse de cinq à six onces tandis que le mâle de son congénère d’Europe, pèse douze onces. En Angleterre les bécasses arrivent en octobre et en novembre et y hivernent ; en mars, elles gagnent le nord du continent Européen pour la ponte ; tandis que l’espèce d’Amérique hiverne dans le sud de notre continent, arrive ici en mars et avril, se répand dans tout le Canada et y couve ; puis, à l’approche des froids, elle se met en route pour le Sud. Une espèce émigre de la zone torride à la zone tempérée ; l’autre, de la zone tempérée à la zone arctique. Les deux oiseaux ayant un même nom, diffèrent non-seulement par leur taille et leur livrée, mais encore par les climats qu’ils habitent. Ceci démontre combien peu fondée est l’opinion exprimée par des naturalistes américains que la bécasse d’Amérique passe de ce continent au vieux monde et vice versa.

Quel est le terme des migrations de la bécasse dans la partie nord de l’Amérique ? c’est ce qui n’est pas encore connu. Il n’appert pas que cet oiseau se montre dans le voisinage de la Baie d’Hudson ; il ne paraît pas non plus qu’il existe dans l’extrême nord de l’Europe ; il est donc probable que ses migrations ne s’étendent pas à une bien haute latitude ; on peut poser en principe général que les bécasses qui émigrent aux régions arctiques dans les deux continents sont communes à chaque continent. Aucun oiseau n’a, plus que la bécasse, la passion des voyages ; ce qui la force de se munir de ces fortes provisions de graisse qui donne tant de prix à sa chair. La bécasse se rencontre quelquefois dans les clairières au sein des forêts, où elle retourne les feuilles pour en retirer les vers, etc. ; en cela, elle diffère de la bécassine qui ne fréquente que très rarement les bois. La tête de la bécasse a une structure toute particulière : l’œil est a une grande distance du bec, ce qui lui donne la faculté d’observer ses ennemis de bien loin ; son vol n’est pas rapide. Faites la lever dans les bois, elle rasera la cime des buissons et se posera, par derrière ces mêmes buissons puis, elle s’éloignera à pied, une distance de quelques mètres. La différence entre la taille du mâle et celle de la femelle a fait croire qu’il y avait deux espèces de bécasses, en Amérique.

Audubon trace un magnifique tableau de la sollicitude de la femelle pour ses jeunes et des ingénieuses ruses dont elle se sert pour attirer sur elle, l’attention de celui qui veut s’emparer de ses petits ; en ceci, elle ressemble fort à la perdrix, mais les jeunes bécasses n’ont pas, il s’en faut de beaucoup, l’agilité des perdreaux ; ce sont de faciles victimes que des enfants cruels dérobent à la tendresse de leurs bons parents.

La migration des bécasses, ne se fait pas par troupe, mais une à une la nuit, au clair de la lune, et avec une telle rapidité que l’on peut dire qu’elles sont toutes à la file, quoique à une certaine distance les unes des autres. Cette particularité a été remarquée, par le même naturaliste sur les rives du Mississipi et de l’Ohio ; le soir presque à chaque instant, à commencer du milieu du mois de mars jusqu’au milieu du mois d’avril, la bécasse passe avec la rapidité d’un trait. Il les a vues émigrer de la même manière au Nouveau-Brunswick. La chasse à la bécasse est fort laborieuse, mais fort intéressante ; le Bois Bijou, sur les limites de la cité de Québec, la côte à Bonhomme à Charlesbourg, les hauteurs de Sillery, à venir jusqu’à ces années dernières étaient réputées fort giboyeuses. Après de longues sécheresses, il serait inutile de battre les hauteurs en quête de bécasses ; il faut alors avec un bon chien, explorer les terrains marécageux et bas ; après des jours de pluie, ces oiseaux gagneront le versant des collines et les clairières dans les forêts. C’est là qu’on les rencontre aux beaux jours d’automne, recherchant les rayons du soleil quand il commence à faire froid.

