Chasses et voyages au Congo/03

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Éditions de la “Revue mondiale” (p. 43-53).

III

OST-AFRIKA

Samedi, le 17 novembre.

Toute autre ville serait en liesse, les Anglais sont plus calmes. On vend à la gare des médaillons ornés de rubans bleus, avec la photographie du Prince de Galles. Trois trains spéciaux vont quitter Dar-Es-Salam pour emmener le gouverneur et les autorités à un point de la ligne, où ils doivent aller saluer le fils de leur souverain.

La ligne de chemin de fer est une création allemande, construite dans un but stratégique et terminée, chose curieuse, en 1914, et inaugurée le 15 août. Le prince impérial avait annoncé sa visite pour l’inaugurer, se doutant peut-être bien qu’il ne serait pas libre à cette époque. Destinée à relier la côte au futur « Central-Afrika », elle n’a servi qu’à la retraite, comme chez nous celle d’illustre mémoire, raccordant Œtrange à Bettembourg-Berchem. Malgré l’encombrement fatal de la voie, le train démarre vigoureusement à l’heure, silencieux, sans coups de sifflet ; il traverse un pays désertique, qui, des fenêtres du wagon, semble inhabité, mais pour en juger il faudrait connaître le recensement ; d’autres voyages en chemin de fer, par des contrées tout aussi arides, en Abyssinie, révèlent une population plus dense, partout la brousse épineuse y est lézardée de sentiers, à tout moment des guerriers nus armés de lances, des bergers nomades, des femmes surgissent sur le talus, pour contempler le train. Ici pas ou peu de villages ! Ce qui frappe c’est le manque d’indigènes, le vide, animé de loin en loin par des installations européennes. Par-ci. par-là des fermes ombragées de manguiers, et des champs de sisal, datant de l’occupation allemande et repris par des Anglais, interrompent la monotonie du paysage et forment des oasis foncées, ou encore des plantations de faux cotonniers, grands arbres qui produisent le kapok, Ersatz, qui sert à rembourrer les matelas de deuxième qualité : (pas confondre avec Kopecks, qui avant-guerre poussaient en Russie et rembourraient les porte-feuilles). On me dit, et je le rapporte sous bénéfice d’inventaire, que peu à peu les anciens propriétaires reviennent et rachètent aux nouveaux-venus leurs concessions à des prix exorbitants. D’autres colons, encerclés et isolés des leurs, vendant à leur tour, les Allemands sont déjà redevenus majorité. C’est un danger ! Mieux eût valu peut-être, laisser quelques mauvaises colonies, à ce peuple prolifique, venu trop tard dans un monde trop vieux, et qui de nouveau éclate dans sa peau, mais qui est industrieux, il faut le reconnaître.

Tabora, Dimanche, le 18 novembre.

Nous entrons en gare de Tabora, l’ex-capitale du « Ost-Afrika » allemand. Quinze minutes d’arrêt, impossible de visiter, il faut se contenter des récits de nos compagnons de route et de nos propres souvenirs. Tabora, anglais ! Si un endroit dans cette Afrique orientale allemande aurait dû devenir belge, c’est bien celui-ci, qui fut conquis par les seules troupes belges, le 19 septembre 1916. Le général Tombeur qui les commandait, créé Baron Tombeur de Tabora pour consacrer moralement une victoire, dont le fruit échappa à la Belgique, fit son entrée dans la ville le lendemain 20 septembre et en prit possession jusqu’en février 1917, lorsqu’à leur tour les Anglais l’occupèrent.