Plus tard dans la saison, le chasseur remarque quelques bécasses retardataires, sur le bord des ruisseaux ombragés ou des sources chaudes dans les bois ; mais à l’instar des bécassines, les mouvements des bécasses sont incertains et dépendent des saisons et de la température.

« La bécasse de France est un oiseau éminemment domesticable et sociable, dit Toussenel » ; nous n’avons encore pu constater sur ce point le degré de réussite des tentatives qui ont été faites en Canada.

« On a vu des bécasses fatiguées s’abattre en vols nombreux sur le pont des navires ; on cite nombre de ces pauvres voyageurs, qui, deux fois par an, se cassent la tête aux cages de nos phares maritimes de la France. »

La bécasse mâle a le bec brun couleur de chair, noir à sa base ; la mandibule supérieure se termine en une petite protubérance, qui se projette à peu près un dixième de pouce au delà de la mandibule inférieure ; le front, la ligne au dessus de l’œil et toutes les parties inférieures, d’un rouge fauve : les côtés du cou, tirant sur le cendré ; une légère bande de brun foncé, se fait remarquer en l’œil et le bec ; le sommet de la tête à partir du devant de l’œil en allant en arrière, noir, traversé par trois bandes étroites de brun-blanchâtre ; les joues sont marquées d’une barre noire, variée de brun-clair ; les franges du dos et des scapulaires, d’un noir foncé, chaque plume marbrée de brun clair et de rouille clair, avec de nombreuses lignes noires traversant en zig-zags les parties plus claires.

Les jeunes d’un brun foncé ; la queue noire, chaque plume frangée à l’extérieur avec de petites taches d’un brun pâle, mêlé de blanc et de jaune ; la doublure de l’aile est couleur de rouille clair ; les pieds et les jambes, rouge pâle, couleur de chair ; l’œil, noir et plein, placé bien haut sur le derrière de la tête : poids, cinq onces et demi, quelque fois six onces.

Longueur totale 11 pouces ; envergure 16 pouces.


LA BÉCASSINE


(Wilson’s Snipe)


« À son tour l’humble bécassine
Vient nous présenter son tribut
Pauvre oiseau que l’homme assassine
Et que son fusil prend pour but,
En zig-zag, prés d’un marécage,
Nous fuyons son plomb meurtrier
Nous, pour qui ce riant rivage
Était jadis hospitalier.”
Hommage des Oiseaux Canadiens.
A. Marsais.

Montréal, mars 1862.


La bécassine, si hautement prisée des chasseurs, et des bons-vivants est très abondante en cette province au mois d’août, de septembre et même en octobre. On cite des endroits ou des bécassines ont été vues à l’ouest de la province, aussi tard que le commencement de janvier ; mais, c’était là, des cas isolés.

Cet oiseau niche en Canada, dans les endroits marécageux sur les hauteurs où il n’est pas exposé à être molesté par l’homme ; un trou dans la mousse, tapissé de quelques herbes, voilà le nid qui bientôt contiendra quatre œufs d’un jaune olive, abondamment tachetés de brun clair ou foncé ; ces taches augmentent en étendue à mesure qu’elles approchent du gros bout où elles forment un cercle ; les œufs sont toujours disposés de manière à ce que le petit bout se touche tous. Les jeunes comme ceux de la bécasse, quittent le nid, dès qu’ils sont éclos ; ils recherchent d’abord les insectes et plus tard, quand leur bec est fort, ils l’enfoncent, comme les vieux, un demi pouce dans le sol, pour en extraire des vermisseaux et de petites racines d’herbes. Les bécassines sont fort nombreuses sur toutes les battures marécageuses du St.-Laurent ou dans les champs que l’eau du fleuve recouvre à chaque grande mer[2] Elles sont très singulières dans leurs habitudes ; le chasseur qui remettrait au lendemain, une chasse qu’il se promet dans un endroit où il a vu nombre de ces oiseaux la veille, n’en trouvera peut-être pas un seul le lendemain dans la même localité. Sont elles alarmées ? elle s’élèvent en zig-zags, sonnent leur cri Wau-aik, font quelques évolutions dans les airs, des crochets, comme dit le chasseur, et reviennent se poser presqu’à l’endroit d’où elles sont parti.