Ces faits sont trop peu connus chez nous, comme du reste toute cette campagne africaine, qui ajoute une page glorieuse à l’histoire militaire belge, après celle de Liège, de Heeren et de l’Yser. Dans le Grand-Duché la censure allemande nous coupait toutes les nouvelles favorables aux, alliés, et à l’armistice, d’autres enthousiasmes et d’autres préoccupations nous empêchèrent de nous mettre rétrospectivement au courant de ces événements, qui pâlissaient à côté de ceux qui venaient de se dérouler à nos frontières, et cette phase de la guerre nous resta inconnue. Loin de moi la pensée de vouloir combler cette lacune ; je ne suis pas qualifié pour le faire, et même outillé, je n’en serais pas capable, mais dans un voyage le long de la frontière Est du, Congo nous allons rencontrer continuellement des traces de cette campagne, et déjà dans le wagon-restaurant d’anciens combattants nous en racontent des épisodes. Cette histoire devra un jour être écrite et publiée dans tous ses détails, et sans aucun doute, si les Allemands avaient été les vainqueurs, ce serait chose faite par eux depuis long-temps. À ce propos je me rappelle une déclaration typique d’un général allemand que j’ai entendue dans les derniers jours du mois d’août 1914. Le général von Webern occupait le village de Rollingergrund, avec sa division silésienne de Breslau. Ma femme qui ne cachait jamais son opinion à Ces hôtes de malheur qui s’imposaient, indignée de ce qu’elle venait de voir en accompagnant la Croix-Rouge à Ethe, Rossignol et dans d’autres villages dévastés et martyrisés, de la province du Luxembourg, demanda au général : « Comment justifierez-vous devant l’histoire les crimes et les horreurs que vous commettez en ce moment en Belgique et en France ? »

« Gnädige Frau, wir schreiben die Geschichte. »

« Madame, c’est nous qui écrirons l’histoire. »

Cet aveu dépeint un état d’âme et se passe de commentaires. Ils ont d’ailleurs écrit celle de 1870. Pour être véridique et impartial je dois ajouter, que d’après tout ce que j’ai appris sur place en Afrique, les Allemands ont été corrects pendant la campagne africaine et n’ont pas commis les cruautés qui les ont illustrés près de chez nous. Leurs mœurs s’étaient-elles adoucies au contact des nègres, ou bien devinaient-ils qu’en Afrique tout au moins, ce ne serait pas eux qui écriraient l’histoire ?

Une anecdote curieuse et peu connue je crois, illustre le tour pittoresque et l’allure de guerre d’Indiens, que prenait parfois la campagne africaine belgo-allemande.

À Berlin, après l’armistice, l’ancien officier d’ordonnance du général Tombeur et un officier allemand se faisaient vis-à-vis à la table de l’une des nombreuses commissions qui siégeaient à cette époque. La conversation s’engagea et prit un tour moins guindé dès que les deux interlocuteurs découvrirent qu’ils avaient été combattants et ex-adversaires en Afrique. Même en Europe, la brousse facilite les rapports entre blancs.

— Votre général a eu de la chance, dit l’Allemand.

— Comment ?

— « Voici comment ! Un jour je l’ai tenu au bout de mon fusil, et il s’est fallu d’un petit mouvement de mon index, pour que sa brillante carrière fût terminée ! J’avais pour mission d’intercepter vos courriers à l’arrière. Accompagné tout juste du nombre d’hommes indispensable, je me trouvais derrière vos lignes. Croyant voir venir le courrier, je me blottis dans un buisson épineux, de façon à voir sans être vu, le fusil armé et prêt à tirer. J’attendis. Mes noirs s’étaient aplatis, invisibles, comme vous le savez. Une pointe d’avant-garde passa, puis un premier peloton ; derrière un gros de troupe s’avançait. Depuis un moment je me sentais engagé dans une vilaine aventure, mais je ne pouvais qu’attendre la suite des événements, sans bouger. Bientôt un officier parut, dans lequel je reconnus immédiatement un officier supérieur, qui n’était autre que votre général Tombeur. J’hésitais un instant sur ce que je devais faire ? Mes ordres formels portaient d’intercepter le courrier, et m’interdisaient de divulguer ma présence par des manifestations inopportunes. Je me tins coi, et laissai passer la colonne, — heureux quand ce fut fini — »

C’est ainsi que le général Tombeur a bien failli, sans s’en douter, ne jamais entrer à Tabora ! N’est-ce pas là une aventure qui eût enchanté notre enfance, nourrie des livres de Mayne Reid ?

Bref, les Allemands, comme on le sait guignaient le Congo Belge pour créer leur « Central Afrika ». La voie ferrée de Bar-Es-Salam au Tanganyka, était une ligne militaire, et les troupes belges après la prise de Shangugu sur le lac Kiwu, en ont découvert une autre, en préparation dans le Ruanda, qui devait pénétrer dans le Kiwu. Des deux côtés de ce que les Allemands appelaient le « Grosse Graben » le grand fossé formé par les lacs et le Nil, qui sépare l’Est-Africain du Centre, les sentinelles allemandes et belges depuis longtemps se contemplaient, déjà avant-guerre. Chaque fois que les Allemands en ajoutaient une, les Belges de leur côté en plaçaient une de plus. Les soldats de couleur belges nommaient leurs vis-à-vis les « Funf und zwanzig » les « vingt-cinq », en raison du nombre de coups de chicotte qui était la mesure du côté allemand ; ceci n’a d’ailleurs rien de péjoratif, car à cette époque déjà lointaine, la chicotte était appliquée partout, et les noirs donnent à tout le monde des sobriquets, en général bien tapés, C’est le cas de le dire !

Les troupes belges, se montant à douze mille hommes, environ, prirent l’offensive en 1915. Elles avaient à faire à forte partie. Si von Lettow occupait les Anglais, les Belges avaient devant eux Waha, un peu mûr il est vrai, mais qui en Witgens avait son Ludendorff. Et si d’un côté les soldats de couleur belges ont été magnifiques — « notre chef-d’œuvre au Congo est le soldat noir » a dit quelque part un magistrat, peu susceptible d’être taxé de militarisme — d’un autre côté les troupes allemandes étaient solidement encadrées et en plus forte proportion que les Belges par des sous-officiers blancs, provenant du « Koenigsberg » et de la « Moeve », jetés à la côte, et quoique bloqués par la flotte anglaise, les Allemands furent deux fois ravitaillés par des forceurs de blocus.

L’offensive belge avait tardé jusqu’en 1915, parce qu’elle avait demandé un an de préparation, et il faut se rendre compte des difficultés que celle-ci a dû rencontrer après les désastres d’Europe et la petite mère-patrie étant occupée par l’ennemi. Une autre cause encore retarda le déclenchement : les troupes belges disponibles au début, durent soutenir les Anglais, à leur appel, dans leur propre colonie, où ils n’étaient pas en force suffisante pour résister aux Allemands.

Je ne sais pas, si Sir H. H. Johnston, l’auteur de nombreux livres remplis de science sur l’Afrique, et plus spécialement de The Opening of Africa vit encore ? Qu’eût-il dit s’il avait vu la grande Angleterre obligée de demander l’aide de la petite Belgique, dans l’une de ses colonies, et cela à côté de ce même Congo Belge dont il a vilipendé le grand Fondateur, en des termes qu’il est superflu de reproduire aujourd’hui. L’histoire a fait droit de ces calomnies intéressées ! Rien que le livre lumineux de Lichterveld sur Léopold II, que je viens de lire sur le bateau en venant, suffit pour éclairer et montrer au grand jour le désintéressement du Grand Roi, qui avec une prescience prophétique et avec une ténacité et une patience inlassables, a poursuivi, durant son long règne, deux grands projets impopulaires tous les deux : il a voulu pour le bien de son pays — et malgré son peuple — doter sa patrie de deux choses qu’il savait indispensables à La Belgique de l’avenir : une armée capable de la défendre contre le danger allemand qu’il prévoyait, et une colonie pour lui donner dans le monde la place qu’il ambitionnait pour elle et pour lui procurer l’air dont elle avait besoin pour respirer.

Son œuvre congolaise place Léopold II au-dessus de toute atteinte.

Kigoma-Ujiji
Lundi, le 19 novembre.

Après Tabora le train a repris sa marche monotone par une région couverte d’arbres rabougris. Par ci, par là, des feuilles d’un vert nouveau aux buissons, tandis que le sol est encore jaune de fanes et d’herbes desséchées, indiquent que les pluies ont à peine commencé. Nous arriverons au bon moment pour la chasse d’autant plus que la pluie étant plus tardive vers le Nord, nous remonterons avec elle.