Audubon a découvert les nids des bécassines dans la Nouvelle Écosse, dans l’État du Maine et dans les régions montagneuses de l’Union Américaine. La chair de la bécassine est aussi renommée que celle de la bécasse ; on sait que nos bon-vivants laissent à la bécassine et à la bécasse, pour farce, leurs intestins, avec leur contenu, et qu’ils les font rôtir tout rondes ; pourtant, il n’est pas rare d’extraire des viscères de bécassines mortes, de gros vers de terre, des sangsues ; comestibles peu convenables, on l’avouera, à l’homme. Il y a une forte ressemblance entre la bécassine Européenne et celle d’Amérique : l’œil perçant de Wilson signala d’abord en quoi elle différait, et les naturalistes par reconnaissance, donnèrent son nom à la bécassine d’Amérique. La bécassine d’Amérique est plus petite d’un pouce que celle d’Europe : elle a seize plumes dans la queue, la bécassine Européenne n’en a que quatorze : le cri des deux est fort différent ; ce fait remarqué par Audubon avait échappé à l’attention de Wilson ; d’un autre côté Frank Forester[3] s’insurge contre l’opinion d’Audubon et affirme que ces deux oiseaux ont un cri semblable. Voilà un problème à résoudre, pour le sport du Canada. On a noté chez les bécasses et chez les bécassines un trait fort singulier qui ne se produit qu’à la saison des œufs. Le chasseur qui fréquente, au point du jour, les humides prairies en quête de bécasses, remarque que des couples de ces oiseaux montent en spirale vers le ciel, frappant l’air de leurs ailes à coups redoublés :[4] parvenus à une centaine de pieds de hauteur, ils s’étreignent soudainement en frappant leurs ailes l’une contre l’autre avec une grande vitesse, se laissent choir vers la terre en faisant entendre un faible gazouillement ou plutôt un bourdonnement, que l’on croit être causé par l’action de leurs ailes dans leur descente rapide ; il ne paraît pas que cette manœuvre singulière ait lieu en d’autre saison que le printemps.[5]

Le principal attrait que possède la chasse à la bécassine, c’est l’exercice musculaire qu’elle entraine et le savoir faire prodigieux qu’elle requiert pour que le chasseur puisse atteindre l’oiseau dans ses gyrations infinies et son vol tortueux, lorsqu’il se lève de terre. Pour prétendre au titre de chasseur de bécassine, il faut avoir, un tempérament robuste, à l’épreuve du froid et de l’humidité ; un œil vif, une main sûre : il faut, en outre, participer un peu à la nature de l’épagneul : ne faire aucun cas de la boue et de l’eau : Audax omnia perpeti, telle doit être la devise du chasseur de la bécassine

« La bécassine a le vol très rapide, mais c’est le moindre inconvénient. Elle commence par filer droit pendant quelques pas ; puis, elle fait trois crochets et file droit encore. Si vous attendez qu’elle ait fini ses trois crochets pour tirer, elle est déjà bien loin, à moins cependant qu’elle ne soit partie à vos pieds. Si vous la tirez pendant les crochets, vous manquez presque toujours. Si vous êtes prompt à mettre en joue, le meilleur sera de tirer au cul levé, vous aurez encore la ressource de redoubler après les trois crochets. Mais pour tirer de cette manière il faut être très leste ; peu de chasseurs y réussissent bien. Cependant j’en ai vu qui, par une grande habileté… abattaient les bécassines aussi facilement que des perdreaux. »

On peut chasser la bécassine depuis le matin jusqu’au soir. Celles qu’on a levées une fois, on les retrouve encore ; on tire toujours, on manque souvent ; c’est la chasse où l’on use le plus de poudre.