Ici on pourrait se croire nu milieu d’une haie à écorces du Grand-Duché, au moment de La bécasse, quand les bourgeons chassent des branches les dernières feuilles mortes qui ont résisté à l’hiver, n’était la température qui nous rappelle la latitude où nous sommes. Le manque de gibier, et plus encore, la rareté des oiseaux nous étonnent. On nous avait promis monts et merveilles de la réserve de chasse anglaise que la voie traverse, mais nous y pénétrons à la nuit tombée, sans voir la girafe habituelle. Par contre, les premières tsé-tsé ont fait leur apparition tantôt, nous piquant à travers les bas jusqu’au sang ; heureusement que contrairement aux moustiques, elles disparaissent vers le soir et ne sont désagréables que pendant la journée. Puis la locomotive envoie des étincelles dans la nuit et notre sommeil n’est plus troublé qu’aux postes de bois, par la chute des bûches que les noirs de corvée envoient, sans douceur, dans le tender.

Enfin, Kigoma ! Le lundi matin en descendant du train, j’eus une déconvenue désagréable, semblable à celle de l’illustre Paganell lorsqu’il s’adressa au chef Patagon en portugais, croyant avoir appris l’espagnol en traversant l’Atlantique sur le Duncan.

J’avais profité, moi aussi des loisirs d’une longue traversée, pour tâcher de m’approprier les finesses de la langue swahilie, dans un petit lexique très pratique, établi par un R. P. blanc. Ce petit manuel avait des pages divisées en trois colonnes, sans en-tête, qui indiquaient en trois langues différentes les phrases usuelles dont on a besoin en voyage. La première colonne était en français, la seconde en un idiome en « i », une manière d’italien, du japonais peut-être, qui ne retint pas mon attention, et la troisième en un jargon aux accents sauvages, que je me mis à bûcher avec une énergie, digne d’un meilleur sort ! Tout fier de ma science linguistique récente et pour épater mes compagnons de route, j’interpellai le premier porteur qui se présenta sur le quai de la gare, en des termes que j’avais soigneusement préparés d’avance.

« Neem gij dezen Zak, ga dan de leaden holen. »

Le résultat immédiat fut que le noir s’enfuit terrifié et avec lui tous les négrillons que la curiosité et l’espoir d’un matabich avaient attirés. Un peu honteux je me dis que sans doute ma prononciation laissait encore à désirer. Mais averti par mes voisins qui me dirent que dans la zone anglaise, les nègres ne comprenaient pas encore le flamand, je me rendis compte de mon erreur. Je m’en consolai vite, car une gymnastique intellectuelle — nous avons bien dû apprendre le grec au Collège — n’est jamais perdue, et celle-ci me servira pour diriger les traqueurs, chez ma fille, dans les Flandres. Réflexion faite, le résultat obtenu n’était que naturel, et je me rendis compte de la cause de la terreur des noirs. Au Caire, quand les mendiants et les quémandeurs m’importunaient par trop, j’avais pris l’habitude de les apostropher d’un « geeste huss » bien appuyé en patois luxembourgeois, et j’en étais définitivement débarrassé, ce que même par la courbache je n’avais pu obtenir. Je-conseille ce moyen à tous mes compatriotes en voyage.

Kigoma port principal sur le lac, du « Tanganyka Territory britannique » ex Afrique Orientale allemande, comme Tabora devrait être belge, et participe aux glorieux souvenirs de la campagne de 1916, car c’est d’ici que partit la brigade du Sud, après avoir débarrassé la rive est du lac Tanganpka des troupes allemandes qui l’occupaient, et fit flotter le drapeau tricolore sur le port où elle entra le 19 juillet.

Mais de même que sa glorieuse voisine, Kigoma a été attribuée à l’Angleterre par la Ligue des Nations, et la Belgique qui était en droit de revendiquer les territoires conquis par elle, dut se contenter du mandat qu’on lui déféra d’administrer le Ruanda Urundi, les fameux T. O. (territoires occupés).

Par compensation on lui accorda encore (Convention du 15 mars 1921) sur les quais de Kigoma et de Dar-es-Salam, deux emplacements qui par une singulière fiction de droit, sont réputés territoire belge, et qui constituent les ports francs par lesquels la Colonie peut évacuer en franchise de douane, tout son commerce tributaire de l’Océan Indien. C’est ainsi que nos bagages plombés avant l’arrivée à Dar-es-Salam, n’ont point passé par la douane britannique, mais ont été directement convoyés vers Kigoma où nous allons en reprendre la libre disposition, en nous rendant au quai, où une centaine de mètres carrés figurent la concession belge.