La bécassine se laisse facilement arrêter par le chien ; c’est la seule espèce de gibier que l’on puisse chasser à mauvais vent ; il vaut mieux avoir le vent en poupe ; en voici la raison : la bécassine a l’habitude de piquer le vent, d’aller droit sur lui. Si vous la prenez à vent contraire, elle file devant vous, sinon elle tourbillonne pour se diriger sur le vent ; et alors ces tourbillons, joints aux crochets qu’elle ne manque jamais de faire, complique furieusement la question. On chasse mieux la bécassine par un temps gris que par un temps clair. »[6]

La bécassine de Wilson porte une livrée brune : le sommet de la tête est noir, marqué d’une ligne d’un brun pâle ; une autre ligne d’une couleur encore plus foncée surmonte les yeux ; le cou et le haut de la gorge, d’un brun pâle varié de blanc et de noirâtre ; le menton est pâle ; le dos, d’un noir de velours lustré ; les scapulaires noires, marbrées de taches couleur de rouille, et abondamment terminées à leur extrémité de blanc ; les ailes, foncées ; toutes les pennes ainsi que celles des couvertures, frangées de blanc ; la queue, arrondie, d’un noir foncé, se terminant par une bande d’une teinte de rouille vif, traversée d’une ligne noire, ondoyante et frangée de blanc ; le ventre est d’un blanc pur ; les côtés, barrés d’une couleur foncé ; les pieds et les jambes, d’un vert pâle cendré ; le bec, brun, fluté, long d’à peu près deux pouces et demi.

Longueur du mâle 11 ; envergure 17.

La femelle a un plumage plus obscur : le blanc sur son dos est moins pur et le noir moins foncé.

LA BÉCASSINE DE MER


(red breasted snipe)


« Fort ressemblant à la bécassine de Wilson, avec le dessous, rouge brun, mélangé de noirâtre ; une ligne superciliaire brun jaunâtre et une autre brune, du bec à l’œil ; bec et pieds, noir verdâtre ; queue rayée de noir et de blanc ; doigt médian et externe réunis par une étroite membrane. Longueur 10-11 ; ailes 5-5½ queue 2½ ; bec 2½ ; tarses 1½ ; doigt médian 1¼ pouces (C. E. Dionne).


LA BÉCASSINE À LONG BEC


(long-billed snipe)


« Cette bécassine qui, d’après le Dr Coues, serait une variété de la précédente, a presqu’un pied de long et son bec mesure au delà de trois pouces. » — (C. E. Dionne.)

  1. Les bécasses couvent dans toute l’étendue de cette province ; on a trouvé leurs nids même à un mille de Québec, à Holland Farm sur le chemin St.-Louis, près de l’Hôpital-Général, à la Pointe aux Lièvres, et dans les champs le long des rives du St.-Laurent.
  2. On appelle grande mer, ces hautes marées qui ont lieu semi mensuellement, à partir de la ville de Trois-Rivières en descendant vers le golfe.
  3. Nom de plume de Hy. Wm. Herbert, de New-York, sportsman distingué
  4. Un chasseur digne de foi affirme que les mâles seuls montent ainsi au haut des airs.
  5. Nous sommes redevables des particularités suivantes à un chasseur de vieille roche :

    « La bécassine, au printemps fait entendre, lorsqu’elle est posée, un sifflement soutenu et fort aigu ; c’est la note d’appel du mâle, avant la saison des œufs. Je l’ai entendue, maintes et maintes fois à Sorel en 1856 et 1857. J’ai fait lever des bécassines souvent dans les bois dans des terrains humides et couverts d’arbres. Les bécasses viennent prendre leur nourriture généralement la nuit, dans les endroits où l’on trouve les bécassines pendant le jour.

    Après de fortes gelées en Octobre, au premier clair de lune, les bécassines quittent le Canada en corps, pendant la nuit pour le sud de l’Union Américaine. J’ai tué des bécassines à Sorel, même en novembre ; un chasseur que je connais en a tué, à Sorel, en mars. » — (William H. Kerr,) ancien Bâtonnier du Barreau de Montréal.

  6. Blaze, le Chasseur au chien d’Arrêt, p. 144.