À part la gare qui est monumentale, et un hôtel assez somptueux (ex-Kaiserhof) dont une moitié sert de résidence au « District Commissioner », je n’ai vu à Kigoma que de rares habitations qui s’éparpillent au long d’une ou deux avenues ombragées et le quartier indigène où la population se compose surtout d’Arabes et d’Hindous. Mais dans les environs une visite s’impose : on ne peut passer à Kigoma sans aller saluer le « Manguier d’Ujiji », l’arbre célèbre qui fut témoin de la réunion de deux hommes dont le souvenir hante tous ceux qui pour la première fois mettent le pied au Congo : Livingstone et Stanley.

Nous voilà donc partis dans une espèce de char à bancs, et après une demi-heure de route poussiéreuse, nous arrivons à un gros bourg, habité presque exclusivement par des Arabes, et qui est composé d’un certain nombre de carrés coupés régulièrement par des avenues plantées d’arbres et bordées de maisonnettes presque toutes semblables. Pour trouver l’arbre que nous sommes venus chercher, il faut de l’autre côté du village redescendre vers le lac, et tout à coup à un endroit assez abandonné, et où les herbes ont peu à peu envahi le terrain on arrive au manguier historique, dont hélas ! il ne reste plus grand’chose, car peu à peu la mort l’a rongé, et il ne lui pousse plus que quelques branches décharnées. À son pied, un bloc de pierre rappelle la date de la rencontre des deux explorateurs :


Livingstone
Stanley
1871

C’est tout, et l’on songe avec une certaine mélancolie à l’oubli qui si vite couvre les gloires passées. De retour à Kigoma j’ai voulu relire ce que Stanley lui-même a écrit de sa rencontre avec Livingstone, et je crois ne pouvoir mieux faire que de copier en traduisant le passage de son livre : « How I found Livingstone ». — Prévenu de la présence de Livingstone à Ujiji, Stanley vient d’y arriver : « Mon cœur battait à se rompre. Que n’aurais-je donné pour avoir un petit coin de désert où, sans être vu, j’aurais pu me livrer à quelque folie, me mordre les mains, faire une culbute, fouetter les autres, enfin donner libre cours à la joie qui m’étreignait… Mais je ne laissais pas mon visage trahir mon émotion, de peur de nuire à la dignité de ma race.

J’écartai la foule, et me dirigeai entre deux haies de curieux vers le demi-cercle d’Arabes devant lequel se tenait un homme à barbe grise. Tandis que j’avançais lentement, je remarquai sa pâleur et son air de fatigue… Il avait un pantalon gris, une vieille veste rouge et un casque. Je m’approchai d’un pas délibéré, je dis, en ôtant mon chapeau : « Le Docteur Livingstone, je présume ? »

— Oui, répondit Livingstone en soulevant sa casquette.

Nos têtes furent recouvertes, nos mains se serrèrent.

— Je remercie Dieu, repris-je, de ce qu’il m’a permis de vous rencontrer.

— Je suis heureux, dit-il, d’être ici pour vous recevoir.

Et tandis que Stanley remet à Livingstone le courrier d’Europe qu’il a apporté avec lui et l’invite à le lire.

« Ah ! dit le missionnaire, j’ai attendu des lettres pendant des années ; j’ai maintenant de la patience ; quelques heures de plus ne seront rien… Mais que se passe-t-il dans le monde ?… »

Il y a une certaine grandeur antique à la simplicité avec laquelle ces deux homme s’abordent et se retrouvent alors que l’un venait de passer des années loin de toute civilisation, et que l’autre pour le rejoindre avait traversé des régions inconnues au milieu de mille dangers. Le « je présume » de Stanley est d’ailleurs un poème, et caractérise la race à laquelle il appartenait.

Le bateau qui doit nous emmener étant arrivé d’Albertville, nous nous y embarquons, et quittons Kigoma le lendemain, en route sur le Tanganyka.